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Quel enseignement du français au collège et au lycée (2) ?

lundi 27 février 2017, par Magali Espinasse

[Les questions posées par le GRDS en vue de la préparation du séminaire du 17 mars 2017 consacré à l’enseignement du français dans le secondaire ont reçu de premières réponses de Virginie Blanchet et Véronique Marchais (pour le collège) et de Thierry Cecille et Agnès Joste (pour le lycée). On lira ci-dessous la contribution (pour le collège, puis pour le lycée) de Magali Espinasse, elle aussi professeur de français]

Quel enseignement du français en collège ?

Petit préambule : les questions posées induisent un peu trop les réponses que l’on sent « attendues » et qui consistent quasi exclusivement en une critique sévère du nouveau programme de collège. Il est dommage que les questions ne soient pas plus ouvertes ni plus décontextualisées. Il est très difficile de savoir quel enseignement du français serait, à coup sûr, partout et pour tous efficace ! Ce qui est certain, c’est que le programme précédent (celui de 2008) n’était pas bon, notamment parce qu’il comportait des erreurs manifestes et qu’il était pensé comme l’exact contraire du précédent : cours de grammaire et cloisonnement contre séquences et décloisonnement, lecture exclusivement de textes du patrimoine français contre littérature jeunesse, etc. Il ne faudrait pas avoir la même attitude et rejeter à priori tout ce qui est dans le programme de 2016, par principe et de façon systématique. Tentons d’être critique ET constructif ! Même si ce n’est pas facile…

Q − L’enseignement de la grammaire doit-il faire l’objet de temps spécifiques d’apprentissages. Cet enseignement doit-il être progressif et systématique ?

Il est certain que l’enseignement de la grammaire dans tous ses aspects (syntaxe, conjugaison, orthographe, grammaire de texte…), tant en ce qui concerne la compréhension des principes de la langue que de leur maitrise dans les usages de l’écriture et de la lecture, est loin d’être terminé à l’issue du primaire. L’apprentissage doit donc être poursuivi pendant les quatre années du collège (et au-delà, en lycée). Il doit donner lieux à des temps spécifiques d’analyse, d’étude et d’entrainement mais sans être détaché des autres enseignements de la discipline : lecture et analyse des textes, travaux d’écriture, exercices de communication orale. La complexité de la grammaire française nécessite un enseignement systématique : « leçons » de grammaire pendant lesquelles les faits de langue sont analysés, étudiés, décortiqués et appris ; exercices de reconnaissance et d’application ; situations « réelles » d’usage de la langue dans lesquelles on apprend aux élèves à user de vigilance quant à la correction de la langue (syntaxe et orthographe). Il n’est pas souhaitable, cependant, de mettre en place un emploi du temps coercitif pour l’enseignant qui consisterait à imposer une heure ou deux de « cours de langue » par semaine. C’est au pédagogue à organiser sa progression, sa semaine et ses séances, en total respect de sa liberté pédagogique. Il faut, à ce titre, en finir avec les injonctions concernant les méthodes. L’enseignant doit savoir quels contenus il doit enseigner (fixés par le programme), à lui de faire le choix des méthodes en fonction de ses élèves, de la période de l’année, des textes et notions à étudier.

Le nouveau programme de collège préconise d’enseigner les rectifications orthographiques de 1990 : c’est une bonne chose et non une « facilité coupable » comme certains le dénoncent. Remettre un peu de logique dans l’orthographe lexicale n’est pas un luxe !

L’école est le lieu de l’apprentissage de la langue écrite, sous toutes ses formes mais la langue orale ne doit pas non plus être oubliée. Les inégalités culturelles affectent autant la maitrise de l’oral que de l’écrit. Nous sommes dans une société où l’usage de la conversation, du dialogue, de l’argumentation ou du récit oral sont en train de se perdre. Jouer en ligne, chatter, téléphoner ou envoyer des sms correspond à des « prises de parole » très brèves, décousues, souvent elliptiques. La production d’une parole construite n’est pas innée (et pas toujours acquise en famille). C’est à l’école de récréer une égalité dans le domaine. Il faut donc un apprentissage systématique, raisonné et progressif du français oral. L’exercice (exposés, récitations…) n’est rien sans l’apprentissage des codes de la langue orale (vocabulaire, syntaxe), qui varient en fonction des situations d’énonciation (monologue, dialogue, débat) et des objectifs visés (convaincre, raconter, répondre, questionner…). Comme pour la grammaire de l’écrit, il faut dans ce domaine des moments d’apprentissage spécifiques et des mises en situation contrôlées (par exemple pendant le cours dialogué, en situation d’exposé, etc.).

La progression de l’étude de la grammaire, de l’orthographe, de la langue orale doit être précisée par le programme, de façon à limiter le plus possible les inégalités d’apprentissage d’un collège à l’autre, d’une classe à l’autre. Il faut rompre avec le programme de cycle et revenir à un programme annuel pour chaque niveau du collège. Les grands principes de la phrase (système du nom/système du verbe ; groupe sujet/groupe verbal ; mots variables/mots invariables ; famille de mots et dérivation…) doivent être enseignés au primaire et acquis en fin de CM2. Au collège, on entrera petit à petit dans le fonctionnement plus précis de la phrase et des liens syntaxiques entre les mots (qualification, phrases complexes et propositions subordonnées, accords entre des termes éloignés les uns des autres, etc.). Il en est de même pour la grammaire de texte et les notions de narratologie.

Q − Le français au collège doit-il favoriser l’élaboration d’une culture commune humaniste, reposant sur l’approche de textes littéraires majeurs de notre patrimoine ?

Comment dire non ? Mais pourquoi en rester là seulement ? Evidemment, il faut permettre aux élèves qui entrent au collège et qui, pour la plupart, n’ont pas encore été mis au contact de ces œuvres, d’aborder la littérature qui fait référence commune. Dans un but de découverte culturelle et dans celui de l’intégration dans la société, il faut faire connaitre aux collégiens les livres, les auteurs auxquels les artistes contemporains, les médias, les expressions courantes font référence. Il faut leur faire lire les grands textes du patrimoine parce qu’ils posent et permettre de répondre à des questions fondamentales : l’argument est connu, je n’insiste pas.

Cependant, ce serait une erreur de se limiter aux textes du patrimoine, c’est-à-dire aux textes du passé. Le but de l’école est aussi d’apprendre à entrer dans le monde contemporain et à former les créateurs de demain. La littérature contemporaine, francophone comme étrangère, n’est pas d’un abord plus facile ni plus immédiat que les textes anciens. Les élèves ont besoin de leurs professeurs pour les lire et les apprécier. Donner le gout de la lecture, voir comment la littérature représente le monde, avoir envie de s’impliquer dans l’acte de lire, être capable de distinguer ce qui fait la richesse d’un livre… tout cela passe aussi par la fréquentation des auteurs contemporains. Enfin, la culture commune humaniste ne peut pas être constituée que des textes du passé, qui constituent notre patrimoine. En outre, une fois qu’on a dit « textes du patrimoine », on n’en sait pas tellement plus ! De quels textes s’agit-il ? Parmi tous ceux qui pourraient entrer dans cette catégorie, lesquels faut-il privilégier ? Faudrait-il une liste fermée de « textes à lire au collège », au risque de limiter le patrimoine à venir à cette petite liste et d’ôter aux enseignants toute marge de manœuvre ?

Le plus important est que le choix des livres à étudier soit le plus varié possible en terme de dates, d’auteurs, d’horizons culturels, de thématiques, de formes. Il doit s’agir de textes riches, stylistiquement travaillés, polysémiques et permettant un vrai travail d’interprétation. Le travail sur l’ancrage historique et culturel du texte, comme celui sur les jeux d’intertextualité peuvent permettre de confronter les élèves à un réseau de textes, propre à élargir le champ culturel auquel on les confronte.

Q − Le français au collège doit-il favoriser une lecture analytique des textes, une réflexion sur les processus d’écriture et leur sens, afin de développer des compétences d’analyse et d’interprétation des textes ou doit-il se centrer sur la compréhension littérale des textes, parce qu’elle est souvent problématique en elle-même pour un certain nombre d’élèves, au risque de réduire l’enseignement du français au collège à une fonction de communication ?

Est-il possible de faire un choix entre ces deux options ? Lire n’est-ce pas à la fois comprendre le sens littéral et aller au-delà de ce sens littéral pour percevoir des intentions, des sens autres, analyser ses réactions de lecteur ? Il ne parait pas très raisonnable de ne pas commencer à s’assurer de la compréhension du sens littéral ni de ne pas apprendre aux élèves à décrypter le sens littéral d’un texte. Mais évidemment, il serait totalement réducteur et inintéressant de s’arrêter à cet objectif.

Enfin maitriser la fonction de communication est absolument indispensable et l’école ne peut pas se dispenser de cet enseignement, au risque d’accroitre encore les inégalités en laissant dans l’ignorance ceux qui ne l’ont pas appris, à la maison. Mais, là aussi, l’objectif de l’école, et en particulier du collège, ne peut pas se limiter à cet apprentissage, qui est un moyen, et seulement un moyen, d’aller plus loin dans les capacités de lecture critique et interprétative. D’ailleurs les deux doivent être menés de front : tous les élèves ont la capacité à interpréter, à débattre sur les sens possibles d’un discours, à analyser les procédés d’écriture, pour peu qu’on leur en donne les outils. Ce travail doit donc commencer dès la 6ème, en même temps que se fait le travail sur le décryptage du sens littéral. La progressivité de l’apprentissage doit consister à amener les élèves à une autonomie de lecture analytique de plus en plus grande, au fur et à mesure de la scolarité.

Q − Dans quelles conditions l’enseignement du français peut-il s’inscrire dans des démarches pluridisciplinaires sans renoncer à ses spécificités, sans être instrumentalisé et réduit à un pur outil de communication ?

La pluridisciplinarité n’a de sens que si les élèves ont déjà acquis des savoirs disciplinaires des différentes disciplines en jeu. L’intérêt de l’activité pluridisciplinaire peut être, si elle est bien menée (ce qui est très difficile), de faire mieux comprendre les spécificités de chaque discipline. Il ne peut pas s’agir de mélanger des savoirs mais de les confronter. Les expériences menées jusque là n’ont pas été très concluantes, il faut l’avouer ! Le français est souvent réduit au rôle de « correcteur d’orthographe » ou de « contrôleur de maitrise de la langue ». Il est rarement question de littérature ou même de lecture. Il pourrait être cependant intéressant, de façons ponctuelles, de mettre en place des activités permettant aux élèves de comprendre, par exemple, qu’analyser un texte dans un objectif littéraire n’est pas la même chose que l’analyser d’un point de vue historique ou que le regard d’un littéraire sur un film n’est pas le même que le regard d’un spécialiste de l’image comme le professeur d’arts plastiques. Evidemment cela demanderait une autre formation des enseignants…

Q − Est-il pertinent de construire l’enseignement du français autour de questionnements à partir d’entrées telles que celles que proposent les nouveaux programmes : “se chercher, se construire”, “vivre en société, participer à la société”, “regarder le monde, inventer des mondes” et “ agir sur le monde”, au lieu de centrer l’étude sur la valeur et les spécificités intrinsèques aux oeuvres et de favoriser les repères culturels et historiques ?

Je scinderais cette question en deux :

1. Est-il pertinent de construire l’enseignement du français autour de questionnements ou plus exactement de problématiques, plutôt qu’autour d’un classement des textes en fonction du genre ou des mouvements littéraires ?

Il n’y a certainement aucune formule magique pour permettre aux élèves d’accéder à une lecture analytique, interprétative autonome des textes littéraires ! L’entrée par genres, qui est la règle dans les programmes de collège depuis fort longtemps, comme l’entrée par périodes n’ont pas permis de faire acquérir aux élèves une réelle culture littéraire. Chacun le constate en faisant passer l’épreuve orale du bac ! L’entrée par problématiques, qui est le principe retenu dans le programme des séries professionnelles, a l’avantage de mettre en avant le fait qu’un texte littéraire « parle » au lecteur de sujets qui le concernent. Cela suffit-il toutefois à assurer la maitrise de l’interprétation ? Certainement pas.

Renouveler la structure du programme peut avoir un intérêt, celui de redonner un élan à une discipline qui en manque singulièrement. Mais cette entrée par problématiques doit permettre d’étudier les textes pour ce qu’ils disent et comment ils le disent. Cela passe évidemment par l’étude des genres, des registres, du contexte littéraire, historique et culturel.

2. Les entrées proposées par le nouveau programme de collège sont-elles pertinentes ?

Ces entrées du programme ont un défaut majeur, celui de n’être absolument pas littéraires. Elles risquent donc d’avoir pour conséquence de faire passer au second plan (au mieux !) les caractéristiques littéraires du texte étudié et de ne le réduire à son aspect « sociétal » ou « citoyen »… D’autres questionnements auraient pu être beaucoup plus pertinents, à condition qu’ils permettent de poser des problématiques littéraires, comme celles que le SNES avait proposé au moment de l’élaboration du programme : « A quoi sert la peur en littérature ? » (à la place « des monstres aux limites de l’humain »), « Comment le théâtre met-il en évidence les difficultés et la richesse de la vie en société ? » (à la place de « avec autrui : familles, amis, réseaux »).

Cette entrée par problématiques pourrait permettre de sortir d’un trop grand « technicisme » souvent reproché à la lecture analytique et, en même temps, de ne pas en rester au fameux « ressenti » sur le texte ( très à la mode en ce moment ! ). L’objectif reste l’interprétation du texte à l’aide de l’analyse des procédés d’écriture notamment. Le choix d’une problématique permet de confronter plusieurs textes pour en percevoir les regards différents sur le monde.

Conclusion  : Tout cela n’est possible que si le temps d’apprentissage et les conditions sont favorables. Ainsi, 6h de français sont nécessaires en 6ème et 5h dans les trois niveaux suivants. Cet horaire doit comporter un volume suffisant en demi classe : au moins 2h en 6ème et 1 à 2h pour les niveaux suivants.

Quel enseignement du français et de la littérature au lycée ?

1. La question de la langue

Le défaut de maitrise de la langue écrite est la principale difficulté des élèves en début de lycée. Confrontés à des exercices nouveaux d’argumentation et de réflexion, ils sont démunis. De même, la compréhension de textes de réflexion contemporains (articles de fond de la presse quotidienne) leur est souvent inaccessible.

Q − Faut-il faire en second cycle des exercices de grammaire et d’orthographe ?

Il est manifeste que le besoin existe mais les moyens n’y sont pas ! En particulier pour les élèves des séries technologiques, comme pour les étudiants de BTS issus de bac professionnel. L’enseignement de la langue doit se poursuivre en lycée, y compris avec un apprentissage explicite des faits de langue, nécessaire pour analyser les procédés d’écriture des textes étudiés. En revanche, les « exercices » systématiques, de type « Bled », ne sont pas d’une grande utilité. Dans l’optique d’un apprentissage progressif de la grammaire, il parait raisonnable de penser qu’en lycée, la grammaire s’étudie en lien avec la stylistique, ce qui n’est pas forcément le cas en collège.

Pour ce faire, il faut augmenter le temps dévolu au français et améliorer les conditions d’enseignement : 5h en 2de dont au moins 1h en demi classe, 4h en 1ères générales dont 1h dédoublée et 5h dont 1h dédoublée en séries technologiques. Sans ces moyens, il est illusoire de penser que le cours de français pourra à la fois permettre d’assurer l’apprentissage de la langue, faire acquérir un niveau correct en argumentation écrite et orale, initier à la lecture littéraire autonome.

Q − Quelles autres pratiques écrites, quels autres exercices sur la langue que les exercices de baccalauréat, peut-on proposer aux élèves ?

Les exercices actuels du baccalauréat ne sont plus adaptés à ce que les élèves moyens peuvent faire, au vu du nombre d’heures de français qu’ils ont dans leur scolarité. L’exercice du commentaire demande non seulement une technique mais une culture littéraire que les élèves ne peuvent pas acquérir à l’école dans le temps imparti. Il en est de même pour l’écriture d’invention, qui demande d’avoir beaucoup lu pour avoir des « modèles » à « imiter ». Cet exercice est très discriminant socialement et culturellement, force est de le constater.

C’est en fait la dissertation qui est, paradoxalement, l’exercice le plus accessible, y compris pour les élèves de séries technologiques, parce qu’il prend appui sur les objets d’étude au programme et que le sujet s’accompagne d’un corpus d’appui. La « technique » n’en est pas très difficile et on pourrait alléger son « formalisme ». La plus grande difficulté est d’apprendre à problématiser et argumenter, et c’est justement ce que le lycéen a à apprendre dans plusiuers disciplines (histoire, SES, philosophie et même SVT).

En outre, actuellement, le commentaire fait doublon avec l’épreuve orale qui est aussi un exercice de lecture littéraire. Une suggestion pourrait être de transformer l’épreuve orale en lecture sur un passage non vu en classe d’une des œuvres complètes étudiées et de supprimer ou transformer le commentaire. Pourquoi ne pas le remplacer par un exercice de lecture analytique, plus guidé par des questions préalables, s’appuyant sur une analyse des faits de langue, sur la stylistique, pour mener à une interprétation personnelle ? On pourrait aussi penser à un exercice d’écriture argumentative, ce que l’écriture d’invention n’est plus (voir question suivante).

Q − Peut-on penser à des exercices sur la langue de la réflexion, l’apprentissage de la pensée claire, en propédeutique à la philosophie ? Du type plan et résumé d’un texte d’idées ?
Q − Ne faut-il pas préparer les élèves à de l’écriture fonctionnelle, à de l’écriture synthétique, comme en demandent nombre de filières de grandes écoles ou de mastères ?

Il est possible de répondre à ces deux questions en même temps.

L’exercice du résumé, qui existait il y a déjà longtemps, avait aussi ses défauts, notamment un trop grand formalisme qui aboutissait souvent à des résultats très décevants. L’exercice de la note de synthèse serait peut-être plus pertinent. On pourrait aussi faire travailler les élèves à partir d’articles de presse spécialisée en sciences humaines. Il ne s’agit pas d’une propédeutique à la philosophie, mais d’un travail de réflexion et d’expression qui ouvre sur le monde contemporain. Un travail spécifique est aussi à faire en matière de vocabulaire pour pouvoir aborder ces textes argumentatifs.

2. La question des connaissances

Les exercices de l’examen de français (lecture analytique, commentaire composé et dissertation) combinent comme en philosophie deux niveaux d’apprentissage : un premier niveau cognitif, de connaissances littéraires, rhétoriques, historiques et méthodologiques indispensables aux exercices, un second niveau créatif, de conception d’une pensée personnelle (contrairement aux autres matières, qui demandent seulement, de façon explicite, le premier niveau : la manipulation et la mise en œuvre de connaissances).

Q − Ne faudrait-il pas élaborer un exercice qui ne soit pas de second degré ?
Q − Comment évaluer les connaissances de premier degré, indépendamment de ces exercices de pensée élaborée ?

Réponse à ces deux questions :

Il est effectivement étrange que le français soit la seule discipline dans laquelle « apprendre ses leçons » soit jugé inutile ou médiocre ou même méprisable ! Cette vérification explicite des contenus appris pourrait faire l’objet d’une partie de l’épreuve orale, à partir du texte proposé à l’étude. On pourrait imposer 3 questions obligatoires à l’entretien, par exemple, sur les domaines suivants : orthographe ou syntaxe, procédés de style, connaissances sur la littérature.

3. La question de la culture littéraire

Q − Les programmes actuels ont-ils réglé la question de la culture des « héritiers » ? Ce débat n’est-il pas dépassé ?

Non seulement ils ne l’ont pas réglé mais il est loin d’être dépassé ! Cette question ne pourra pas être réglée par le seul changement des programmes de 2de et 1ère. Les pré-requis, surtout en matière de contenu culturel, ne se construisent pas en une ou deux années. Ce qui n’est plus enseigné en primaire et en collège, faute de temps notamment, pèse considérablement sur les capacités et connaissances des élèves en fin de 1ère.

Pour apporter à tous les élèves la même culture (en qualité), il faut y consacrer le temps nécessaire tout au long de la scolarité et avoir les mêmes ambitions pour tous. Il faut donc d’abord changer les programmes du collège, revenir à des programmes annuels, leur donner l’ambition nécessaire pour tous les élèves, sans distinction. Il est aussi indispensable de mieux former les enseignants du premier comme du second degrés pour pratiquer cette pédagogie démocratisante. On en est très loin actuellement.

Q − Les programmes actuels réalisent-ils un équilibre entre le volet patrimonial et le volet contemporain ? Le lien entre le volet patrimonial et les élèves est-il assuré ?

Cet équilibre n’est pas assuré par le programme qui laisse une part très faible, voire inexistante, à la littérature contemporaine. Le choix d’axer le programme sur l’histoire littéraire non seulement n’a rien réglé pour ce « volet patrimonial » mais a conduit à une vision schématique, caricaturale des mouvements littéraires. Les élèves tentent, à toute force, de faire entrer le texte à étudier dans un schéma appris, quitte à le tordre. Un texte littéraire riche, intéressant à interpréter, est justement celui, le plus souvent, qui se dégage des codes, des lignes imposées, des « écoles ». Faire croire aux élèves que tout texte peut être rangé dans une case n’est pas très ambitieux !

Q − Comment faciliter l’accès des élèves à une culture littéraire à laquelle tiennent les professeurs, culture qui leur apporte du sens et dont ils comprennent les enjeux ?

Comme au collège, la lecture des textes littéraires, anciens comme contemporains, doit être le cœur de l’enseignement. L’étude de la langue, les exercices d’écriture, la lecture de textes non littéraires viennent en appui de cette entrée dans la culture littéraire, un appui indispensable. Le programme de lecture du lycée doit être en lien, en prolongement, de celui du collège, puisque nous considérons que tous les élèves de collège doivent poursuivre leur scolarité en lycée.

Pour que l’analyse littéraire permette aux élèves de donner du sens à leur apprentissage, il faudrait orienter l’étude non sur un contenu formel, purement scolaire (au mauvais sens du terme), en lien seulement avec un classement des œuvres (que ce soit par genres ou mouvements littéraires), mais sur l’apport de la littérature pour voir, comprendre, lire le monde. Cependant pour accéder aux sens possibles de chaque texte, pour en analyser les « secrets d’écriture », il est nécessaire de donner les ressources aux élèves : procédés d’écriture, contexte historique et culturel, références intertextuelles, etc. L’objectif qui doit guider les élèves dans leur étude ne doit pas être d’établir une classification des œuvres et des textes, comme c’est souvent le cas actuellement. La littérature dit le monde tel qu’il est, tel qu’il a été, tel que les artistes rêvent qu’il sera ou devrait être. C’est à cette « alchimie » que nous devons initier les élèves si l’on souhaite leur permettre d’accéder à une culture littéraire riche et signifiante.

Il faut laisser le temps aux élèves de découvrir la polysémie des textes littéraires, d’où la nécessité d’augmenter l’horaire de la discipline (voir plus haut) mais aussi de réduire le nombre d’objets d’étude. Penser pourvoir étudier un texte en 1h, comme cela est la consigne donnée depuis longtemps aux enseignants, est illusoire, ridicule et inefficace ! Apprendre aux élèves à prendre le temps, à faire des hypothèses, les étudier, les valider ou les invalider est plus que jamais indispensable, dans notre société du toujours plus vite, qui privilégie le « faire » au « bien faire ».

4. La question de l’examen

Les professeurs de français n’ont que deux années scolaires pour former les lycéens, contrairement aux autres matières (sauf la philosophie) qui en ont trois.

Q − Faut-il renoncer aux épreuves anticipées de fin de Première, pour étaler sur trois ans l’enseignement de lycée ?

Ce serait le rêve ! Mais cela signifierait une augmentation du nombre d’épreuves en fin de terminale, à moins de scinder oral et écrit entre les deux années. Est-ce souhaitable ? Pas sûr ! Plutôt que de répartir l’enseignement du français sur 3 ans, il serait préférable d’augmenter l’horaire en 2de et 1ère (voir plus haut). C’est certainement aussi le plus faisable.

Q − Le baccalauréat pèse-t-il trop sur l’enseignement du français au lycée ? Accorde-t-on trop de temps à la lecture littéraire fine que réclame l’examen ?

Il est inenvisageable de ne pas avoir une épreuve au bac et à partir du moment où elle existe, elle pilote l’apprentissage. C’est inévitable. En outre, l’apprentissage de la « lecture littéraire fine » est une nécessité si on veut donner du sens à la discipline (voir plus haut). Pour que tout le temps ne soit pas exclusivement occupé par cette activité, il faut augmenter l’horaire. On en revient toujours à la même nécessité.

Q − Les exercices du baccalauréat sont-ils pertinents ? Correspondent-ils à une bonne formation des élèves ?

Ils ne sont plus pertinents au regard de ce que les élèves sont capables de faire, en fonction du temps imparti tout au long de leur scolarité.

L’autre problème est que l’épreuve orale fait doublon avec l’épreuve écrite, dans la mesure où plus de 70% des candidats choisissent le commentaire. Il faut donc, si l’on veut maintenir oral ET écrit, modifier ces épreuves (voir suggestions plus haut). L’oral pourrait ne porter que sur des extraits des œuvres complètes, ce qui permettrait d’étudier d’une manière moins formelle les autres textes, servant notamment de support à l’apprentissage de l’épreuve écrite. Lors de l’entretien, 3 questions de « cours » pourraient permettre dévaluer la maitrise de la langue et des notions littéraires au programme (voir plus haut). L’épreuve écrite devrait comporter moins d’exercices car l’apprentissage de toutes ces méthodes encombre aussi l’horaire de français de techniques rarement acquises en fin de 1ère. L’exercice de la dissertation, avec l’appui d’un corpus, est à garder parce qu’il est le plus pertinent et le plus accessible (voir plus haut). Le choix pourrait être donné avec un exercice d’écriture argumentative, à la suite de questions d’interprétation sur un texte littéraire ou non. Le texte non littéraire pourrait être privilégié pour les séries technologiques, dans la mesure où l’oral porterait forcément sur des œuvres complètes littéraires, le texte littéraire pour les séries générales, le sujet prenant alors la forme d’un « commentaire guidé » (voir plus haut).

Q − La pratique de l’oral, en vue de l’épreuve de baccalauréat, nécessite-t-elle un entraînement spécifique ?

Évidemment, l’entrainement mais aussi l’apprentissage de la méthode, de la langue à utiliser, de la posture sont indispensables. C’est une des raisons pour lesquelles il est indispensable d’avoir, dans l’horaire de français, des temps en demi classe, voire en plus petit groupe.

Q − Les élèves des séries technologiques doivent-ils recevoir un enseignement spécifique, différent de celui des élèves de séries générales ? Doivent-ils, comme actuellement, avoir un horaire de français moindre ? Les épreuves de l’examen leur correspondent-elles ?

Des réponses à cette question ont déjà été données précédemment. Pour préciser, je dirais qu’il faut certainement des pratiques et une progression différentes mais une visée identique. Dans l’optique d’un enseignement démocratisant, il ne serait pas acceptable d’avoir moins d’ambition pour ces élèves, notamment ne ce qui concerne la culture littéraire. Mais ils ont aussi, souvent, plus de besoins, en matière de maitrise de la langue, d’apprentissage de l’argumentation, de lecture des textes non littéraires. Il faut donc des pratiques plus progressives et une durée augmentée. C’est pour cela que je préconisais un horaire de 5h en 1ère (contre 4h en séries générales).

Pour les épreuves d’examen, la différenciation pourrait porter sur le type de textes proposés pour l’épreuve écrite d’argumentation : textes de sciences humaines plutôt que textes littéraires, de manière à initier à l’analyse de ces textes, en prévision du cours de philosophie de l’année suivante.