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Bernard Lahire, La raison scolaire. Ecole et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir

Presses universitaires de Rennes, 2008

mardi 17 février 2009, par Janine Reichstadt

Ce livre présente l’intérêt tout particulier de réunir en un volume huit articles ou contributions révisés et corrigés, publiés précédemment dans différentes revues ou ouvrages collectifs.
Sa richesse théorique interdit toute recension courte quelque peu exhaustive de ses moments essentiels, aussi je m’autoriserai à mettre en avant les points dont la réflexion me paraissent les plus décisifs pour penser la question scolaire.

Une première idée s’impose : la maîtrise symbolique du monde n’est pas un problème purement linguistique ou cognitif. Son inégale répartition dans les couches sociales induit des rapports de domination culturelle, de distribution du pouvoir : elle a donc un sens profondément politique, d’où l’importance de ces analyses (menées à partir d’enquêtes de terrain sur les pratiques scolaires et familiales finement rapportées), qui visent à comprendre les processus qui la construisent ou au contraire la contrarient comme c’est le cas massivement chez les élèves d’origine populaire.

L’auteur insiste sur le statut de l’école, lieu et mode d’éducation, de socialisation tout à fait spécifique : c’est elle qui a la charge d’organiser la transmission des savoirs scripturaux impliquant la construction d’un certain type de rapport au langage (objet d’étude systématique) sans lequel les élèves ne peuvent pas réussir. En multipliant les angles d’attaque du langage pour lui-même au moyen d’exercices, de questions, de travaux d’écriture qui sont autant de mises en forme textuelles de l’expérience, l’école en vise l’appropriation indépendamment des situations concrètes où il s’inscrit.

Son attention aux difficultés scolaires chez les enfants des classes populaires conduit Bernard Lahire à conclure qu’il faut chercher ce qui sous-tend ces difficultés dans des résistances à adopter la bonne posture, la bonne disposition à l’égard de la raison scolaire, à se départir de rapports pratiques au langage. Parmi d’autres études fouillées, celle de classes de perfectionnement montre bien les manifestations d’échecs des élèves. Or nous pouvons remarquer que lorsque celles-ci sont observées, tout un travail scolaire s’est effectué en amont, et qu’il a été dirigé par des pratiques d’enseignement : l’apprentissage de la lecture, entre autres, montre ici combien ces élèves ont peu de chance de construire un rapport lettré au langage.

Aussi, et indépendamment de cette occurrence, nous pouvons interroger l’insistance avec laquelle l’auteur voit chez les enfants des classes populaires une raison simplement pratique si contradictoire avec celle de l’école. Si les élèves des classes de perfectionnement ne présentent pas de différences radicales avec les élèves des couches populaires des autres classes, cela souligne l’importance particulière de l’analyse qui est faite ici des enjeux de la raison scolaire dont la nécessaire construction chez tous est au cœur de la démocratisation.
A l’évidence cet ouvrage offre des pistes de réflexions de fond, de débats, essentiels, incontournables.

(L’Humanité, 17-5-08)