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Disciplines scolaires et disciplines savantes

Enjeux pour la formation des maîtres et la formation des élèves. L’exemple des SES

samedi 12 septembre 2015, par Alain Beitone

Ce texte constitue la mise en forme d’une intervention dans le cadre du séminaire du Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire le 16 avril dernier. Je remercie les membres du GRDS pour leur invitation. Je remercie aussi les participants pour leurs questions et objections qui m’ont permis de préciser mon argumentation.

Résumé

Le système scolaire fait aujourd’hui en France l’objet de vifs débats. La persistance, voire l’aggravation, des inégalités sociales de réussite scolaires suscite la perplexité, voire l’indignation.

En dépit de travaux très nombreux dans diverses disciplines (sociologie, économie, psychologie cognitive, didactiques des disciplines, etc.) le débat politique et médiatique reste très caricatural comme l’a montré l’épisode récent de la réforme du collège
.
Au sein de l’appareil administratif de l’éducation nationale un discours s’est désormais imposé, que l’on retrouve aussi sur le plan international (OCDE, UNESCO) et dans certains milieux syndicaux et pédagogiques. Cette « doxa éducative » repose notamment sur la critique des savoirs disciplinaires auxquels on oppose l’activité des élèves, le transversal, les compétences, les dispositifs interdisciplinaires (ou « pluri » ou « multi »). La transmission est dénoncée et la construction par l’élève de son propre savoir est exaltée. Ce discours qui se présente souvent comme critique dans les syndicats et les mouvements pédagogiques et comme le discours de l’institution chez les représentants de la hiérarchie, est produit au nom de la démocratisation de l’école et de la lutte contre « l’échec scolaire ».

C’est donc le modèle de la pédagogie invisible qui s’est imposé. Mais, loin de conduire à une plus grande égalité sociale d’apprentissage, cette pédagogie invisible, par les malentendus qu’elle provoque (en particulier pour les élèves les moins dotés en capital culturel), crée des inégalités. En dépit des nombreux travaux qui mettent en évidence les effets pervers de cette doxa éducative, cette dernière reste le discours dominant. Les réformes récentes (en France, au Québec, en Finlande, dans de nombreux pays africains), visent toutes à enjoindre aux professeurs de rompre avec les savoirs disciplinaires.

Les SES dans le système éducatif français sont emblématiques de cette situation, car dès la naissance de cette nouvelle discipline scolaire (en 1966-1967) une doxa professionnelle se construit qui épouse par anticipation le discours modernisateur (refus du découpage disciplinaire des savoirs, pédagogies plus ou moins non-directives, refus de l’autorité légitimatrice des savoirs savants, etc.). Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les professeurs constatent que le modèle pédagogique qu’ils défendent ne produit pas les résultats attendus dans les classes « difficiles » ni avec les publics moins favorisés socialement et culturellement. Mais curieusement, ce constat ne conduit pas à remettre en cause le discours dominant qui relativise les savoirs au profit de l’activité des élèves.

L’actualité du débat sur les disciplines (introduction)

« Tous les résultats sont convergents. Ce sont les pédagogies qui définissent le plus explicitement les savoirs pertinents (classification) et qui font connaître le plus explicitement les performances attendues de l’élève (cadrage) qui permettent aux enfants des classes défavorisées de réussir » (Roger Establet) [1].

La critique des disciplines scolaires est devenue un véritable rouleau compresseur. Un exemple particulièrement révélateur réside dans la récente « Note de veille » de l’Institut Français d’Education [2]. Dès la première page il est question des « carcans disciplinaires » et tout au long du texte, les disciplines ne sont présentées que de façon négative : le « transversal » serait associé à l’ouverture sur la vie et de nature à susciter l’intérêt des élèves ; le « disciplinaire » par contre serait marqué par l’incapacité à rendre compte d’enjeux sociaux majeurs (citoyenneté, développement durable, etc.) et serait, en fin de compte, un obstacle aux apprentissages des élèves.

Cette critique des disciplines est aussi une composante importante du discours de l’OCDE sur l’éducation. Le 30 août 2014 (en préparation de la rentrée scolaire), le Monde publie un dossier substantiel sur l’Ecole. Andreas Schleicher, directeur de l’éducation de l’OCDE, déplore le caractère trop « académique » de la formation des enseignants français. Eric Charbonnier, analyste à l’OCDE, trouve les programmes trop « encyclopédiques ». Un long article d’Aurélie Colas complète le dossier [3]. Il est pour l’essentiel consacré à la dénonciation du caractère magistral, transmissif, académique, encyclopédique, des enseignements. Le haut niveau de savoir disciplinaire des enseignants est opposé à leur absence de formation pédagogique. On y affirme que cette conception « transmissive » et « verticale » de l’enseignement est radicalement remise en cause par la pédagogie inversée et les MOOC [4]. Les enseignants qui résistent à ces évolutions sont présentés comme des conservateurs qui bloquent les évolutions nécessaires.

Un rapport de la Cour des comptes paru en mars 2015 préconise le suivi individualisé des élèves [5]. Le principal obstacle à cette évolution jugée nécessaire par les magistrats de la Cour réside dans l’attachement des professeurs à leur discipline, il faut donc « alléger le poids de la tradition disciplinaire dans le second degré ».

Le sociologue Olivier Galland, dans un article paru sur le site Télos [6], déplore le fait que l’enseignement français soit « centré sur la transmission des capacités cognitives dans le cadre bien délimité des disciplines ». Pour lui, il faudrait faire plus de place aux « capacités non cognitives comme le caractère consciencieux, l’ouverture d’esprit, l’extraversion, la capacité à coopérer avec les autres, la stabilité émotionnelle ». Dans ce cadre, on le comprend la compétence disciplinaire des enseignants devient largement accessoire (voire nuisible).

Toujours à l’occasion de la rentrée scolaire 2014, le principal syndicat des chefs d’établissements (SNPDEN) déplore les « exigences disciplinaires inutiles » des jurys de concours de recrutement des enseignants et il affirme à propos de ces jurys que « en réalité, ils ne recrutent pas des professeurs de maths, mais des mathématiciens, pas des professeurs d’histoire, mais des historiens. Cela n’a pas de sens ! » [7]

Les attentats de janvier 2015 sont aussi l’occasion de remettre en cause les disciplines. Par exemple S. Citron et A.M. Vaillée écrivent dans Le Monde du 30 janvier 2015 : « une vraie refondation de l’école impliquerait une réorganisation en profondeur des contenus. Des cursus scolaires plus souples et beaucoup moins détaillés, susceptibles de s’adapter aux situations de terrain, ne se présenteraient plus comme une juxtaposition de disciplines cloisonnées ». Quelques jours plus tôt, toujours dans Le Monde, le 23 janvier 2015, F. Durpaire (Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’ESPE de Cergy) oppose la division des programmes en disciplines et la nécessité du « vivre ensemble ».
Les responsables de l’éducation nationale ne sont pas en reste. Alain Boissinot (ex-inspecteur général, ex-recteur, ex-président du Conseil Supérieur des Programmes) considère que les disciplines sont trop sclérosées. Il reprend son exemple (utilisé de longue date) selon lequel les SES n’auraient pas dû être créées si l’histoire-géographie avait été capable de s’adapter à la fin des années 1960. Il affirme aussi que l’approche des enseignements d’exploration en seconde (par exemple « Littérature et société ») constitue l’exemple de ce qu’il faudrait faire en matière de programmes d’enseignement [8].

Cette brève recension de remises en cause convergentes des disciplines ne peut pas être sans signification. Pas de complot bien sûr, mais une mouvance intellectuelle où l’on retrouve des syndicats, des mouvements pédagogiques, des responsables du système éducatif, des universitaires qui sont généralement attachés à la démocratisation scolaire. Cette mouvance considère que la structuration en disciplines scolaires des savoirs enseignés est un obstacle à la réussite des élèves (notamment les plus faibles) et qu’elle débouche sur une approche élitiste car trop abstraite, trop conceptuelle. Ils proposent donc des approches plus « concrètes », davantage fondées sur la motivation des élèves ce qui supposerait le dépassement des disciplines, leur « intégration », pour le moins leur relativisation et le développement d’approches interdisciplinaires considérées comme plus favorables à la réussite des élèves. La position de R.F. Gauthier [9] est très claire : il considère qu’il aurait fallu repenser les contenus d’enseignement dès lors que l’on élargissait aux enfants du peuple la scolarisation secondaire. Faute de l’avoir fait on suscite l’ennui et le décrochage. En clair l’enseignement « disciplinaire », « abstrait », « conceptuel », « transmissif », « vertical », serait adapté aux enfants des milieux favorisés, mais pas aux autres. La critique des disciplines se fait donc au nom de la démocratisation scolaire.

Le débat est dès lors empoisonné. Les « réacspublicains » défendent les disciplines au nom de la tradition, de la mythification du passé, de l’exigence qui est, pour eux, un élitisme [10]. De ce fait, quiconque défend les savoirs disciplinaires, l’incontournable aspect transmissif de toute activité d’enseignement, la nécessité de la rigueur et de l’exigence, est classé à droite, voire à l’extrême droite [11].

Pour échapper à ce faux débat qui enflamme les gazettes et fait les beaux soirs des plateaux télévisés, il faut revenir un peu en arrière. En France [12], à partir de la fin des années 1960, on a assisté à une remise en cause de l’école traditionnelle. Les évènements de mai-juin 1968 ont joué un rôle accélérateur, mais le début du mouvement est antérieur avec les colloques de Caen (1966) et d’Amiens (mars 1968) où les modernisateurs de l’éducation prennent des positions vigoureuses en faveur de la réforme de l’enseignement et du développement de la recherche scientifique.

Ces deux colloques sont emblématiques [13] du mouvement de réforme de l’école qui est porté à la fois par des hauts fonctionnaires associés au fonctionnement de la Ve République et par une partie de la gauche liée au mendésisme. Progressivement ce discours modernisateur, qui emprunte une part de ces références dans les diverses composantes de l’éducation nouvelle, va devenir le discours officiel de l’éducation nationale. Au fil des réformes, les injonctions en faveur de la pédagogique active, la critique de la transmission et du formalisme de l’enseignement magistral vont devenir de plus en plus prégnantes. Les manuels scolaires vont se transformer [14], les activités en classe aussi (quoique à des niveaux et selon des rythmes divers selon les établissements).

Les militants lycéens et étudiants de mai 68 qui dénonçaient le « lycée caserne » et les cours magistraux à l’université, étaient en fait dans l’air du temps. Ils ont accompagné la mise en place d’une pédagogie invisible caractérisée par une classification plus lâche des savoirs (affaiblissement du clivage entre savoirs scolaires et discours de sens commun, etc.) et un cadrage plus faible de l’activité des élèves (affaiblissement du discours instructeur, consignes plus implicites destinées à favoriser l’autonomie des élèves, etc.).

Cette mutation s’est réalisée dans une perspective clairement progressiste et avec une volonté de démocratisation scolaire associée à l’émancipation individuelle et collective. Avec le recul, on peut considérer qu’il s’est agi d’une « critique artiste » de l’école [15]], qui est devenue la doxa éducative portée par l’institution (« l’élève au centre », le maître « accompagnateur », la priorité accordée au débat, l’approche par objets d’étude, etc.).

Mais à l’usage, d’innombrables travaux nous le confirment, cette pédagogie invisible s’est révélée source d’inégalités dans les apprentissages. Les élèves issus des catégories sociales les plus défavorisées (socialement et scolairement), qui n’ont pas de ressources en dehors de l’école, ont été piégés par cette conception des apprentissages. Même lorsqu’ils s’efforcent de faire au mieux leur « métier d’élève », lorsqu’ils appliquent les consignes, les enjeux cognitifs, parce qu’ils ne sont pas explicites, restent dissimulés et ne conduisent pas aux apprentissages qui sont visés par l’institution scolaire [16].

Pourtant, en dépit de ces travaux qui contestent l’efficacité de l’invisibilisation des apprentissages, les tenants de l’approche « modernisatrice » (ou « réformiste », ou « pédagogique ») continuent à tenir le même discours. Ils combattent le cours magistral (que les représentants officiels de l’institution ne cessent de pourchasser), ils prônent l’organisation de débats, de parcours interdisciplinaires, vantent l’autonomie des élèves et la nécessaire bienveillance de l’institution, dénoncent les savoirs disciplinaires considérés comme mutilants, chantent les mérites des compétences et de l’approche curriculaire, etc. Et ils s’imaginent ainsi se montrer « critiques », voire subversifs. Ils ne s’interrogent pas sur le fait que tout l’appareil de l’éducation nationale et l’OCDE tiennent le même discours qu’eux [17]. Ils prétendent promouvoir l’égalité et la réussite des élèves les plus défavorisés, mais refusent de prendre en compte les travaux qui montrent que les pédagogies invisibles sont un facteur d’échec pour ces mêmes élèves.

De ce point de vue, l’histoire des Sciences économiques et sociales est idéal-typique. Cette discipline scolaire a été créée en 1967. Elles’est (presque) d’entrée de jeu identifiée au discours modernisateur, question de période et de génération. L’un des fondateurs des SES est Guy Palmade, premier inspecteur général de la discipline (nommé en avril 1968), premier président du jury du CAPES, puis de l’agrégation, il a recruté les premiers IPR et les autres inspecteurs généraux. Il était l’ancien directeur de l’Institut Pédagogique national, ancien membre du cabinet d’Olivier Guichard, il était aussi proche de Jean Ibanes (élu député socialiste en juin 1981). Il incarne bien ce courant qui vise à la modernisation de l’école. Sous son autorité bienveillante, les premiers professeurs de SES, vont se trouver à l’avant-garde de la contestation des traditions pédagogiques… et du refus de la spécialisation disciplinaire.

I - Un fondement disciplinaire de l’enseignement : résolument oui !

Si la critique des disciplines scolaires et de leur sclérose a pu constituer une posture critique à la fin des années 1960, il apparaît qu’aujourd’hui, ruse de l’histoire, c’est la défense des disciplines qui se situe à contre-courant du discours dominant. Encore faut-il préciser ce que l’on entend par « discipline ».

Disciplines scolaires et disciplines savantes : liées mais différentes

Il importe tout d’abord de distinguer les disciplines savantes (sur lesquelles nous reviendrons) et les disciplines scolaires. Ces dernières sont construites au cours de l’histoire des systèmes éducatifs, ce qui explique qu’elles diffèrent d’un pays à un autre et qu’elles évoluent, disparaissent, se créent. Pour autant elles ne sont pas arbitraires, elles sont toujours reliées à des savoirs de référence (« savoirs savants » ou « savoirs experts »). Ces savoirs de référence sont la source essentielle de légitimité des savoirs scolaires et jouent un rôle essentiel dans les évolutions des savoirs enseignés. On ne peut pas enseigner la mécanique automobile comme à l’époque où l’électronique ne jouait aucun rôle dans le fonctionnement des moteurs. De même, l’évolution des connaissances en matière de génétique ou en ce qui concerne la tectonique des plaques a modifié profondément les enseignements de sciences de la vie et de la terre.

Certes, le contenu des disciplines scolaires est aussi un enjeu social et politique et les professeurs, comme les élèves, ne sont pas inactifs dans le processus de transposition didactique [18]. Mais sauf à sombrer dans un relativisme dangereux (et d’ailleurs intenable sur le plan pédagogique) on voit mal comment on peut enseigner sans se référer à la légitimité de savoirs de référence. Le professeur est dans la classe le garant de la légitimité épistémologique des savoirs qu’il enseigne. Il ne peut pas s’autoriser de lui-même, il peut (et doit souvent) dire à ses élèves « vous pouvez me croire, ce n’est pas moi qui le dit ». Lorsque, bien souvent, dans l’ordinaire des classes, les élèves opposent leur point de vue à celui du professeur, ce dernier doit pouvoir se fonder sur l’autorité d’une communauté savante ou d’une communauté professionnelle qui légitiment les savoirs qu’il enseigne.

C’est pourquoi la maîtrise des savoirs de référence est une composante essentielle de l’activité professionnelle du professeur. Un professeur (sous prétexte d’accompagnement ou d’animation) ne peut pas tout enseigner, parce qu’il est dans l’impossibilité de maîtriser l’ensemble des savoirs de référence [19]. Prétendre que les savoirs existent déjà (dans les livres ou sur internet) et qu’il suffirait que l’enseignant soit un spécialiste de « l’apprendre à apprendre » est une négation de la réalité des pratiques de classe. Les élèves attendent à juste titre des professeurs qu’ils soient capables de maîtriser suffisamment les savoirs de référence. De même que je serais incapable d’enseigner de façon sérieuse la physique du globe (même en ayant consulté quelques pages de wikipedia), je suis persuadé que la plupart des enseignants de lettres ou de physique seraient bien en peine d’expliquer la crise des subprimes ou de présenter de façon suffisamment précise et nuancée les conceptions des sociologues qui s’inscrivent dans le courant des Cultural Studies.

Cette maîtrise des savoirs de référence est une condition de l’autonomie intellectuelle des enseignants et partant de celles des élèves. Par exemple, face à la déferlante médiatique en faveur des politiques d’austérité en Europe, on ne peut tenir un discours critique argumenté que si l’on maîtrise suffisamment les productions scientifiques qui remettent en cause ces politiques. De même, les idées reçues qu’expriment souvent les élèves sur la famille, l’immigration, la création de monnaie ou la délinquance ne peuvent faire l’objet d’un travail pédagogique et didactique sérieux que si le professeur maîtrise suffisamment les savoirs de référence relatifs à ces questions. Pour que l’enseignant ne soit pas vulnérable aux idées reçues, pour qu’il ne soit pas prisonnier du « livre du maître » offert par l’éditeur, bref pour qu’il soit capable de faire preuve d’un authentique esprit critique, il faut qu’il dispose d’une très solide maîtrise des savoirs de référence [20].

Mettre l’accent sur les savoirs de référence ce n’est donc pas placer le professeur en position de subordination, c’est au contraire exiger qu’il dispose des moyens d’une authentique autonomie intellectuelle [21]. Cette référence des disciplines scolaires aux disciplines savantes est aussi une source d’efficacité didactique. D’abord parce que le professeur qui maîtrise les savoirs de référence peut anticiper certaines des difficultés que vont rencontrer les élèves. Ensuite parce que lorsque le professeur domine les savoirs qu’il doit transmettre, il peut consacrer l’essentiel de son attention à l’observation des élèves et de leurs réactions, il peut donc percevoir les difficultés, répondre aux questions ou aux objections non anticipées. Sa base de connaissance dans les savoirs qu’il enseigne est la condition qui permet de se centrer sur les difficultés des élèves [22].

Les disciplines scolaires présentent une autre caractéristique : elles ne correspondent jamais strictement à une discipline de référence particulière. C’est vrai de l’histoire et de la géographie, de la physique et de la chimie (qui sont aussi des disciplines savantes distinctes regroupées au sein d’une même discipline scolaire), des sciences de la vie et de la terre, de l’économie et gestion (droit, économie d’entreprise, management, comptabilité, informatique de gestion), etc. C’est tout aussi vrai pour les disciplines scolaires pour lesquelles on pourrait croire qu’elles correspondent à des disciplines universitaires. Un professeur qui enseigne l’anglais dans le second degré, enseigne en réalité des savoirs qui relèvent de plusieurs disciplines savantes de référence : la linguistique, la littérature, la grammaire, la civilisation (sans parler de la distinction parfois conflictuelle à l’université entre « anglicistes » et « américanistes »). Même chose en ce qui concerne les mathématiques du collège et du lycée qui renvoient à l’algèbre, à l’analyse, à la géométrie, aux probabilités et aux statistiques.

Contrairement à une idée tenace, les SES n’ont pas pour particularité d’être une discipline scolaire sans lien direct avec une discipline unique à l’université [23] : c’est le cas de toutes les disciplines scolaires sans exception. Les professeurs « spécialistes » du second degré sont donc en réalité des professeurs polyvalents qui doivent maîtriser les savoirs de référence de plusieurs disciplines savantes, ce qui est déjà une tâche difficile. Il ne faut donc pas, de ce point de vue, charger la barque sous peine de rendre impossible la tâche des enseignants et de rompre le lien entre disciplines scolaires et disciplines de référence.

Enfin, il faut y insister, les disciplines scolaires, constituent un mode spécifique d’appréhension du monde. Un professeur de SES, comme un professeur d’histoire géographie, peuvent traiter de la Révolution industrielle, de la mondialisation, de l’action économique de l’Etat ou des classes sociales. Mais ils ne mobiliseront ni les mêmes concepts, ni les mêmes problématiques, ni les mêmes références. Une discipline scolaire (pas plus qu’une discipline savante) ne peut se définir par ses objets d’études, car beaucoup de disciplines scolaires peuvent étudier les mêmes objets : un professeur de lettres pourra parler des classes sociales et de la mobilité sociale (à propos de Balzac par exemple), tout autant qu’un professeur de philosophie, d’histoire ou de SES, mais ils ne le feront pas de la même façon. L’un des enjeux de la formation des élèves, c’est de les conduire à s’approprier cette spécificité des regards disciplinaires. Si l’élève pense qu’étudier l’industrie c’est la même chose en histoire, en géographie ou en SES, il aura beaucoup de peine à atteindre les objectifs d’apprentissage. De ce point de vue, les travaux interdisciplinaires peuvent se révéler féconds pour la formation des élèves, à la condition expresse que ces derniers maîtrisent suffisamment la spécificité des regards disciplinaires mobilisés [24]. Croire que l’on peut « partir des objets » indépendamment des disciplines et que ce travail sur les objets va permettre aux élèves de « construire » les savoirs disciplinaires pertinents est une dangereuse illusion qui conduit presque inévitablement à se situer dans le cadre de la pédagogie invisible [25].

Les disciplines scolaires sont un cadre organisateur des apprentissages, une modalité de classification des savoirs et de cadrage des activités des élèves [26]. Accorder une primauté au « transdisciplinaire » sous prétexte de susciter l’intérêt des élèves ou de les confronter à des tâches complexes, c’est créer des difficultés supplémentaires et c’est surtout faire un usage du temps scolaire qui serait mieux utilisé pour renforcer et systématiser les apprentissages et la mise en cohérence des savoirs.

L’accent mis ici sur la distinction et le lien entre disciplines scolaires et savoirs de référence, est très important du point de vue de la formation des enseignants [27]. Le discours dominant consiste à dire aujourd’hui que les futurs professeurs disposent d’une maîtrise suffisante des savoirs disciplinaires du fait de leur formation au niveau L3 et que la formation dite « professionnelle », que l’on prétend transversale, devrait occuper la place essentielle (voire toute la place) dans les M1 et M2 conduisant aux métiers de l’enseignement. Or c’est là une erreur dramatique pour au moins deux raisons.

D’une part, la plupart des professeurs doivent compléter leur formation disciplinaire pour répondre aux exigences de la discipline scolaire qu’ils doivent enseigner. Non seulement, par exemple, les étudiants d’histoire ne disposent pas, le plus souvent, d’un niveau suffisant en géographie pour enseigner cette discipline au collège ou au lycée, mais on peut avoir fait une brillante licence d’histoire sans jamais avoir travaillé le judaïsme antique ou la naissance de l’islam (sans parler de l’histoire du Japon, de la Chine ou de l’Afrique pré-coloniale).

D’autre part, ce qui caractérise les disciplines scolaires, c’est leur projet didactique : il s’agit de conduire les élèves à s’approprier des connaissances déterminées. Il faut donc un travail didactique approfondi dans le cadre de la formation qui doit mobiliser à la fois des savoirs « disciplinaires » (y compris épistémologiques) et des savoirs relatifs aux apprentissages des élèves (psychologie cognitive, histoire des programmes d’enseignement, dispositifs d’évaluation des apprentissages, technique de mise au travail des élèves, etc.). Prétendre aborder l’exercice du métier d’enseignant sous l’angle « transversal », c’est-à-dire en faisant l’impasse sur les savoirs qu’il s’agit de transmettre aux élèves et donc sur la spécificité de ces savoirs, c’est tout simplement ne pas préparer les professeurs à l’exercice de leur métier.

Les disciplines scolaires au péril des savoirs moribonds

Évidemment les disciplines scolaires sont en permanence menacées de ce qu’Yves Chevallard qualifie de risque « monumentaliste ». Les savoirs apparaissent alors comme « fréquemment fermés sur eux-mêmes, frappés d’autisme épistémologique, et en particulier devenus muets sur leurs raisons d’être » [28]. Cette monumentalisation conduit à ce que les savoirs sont « exposés comme en un musée, visités, vénérés » [29]. Une telle approche des savoirs conduit à un « un enseignement formel et immotivé procédant par pur « recopiage », lieu d’une consommation culturelle engendrant, à côté de quelques boulimies de connaissances, d’innombrables anorexies scolaires » [30]. Cela conduit trop souvent à ce que les savoirs soient enseignés sans que l’on ne sache plus à quelles questions ces savoirs répondent. Le plus souvent l’enseignant suppose que les élèves découvriront bien un jour à quoi ces savoirs peuvent bien servir. Cela peut conduire aussi à ce que les savoirs soient utilisés comme pur moyen de distinction et de classement des élèves.

Il importe donc de partir de questions fortes (scientifiquement et/ou socialement) et de considérer les savoirs comme des « machines à produire des connaissances utiles à la création de réponses » à ces questions. Notons au passage que cela s’inscrit clairement dans une pédagogie explicite dans laquelle on explique aux élèves pourquoi on mobilise tel ou tel savoir. Cela suppose aussi que l’on rende aux savoirs leur fonction critique et polémique puisqu’ils servent à travailler des questions qui ont un enjeu fort. Cela conduit aussi fréquemment à pratiquer la codisciplinarité, mais en aucun cas à renoncer au cadrage disciplinaire des savoirs. Mais ce cadrage ne doit pas conduire à renoncer à traiter des questions qui sont essentielles pour comprendre le monde physique comme le monde social.

Les disciplines savantes existent

La note de veille de l’IFE citée plus haut définit les disciplines savantes (« académiques ») par une courte formule empruntée à J.L. Fabiani : « montage artificiel qui est surtout une structure de pouvoir » [31]. Outre que ce n’est pas rendre justice à la réflexion de Fabiani sur la question [32], limiter la définition des disciplines à la question du pouvoir c’est faire l’impasse sur leur portée épistémique. Certes, comme l’a souligné Bourdieu, le champ scientifique est comme tous les champs, un champ de forces et un champ de luttes. Les rapports de pouvoir y sont donc présents. Mais le champ scientifique est doté de règles spécifiques en vertu desquelles on ne peut y triompher que par la force du meilleur argument [33]]. Ce qui caractérise une discipline académique, c’est « l’évaluation croisée par des pairs » dont parle J.-C. Passeron [34]. Cette évaluation n’est possible que parce que les participants au champ scientifique se sont entendus sur les modes de résolution des controverses, parce que les pairs disposent de la base de connaissances nécessaire pour soumettre les travaux des autres membres du champ à la critique rationnelle. Un spécialiste d’histoire antique ne peut pas évaluer de façon crédible les travaux d’un spécialiste d’histoire contemporaine, un chimiste ne peut pas évaluer les travaux d’un spécialiste de géologie, etc.

Les disciplines reposent donc sur une logique de division du travail : dans l’état actuel des connaissances scientifiques aucun chercheur ne dispose des connaissances lui permettant d’être à la fois un expert en mathématiques, en physique, en théologie et en philosophie (comme pouvait l’être Pascal). Cela ne signifie pas que des activités co-disciplinaires sont impossibles, bien au contraire elles sont souvent nécessaires, mais elles reposent sur le travail en commun de spécialistes des différences disciplines mobilisées. Et ce travail co-disciplinaire a d’autant plus de chance d’être fécond que chaque participant dispose d’une compétence très poussée dans sa discipline d’appartenance.

A la suite de de M. Dogan et R. Pahre [35], on peut considérer que les disciplines font l’objet d’un double processus de spécialisation et d’hybridation. Spécialisation de plus en plus approfondie qui conduit à distinguer par exemple la chimie organique et la chimie minérale ou l’algèbre et les probabilités, mais aussi les période historiques en histoire, puis au sein de chaque période les spécialistes d’histoire culturelle, économique, sociale, politique, etc.

Le processus d’hybridation conduit pour sa part à la naissance de nouvelles disciplines par le croisement de traditions disciplinaires différentes (on pense à la bio-chimie ou à l’écologie en tant que discipline scientifique). Le processus d’hybridation va conduire à la constitution d’une nouvelle communauté savante et à son institutionnalisation (revues, colloques, sociétés savantes, laboratoires, chaires universitaires, etc.), et c’est au sein de cette nouvelle discipline que va se réaliser dès lors le contrôle croisé par les pairs.
Si on renonce à ce contrôle au sein du champ scientifique et à la relative « fermeture » qu’il implique, on s’expose aux interventions politiques, médiatiques, religieuses qui prétendent, en de nombreuses occasions, décider du vrai ou du faux à la place des savants. C’est pourquoi, l’autonomie du champ scientifique, sa défense contre les immixtions extérieures, est à la fois un impératif du point de vue des connaissances scientifiques et du point de vue de la défense de la démocratie. Si on abandonne cette spécificité du champ scientifique comme lieu de validation des connaissances, on entre inévitablement dans une perspective relativiste. Il n’y aurait pas, dans cette perspective relativiste de « force intrinsèque de l’idée vraie » [36], mais des rapports de force. Doit-on en conclure que l’hérédité des caractères acquis serait devenue « vraie » si le stalinisme s’était imposé à l’échelle mondiale ou que le capitaine Dreyfus serait devenu coupable si les antidreyfusards avaient emporté la bataille des idées ?

Deux exemples concernant les sciences sociales (et des disciplines de référence de la discipline scolaire SES) peuvent être rappelés.

Lors de la soutenance de la thèse controversée d’Elisabeth Tessier sous la direction de M. Maffesoli, une très large mobilisation de la communauté des sociologues s’est constituée au nom précisément de la préservation des règles du champ scientifique. Cela a conduit à la mise en place de l’Association Française de Sociologie destinée à renforcer la cohésion de la communauté des sociologues pourtant très divers dans leurs conceptions théoriques et leurs postures méthodologiques. De même, lorsque M. Maffesoli, fort de ses appuis politiques et de quelques alliances au sein de la discipline, a tenté de prendre le contrôle de l’instance de légitimation scientifique (la section sociologie/démographie du Conseil National des Universités) la mobilisation des sociologues est parvenue, en fin de compte à mettre en échec la manœuvre. Il en va de même de la prétention d’Alain Bauer, à partir lui aussi d’appuis politiques, à créer une nouvelle discipline (la criminologie). La création par le pouvoir d’une section de criminologie au CNU n’a entraîné qu’un nombre très limité de demande de rattachement.

L’histoire de la science politique est, de ce point de vue, révélatrice. Au départ on parle « des » sciences politiques, c’est-à-dire d’un ensemble de disciplines (histoire, droit constitutionnel, droit administratif, relations internationales…) qui se consacrent à un même objet (le politique). Progressivement la science politique va se construire comme discipline et s’institutionnaliser (association professionnelle, concours de recrutement des universitaires, revues de référence, création de chaires de science politique dans les universités, voire de départements de science politique distincts des départements d’histoire, de droit, etc.).

Il faut insister à nouveau sur le fait que les conditions de production et de validation des connaissances scientifiques par des communautés savantes sont, en dernier recours, la seule garantie dont disposent les disciplines scolaires pour revendiquer leur autonomie et fonder la légitimité des savoirs scolaires qui sont enseignés.

Par exemple, lorsqu’une majorité politique conservatrice a voulu faire adopter l’inscription dans les programmes scolaires du « rôle positif de la colonisation », de nombreux universitaires et chercheurs en histoire se sont mobilisés aux côtés des enseignants des lycées pour affirmer à la fois l’autonomie de la recherche historique et la nécessité pour l’enseignement de secondaire de se fonder sur cette recherche et non de répondre à des injonctions politiques. De même à propos des enseignements relatifs au genre [37] ou à la théorie de l’évolution (même si le débat est moins vif sur ce dernier point en France qu’aux Etats-Unis). Les professeurs de SES, unanimes pour une fois, ont tenu le même discours quand les milieux patronaux ont demandé que leur enseignement donne une image positive de l’entreprise. Ils ont rétorqué que leur mission n’était ni de faire aimer, ni de faire détester l’entreprise, mais de la faire comprendre sur la base des savoirs produits par la recherche en sociologie ou en science économique.

Il semble difficile de contester que les savoirs sont produits et validés dans le cadre de disciplines académiques et enseignés dans le cadre de disciplines scolaires. Le fait que ces disciplines soient des constructions sociales, ne signifie pas qu’elles sont arbitraires ou sans signification. Elles sont des institutions qui jouent un rôle décisif dans la régulation des activités de recherche et d’enseignement.

Bien sûr, comme toutes les institutions, les disciplines peuvent être affectées par des phénomènes pathologiques : le pouvoir peut y être monopolisé par des coteries sous l’égide de mandarins, le « nationalisme disciplinaire » peut servir à défendre des intérêts particuliers ou des positions acquises. Les conflits portant sur la hiérarchie des disciplines et le partage des moyens sont une réalité. Mais on ne peut pas réduire les disciplines à cela. Elles sont aussi et surtout un lieu de production et/ou de diffusion des savoirs. Et d’ailleurs, les phénomènes pathologiques ne parviennent pas à empêcher la dynamique des savoirs. La puissance des mandarins attachés à l’hypothèse fixiste n’a pas pu s’opposer au fait que le paradigme de la tectonique des plaques soit reconnu ; l’opposition des défenseurs des « humanités » n’a pas pu s’opposer à la naissance de la sociologie [38], ni à la réforme des lycées de 1902 et au développement de l’enseignement « moderne » (mathématiques et sciences naturelles) ; l’opposition de Marcellin Berthelot (qui interdisait lorsqu’il était inspecteur général que l’on parle des atomes dans les manuels scolaires) n’a pas pu empêcher le développement des recherches et des enseignements sur la structure atomique de la matière [39].

Proposer, comme le font certains aujourd’hui, de remettre en cause les disciplines scolaires [40] et d’affaiblir (voire de rompre) le lien entre les enseignements scolaires et les savoirs de référence est donc doublement dangereux : pour la légitimité des enseignements scolaires et pour les apprentissages des élèves.

II - Savoirs disciplinaires et enseignement des SES

L’enseignement des SES, comme nous l’avons dit plus haut, est emblématique des questions relatives aux rapports entre disciplines savantes et disciplines scolaires. Il est aussi une bonne illustration de la relation entre cette remise en cause du lien avec les disciplines de référence et un certain nombre de choix pédagogiques.

Les SES, la pédagogie invisible et les inégalités d’apprentissage

Les SES (comme discipline scolaire) et la filière B puis ES sont issues du mouvement « modernisateur » en éducation qui est bien représenté par Christian Fouchet. Ce dernier, ancien ministre de Pierre Mendès-France, a prononcé le discours de clôture du colloque d’Amiens au printemps 1968. Ses relations sont souvent tendues, tant avec le Président de la République qu’avec le Premier ministre, il est un partisan de la mise en œuvre du Plan Langevin-Wallon [41].

Discipline nouvelle [42], recrutant l’essentiel des enseignants dans les nouvelles générations de diplômés de sciences économiques et de sociologie au tout début des années 1970, les SES vont s’inscrire pleinement dans la rénovation pédagogique qui marque la période : référence à la « pédagogie inductive » (partir des faits et de la pratique et non d’un discours imposé par l’enseignant), à une pédagogie active (contre l’inculcation par le cours magistral), mise en place de travaux dirigés, travail sur document, recours à divers moyens pédagogiques (presse, cinéma, télévision et plus tard informatique), accent mis sur la participation orale des élèves, sur le travail de groupe, les enquêtes. Dans son HDR, publiée en 2005, Elisabeth Chatel synthétise ce qui constitue le « projet fondateur des SES » : « Le projet de 1966 était celui d’un enseignement pluridisciplinaire, ouvert sur le monde, refusant d’enseigner des modèles trop théoriques, faisant travailler les élèves sur des dossiers de documents, développant leur autonomie, avec des programmes construits autour d’objets-problèmes, selon la méthode des Annales. Cette esquisse montre des traits qui campent, pour Bernstein, le modèle d’une pédagogie invisible aux codes intégrés » [43]. Sous la plume d’E. Chatel, l’expression « pédagogie invisible » est valorisée, inscrite au crédit des SES. Ce qui est privilégié c’est donc une approche « horizontale » de l’enseignement (remise en cause de la relation hiérarchique verticale entre l’enseignant et l’élève), un cadrage faible des activités des élèves (la spontanéité, notamment dans l’expression orale, est privilégiée), une classification faible des savoirs (l’accent étant mis sur des objets d’études supposés mobilisateurs).

Ce modèle pédagogique est décrit (et critiqué) par J. Crinon et C. Delarue-Breton à propos de l’enseignement élémentaire, ce qu’ils écrivent est une sorte de portrait-robot de l’enseignement des SES : « donner la parole largement aux élèves ; les faire réfléchir ; les faire travailler en groupe ; faire émerger les objets d’apprentissage de l’activité même des élèves ; les motiver ; être proche de la vie et des préoccupations de ceux-ci ; proposer des projets de travail liant plusieurs disciplines ou plusieurs domaines » [44]. Or, comme le souligne J.-Y. Rochex, ce modèle de pédagogie invisible, dans lequel les apprentissages à réaliser restent implicites, est créateur d’inégalités entre les élèves [45]. Pourtant, ce modèle pédagogique, porté à la fois par beaucoup d’enseignants et leur association professionnelle (APSES), par des organisations syndicales [46], par des mouvements pédagogiques qui voient dans les SES une sorte d’enfant chéri des « pédagogies nouvelles » et même (au moins à l’origine) par l’inspection de la discipline, reste aujourd’hui largement dominant en SES [47].

Ce choix de la pédagogie invisible s’accompagne logiquement d’une remise en cause de la référence aux disciplines savantes. Un bref florilège permet de le montrer :

« L’enseignement de sciences économiques et sociales est une création peu orthodoxe dans le système scolaire puisqu’il construit sa référence scientifique sur l’intégration de divers domaines de savoirs, dans une recomposition qui possède des fondements scientifiques, mais rompt avec les découpages universitaires [48] .

« L’objectif ne peut donc pas être d’enseigner l’économie pour elle-même, ni d’ailleurs de lui adjoindre un enseignement de sociologie, comme un supplément d’âme. L’objectif consiste à aider les élèves à devenir des citoyens conscients et responsables en leur fournissant des outils théoriques et méthodologiques empruntés aux différentes sciences sociales (sans exclusive a priori), pour mieux comprendre la société qu’ils produisent et qui les produit » [49]].

« Ce qui se pratique effectivement en lycée depuis maintenant plus de trente ans, c’est autre chose que l’enseignement de la sociologie (ou de l’économie ou de la science politique) » [50]].

« L’enseignement de la sociologie au lycée. Je voudrais soutenir l’idée que cet enseignement n’existe pas et qu’il n’est pas souhaitable qu’il existe. (…) à force de dire et de laisser dire, cette partition éco-socio, cette bidisciplinarité s’impose dans le discours et dans les esprits. On va finir par croire que les SES ce sont bien de l’éco et de la socio. (…) Il ne faut pas dire que l’on enseigne l’histoire, ni l’éco, ni la socio…mais une discipline scolaire sui generis, les sciences économiques et sociales. (…) Donc, pour résumer, c’est la problématique même d’un enseignement de la sociologie au lycée qui me semble irréaliste et pernicieuse [51].

Ces citations caractéristiques de la « pédagogie des SES » n’ont pas qu’un intérêt historique. Par exemple la critique de l’APSES contre la dernière génération de programmes de SES a essentiellement porté sur le fait que ces programmes sont caractérisées par un découpage disciplinaire explicite [52]. Pour cette association et pour certains syndicats qui ont repris des positions identiques, la référence explicite aux disciplines est contradictoire avec les SES. Elle revendique toujours une réécriture du programme constituées par une liste d’objets-problèmes (et non de savoirs disciplinaires). Par exemple, E. Le Nader (vice-président de l’APSES) déclare en 2014 : « nous assistons à un cloisonnement disciplinaire trop strict entre l’économie d’un côté et les sciences sociales de l’autre. Il faudrait aller vers plus de lien entre les disciplines et partir des grands enjeux économiques et sociaux contemporains plutôt que de prétendus "fondamentaux". C’est ainsi que l’on motive les élèves, que l’on suscite le goût de comprendre et d’apprendre » [53]
.

Il faut souligner que les professeurs qui défendent le « projet fondateur » n’ont pas tous la même position à propos des disciplines.

Pour les uns, il s’agit de défendre l’idée selon laquelle il n’existe qu’une seule science sociale. C’est la position défendue entre autre par Pascal Combemale, par ailleurs membre du MAUSS. Cette position est exprimée clairement par Hubert Marin (qui fut notamment membre du groupe qui rédigea les programmes de SES du début des années 1980) : « il s’agit de rendre légitime l’hypothèse de l’unité des sciences sociales qui traduit la volonté de rompre avec la division académique du savoir » [54]. Pour ce courant, les SES parviennent au lycée à produire et à enseigner un savoir total sur la totalité sociale, que l’université est incapable de produire car elle est prisonnière du découpage des savoirs académiques [55]. Je ne traiterai pas ici de cette posture qui appelle une réponse essentiellement épistémologique.

Pour les autres, sans doute la majorité des enseignants de SES favorables au projet fondateur, la justification est essentiellement « pédagogique » : l’approche intégrée des SES, c’est-à-dire la convocation d’apports disciplinaires divers pour étudier un « objet » (par exemple l’entreprise ou le chômage) est justifié par le fait qu’une telle approche répondrait mieux aux attentes des élèves, elle donnerait du sens aux apprentissages, elle serait moins abstraite et conceptuelle, donc mieux adaptée aux élèves. Résumant la position de ces professeurs qui contestent la classification disciplinaire des savoirs, Isabelle Harlé précise que pour eux « le public des filières de sciences économiques et sociales est peu réceptif à une approche théorique de la discipline » [56]. C’est donc pour favoriser la réussite des élèves (et notamment les élèves les plus faibles) que ces professeurs adoptent une telle posture. Mais ils le font sur la base d’une conception déficitariste : la filière ES, qui recrute des élèves moins bien dotés sur le plan scolaire que ceux de la filière S, devrait donc mettre en œuvre une pédagogie reposant davantage sur le concret, sur l’intérêt immédiat des élèves, plus en prise sur la vie, sur les débats sociaux, séparant moins les discours savants et les discours sociaux sur le monde, etc.

Or cette conception pédagogique n’a rien d’original : dans l’enseignement élémentaire, au collège, dans les autres filières des lycées (notamment dans les filières professionnelles et technologiques), ce discours est constamment mobilisé pour inviter les professeurs des diverses disciplines à rompre avec leur « conservatisme disciplinaire » afin de favoriser la réussite des élèves (et notamment des plus faibles). Cependant, sur la base des observations réalisées dans les classes de professeurs de SES, Jérôme Deauvieau a bien mis en évidence le caractère paradoxal de ces conceptions pédagogiques : « On voit ici le paradoxe de cette pratique pédagogique : pensées comme un « remède » pour les élèves en difficulté et généralement présentées comme une alternative au cours magistral pour « accrocher » les nouveaux lycéens, les « méthodes actives » se révèlent, aux dires même des enseignants, beaucoup plus efficaces dans les « bonnes » classes que dans les « mauvaises » [57].

Il n’est pas difficile de rendre compte de ce paradoxe. Ces pédagogies (« nouvelles », « actives » qui refusent le « carcan disciplinaire ») sont créatrices de malentendus d’apprentissages liés à la faible classification des savoirs. J. Deauvieau souligne que l’enseignement des SES résulte d’une « transposition hétéroclite » de certains savoirs universitaires et de divers discours sociaux. Il identifie trois registres du savoir qui circulent en classe de SES : des savoirs scolaires, des savoirs « politiques » et des savoirs d’expérience. Ces trois types de savoirs sont mobilisés dans le cadre de l’activisme langagier que pratiquent les professeurs pour respecter l’injonction de l’institution et des normes professionnelles qui valorisent la mise en activité des élèves (il faut que les élèves « parlent »). Au sein de ces échanges langagiers qui relèvent le plus souvent du « genre premier », les savoirs de référence, les opinions des élèves, les récits de leurs expériences de la vie sociale et les jugements politiques sont placés sur le même plan.

Si un élève dit « argent » au lieu de « monnaie », puis un autre « argent » à la place de « revenu », un troisième « argent à la place d’ « épargne », un quatrième « argent » à la place de « patrimoine », il faudrait que le professeur organise une reprise du langage (le passage à un genre second qui repose sur une réflexion à propos de l’utilisation du langage), mais une telle attitude briserait la spontanéité des échanges. L’élève est donc persuadé qu’il a répondu juste s’il déclare par exemple : « l’économie est en crise parce que les gens manquent d’argent » [58]. Et on trouve là un exemple typique de malentendu d’apprentissage. Pour privilégier la prise de parole des élèves on accepte des approximations conceptuelles. De plus la « posture critique » adoptée par beaucoup de professeurs les conduit à discréditer les savoirs de référence (la « théorie néoclassique » est présentée comme non pertinente, libérale, pauvre, etc.) et de ce fait il est difficile de conduire les élèves à s’approprier des raisonnements et des mécanismes pourtant essentiels à la compréhension du monde.

En effet cette « posture critique » conduit fréquemment au relativisme [59] et donc a distinguer clairement les « savoirs sociaux » et les « savoirs scolaires ». Les manuels scolaires, quand ils présentent la discipline insistent sur le fait que, à la différence des « sciences exactes », les « sciences humaines » sont traversées de débats et qu’il n’existe pas de vérité, mais des opinions. Cette attitude est, elle aussi, source de malentendus dans les apprentissages comme le souligne J. Deauvieau : « La confusion sur ces registres de savoirs laisse en effet courir le risque du malentendu sur la nature des savoirs scolaires. Dans les interactions cognitives où règne une confusion entre ces registres, c’est en définitive le statut du savoir scolaire qui est parfois mis sur la sellette. Autant les deux autres types de savoirs ne sont pas immédiatement soumis à une exigence de « vérité » (chacun est libre de penser ce qu’il veut du monde social et d’adopter telle ou telle posture politique), autant le savoir scolaire est soumis à une normativité, une pertinence détachée de la personne qui l’énonce. Reconnaître la « vérité » des savoirs scolaires d’un point de vue épistémologique est le préalable à tout apprentissage, et, partant, à toute critique de ces savoirs sur un plan intellectuel et scriptural. Les travaux sur l’apprentissage montrent que le rapport aux savoirs des élèves en difficulté scolaire tend à relativiser les savoirs scolaires au nom d’une « vérité » de l’expérience et que cette attitude empêche précisément d’entrer dans une posture d’apprentissage. » [60]

Refus de la légitimité des savoirs disciplinaires et posture « critique » : des effets paradoxaux

Comme nous l’avons vu, le discours dominant en SES est structuré par le refus de faire de l’enseignement des SES au lycée une « propédeutique » de l’enseignement supérieur, par une prise de distance à l’égard des « savoirs académiques » et des disciplines instituées, par un refus de voir dans les savoirs savants la source de légitimité des savoirs enseignés dans les disciplines scolaires. À la légitimité savante on oppose volontiers une « légitimité civique » [61]. Cette légitimité civique correspond à la volonté de délivrer une « éducation critique et citoyenne ». Pour É. Chatel, l’enseignement des SES se légitime aux yeux des lycéens par le fait qu’ « il permet donc de parler en classe de l’actualité économique et sociale, dans la perspective progressiste assez largement consensuelle chez les enseignants de SES » [62]. Cette façon d’opposer la légitimité civique (progressiste) et la légitimité savante est évidemment très contestable, tant sur le plan politique que sur la plan épistémologique. Mais surtout, en de nombreuses occasions, l’objectif est raté. Nous allons le montrer à partir de quelques exemples.

* La définition de l’entreprise

Nous avons attiré l’attention depuis quelques années déjà sur cette question [63]. De nombreux manuels de SES présentent la recherche du profit comme une composante essentielle de la définition de l’entreprise. Il est vrai qu’il s’agit d’une hypothèse dans le modèle de base de la théorie néo-classique du producteur [64]. Mais ce modèle n’est pas étudié en tant que tel en classe de seconde où c’est une approche plus empirique et descriptive des entreprises qui est retenue. Pourtant de nombreux manuels et dictionnaires continuent à considérer que la recherche du profit est inhérente à la définition de l’entreprise. Par exemple, dans un document pédagogique mis en ligne à l’automne 2014, une professeure de SES qui exerce des responsabilités éminentes au sein de la profession, présente à ses élèves un schéma [65] qui distingue quatre types d’entreprises (publiques, privées, coopératives, mutualistes [66]) et pour chacune de ces catégories le « but » de l’entreprise est le profit.

Une telle présentation (très répandue) pose deux problèmes principaux :

-  En général, les activités proposées aux élèves sur ce thème comportent un temps consacré à l’économie sociale et solidaire et on explique en général que les entreprises de ce secteur ont un objectif non lucratif. Les élèves doivent donc apprendre d’abord que toutes les entreprises recherchent le profit et dans un second temps que certaines entreprises ne recherchent pas le profit. A eux de se débrouiller avec cette contradiction. Les plus chanceux auront oublié la définition de l’entreprise lorsqu’ils aborderont l’économie sociale.

-  Sur le plan de l’éducation « critique et citoyenne », il est curieux de présenter le profit comme horizon indépassable de l’activité économique. Il serait plus conforme à la fois à la légitimité savante et à la réflexion critique de montrer qu’il existe divers types d’entreprises qui ont des principes de fonctionnement et des finalités différentes. Pourtant, les générations de manuels et de dictionnaires destinés aux élèves se succèdent sans que l’erreur ne soit corrigée.

* La justice sociale

Le thème de la justice sociale a été introduit dans le programme de SES de terminale en 2003, ce thème a été maintenu dans la génération suivante de programmes (actuellement en vigueur).

Lorsque ce thème est apparu dans les programmes scolaires, et conformément à la théorie de la transposition didactique, il avait fait l’objet d’un très grand nombre de publications scientifiques. Pourtant, l’étude de la première génération de manuels [67] mettant en œuvre les programmes nous a montré que les contenus proposés aux élèves (documents, lexiques de fin d’ouvrage, synthèse de fin de chapitre) reposaient sur une énorme bévue : l’opposition entre égalité et équité. De très nombreux manuels affirmaient qu’il faut choisir entre l’égalité (qui peut être injuste) et l’équité (qui relève du souci de la justice). Tous les travaux scientifiques sur le sujet s’inscrivent en faux contre une telle approche. En fait, cette présentation, selon laquelle il faudrait abandonner l’égalité (archaïque, liée aux Trente glorieuses et à l’État-providence), pour l’équité (plus « moderne ») a été diffusée en France par le rapport rédigé par A. Minc en 1994. Très tôt des spécialistes éminents ont souligné que cette opposition était non pertinente, voire mystificatrice : l’équité peut conduire à une conception plus exigeante de l’égalité, elle ne peut pas conduire à renoncer à l’égalité.

Et pourtant, en dépit de l’état du savoir savant, en dépit de l’enjeu « citoyen du débat », les manuels se sont alignés sur un discours qui relève du registre politique et médiatique [68]. L’autonomie revendiquée à l’égard du savoir académique, loin de conduire à la position critique revendiquée conduit à un alignement sur l’idéologie dominante (et dans sa forme la moins subtile).

* L’exemple de la coordination

Le concept de coordination est présent depuis longtemps dans les programmes de SES. Mais dans les programmes de première et de terminale actuellement en vigueur, il prend une importance particulière. La coordination par le marché est explicitement présente dans le programme de première. Mais on trouve aussi ce concept à propos du concept de réseaux sociaux en sociologie, dont les indications complémentaires indiquent qu’ils doivent être étudiés comme un mode de coordination. L’étude de l’entreprise invite à traiter de la coordination par la hiérarchie.

Or l’étude des manuels [69] nous montre que l’enseignement de cette question passe très largement à côté des enjeux. Alors qu’il s’agit d’un concept utilisé à la fois en sociologie et en science économique, permettant de ce fait le croisement des regards cher (en principe) aux professeurs de SES, le concept de coordination n’est jamais envisagé sous cet angle co-disciplinaire. Jamais non plus les grands débats scientifiques autour de la coordination (plan et marché à partir du débat entre O. Lange et L. von Mises, hiérarchie et marché à travers les travaux de R. Coase et O. Williamson) ne sont évoqués. Les enjeux récents sont eux aussi ignorés, en particulier, alors que le concept de biens communs et l’économie de l’environnement sont au programme, l’approche d’E. Ostrom (la coordination par la coopération) n’est pas étudiée non plus. Par conséquent la présence dans le programme des concepts de coordination, de coopération, de hiérarchie, de marché, d’entreprise, de bien collectif, de bien commun, ne semble évoquer chez les auteurs de manuels (et chez les professeurs ?) aucune problématique d’ensemble, aucun des grands débats théoriques qui traversent les disciplines de référence.

Plus grave encore, alors que le concept de coordination est explicitement au programme, il ne fait pas l’objet d’une définition dans la plupart des manuels. On utilise donc le terme « coordination », mais en supposant de façon implicite que les élèves connaissent déjà le sens de ce concept. On est en pleine pédagogie invisible, puisqu’on demande aux élèves de savoir ce qu’on ne leur apprend pas.

Ainsi, l’éloignement revendiqué par rapport aux savoirs savants ne conduit pas à plus d’esprit critique, mais à une plus grande vulnérabilité aux idées reçues, au sens commun, pour le dire autrement à l’idéologie dominante.

Conclusion : Repenser la formation des maîtres et des élèves

Cette réflexion sur l’importance des savoirs de référence et du lien entre ces savoirs disciplinaires et les disciplines scolaire nous conduit à deux types de préconisations. Ces préconisations s’appuient sur l’exemple des SES, mais elles sont sans doute généralisables à d’autres disciplines scolaires [70].

* Renforcer la dimension disciplinaire de la formation initiale et continue des professeurs

En ce qui concerne la formation initiale, le discours dominant du ministère, des rectorats, des directeurs d’ESPE, de certains syndicats et des mouvements pédagogiques est le suivant : recrutés au niveau du master, les candidats au métier de professeur ont une maîtrise des savoirs disciplinaires largement suffisante pour exercer le métier de professeur. Il faut donc se centrer sur les aspects « transversaux » du métier : déontologie, tenue de classe, laïcité, psychologie des enfants et des adolescents, évaluation (« bienveillante », « par compétence »), etc. Dans cette conception, l’évaluation d’une copie de mathématiques, d’un copie de philosophie ou de SES, relève d’une même logique, d’une même compétence professionnelle. Les heures consacrées aux renforcements disciplinaires et au travail proprement didactique, c’est-à-dire portant sur les contenus spécifiques des savoirs enseignés, sont progressivement réduites au profit de dispositifs transversaux.

Or, le diagnostic sur lequel repose cette évolution de la formation des maîtres vers le transversal est doublement erroné. D’une part, il n’est pas vrai que les étudiants titulaires d’une licence (voire d’un M1) bénéficient déjà des connaissances disciplinaires nécessaires pour enseigner. C’est l’évidence pour les candidats au professorat des écoles, souvent issus des bacs L ou ES des lycées, puis diplômés en psychologie, en lettres ou en sciences de l’éducation. Ils ne disposent pas en physique ou en mathématiques (sans parler de l’éducation physique et des arts plastiques) des connaissances nécessaires pour enseigner ces contenus au niveau de l’école élémentaire. En effet on ne peut pas enseigner les mathématiques à l’école élémentaire si on ne dispose pas d’une aisance suffisante dans les savoirs mathématiques. Cette maîtrise des savoirs mathématiques est indispensable pour l’enseignant s’il veut adopter une posture réflexive sur son enseignement, s’il veut comprendre les difficultés rencontrées par les élèves, s’il veut improviser des réponses à ces difficultés des élèves, imaginer en situation des exercices ou des exemples, permettant aux élèves de s’approprier le savoir visé [71].

Mais il en va de même pour les candidats au CAPES ou à l’agrégation. On peut arriver en master sans avoir étudié la géométrie ou l’histoire de la Révolution française. En effet, au gré des options entre de multiples « Unités d’Enseignement » et de la liberté des universités dans la détermination des contenus d’enseignement, rien ne permet de garantir qu’un candidat à l’enseignement du second degré a étudié, au niveau universitaire, les savoirs qu’il devra enseigner à ses élèves. Il faut donc que la formation des maîtres comporte un temps significatif à l’étude des savoirs qui figurent dans les programmes des enseignements scolaires. Certes la formation ne peut se limiter à cela, il faut travailler la didactique des disciplines et sans doutes quelques connaissances ou compétences transversales. Mais il faut se souvenir que la tâche essentielle des professeurs consiste à conduire les élèves à s’approprier des savoirs… et comment y parvenir si on ne maîtrise pas soi-même ces savoirs.

Il en va de même en ce qui concerne la formation continue. Son volume global est insuffisant, mais surtout les aspects techniques (TICE) et transversaux (violence scolaire, élèves à besoins éducatifs particuliers, pédagogie inversée, etc.) sont très largement présents dans les plans académiques de formation. Or, il est décisif de permettre aux enseignants de rester en contact avec le savoir en train de se construire. L’actualisation des connaissances, l’initiation aux nouvelles problématiques de recherche, devraient occuper une place plus importante dans la formation continue des enseignants.

* Pratiquer une pédagogie visible radicale

Il ne s’agit évidemment pas d’en revenir à un passé mythifié ou de prôner un « retour aux fondamentaux » qui ferait l’impasse sur le sens (voire la saveur) que les savoirs doivent acquérir pour les élèves. On peut considérer, avec Roland Goigoux qu’il faut oser mettre en œuvre une pédagogie éclectique : « La pédagogie que nous défendons, et qui semble gagner du terrain, cherche à concilier les acquis des pédagogies actives avec les exigences des pédagogies explicites et structurées. Elle combine des phases d’enseignement déclaratif (exposition de règles, de procédures ou de notions), des phases de résolution guidée sous la tutelle étroite de l’enseignant et des phases de tâtonnement, d’exploration ou de découverte (recours à des situations-problèmes) tout en accordant le plus grand soin aux phases d’entrainement, d’exercice ou de jeu qui favorisent la mémorisation des notions et l’automatisation des procédures » [72].

Il faut donc insister sur la nécessité d’un enseignement qui soit explicite, progressif, structuré. Cela suppose notamment une classification forte des savoirs (en particulier une distinction explicite entre les savoirs scolaires, les savoirs d’expérience et les discours de sens commun). Il faut donc identifier les fondements épistémologiques des savoirs enseignés, refuser le relativisme, distinguer rigoureusement les jugements de fait et les jugements de valeur. Cette classification des savoirs passe aussi par un usage rigoureux du langage et par une posture de réflexion sur le langage et sur ses usages. Enfin la classification implique que l’on identifie clairement l’appartenance disciplinaire des concepts utilisés (en particulier lorsqu’on met en œuvre une démarche co-disciplinaire).

Cela nécessite aussi un cadrage fort des activités des élèves. Il faut donc énoncer clairement les objectifs, proposer une multiplicité d’activités pour atteindre les objectifs visés, avoir un recours fréquent aux évaluations formatives, revenir périodiquement sur les savoirs acquis, les utiliser dans des contextes nouveaux. Il faut expliciter avec les élèves la nécessité des problématiques théoriques et l’utilisation des modèles (schèmes d’intelligibilité). En bref il faut articuler une pédagogie de l’exigence intellectuelle et l’attention constante aux apprentissages de tous les élèves, en privilégiant ceux qui sont les plus en difficulté.


[1Roger Establet, La présence très actuelle de Basil Bernstein dans la sociologie française de l’éducation, in D. Frandji et Ph. Vitale (2008), Actualité de Basil Bernstein. Savoir, pédagogie et société, Presses universitaires de Rennes, Collection Le sens social, (p. 48).

[2C. Reverdy, Éduquer au-delà des frontières disciplinaires, Note de Veille n° 100, mars 2015.

[3A. Colas, La classe résiste magistralement, Le Monde, 30 août 2014.

[4Massive Open Online Course (Cours en ligne ouverts et massifs).

[5Il faut noter que la pluridisciplinarité, comme l’individualisation de la formation ne sont jamais justifiées, ni examinées de façon critique. Ces démarches sont considérées comme favorables aux élèves sans qu’il soit nécessaire de le démontrer.

[6O. Galland, Les jeunes et les valeurs de la République, Télos, 27 février 2015.

[7Les jurys de concours montrent pourtant dans leurs rapports que certains candidats ne maîtrisent pas les connaissances exigées des élèves lors du baccalauréat. Apparemment cela ne pose pas vraiment problème pour le syndicat des chefs d’établissements.

[8Alain Boissinot, Peut-on toucher aux disciplines ?, Interview au Café pédagogique

[9Inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, membre du Conseil supérieur des programmes, il a récemment publié Ce que l’école devrait enseigner, Dunod, 2014.

[10Par exemple, dans son éditorial de L’Express du 28 avril 2015, Christophe Barbier revendique la mise en œuvre d’une exigence intellectuelle « en n’envoyant que ceux qui le méritent vers le haut, en orientant les autres vers des tâches à leur niveau et en rétablissant la sélection dans toute sa saine nécessité ». L’exigence intellectuelle est ici clairement associée à l’école du tri social.

[11Par exemple, étudiant le projet éducatif du Front national sur son blog Educpro, Jean-Michel Zakhartchouk écrit : « D’abord, je me suis demandé qu’est-ce qui distingue ce programme des positions sur l’école de ceux qui pilonnent sans cesse le « pédagogisme » ? Sans doute la radicalité et l’extrémisme, mais au fond pas tant de choses. On trouve l’affirmation de l’autorité-rataplaplan, la référence à la culture nationale, la verticalité du rapport maitre/élève, la condamnation du collège unique et le recours à la sélection précoce, le recentrage en primaire sur le français et le calcul ». Or, on peut défendre l’accès de tous les élèves au second degré, affirmer que le maître sait des choses que les élèves ignorent, s’opposer à la sélection précoce, considérer que l’autorité est une composante de l’activité enseignante… et combattre le Front national. On peut même défendre l’apprentissage syllabique de la lecture ou l’importance de la chronologie en histoire sans être victime de « lepenisation enseignante ».

[12Je me limite au cas de la France. Des comparaisons avec la situation au Québec, aux Etats-Unis, en Belgique, etc. serait du plus grand intérêt. Le rôle des organisations internationales (UNESCO, OCDE notamment) dans la diffusion et l’institutionnalisation de ce discours modernisateur mériterait aussi attention.

[13Ces colloques sont portés par le courant lié à Pierre Mendès-France. Très tôt sont associés les responsables de la FEN et du SGEN et de grands scientifiques y jouent un rôle très actif (André Lichnerowicz par exemple). Évidemment, il ne s’agit là que de points de repères marquants. On peut citer auparavant le rôle de Louis Cros et de l’Institut Pédagogique national ou l’action de Jean Capelle. Le mouvement Freinet apporte son soutien à cette démarche et dans la revue L’Éducateur (n° 9-10, année 1967-1968), Elise Freinet elle-même écrit : « Les colloques de Caen et d’Amiens peuvent être comptés comme les événements les plus importants de l’enseignement depuis la mise en place de la laïcité : par la reconsidération générale du contenu et de la forme de toute la réalité scolaire dans les trois degrés, ils témoignent d’un esprit ouvert et font prévoir des perspectives nouvelles à la fonction éducative à laquelle est associée une ample action de masse susceptible de mobiliser la nation tout entière ».

[14S. Bonnery (dir.), Supports pédagogiques et inégalités scolaires, La Dispute, 2015.

[15Comme il y a eu une critique artiste du capitalisme qui a été parfaitement récupérée par le système. L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Coll. Tel, 2011 [1999

[16Voir notamment J.-Y. Rochex et J. Crinon (dirs), La construction des inégalités scolaires, PUR, Coll. Paideia, 2011 et E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaires, PUF, Coll. Education et société, 2009.

[17La convergence entre les idées défendues par les Cahiers pédagogiques et celles défendues par Administration et éducation est tout à fait remarquable. D’un côté des militants animés par le souvenir de mai 1968, de l’autre des inspecteurs généraux, recteurs et autres proviseurs.

[18Passage du savoir savant au savoir enseigné. La théorie de la transposition didactique a été formulée par M. Verret puis par Y. Chevallard.

[19Le problème se pose aussi dans l’enseignement du premier degré. Souvent dans les écoles une certaine spécialisation se met en place (sur les arts plastiques, la musique l’éducation physique par exemple). Mais plus fondamentalement la polyvalence des enseignants du premier degré fait l’objet de débat. Alors même que les savoir enseignés deviennent plus complexes, peut-on attendre des professeurs des écoles qu’ils maîtrisent aussi bien l’histoire que la géographie, les mathématiques, la botanique, les méthodes d’apprentissage de la lecture, l’histoire des arts, etc. Sans reproduire à l’école les découpages disciplinaires du lycée (et en laissant en débat la question du collège), la démarche « plus de maîtres que de classes » ouvre la voie à une certaine spécialisation disciplinaire des enseignants du premier degré.

[20On peut prendre l’exemple de la célèbre « courbe de Laffer » souvent présentée dans les manuels de SES et les ouvrages para-scolaires comme un savoir légitime alors même que la revue de la littérature réalisée par B. Théret et D. Uri a montré que cette conception des rapports entre taux d’imposition et recettes fiscales n’avait aucune légitimité parmi les économistes professionnels. B. Théret et D. Uri, La courbe de Laffer dix ans après : un essai de bilan critique, Revue Economique, 1988, vol. 39, n°4, pp. 753-808

[21Cette maîtrise des savoirs de référence est d’ailleurs souvent une ressource précieuse à l’égard des pressions qui peuvent s’exercer sur l’enseignant de la part des hiérarchies intermédiaires comme de la part de certains parents.

[22À l’inverse un professeur qui ne maîtrise pas ce qu’il enseigne, qui reste accroché à sa préparation par peur de commettre des erreurs, risque de ne pas donner toute l’importance qui convient aux réactions, souvent non verbales, des élèves. Il risque aussi, en cas de question des élèves, de ne pas avoir assez d’exemples ou de modes d’approches différents d’une même difficulté parce qu’il n’a pas une maîtrise suffisante des savoirs à enseigner.

[23Par exemple cette affirmation souvent reprise sous des formes diverses : « Il n’existe pas dans le champ scientifique une discipline constituée qui recouvre le domaine des SES et qu’il serait loisible de transposer. Non seulement les disciplines auxquelles nous nous référons sont multiples (elles ne se limitent pas à l’économie-sociologie), mais elles sont étroitement cloisonnées (quelle place pour la sociologie dans les UFR de sciences économiques et réciproquement quelle place pour les sciences économiques dans les UFR de sociologie ?) » J. Hadjian, « Droit de réponse », DEES, n° 110, décembre 1997 (p. 54)

[24C’est la démarche retenue en Sciences économiques et sociales dans la partie « Regards croisés » des programmes du cycle terminal.

[25Parce que le professeur de SES qui fait étudier un extrait de Zola ou de Balzac à propos des classes sociales est doté, lui, d’une grille de lecture sociologique pour en rendre compte, alors que pour une bonne partie des élèves, l’impression prévaudra « qu’aujourd’hui en SES on a fait du français ».

[26Le concept de « conscience disciplinaire », développé par Y. Reuter, est ici très utile. On de bonnes raisons de penser que la plus ou moins grande difficulté des élèves à passer de la connaissance ordinaire à la connaissance disciplinaire et liée à la plus ou moins grande maîtrise par les élèves de la conscience disciplinaire. La non maîtrise de la conscience disciplinaire est donc une source importante de difficultés dans les apprentissages. Y. Reuter, La conscience disciplinaire. Présentation d’un concept, Éducation et didactique, vol. 1, n° 2, septembre 2007 (pp. 57-71).

[27Dans le cas des sciences économiques et sociales (sur lequel nous reviendrons), il n’y a pas consensus sur ce point. C’est ainsi que J. Picot (enseignante de SES) a pu affirmer que « ne pas avoir reçu de formation universitaire à l’économie ou à la sociologie n’était pas forcément un handicap » pour enseigner les SES. J. Picot, Qu’entend-on par sciences économiques et sociales ?, DEES, n° 84, juillet 1991 (p. 111).

[28Y. Chevallard (1997), Questions vives, savoirs moribonds : le problème curriculaire aujourd’hui, Intervention au colloque Défendre et transformer l’école pour tous, Marseille 3, 4, 5 octobre 1997. http://www.eloge-des-ses.fr/documents/chevallard97.pdf

[29Y. Chevallard (2004), Vers une didactique de la codisciplinarité. Note sur une nouvelle épistémologie scolaire, http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/IMG/pdf/Vers_une_didactique_de_la_codisciplinarite.pdf

[30Chevallard (1997), op. cit.

[31J.L. Fabiani, Du chaos des disciplines à la fin de l’ordre disciplinaire ?, Pratiques, linguistique, littérature, didactique, n° 153-154, 2012 (pp. 129-140).

[32J. Boutier, J.-C. Passeron et J. Revel (eds), Qu’est-ce qu’une discipline ?, Editions de l’EHESS, 2006.

[33« Personne n’a jamais cru que l’activité scientifique est miraculeusement protégée des passions, des intérêts et des conflits de pouvoir qui traversent ceux qui la font comme ils traversent la société où elle est immergée. Mais, comme l’explique encore Bouveresse, « la question intéressante […] est de savoir comment des motivations personnelles égoïstes et agressives, des conjectures « sauvages » et des inventions sans fondement peuvent, par le biais du contrôle intersubjectif sévère qui s’exerce à l’intérieur de la communauté scientifique aboutit à une acquisition ou à un progrès de la connaissance objective, et dans quelle mesure elles le peuvent ». C’est à cette question que Bourdieu, par exemple, s’est affronté dans quelques-uns de ses derniers livres : « Comprendre, sans faire appel à une forme quelconque de transcendance, que le [champ scientifique] est un lieu où se produisent des vérités transhistoriques ». »
Jean-Jacques Rosat (2009), Préface, in Paul Boghossian (2006/2009), La peur du savoir. Sur le relativisme et le constructivisme de la connaissance, Agone (p. XXI) [La citation de Bouveresse est extraite d’un article intitulé "L’objectivité, la connaissance et le pouvoir" (2001) ; la citation de Bourdieu est extraite de Science de la science et réflexivité.

[34Jean-Claude Passeron, A partir de Weber, Durkheim et Pareto, Commentaire, n° 136, Décembre 2011, p. 1056

[35Mattei Dogan et Robert Pahre : L’innovation dans les sciences sociales, PUF, Coll. Sociologies, 1991.

[36P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Raison d’agir, 2001, (p. 162)

[37Voir par exemple cette vigoureuse et très pertinente intervention de plusieurs universitaires : http://www.liberation.fr/societe/2013/06/10/la-theorie-du-genre-reponse-au-ministre-vincent-peillon_909686 ou celle-ci : http://www.liberation.fr/societe/2013/06/10/en-finir-avec-les-fantasmes-en-tous-genres_909684. A chaque fois, c’est la légitimité savante qui est mise en avant contre les dérives idéologiques et politiciennes.

[38Voir sur ce point l’article fondamental de Gisèle Sapiro, Défense et illustration de « l’honnête homme ». Les hommes de lettres contre la sociologie, Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/3, n° 153, pp. 11-27

[39On peut ajouter que l’opposition unanime des économistes français de son temps (qui parviennent à l’empêcher d’obtenir une chaire en France) ne parvient pas en fin de compte à faire obstacle au développement des travaux de L. Walras. De même, la faible reconnaissance institutionnelle de G. Simmel ou de N. Elias n’a pas fait obstacle à la forte et durable influence de leurs idées en sociologie.

[40Outre les critiques des disciplines évoquées au début de ce texte, signalons la vogue des « éducations à » présentées parfois comme un complément des disciplines, mais souvent comme l’avant-garde d’une conception des apprentissages remettant en cause les disciplines scolaires. Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon texte de critique des « Éducations à » : http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article190

[42Un travail historique important été réalisé par une équipe dirigée par Élisabeth Chatel. L’ouvrage publié initialement par l’INRP est désormais disponible en ligne : http://ses.ens-lyon.fr/pdf/ses/chatel.pdf. Les auteurs sont tous favorables au « projet fondateur des SES ».

[43Élisabeth Chatel, Extrait de la note de synthèse présentée pour l’Habilitation à diriger des recherches : « L’évaluation de l’éducation et l’enjeu des savoirs », décembre 2005, Université Paris 8.
Disponible sur le site de l’association CORPUS
https://refonderprogrammesscolairesdotcom.files.wordpress.com/2013/11/chatel_hdr_chap_4_extraits.pdf

[44J. Crinon et C. Delarue-Breton, Apprentissages et réduction des inégalités scolaires : la France à la croisée des logiques pédagogiques, CIFEN, Bulletin n° 30, Novembre 2011
http://www.ulg.ac.be/upload/docs/application/pdf/2013-09/puzzle_bulletin30_nov11.pdf#page=16

[45Voir notamment : Jean-Yves Rochex, La fabrication de l’inégalité scolaire : une approche bernsteinienne, in J.Y. Rochex et J. Crinon (dirs), La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, PUR, Coll. Paidéia, 2011 (p. 194).

[46Parfois de façon paradoxale dans le cas du SNES qui défend les disciplines scolaires et leur lien avec les disciplines savantes…sauf dans le cas des SES.

[47Pour une étude de deux séquences pédagogiques en SES et l’analyse de la pédagogie invisible mise en œuvre, je renvoie à mon texte Les SES et la pédagogie invisible : http://www.eloge-des-ses.fr/pages/textes-en-ligne/ses-et-pedagogie-invisible-def.pdf

[48Élisabeth Chatel, Insertion institutionnelle et enjeux didactiques, in Pascal Combemale, Les sciences économiques et sociales, Hachette/CNDP, 1995, (p. 33).

[49P. Combemale, Faut-il enseigner l’économie au lycée ?, Les Cahiers pédagogiques, n° 308, novembre 1992 (p. 18) [Dans le chapeau de l’article, la rédaction des Cahiers Pédagogiques précise que P. Combemale s’exprime au nom du MAUSS

[50Nicole Pinet, De la sociologie aux sciences économiques et sociales, DEES, n°115, mars 1999 (page 16). [Ce texte a aussi été publié dans APSES info n° 23, Octobre 1998 (p. 14)

[51Gérard Grosse, L’enseignement de la sociologie au lycée, APSES info n° 23, Octobre 1998 (p. 17-19).

[52Autrement dit, c’est le principe même de la classification disciplinaire des savoirs qui est contesté au nom de la spécificité de la discipline scolaire SES.

[53Interview au site VousNousIls, 17 janvier 2014 (repris sur le site de l’APSES).
http://www.apses.org/debats-enjeux/ses-et-serie-es-dans-les-media/article/nous-avons-subi-des-changements-de#.VUtkmvntmko. Il faut noter que l’APSES a proposé un programme alternatif (dit « programme de contournement ») invitant les professeurs à ne pas mettre en œuvre le découpage disciplinaire qui figure dans le programme officiel. Ce programme est appelé SESâme, parce qu’il exprime l’âme des SES !

[54H. Marin, L’unité des sciences économiques et sociales, in P. Combemale (dir.), Les sciences économiques et sociales, Hachette/CNDP, 1995, (pp. 136-137)

[55Découpage que les tenants de ce courant considèrent comme artificiel et sans fondement épistémologique.

[56Isabelle Harlé, La fabrique des savoirs scolaires, La Dispute, 2010, p. 96

[57J. Deauvieau, Observer et comprendre les pratiques enseignantes, Sociologie du travail, 49 (2007) (p. 104)

[58L’élève en question trouvera sans peine sur internet des vidéos qui lui expliquent qu’il existe un complot des banques pour empêcher l’Etat de créer toute la monnaie qui serait nécessaire pour résoudre tous les problèmes économiques.

[59Ce relativisme est parfois cautionné par l’institution scolaire elle-même. Ainsi, sur le très officiel site des SES de l’académie de Versailles, on trouve un projet d’introduction aux SES dans le cadre de la pédagogie inversée dans lequel on peut lire que, dans les sciences économiques et sociales : « des courants de pensée très différents analysent les mêmes phénomènes et les expliquent de façon radicalement différente. Voilà qui complique la tâche. Il vous faudra donc composer avec cette diversité d’approche, la vérité des uns n’étant pas la vérité des autres », http://www.ses.ac-versailles.fr/cours_inverse/seconde/intro/intro.html. Ainsi, dès leur prise de contact avec la discipline, on explique aux élèves qu’en sciences sociales il n’existe pas de vérité, ce qui est à la source de la confusion entre les registres de savoir. Le professeur peut avoir une « opinion », les élèves une autre, et il n’existe pas de moyen de trancher entre ces « opinions ». Cette vision est renforcée par le fait que certaines activités qui se déroulent en classe sont organisées sous la forme du débat d’opinion. Ainsi, une vidéo qui a eu un certain succès présente un débat entre Keynes et Hayek, avec une partie du texte sous forme de rap. Cela est supposé « motiver les élèves ». Seul petit problème, cette vidéo est très unilatéralement favorable aux idées de Hayek et elle est promue aux Etats-Unis par les milieux néo-conservateurs. On la trouve aussi en France sur le site (conspirationniste et d’extrême droite) du Cercle des volontaires. Ainsi au nom de l’innovation pédagogique, des professeurs de SES diffusent auprès des élèves des thèses à la fois ultra-libérales en économie et ultra-conservatrices sur le plan politique. Curieux destin de la pensée « critique » et « anti-libérale ».

[60J. Deauvieau, Observer et comprendre les pratiques enseignantes, Sociologie du travail, 49 (2007) (pp. 107-108)

[61É. Chatel (1999), Légitimité savante et valeur scientifique dans l’enseignement des SES. Une approche critique du concept de transposition didactique, DEES, n° 116, juin, pp. 23-29
https://espacecollaboratif.phm.education.gouv.fr/LotusQuickr/daaf-grenoble/PageLibraryC12578250049B34F.nsf/h_Toc/99309FF6CB063082C12578330081B7B0/$FILE/art-DEES-Chatel-1998.pdf

[62Chatel (1999), p. 27.

[63A. Beitone et E. Hemdane (2005), La définition de l’entreprise dans les manuels de sciences économiques et sociales, Skholê, hors-série n°1, pp. 29-39
http://www.eloge-des-ses.fr/pages/textes-en-ligne/entreprise-revue-skhole-abhe-2005.pdf

[64On sait par ailleurs, qu’à un niveau plus complexe, cette question est controversée au sein même de la théorie orthodoxe. Il s’agit de l’un des exemples pris par P.A. Samuelson dans sa polémique contre M. Friedman à propos du réalisme des hypothèses.

[66Notons au passage que les coopératives et les mutuelles sont des entreprises privées, très attachées à leur indépendance par rapport à l’Etat. Il faudrait admettre un jour que « privé » n’est pas synonyme de « capitaliste ».

[67A. Beitone et E. Hemdane (2008), Le concept de justice sociale dans le programme et les manuels de SES : une nouvelle énigme didactique, Socio-logos, n°3, http://socio-logos.revues.org/1172

[68On a beaucoup dit à l’époque que le rapport Minc était destiné à fournir l’ossature du discours d’Edouard Balladur pour la campagne présidentielle qui s’annonçait.

[69A. Beitone et M. Osenda (2014), Le concept de coordination dans les manuels de SES. Une étude de transposition didactique.
http://www.eloge-des-ses.fr/copie-de-testes-en-ligne-ab/coordination-manuels-ses-28mo-ab29.pdf

[70En particulier à l’économie et gestion où le dogme de la « pédagogie inductive » est désormais solidement implanté.

[71Les débats entre spécialistes sur l’enseignement des mathématiques à l’école élémentaires sont très vifs et font appel à des connaissances mathématiques de bon niveau.

[72R. Goigoux (2011), Une pédagogie éclectique au service des élèves qui ont le plus besoin d’école, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 52, pp. 22-30