Accueil > Débats > Fondapol : Des propositions qui ne valent pas grand chose

Fondapol : Des propositions qui ne valent pas grand chose

lundi 12 décembre 2011, par Choukri Ben Ayed

"Flagrant délit d’incompétence". Sociologue, professeur à l’université de Limoges, Choukri Ben Ayed s’adresse à Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) qui vient de publier ses propositions pour les présidentielles 2012. Un texte en rupture avec la tradition de l’école républicaine et, pour C. Ben Ayed, avec les travaux des chercheurs. Après avoir opposé le texte de Fondapol aux acquis de la recherche, ce dernier conclut : " votre projet est entièrement bâti autour de l’idée qu’il ne couterait « rien » à l’Etat, au fond cela n’est pas surprenant pour un projet qui ne vaut pas grand chose.’"

Comment peut on réagir (si besoin en était), aux « propositions » de Fondapol ? La Fondation dite pour « l’innovation » politique porte bien mal son nom. En fait d’innovation, il nous a rarement été donné l’occasion de lire un texte à ce point truffé de principes rétrogrades. Un examen s’impose. La première réaction qui vient à l’esprit lorsque l’on consulte ce texte c’est la nature de son émetteur : un Think Thank. Ceci pose avant tout la question de la façon de faire de la politique aujourd’hui. Finis la démocratie représentative, la parole au peuple, désormais le politique gouvernera en faisant l’addition de toutes ces paroles d’experts autorisés, autoproclamés.

La problématique éducative est également balayée par ce mouvement, preuve s’il en est qu’elle est réduite aujourd’hui à une activité comme une autre en ne tenant plus compte de ses spécificités. Le propre des Think Thank c’est leur capacité à écrire sur tout, à savoir tout sur tout. Fondapol, qui se définit comme un « Think Thank libéral progressiste et européen », écrit sur la santé, les classes moyennes, le logement, le parlement, la responsabilité, la « compétitivité par la qualité », la morale, l’éthique, la déontologie, le pouvoir d’achat, la jeunesse, la liberté religieuse, l’écologie, la sortie du communisme, etc. Bref Fondapol sait tout sur tout, mais à force de tout savoir sur tout, on en finit par ne plus savoir rien sur rien. Et en la matière, nous avons ici un bel exemple de flagrant délit d’incompétence. Pour un cercle d’expert, curieux texte qui n’est accompagné d’aucune référence scientifique.

Entrons dans le détail...

Entrons dans le détail. En fait d’arguments scientifiques que propose ce texte ? Tout d’abord des rhétoriques vides de sens : « pluralité des formes », « singularité », « différenciation sociale ». Les chercheurs en éducation n’ont pas attendu la contribution de Fondapol pour constater l’importance de la différenciation sociale à l’école. Ils se passent bien en revanche de traduire cette question sur le terrain de la singularité et de l’individualisme. Ces plaidoyers récurrents pour l’individualisation et l’individualisme, sous couvert d’aide aux élèves, en deviennent foncièrement suspects. Finis donc les idéaux collectifs, l’idée d’un système unifié, voire même de société ? Nous devrions donc nous résoudre à une école des individus ? La réponse est non et nous résisterons à la facilité d’un tel projet d’école qui hiérarchise les élèves en fonction de leur origine socioculturelle et géographique. Si Fondapol souhaite innover, c’est dans le sens de la reconstruction d’un bien commun qu’il doit s’efforcer de faire œuvre utile et non de travailler à sa destruction.

Avançons encore dans le texte : autonomie, recrutement des enseignants par le chef d’établissement etc. La belle affaire ! Là aussi qu’y a-t-il d’innovant dans cette pensée réactionnaire à réduire l’école à une entreprise ? D’où tenez-vous, Dominique Reynié, que l’autonomie version managériale, et que le recrutement des enseignants par le chef d’établissement seraient, à ce point si efficaces ? De quelle recherche ? Aucune n’établit cela, aucune. C’est tout le contraire qui est constaté. Lorsqu’autonomie se conjugue avec concurrence et hiérarchisation des établissements scolaires chacun sait à présent que cette situation est propice à la polarisation, l’accroissement des inégalités et aux moindres acquisitions scolaires : tout le contraire de ce que vous prétendez combattre.

"Connaissez-vous vraiment l’école ?"

Quelle serait la puissance divine des chefs d’établissement à savoir mieux recruter ? Mieux évaluer ? Là aussi Dominique Reynié citez-nous quelques sources. Que faites-vous du clientélisme qui pourrait résulter d’un tel système ? Que faites-vous des dérives du management en totale contradiction avec la liberté pédagogique de l’enseignant ? Au fond connaissez-vous vraiment l’école pour projeter ainsi vos fantasmes entrepreneuriaux ? Curieux raisonnement qui consiste à négliger la formation des enseignants et leur accompagnement pédagogique, dont vous ne dites mot, et à se focaliser essentiellement sur leurs conditions de recrutement. Non Monsieur Reynié un enseignant n’est pas un petit employé que l’on prend, que l’on contrôle, que l’on évalue et que l’on jette, il est le plus noble représentant d’une institution qu’on appelle encore le service public et si notre histoire démocratique lui a attribué une liberté pédagogique et une indépendance par rapport au pouvoir local et à sa hiérarchie directe, c’est précisément dans un souci de préservation de cet idéal démocratique : l’avez-vous oublié ?

Vous souhaitez faire travailler davantage les enseignants dans les établissements scolaires et qu’ils ne consacrent qu’une faible partie de leur temps de travail à l’enseignement. Si c’est de « temps-enseignant » dont les élèves ont besoin pourquoi ne pas en recruter davantage ? Pourquoi vous focaliser essentiellement sur les enseignants ? Que faites-vous des CPE, des assistantes sociales, des assistants d’éducation, des infirmières scolaires ? Un établissement est une machinerie complexe et ne peut fonctionner avec un seul type de professionnel, les acteurs de terrain le savent très bien. Pourquoi faites-vous l’impasse sur la politique que vous semblez soutenir qui, à coût de coupes budgétaires, a privé les établissements de la présence d’adultes ? Pourquoi ne dites-vous rien de cette logique de déshumanisation des enceintes scolaires qui scandalise tout autant les professionnels que les parents d’élèves ?

"C’est cela votre ambition éducative : Renoncer au savoir ?"

Que proposez-vous ? De recruter moins d’enseignants, mais mieux payés en échange d’un temps de travail plus important ? Qui acceptera de se faire ainsi compresser ? N’allez-vous pas finir par rendre totalement indésirables, pour les enseignants eux-mêmes (et pour les parents), les écoles dites « fondamentales » que vous appelez de vos vœux ? Ignorez-vous que l’activité pédagogique suppose un temps de travail hors élève de préparation et de formation ?

Un enseignement dans les écoles dites « fondamentales » limité à trois disciplines ? Pourquoi pas une, quatre, la moitié d’une ? C’est cela votre ambition éducative ? Renoncer au savoir, à la culture pour tous en les réservant à quelques uns ? Vous réduisez les élèves de ces écoles à des demi-apprenants. Vous réactivez, sciemment ou par ignorance, les vieilles lunes du handicap socioculturel et des dons. Vous suggérez que la situation actuelle de ces élèves résulte de l’hypocrisie ambiante qui n’a pas su reconnaître leurs difficultés d’apprentissage. Lisez-vous la presse spécialisée en éducation ? Discutez-vous avec les enseignants ? Lisez-vous les travaux des chercheurs ? Vous êtes-vous déjà rendu dans une convention pédagogique organisée par un syndicat enseignant ? Les professionnels de l’éducation, autant que les chercheurs, ne sont pas hypocrites ou aveugles mais indignés face à la situation de l’école, qu’ils vivent et observent chaque jour. Ils demeurent néanmoins encore suffisamment ambitieux pour espérer un enseignement pour tous et pour rejeter toute forme de discrimination ou de ségrégation instituée comme vous le faites. En fait de vouloir résoudre un problème vous vous contentez de le contourner et d’en créer d’autres bien plus graves encore en évacuant une partie de la population scolaire du droit de à des apprentissages communs.

Vous prônez la fin de l’éducation prioritaire et la fin du collège unique, ni plus ni moins. Selon vous la politique d’éducation prioritaire a échoué car elle procéderait d’une logique de zonage des territoires et non du ciblage des individus. Mais savez-vous ce que recouvre cette logique de zonage ? Elle signifie que, pour venir en aide aux élèves en difficulté, il est nécessaire de travailler en lien avec leur territoire, avec le champ associatif, avec les collectivités locales, les réseaux d’éducation prioritaire… Vous êtes muets sur ce point. Que proposez-vous ? De bunkeriser l’école ? De l’insulariser ? C’est ainsi que vous pensez prendre en compte le quotidien des élèves et de nouer avec leur environnement et leurs parents des relations éducatives ?

"Vous n’avez besoin de personne pour invalider votre propre projet… "

Pourquoi ne proposez-vous pas une lecture plus documentée des difficultés de l’éducation prioritaire ? Que disent sur ce point les travaux de recherche et les rapports officiels que vous passez une nouvelle fois sous silence ? Faisons ici un bref rappel : déficit de pilotage tant local que national, sous-dotation financière ne permettant pas de réduction significative du nombre d’élèves par classe (plus tout à présent avec la suppression des postes), instabilité du cadre national, défauts d’accompagnement des équipes, des coordinations locales, inanité de la lutte contre les ségrégations scolaires… C’est tout cela qu’il faut empoigner et regarder en face plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Finalement vous nous livrez vous-même le mot de la fin : votre projet est entièrement bâti autour de l’idée qu’il ne couterait « rien » à l’Etat, au fond cela n’est pas surprenant pour un projet qui ne vaut pas grand chose. Il faut vous convaincre qu’une école ambitieuse égalitaire et démocratique aura un coût. Dans le même plaidoyer proposer un soit disant nouveau modèle d’école, tout en arguant de son coût nul pour la nation, est la plus belle façon de l’auto-dénigrer. Finalement vous n’avez besoin de personne pour invalider votre propre projet…

Messages

  • Bonjour,

    Le titre de votre texte vise à synthétiser la valeur des propositions de Fondapol. Il est vrai que d’un point de vue scientifique elles ne valent pas grand-chose et il est important de le souligner comme vous le faites.
    Vous n’êtes pas sans pointer leur « valeur » politique bien sûr, mais je pense qu’il convient de focaliser plus fortement l’attention sur elle, car c’est ce qui guide il me semble la légèreté avec laquelle sont traités les travaux de recherche.

    Il ne s’agit pas pour Fondapol d’envisager d’en respecter les résultats, mais de légitimer le dépassement définitif de l’école unique pour lui substituer des établissements aux fondements et aux objectifs profondément et ouvertement inégalitaires. C’est l’aboutissement institutionnel de la politique du socle commun.
    Le texte est clair : il faut créer des « écoles fondamentales pour les élèves en difficulté », dans le cadre de l’autonomie des établissements qui pourront recruter les enseignants selon des profils répondant à leurs besoins. Cette perspective a incontestablement pour but d’en finir avec toute velléité de démocratisation scolaire.

    Que l’on en juge : « De nouvelles formes d’hétérogénéité sociale rendent désormais impossible la distribution d’un même savoir à tous, au même moment de la vie et selon les mêmes méthodes. »

    Dans les écoles fondamentales qui accueilleront de la sixième à la troisième les élèves jugés incapables d’intégrer un collège général, l’enseignement dispensé « sera l’occasion de présenter aux élèves les bases élémentaires des savoirs qui n’y seront plus enseignés en tant que tels (sciences de la vie et de la terre, histoire, géographie, arts plastiques, actualité, etc.). » Et il s’agira de privilégier les exercices pratiques, de s’appuyer sur les TICE. Puisqu’un même savoir ne peut pas être enseigné à tous en raison de l’hétérogénéité sociale, on imagine bien à qui s’adressera ce type d’école.
    Dans cette perspective « les enseignants doivent être présents dans l’établissement de façon continue durant toute la semaine ». Leur salaire devra être doublé, mais il est clairement dit que cela n’aura pas d’impact budgétaire, en raison de l’augmentation du nombre d’heures devant élèves et la reconversion des heures d’enseignement correspondant aux disciplines supprimées.

    L’hétérogénéité sociale aidant « rien ne s’oppose vraiment à ce que coexiste, selon les besoins locaux, une grande variété d’organisations, allant de l’établissement public du premier degré de droit commun à l’école fondamentale du socle conduisant du cours préparatoire à la troisième. » L’école élémentaire est incluse dans le dispositif.
    L’université n’est pas épargnée puisque pour elle c’est « Le droit à la sélection pour tous ! » qui guidera sa réorganisation.

    Les propositions de Fondapol ont surtout la valeur de leurs ambitions politiques dont la portée est considérable : une restructuration profondément et ouvertement anti-démocratique de l’école.

    Janine Reichstadt