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Technique et technologie dans l’école commune, premières propositions

vendredi 21 décembre 2012, par Yves-Claude Lequin

[L’école commune n’est pas seulement celle de la réussite pour tous, c’est aussi une école qui forme des citoyens préparés à prendre toute leur place dans le débat et la décision démocratiques. A cet égard il est essentiel d’en finir avec l’occultation traditionnelle de la technique dans l’enseignement français (voir à ce sujet l’article précédent d’Yves-Claude Lequin). Dans quelle société vivrions-nous demain sans la maîtrise collective des grands choix techniques qui fait tant défaut aujourd’hui ? La technique et la technologie doivent devenir des composantes majeures de la culture commune à transmettre aux jeunes générations. Yves-Claude Lequin avance ici en ce sens des propositions radicalement novatrices, que le GRDS livre au débat.]

La technique, c’est tout ce que les humains savent faire, tout ce qu’ils transfèrent à des outils ou à des systèmes en tous domaines, ainsi que la façon dont ils usent de ceux-ci ; ce sont aussi les comportements et les pratiques que leur imposent ou qu’induisent ces divers outils ou systèmes techniques. Infiniment diverse, à la fois très personnelle et faite de méga-systèmes dont le pilotage est assuré par d’infimes minorités, la technique est omniprésente dans nos vies. Parallèlement à l’action pour une démocratie technique, on demandera à l’école d’enrichir, chez tous, la compréhension de la technique, afin de faire que les futurs citoyens qu’elle forme apprennent aussi comment orienter les processus techniques fondamentaux, comment opérer des choix stratégiques en ces domaines (favoriser le développement de quels systèmes techniques ? Lesquels freiner ?).

Ce que représente la technique pour l’humain

La technique, c’est ce qui appartient en propre à chaque individu, gestes associés à tous les actes de notre vie (manger, se vêtir, marcher, penser, parler, lire, écrire…), travail sur soi-même pour exercer un métier (quelle que soit l’activité). La technique est le propre de l’homme, ce qui le distingue des autres espèces, et qui –depuis les origines- contribue à l’hominisation… mais elle peut aussi participer à une déshumanisation. La technique n’est pas plus neutre que la société qui la produit ou qui en use.
On ne peut réduire la technique à une pratique : toute technique inclut une intention (un dessein), une culture et une pratique. C’est un produit social, de civilisation, que chaque individu intériorise (consciemment ou non), au fur et à mesure qu’il l’apprend.

Contrairement à une illusion fort répandue depuis deux siècles (notamment dans l’école), les techniques ne sont pas universelles : pour une fonction donnée, les pratiques et les techniques diffèrent selon des aires variables, au gré des rapports de forces (culturels, sociaux, politiques) internes à chaque société. Les silex taillés des hommes préhistoriques variaient localement, tout comme aujourd’hui varient les pratiques et systèmes : au-delà du mirage de la « mondialisation », tout « transfert » technique se traduit finalement par une transformation de l’objet technique initial (qu’il s’agisse d’agriculture, d’automobiles, de centrales électriques, etc.).

Le débat sur la technique est trop souvent cantonné à l’affrontement entre deux courants de pensée, sorte de frères ennemis, qui se complètent souvent, comme autant d’impasses complémentaires : le courants des technophiles forcenés, qui ne cessent de vanter le paradis de la prochaine « révolution technique » (aujourd’hui la « révolution numérique » ou « informationnelle ») et ceux qui proclament l’apocalypse à redouter de systèmes infernaux. Entre le « laisser-faire » et le « stoppons tout », il y a place pour des réflexions approfondies et raisonnées, visant à réorienter les processus techniques selon l’intérêt humain.

Libératrice, la technique peut aussi devenir aliénante. On l’observe actuellement en de nombreux domaines, où le rapport des humains aux outils techniques tend à s’inverser, lorsque ceux-ci, d’utiles deviennent nuisibles ou dominateurs. C’est le cas dans la communication (télévision, logiciels), où des systèmes ne nous relient qu’en nous enserrant dans des rapports de dépendance (intrusion publicitaire, contrôle, traçage, addiction, fragmentation, intensification), bref qu’en nous imposant leur « loi », qui est en fait celle des groupes qui les maîtrisent. C’est le cas dans l’agro-alimentaire, où des groupes chimiques, commerciaux ou bancaires pilotent les choix techniques des agriculteurs, pêcheurs, etc. C’est le cas aussi dans la santé, la construction, l’énergie, ainsi que dans les métiers de « service ». C’est le cas (de façon systématique) dans les techniques d’organisation du travail, où la nécessaire coordination s’est muée en despotisme : hier le taylorisme, puis le fordisme, aujourd’hui le "Lean" et autres moyens de pilotage par objectifs. On l’observe d’ailleurs de plus en plus dans le travail pédagogique lui-même, qu’il conviendra d’émanciper des « systèmes » Google, MS, Apple ou autres. Une réflexion approfondie s’imposera sur ce renversement qui n’est pas inhérent à toute technique, et n’est donc pas fatal : cette perversion « technique » intégrée dans la logique des mégasystèmes résulte de l’hyperpuissance mondialement acquise par quelques grandes firmes qui, pour accroitre leurs profits s’affairent à diminuer l’autonomie des humains, pour en faire d’abord des « consommateurs » ou des « usagers » frénétiques. C’est cette logique-là qui doit être analysée et combattue au sein même des processus techniques contemporains. L’école devra concourir à exposer les choix toujours possibles en matière de conception technique, quels que soient les domaines concernés.

Quels objectifs fondamentaux ?

Introduire la technique dans l’école commune, ce sera transformer fondamentalement le système scolaire français, actuellement partagé entre deux pôles : un pôle « sciences » (mécaniste et déterministe, qui considère la technique comme un sous-produit des sciences de la nature), et un pôle « littéraire » (qui se veut seul représentant de « la » culture et de l’humanisme, au nom desquels il vilipende généralement la technique). Entre les deux un groupe de disciplines, plutôt neutres à cet égard.

Quant à la technique, elle est généralement bannie de l’école comme elle l’est de notre culture, et comme le travail et le monde du travail sont bannis des grands choix sociaux et politiques de notre pays (quand les ouvriers et les employés –qui représentent la moitié des actifs français- ne pèsent que 2,5% des députés, on ne peut s’étonner que travail et technique se voient accorder si peu d’attention).

C’est ce qui devra changer : la technique devra désormais occuper une place centrale dans ce qu’on apprend à l’école commune. Son absence et sa déformation sont aussi anciennes que les sociétés inégalitaires, mais depuis un siècle l‘école républicaine n’a guère changé cet ordre ancien ou elle ne l’a que superficiellement corrigé. L’école forme des « praticiens » en leur apprenant – au mieux- « comment faire » et « comment ça marche » ; elle évoque les mille vertus prêtées aux « révolutions » techniques et informationnelles, sans en analyser concrètement le mouvement réel ; sinon elle brandit les menaces de la technique (« technoscience »), mais on cherchera vainement des enseignements sur ce que la technique représente dans l’évolution humaine, et sur les choix dont elle est faite. Tant que les grands systèmes techniques seront considérés comme des boites noires inaccessibles au débat démocratique et à la délibération nationale, notre démocratie restera bornée et tournera le dos à l’humain lui-même. Ici aussi, l’école aura une grande mission éducatrice et émancipatrice.

État des lieux

Peu présente à l’école primaire, la technique est diversement traitée dans le secondaire qui connait : un enseignement général riche en lettres et en sciences, mais dépourvu de compréhension de la technique ; un enseignement technique concentré sur la logique (interne) de la technique, mais peu actif sur son lien avec l’humain et le social ; un enseignement professionnel ancré dans le monde réel des métiers, mais faiblement muni aux plans théorique et scientifique.

Ne peut-on imaginer une convergence de ces trois approches au service d’une école et d’une culture communes ? C’est ce que préconisaient déjà l’Encyclopédie au 18e s. et Marx en 1867 dans Le Capital : « introduire l’enseignement de la technologie, pratique et théorique, dans les écoles du peuple » (Livre I, 5e section, chapitre 15)…ou ce que (sous une autre forme !) proposait en 1983, le rapport Legrand sur les collèges : une « éducation polytechnique pour tous de 6e à la terminale ».

Dans le primaire

L’enseignement est passé de la « leçon de choses » (années 1880) à la « main à la pâte » ; actuellement les notions techniques tendent à disparaître dès le CM, et de plus en plus en collège.

Dans le secondaire

* L’enseignement technique a débuté fin XIXe par des « enseignements pratiques » pour se développer, après 1945, en filières dites « technologiques », qui préparent à de larges champs professionnels ou à des poursuites d’études (IUT, écoles d’ingénieurs). Il a été historiquement conçu selon une logique « mécanique » (à la fois mécaniste et lié aux industries mécaniques). Il apprend surtout des « lois » issues de la physique et de la mécanique théorique, « comment on fait » une technique ou un système et « comment ça marche ».

* L’enseignement professionnel (ex-apprentissage), devenu CET, puis LEP, puis LP : accédant au niveau bac depuis 1985 et débouchant plus directement sur des professions, il progresse d’autant plus fort qu’il recrute principalement dans les milieux populaires. Est-il une voie de « rattrapage » ou de « relégation » ? Le débat reste entier, à condition de ne pas prendre pour unique référence l’enseignement « général » ou le « technique » (qui peut-être pourraient bénéficier de certaines pratiques pédagogiques associées à l’enseignement professionnel, notamment l’expérimentation en milieux réels) ; il conviendrait aussi d’observer les évolutions que l’enseignement professionnel a opérées depuis ses situations antérieures (CAP et BEP), et celles qui sont souhaitables à partir de son état actuel. En reliant étroitement le devenir de cette filière au devenir du monde du travail.

* La technologie en collège : introduite en collège en 1962, c’est la discipline qui a subi le plus d’à-coups ; en 50 ans, elle a successivement servi à pré-orienter (vers l’usine) des élèves en difficulté, à faire valoir la logique (interne) de la technique, à enseigner une sorte de physique appliquée, une éducation manuelle et technique, une « culture technique », et aujourd’hui l’EIST (« enseignement intégré des sciences et technologies »), succursale de la filière STI (Sciences et techniques industrielles) (voir l’historique d’Isabelle Harlé).

Maltraitée depuis ses origines, en son état de désagrégation actuelle elle serait plutôt un repoussoir qu’un modèle à généraliser du primaire jusqu’au bac. Il faut imaginer tout autre chose, de façon beaucoup plus ambitieuse, en valorisant l’expérience pédagogique des enseignants actuels.

Quatre types de techniques à enseigner et à apprendre

Toute technique répond à des besoins humains et sociaux, à travers un imaginaire et des rapports de force sociaux déterminants. La technique ne se réduit pas à des pratiques : dans sa conception comme dans son usage, elle forme un tout (humain, social, culturel voire politique), un tout qu’on ne peut comprendre pleinement qu’en l’analysant dans sa globalité, comme le proposent de nombreuses recherches scientifiques actuelles.

Une technologie digne de ce nom doit être à la fois pluridisciplinaire et synthétique : qu’elle soit geste, outil, machine, pourquoi telle technique a-t-elle été élaborée ? Selon quelles représentations de l’acte ou du travail à opérer ? Qui la diffuse ? A quelles fins ? Quelle est sa place et son sens dans notre vie et notre culture ? L’enseignement de la technologie dans l’école commune considérera la technique en sa globalité, ses potentialités et ses contradictions, sur une longue durée, sans l’isoler des évolutions sociales qui la génèrent.

* Pour les enseignants : les techniques du métier d’enseignant.
Les principales techniques du métier d’enseignant relèvent de la didactique et de la pédagogie (centrées sur les savoirs à transmettre et sur les élèves), et non des moyens matériels que l’enseignant utilise. Ceux-ci ont beaucoup évolué depuis les années 1970 : on est passé du tableau à l’écran numérique, du polycopié aux fichiers numériques, des diapositives ou du transparent rétroprojeté à des logiciels d’animation. S’il est souhaitable de développer considérablement les outils techniques d’enseignement, il faudra se garder de transformer l’enseignant en répétiteur ou en moniteur de matériel numérique : il doit continuer à guider les apprentissages de ses élèves.

* Pour les élèves : apprendre les techniques propres à chaque discipline
Il en va de même pour les élèves qui devront -sans doute davantage qu’aujourd’hui- apprendre les techniques propres à la construction de chaque discipline et à l’apprentissage des savoirs portés par celles-ci, sans devenir les servants de machines numériques, de plus en plus perfectionnées, certes, mais aussi toujours plus intrusives et directives. La compréhension des objectifs d’apprentissage devrait toujours précéder et guider l’usage des techniques contemporaines.

* Vers une nouvelle discipline commune, le « numérique » ?

La question est évoquée le 22 novembre 2012, à l’Assemblée nationale (journée sous le patronage de Fleur Pellerin, avec le « soutien » de Google, Microsoft, Yahoo !, PagesJaunes, etc.) : « Numérique et sortie de crise ».

L’atelier n° 2 (« Former et éduquer au numérique : la rencontre des compétences et de l’emploi ») a émis 19 propositions, dont la 13e : « créer une discipline "informatique et sciences du numérique" », qui débuterait en terminale pour se généraliser à l’ensemble de la scolarité. Dans le projet de loi « pour la refondation de l’école de la République » (13 décembre 2012), le ministre Vincent Peillon annonce un « développement de l’enseignement numérique » (chap. Ier).

A mon sens une discipline permettant une maitrise des outils et systèmes numériques est indispensable. Mais on ne peut pas s’en tenir à en apprendre l’usage. On affranchira cette discipline des groupes industriels et des seules sciences de l’information, pour l’associer étroitement aux autres disciplines, en fonction de leurs besoins et de leurs demandes spécifiques. On pourra d’ailleurs aussi lui faire une place au sein d’une éducation civique, qui donnera pour but aux futurs citoyens d’étendre leurs pouvoirs de décision au sein des mégasystèmes techniques (au premier rang desquels l’industrie numérique, justement !).

Comme toute discipline, elle explicitera les choix (économiques, politiques, idéologiques) dont est fait le numérique et les autres choix possibles. Elle préparera aussi au brevet (B2I) et plus tard au C2I, dans des conditions profondément renouvelées, pour ouvrir à des pratiques maîtrisées de la documentation personnelle.

Faut-il la confier aux enseignants actuels de technologie ? Créer un nouveau corps pour le « numérique » ? Ceci passe-t-il nécessairement par la généralisation de nouveaux outils « numériques » (tablettes, etc.) dans l’école ? A débattre.

* La technique comme objet d’étude et de réflexion dans d’autres disciplines

Comment faire évoluer notre culture vers une reconnaissance du travail et de la technique ? Ce ne peut être l’affaire de la seule discipline de « technologie » : l’ensemble des disciplines fonctionne en système… y compris en creux (la déplorable place de la technique dans l’ensemble de l’éducation a aussi valeur prescriptive). On ne changera la façon dont la technique est considérée, qu’en réexaminant aussi sa place (et celle du travail) dans les autres disciplines.

Par exemple :

- En philosophie : choix de thèmes, textes ou auteurs pour spécifier la nature de la technique et réfléchir à la place qu’elle occupe dans la construction historique des cultures et des sociétés.

- En français : apprendre la langue française et découvrir la culture littéraire française dans son ensemble, y compris les textes de qualité consacrés aux travaux ordinaires (que ce soit chez Rabelais, Balzac ou Pierre Bergougnoux…entre autres exemples) sans se borner aux « grands auteurs classiques » mais sans se restreindre non plus à la « littérature jeunesse » (qui deviendrait une nouvelle « culture du pauvre »). Faire une place à la « langue des métiers » (qui est une langue vivante, riche et méconnue) : en 1750, d’Alembert et Diderot se mirent à « écrire sous la dictée » des artisans et ouvriers. Pourquoi pas nous ?

- En mathématiques et physique : cesser d’opposer ces disciplines comme « sciences pures » à des « sciences appliquées » (désignant faussement les techniques modernes) ; pour commencer, on mettra fin à l’intégration de la technique par l’EIST « enseignement intégré des sciences et des techniques », promu conjointement par l’Académie des Sciences, les Inspecteurs généraux, les ministères successifs, etc.

- En sciences économiques et sociales : faire place notamment à la sociologie des techniques (en aval et d’abord en amont de l’innovation, cf. Centre de sociologie de l’innovation, École des Mines).

- Les autres disciplines pourront elles aussi interroger leurs contenus en examinant la façon dont ils peuvent faire de la technique un objet d’étude et de réflexion.

Quelle technologie ?

De même que la sociologie est la science qui étudie la société (et qui ne se confond donc pas avec elle, pas plus que la biologie ne se confond avec la vie), la technologie est la science qui étudie la technique On peut définir cette technologie comme raison de la technique, comme réflexion approfondie sur les choix techniques (ne se confondant ni avec la technique, ni avec l’« enseignement technique » ou « professionnel ») ; aujourd’hui, on apprend (au mieux) le « comment faire ? » ou le « comment s’en servir ? ». La technologie que nous proposons devrait davantage interroger la technique sur le « pourquoi fait-on ainsi ? » et faire réfléchir sur le « comment faire autrement ? ».

Autrement dit, on devrait concevoir la technologie comme voie pour comprendre les choix techniques effectués à l’échelle sociale et qui concernent les besoins humains fondamentaux. Rien à voir avec ce qu’on a nommé « éducation au choix » (plutôt orientée vers le choix du consommateur). Elle devra s’orienter vers les choix qui interviennent lorsqu’on conçoit ou reconçoit des techniques de production, d’organisation ou d’échange. Il s’agira de former des experts populaires en matière technique (et non des exécutants).

La finalité de cette technologie pour tous sera de préparer les futurs citoyens à construire une démocratie technique capable de se substituer à l’actuelle technocratie (privée ou publique). Quels sont les différents facteurs d’un choix technique (sur des exemples concrets). Quelles contradictions surmonter ? Quels sont les avantages et les inconvénients (humains, sociaux, environnementaux) des diverses options possibles ? Sur quelle durée ? Telles seront les grandes questions que devront apprendre à résoudre les élèves, petits ou grands.

La technologie proprement dite deviendra une discipline enseignée de la 6e au bac. Elle permettra de comprendre les processus dont est fait tout domaine technique.

On privilégiera une approche par « milieux techniques » pour intégrer les facteurs sociaux, culturels, politiques, etc., et comprendre la « fabrique sociale » de la technique, au lieu de la rattacher (prioritairement, voire exclusivement) à la nature et aux sciences de la nature, ou aux secteurs professionnels de l’industrie. Cette technologie sera envisagée comme étude des choix qui scandent tout processus technique et débouchera moins sur des « savoir-faire » que sur des « savoir-décider » citoyens.

Elle s’appliquera prioritairement aux méga-systèmes techniques qui régentent notre vie à tous (agro-alimentaire, santé, énergie, transport, commerce-marketing, communication, organisation, normalisation, etc.), en y étudiant l’ensemble des processus réels, y compris sociaux, culturels, institutionnels, politiques.

Intégrant les connaissances scientifiques actuelles et à venir sur les techniques, cette technologie deviendra une composante essentielle d’une éducation civique démocratique. Les élèves pourront ainsi comprendre, au cours de cette douzaine d’années, comment la technique fonctionne dans notre société… et comment elle pourrait fonctionner dans l’avenir.

Cette technologie se déploiera du primaire jusqu’au bac, selon une réelle continuité (des objets et des démarches), avec une progression maîtrisée ; elle permettra aux élèves de poursuivre cette réflexion par la suite, dans des études supérieures, quel qu’en soient les spécialisations, dans l’exercice d’un métier ou dans la vie.

De grands changements à opérer

Enseignants de technologie en place (en collège)

Vu l’extraordinaire hétérogénéité de leurs origines et de leur recrutement, le caractère chaotique des changements de programmes, on organisera pour ces enseignants un plan de formation continue approfondi et spécifique. Comme dans les autres disciplines, ils pourront choisir : enseigner en collège, en lycée ; en « technologie » ou en « numérique » ; passer des concours, évoluer vers le supérieur.

Parallèlement à une installation de la technologie comme discipline « principale » (si on conserve ce type de hiérarchie), les professeurs de technologie devront non seulement être autorisés, mais encouragés institutionnellement, à devenir « professeurs principaux » (d’autant plus que, comme les professeurs d’EPS, par exemple, leur discipline est globale, pluridisciplinaire et unitaire).

Une réorientation pédagogique de la technologie

* Analyser et expérimenter

La pédagogie la plus répandue (cours magistral, exercices, TP) est historiquement associée à une conception de la science comme ensemble infini mais cohérent, associée à une vision mathématique de l’univers ; elle s’enseigne généralement selon une démarche « dogmatique », allant de l’abstraction la plus grande vers des lois, puis des applications. Les exercices ou les TP sont choisis en rapport direct avec leur capacité à démontrer les lois physiques en question. La technique ne serait qu’une simple application des sciences de la nature.
Pour faire évoluer cette façon de penser, on proposera complémentairement un cheminement inverse, qui –en analysant et reconcevant des objets techniques- permette d’avancer du concret vers l’abstrait, de l’humain et du social vers l’ensemble des connaissances.

* Contenus

On sortira de la logique dite « sciences-et-techniques », qui fait dériver les choix techniques de lois scientifiques « naturelles ». Ce déterminisme pseudo-scientifique, construit au XIXe siècle ne rend pas compte du mouvement réel et observé de l’innovation technique, qui est beaucoup plus complexe.

- Alors qu’on met actuellement l’accent sur les usages et sur les savoir-faire, on se concentrera désormais sur la conception d’objets techniques, petits ou gigantesques.

- On étudiera les caractères généraux des processus techniques, en moyenne et longue durée.

- De grands exemples seront étudiés de façon approfondie, montrant la multiplicité et la complexité des facteurs et des interactions, la diversité des choix dominants, les usages et les mésusages, le rôle du droit, celui de la normalisation technique, etc.

* Pratiques

- Les élèves concevront (seuls ou en binômes) des projets techniques correspondants à des populations dont ils auront préalablement analysés les caractéristiques et les besoins, en rapport avec leur lieu et avec leur milieu sociologique.

- Ils prévoiront l’ensemble du cycle de vie de ce futur objet technique (y compris son recyclage), étudieront les avantages et inconvénients de plusieurs solutions possibles et exposeront les raisons de leur choix.

- Ils réaliseront des maquettes, qu’ils présenteront à un jury (et ou à un public concerné).

- Ils auront le droit à un point de vue personnel.

Cette pédagogie est tout à fait adaptable (et elle devra être adaptée) aux différents niveaux entre 6 et 18 ans.

Une profonde réforme institutionnelle

Sortir cette discipline des zigzags chaotiques qui l’affligent depuis 50 ans, pour définir des programmes relativement stables.

Penser une pédagogie spécifique ; des examens appropriés ; le droit au point de vue (en conception de projet) ; la notation d’un projet a peu de sens (une appréciation qualitative argumentée sera préférée).

Redéfinir l’inspection (spécialement au niveau des IG où prévaut une conception « techniciste » de la technique, vue comme « autonome », fonctionnant selon sa seule logique interne). Organiser le recrutement de conseillers selon cette réorientation (y compris à partir d’un vivier d’ouvriers professionnels, de techniciens, d’ingénieurs et de divers autres professionnels).

Développer vigoureusement et réorienter les recherches scientifiques sur la technique :

Par des programmes de long terme, et non par des programmes courts de type ANR (3 ans).

En encourageant les recherches pluridisciplinaires sur les processus techniques.

Les recherches actuelles sont à intensifier ; d’autres seront à créer ex nihilo, faisant une large place aux sciences humaines et sociales pour analyser, en interne, en amont et en aval, les processus techniques.

Redéfinir les acteurs pertinents et qualifiés en matière de technologie

* Le « monde de l’école »

Les représentants du système scolaire actuel ne devraient pas être les seuls à déterminer les priorités concernant la technique dans l’école commune, quel qu’en soit le niveau. Comment l’élargir en un débat de société ? En y associant davantage le monde du travail, assurément.

* Le « monde de l’entreprise »

Le « monde de l’entreprise » invoqué dès qu’on parle d’enseigner la technique, inclura aussi les salariés (et leurs organisations représentatives), compétents pour tout ce qui concerne les techniques du travail professionnel, les techniques à étudier et à enseigner, la technologie souhaitable pour avancer vers une démocratie technique (voir les propositions émanant de divers mouvements sociaux et écologiques visant à réorienter des techniques).

* Les « experts »

Pour améliorer le devenir de l’école sur ce plan, il conviendra d’accroître l’apport de l’Académie des Technologies et de tous ceux qui étudient scientifiquement le mouvement réel des techniques.

Et surtout il faudra également inclure les ouvrier(ères)s, employé(e)s, technicien(s), ingénieur(e)s, et plus largement l’ensemble des professionnels qui ont l’expérience de tel ou tel domaine dans leur travail quotidien, dans tous les secteurs d’activités (agriculture, industrie, santé, transport, énergie, etc.).

Enfin, l’enseignement s’enrichira d’autant mieux par ces apports en technique et en technologie, que se renforcera pour les hommes la maitrise de l’exercice et du devenir de leur travail.