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Sur la réforme des lycées

vendredi 20 février 2009, par Stéphane Bonnéry

Intervention de Stéphane BONNERY à la table ronde sur la réforme des lycées aux Etats Généraux des lycées organisés par le SNES, le SNEP, le SNUEP et le SNUPDEN (FSU) à Saint-Ouen le 29/11/08

Je précise tout de suite que je ne suis pas spécialiste du lycée. Mes recherches ont porté sur la liaison élémentaire / collège et sur le premier cycle universitaire.

Il y a évidemment des similitudes et des cohérences entre les différentes réformes : lycées / LMD/ formation continue des salariés… dont le principe récurrent est de ne pas trop dépenser pour l’éducation. Mais il n’y a pas que ça.

Quelle est la logique d’ensemble ?

On comprend mieux la pression qui s’exerce sur l’école quand on compare en aval avec la même pression exercée par l’économie et le patronat sur les contenus de formation et les diplômes (Céreq-Bref 235, nov 2006).

De 1975 à 2005, 2 fois plus de salariés ont bénéficié d’une formation payée par l’employeur. Dans la même période, la durée moyenne des formations à été divisée par deux, et on observe une diminution presque de la moitié du pourcentage de ces formations donnant lieu à reconnaissance (diplôme, etc.), donc reconnue réellement par l’employeur. La masse salariale consacrée à ces formations a baissé.

Ce qui est intéressant c’est le double discours : d’un côté on dit que les formations et diplômes ne valent rien, ne servent à rien (alors que les chiffres montrent le contraire), mais on accepte que les salariés aillent dans des formations sensées augmenter la compétence. En fait il s’agit d’augmenter la productivité, l’efficacité sur des points très précis, mais pas ceux permettant d’augmenter globalement le niveau de compétence du salarié (et donc du salaire) ni ce qui permet au travailleur de maîtriser mieux la porte de ce qu’il fait sur son poste de travail dans la production ou sur le service qu’il rend dans la société. Il y a une parcellisation de la compétence.

On retrouve la même chose au niveau scolaire, les mêmes contradictions dans la pression que le capitalisme exerce et qu’il essaie de résoudre : si l’objectif est d’avoir des travailleurs plus formés (qui pourront inventer des choses marchandisables) est de 50 % d’une génération niveau bac +3, il faut d’abord que ça se fasse à moindre coût et ensuite que la formation délivrée ne donne pas lieu à qualification et rémunération en conséquence sur le marché du travail. Il ne faut pas trop non plus que les étudiants sortent du cursus dotés d’un solide esprit critique. Comment atomiser le contenu des formations en savoirs parcellaires, avec parcours individualisé ? Comment faire en sorte que le référentiel de compétence ne soit pas le même d’une personne à l’autre, même en ayant suivi le même « parcours » ? La logique de l’individualisation, des parcours, des modules, etc. s’inscrit dans cette problématique.

C’est le modèle des cadres : dans l’entretien d’embauche, de gré à gré, c’est moins le diplôme que les « compétences » individuelles qui définissent le salaire, mise en concurrence des individus qui permet aux employeurs de tirer vers le bas. On recherche une formation de qualité tout en mettant la pression sur le salaire. Cela peut se faire en formant par compétences. Cela s’oppose au diplôme qui permet d’avoir des revendications communes. Les compétences, forcément individuelles, mettent en concurrence.

Mais cela provoque une crise du savoir : ce qui fait savoir, ce sont des bouts de compétences et d’informations morcelées, ou bien leur mise en cohérence, leur inscription dans une histoire de la pensée, qui fait savoirs, sens ?

Autrefois la culture élitiste renvoyait à un patrimoine d’œuvres bien identifié. Maintenant la mode dans les milieux les plus cultivés est à l’éclectisme, à dire qu’on lit Hugo et des BD. Mais l’éclectisme n’est pas le même selon que les bouts de connaissance restent morcelés ou au contraire sont organisés dans un tout cohérent (par ex. entre certains romans de Hugo et certaines BD : la figure du héros romantique emporté par l’Histoire). Si ces changements bousculent (en partie) en apparence les hiérarchies culturelles, les inégalités demeurent, voire sont exacerbées quand on renvoie à l’apprenant la responsabilité individuelle de mettre des cohérences entre des bouts de savoirs, dans des champs différents.

Une réforme qui atomise le savoir, qui, en partant du constat juste de son renouvellement, ne prend pas en charge la construction chez chacun des capacités à mettre en cohérence, crée toutes les conditions de l’inégalité d’appropriation. Surtout lorsque la mise en cohérence s’appuie sur des contenus de savoirs qui ne sont pas enseignés à tous selon des « options ».

Quelque soit le niveau de scolarité, la question du choix des parcours, modules ou autre type d’individualisation pose le problème des clés pour choisir ou comprendre ce qu’il faut choisir. Or les politiques actuelles tendent à augmenter, pour mieux réussir disent-elles, le libre choix des familles, des élèves ou des étudiants. Comment vont s’en sortir ceux qui n’ont pas les clés ?

Par exemple, on peut voir qu’il y aura des différences considérables lorsque l’on observe des écarts aussi grand entre des élèves qui diront, en maths au collège : » X et Y, c’est galère, mais c’est important pour passer en 5ème » et ceux qui annonceront : « les inconnues, c’est comme un roman policier, faut savoir ce qui se cache derrière ».

Il ne faut pas que l’école s’attende à ce que les élèves arrivent spontanément armés pour donner aux activités scolaires le même sens que celui qui est attendu pour apprendre réellement et se passionner. Dans notre société actuelle, l’école doit travailler à partir de là.

Pour entrer dans le cadre de la commande de faire trois propositions passée à cette table ronde, la première question et proposition que je ferais revient à s’interroger sur le type d’élève que l’on prend en référence :

- Pour quel élève travaille t-on ? La vision qui nous est imposée est la suivante : il y aurait d’un côté les élèves « brillants », ce qui signifie que les raisons de leur succès, la lumière brille déjà en eux. L’école ne joue qu’un rôle d’abat jour. Ceux là seraient le modèle, et on fait ce que l’on peut pour les autres, c’est-à-dire la mise ne place de dispositifs d’aide. Au lieu de penser ou repenser ce que le système « normal » devrait faire : allumer la lumière scolaire partout. Or, d’après les statistiques de la Depp, au niveau collège, donc avant le tri social de la fin de scolarité obligatoire, le parent référent, en général le plus diplômé des deux, est dans 54% des cas ouvrier, employé ou sans activité. Ce parent, parce qu’il a été privé de faire des études longues, ne pourra pas expliquer en quoi c’est passionnant de s’intéresser à la gymnastique intellectuelle derrière les équations.

Est-ce que le modèle qui pilote les programmes s’adresse à ce modèle d’élève ? Pourtant il représente la majorité !

Est-ce que ce modèle d’élève pèse dans les dispositifs pédagogiques ? Les collègues le pressentent et se culpabilisent individuellement avec.

La réforme du lycée, comme toute réforme scolaire, doit se poser la question : pour qui on travaille ?

La deuxième problématique est celle, à mon sens, de l’articulation entre l’individuel et le collectif.

Que ce soit dans le choix des parcours ou la conception de l’élève, l’individualisation entraîne une division du corps social et une mise en compétition. Le compromis gaulliste de la fin des années 50 tournait autour d’un double jeu, d’un côté une démocratisation d’accès au secondaire, de l’autre beaucoup de sélection en même temps. Il s’agissait d’afficher Méritocratie et Égalité des chances en ouvrant un peu l’ascenseur social au nom du renouvellement des élites, pour éviter la remise en cause des classes sociales, de l’inégalité. Ce compromis est arrivé à son terme. Les forces de réaction veulent rediscuter la part de culture commune donnée à tous les élèves. Il faut se battre contre l’idée même d’aide, surtout individualisée, qui suppose que la difficulté vient de l’élève lui-même. On évite de se poser la question sociale qui est : comment éviter l’échec en amont ?

- Comment faire en sorte que tous les élèves s’approprient ces contenus de savoirs qui ne peuvent s’apprendre qu’à l’école l’élève trouve dans les contenus de savoir ce qui va lui permettre de se développer en tant qu’enfant ? « A chacun son école selon ses dispositions initiales », c’est enfermer les enfants et les jeunes dans leur identité d’origine, les priver de voir l’intérêt d’autres références culturelles dont les milieux populaires ont été privés pendant des siècles. C’est alimenter le grand danger qui guette notre société, quand les jeunes, par désillusion d’avoir raté les apprentissages, pensent que la philo, les maths, l’histoire, l’économie etc. sont « des savoirs pour les riches, pour les bouffons ou pour les blancs ». Cette politique éducative divise la société… pour mieux donner le pouvoir à court terme à l’exploitation et à la domination… mais c’est dangereux pour la survie la société.

- Comment enseigner des savoirs et des connaissances qui passionnent les élèves en ouvrant de portes pour comprendre le monde autrement ?

La dernière chose sur laquelle je propose de réfléchir c’est l’ampleur et la nature des réformes pour l’école. Les syndicats font de la résistance. C’est bien mais cela à des limites. Croire que ça pourrait changer sans que l’on propose une alternative, c’est une erreur. Il faut reprendre les grandes questions et apporter des réponses : comment veut-on former le futur homme, citoyen, travailleur, dans la société d’aujourd’hui ? Il me semble qu’il est nécessaire d’imaginer un nouveau plan Langevin Wallon. Il faut porter l’alternative sur quel homme ou quel travailleur on veut former, avec des connaissances qui dépassent les multiples tâches du poste de travail, qui évolueront au cours de la vie. Il faut une nouvelle ambition sociale.