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Éducation : Pourquoi changer un système qui perd ?

jeudi 30 mars 2017, par José Tovar

Devant les résultats alarmants des enquêtes récentes sur l’état de notre système éducatif, on aurait pu s’attendre à ce que la campagne des élections présidentielles soit l’occasion pour les différents candidats de poser la question de la pertinence de ce diagnostic, de ses transformations nécessaires pour engager un réel processus de démocratisation, et des mesures concrètes permettant d’aller en ce sens. Mais à bien y regarder, les programmes des candidats [1] souffrent d’une inflation de propos généraux et creux qui n’engagent à rien, assortis de l’annonce de réformes ponctuelles qui sont comme autant de réponses techniques et circonscrites – pour l’essentiel en termes de créations de quelques milliers de création de postes d’enseignants supplémentaires [2] - permettant de ne pas répondre à la seule grande question qui vaille : qu’est ce qui explique la situation actuelle - et que proposer pour que ça change dans le sens d’une réelle démocratisation permettant la réussite de tous ? Ce qui explique par exemple que, à l’exception notable de celui de Mélenchon, aucun des programmes ne propose l’allongement de la scolarité obligatoire à 18 ans pourtant revendiquée par la FSU et la CGT…

Comme le montrent toutes les enquêtes internationales (PISA ; TIEM…) et les évaluations faites par le ministère de l’éducation lui-même, le système éducatif français est l’un des plus inégalitaires qui soit des pays développés. Il est l’un de ceux dans lesquels l’origine sociale influence le plus les parcours scolaires des élèves, au point d’aggraver les inégalités constatées entre l’école maternelle et élémentaire et la fin du collège, terme officiel de l’école obligatoire. À l’issue du collège, le processus d’ « orientation » distribue les élève entre trois filières de formation que personne n’osera qualifier d’égalitaires. Pour aller vite, les « meilleurs » accèdent aux bacs généraux, les « moins bons » aux bacs pros, les « très moyens » aux bacs technos. Et comme par hasard, l’origine sociale des élèves est en corrélation étroite avec leur orientation. Au passage, environ 150 000 jeunes sortent chaque année du système sans aucune qualification certifiée. De fait, si l’on se place du point de vue des couches sociales dominantes, ce système fonctionne plutôt bien : le niveau de formation atteint par les jeunes issus de ces couches favorisées est, selon les mêmes enquêtes, l’un des meilleurs du monde capitaliste. En réalité, il est conçu pour s’adapter en permanence aux exigences de compétitivité de l’économie capitaliste mondialisée : élever le niveau de formation globale de la population arrivant sur le marché du travail en faisant le tri entre les jeunes en fonction des niveaux de qualification nécessaires afin de préserver l’essentiel : la rentabilité du capital, la ségrégation sociale et, sur un plan idéologique, l’acceptation de ces inégalités comme étant indépassables. D’où le fait qu’aucun des candidats ne propose la suppression des filières ségrégatives au lycée [3].

De ce point de vue, donc, puisque tout va bien, pourquoi changer ? Macron propose de développer l’alternance et l’apprentissage par la création de filières en alternance dans tous les lycées professionnels (filière que JLM entend « revaloriser » en rétablissant le bac pro en 4 ans), tandis que F. Fillon veut rétablir l’apprentissage en alternance dès le collège à 15 ans. En matière d’enseignement professionnel, Macron et Fillon veulent tous deux un renforcement de l’apprentissage, tandis que Mélenchon souhaite favoriser l’enseignement professionnel public en versant une allocation d’études aux jeunes choisissant cette voie « dès l’âge de 16 ans ».

En un combat douteux

Plutôt que d’entreprendre un réexamen en profondeur des politiques ayant provoqué le désastre actuel dont souffrent les élèves issus des couches populaires, les responsables politiques des gouvernements de ces dernières décennies (de droite comme de « gauche ») ont jugé préférable de prendre acte d’une limite supposée indépassable dans l’essor de l’accès des jeunes aux études longues. Ce sont, dans la période récente, les politiques de socle commun qui substituent, à la question du « Que faire pour que tous réussissent ? », celle du « Que faire avec les élèves en échec ? ». Le socle Peillon (2014) a succédé au socle Fillon (2005) sans plus de succès : les performances de notre système éducatif n’ont cessé de se dégrader depuis vingt ans, quoi qu’en dise le rideau de fumée démagogique des résultats au bac proclamés chaque année. Nouvel avatar de cette impasse stratégique, la dernière réforme des programmes du collège ne cache même pas sa finalité essentielle : former selon les critères d’efficacité définis au niveau de l’OCDE (notamment en termes de programmes d’enseignement) une part importante (autour de 50%) des jeunes arrivant sur le marché du travail. A l’exception notable de Mélenchon, aucun des principaux candidats ne remet en cause cette réforme. Par contre, tous proclament à l’unisson leur volonté de rétablir une réelle mixité sociale à l’école et au collège, B. Hamon allant jusqu’à souhaiter pour ce faire « un dialogue avec le public et le privé ». On notera que seuls Macron et Mélenchon affirment leur intention de revenir sur la réforme des rythmes scolaires, tant décriés par les enseignants, les parents et la plupart des élus…

En gros (pour aller à l’essentiel sans trop caricaturer), on tente de réparer ce qui ne fonctionne pas bien dans le système mais on ne change pas les fondamentaux du système. Pire : on poursuit dans la voie de sa libéralisation/privatisation, comme le suggère le récent rapport de France Stratégie « Quelle finalité pour l’école ? » [4], qui prône l’élargissement de la concurrence entre les établissements dans le cadre d’une autonomie de gestion élargie et un renforcement de l’individualisation des parcours scolaires des élèves, proposition reprise par Fillon et Macron notamment). Il est vrai que tous les candidats se préoccupent des insuffisances de l’école maternelle et élémentaire en terme d’acquisition des fondamentaux, et en particulier de l’échec dès les premières années de scolarisation. Mais les seules solutions envisagées sont celles de la diminution des effectifs par classe et une « individualisation des apprentissages dès la maternelle »(Macron), alors qu’à aucun moment n’est posée la question des méthodes pédagogiques, ni celle de la formation (particulièrement indigente) des enseignants ! La raison principale de cette situation de relatif consensus pour, selon la formule célèbre « tout changer sans que rien ne change », relève de l’hégémonie culturelle ( la doxa éducative) installée depuis plusieurs décennies dans l’’espace public, intellectuel et médiatique de « gauche », comme de droite, qu’il soit associatif, syndical ou politique. Acceptant comme une évidence les « inégalités naturelles » liées au « handicap socio-culturel », la pensée scolaire de la Doxa se fonde sur la conviction que les publics scolaires issus des milieux populaires se caractérisent d’un côté par une grande réticence devant les savoirs théoriques, abstraits et conceptuels, et de l’autre par l’ambition humaniste de « l’égalité des chances », débouchant inéluctablement sur la préoccupation d’assurer en tout état de cause le minimum vital aux plus défavorisés. D’où la valorisation unanime des compétences au détriment des savoirs disciplinaires d’un côté, et le discours de restauration d’un enseignement secondaire élitiste réservé à une minorité d’héritiers familiers de la culture légitime de l’autre.

De tous les candidats, les propositions de « L’avenir en commun » de JL Mélenchon sont sans aucun doute les plus nombreuses, progressistes et cohérentes, touchant à tous les niveaux du système éducatif. Reprenant l’essentiel des revendications portées par les syndicats les plus progressistes, elles apporteraient incontestablement, si elles étaient appliquées, une amélioration notable dans le fonctionnement du système éducatif dont profiteraient largement élèves et enseignants. Mais cela ne suffit pas pour tracer une perspective véritablement novatrice, un projet politique de transformation sociale sur le terrain éducatif pour aujourd’hui et pour demain. Face à un discours réactionnaire porté par les droites (Fillon, FN et Macron) centré sur l’abandon de toute ambition en termes d’acquisition de savoirs émancipateurs, la restauration de l’autorité et de la morale, et le renforcement de la sélection méritocratique, la perspective d’une école plus progressiste a bien du mal à émerger.

Politiser la question éducative

Il n’y a plus d’avenir aujourd’hui pour les sociétés humaines sans changements profonds dans les façons de produire, de créer, de consommer, de vivre et de décider ensemble. Or ces changements appellent une élévation massive et générale des ressources intellectuelles de tous. Et cet impératif concerne toutes les activités tant professionnelles que citoyennes, de celles qui continueront à exiger un engagement fort du corps et de la main à celles qui reposeront le plus exclusivement sur l’activité de l’esprit. L’intelligence de la main pourra de moins en moins se passer d’un fort bagage de culture générale, scientifique et technologique. Même les activités de loisir nécessitent un bagage culturel élevé pour ne pas sombrer dans l’aliénation et l’obscurantisme dont se prévalent les médias de masse et « l’entertainment » hollywoodien. Notre système d’enseignement, qui a dangereusement basculé dans la seule formation d’individus adaptés à la production et au marché, doit se donner une mission délibérément « politique » de compréhension de la marche du monde, d’identification des enjeux de société et de construction et de partage des modes d’action permettant aux individus de construire leur devenir.

S’il est nécessaire de donner plus de moyens pour améliorer le fonctionnement de secteurs entiers de l’école aujourd’hui en déshérence, la réponse éducative ne saurait se limiter à cela, tant il est vrai qu’il ne suffit pas de faire autrement la même chose avec plus de moyens pour que la situation change vraiment. Un projet démocratique pour l’école répondant à des exigences réellement démocratisantes se joue sur trois registres étroitement conjoints : celui de l’efficacité dans la conduite des apprentissages de la culture écrite – d’où l’importance accordée, à juste titre, à l’école élémentaire - ; celui de l’organisation et des structures du système éducatif, du ou des parcours qu’on y accomplit , du vivre-ensemble dans le groupe-classe (registre de « l’école commune ») et des formes d’évaluation qu’on y pratique (notes ou pas notes ?) ; et enfin celui de la culture commune que l’on est convié à s’approprier et de son potentiel émancipatoire (la question des programmes). Force est de constater que, une fois de plus, cette cohérence est absente de la campagne électorale.


[1On fera référence ici aux quatre principaux candidats crédibles (Macron ; Fillon ; Hamon et Mélenchon), c’est-à-dire susceptibles de dépasser le score de 5% des votes, à l’exception de la candidate du Front National dont l’essentiel de l’argumentaire consiste à refuser l’inscription à l’école des enfants d’immigrés et à supprimer le collège unique. Ce choix conjoncturel, lié au contexte électoral, présente l’inconvénient de passer sous silence l’essentiel des propositions de rénovation réelle du système énoncées par des organisations progressistes qui ne présentent pas de candidat (le PCF ; Ensemble ! ou des syndicats comme la FSU ou la CGT, très actifs sur le terrain des luttes revendicatives), mais aussi d’autres quasiment inaudibles comme le NPA. Ce sera l’objet d’un autre article.

[2De ce point de vue, la palme de la démagogie électoraliste revient sans conteste à E. Macron qui annonce l’objectif de 12 élèves maxi par classe de CP et CE1 en zone prioritaire, tout en annonçant la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. B. Hamon est plus modeste, puisqu’il ne fixe la barre qu’à 20 élèves maxi par classe de ZEP et DROM (Départements d’Outre Mer) et ZRD (Zones Rurales défavorisées), prévoyant à cet effet la nécessité d’y affecter + 20 000 enseignants supplémentaires dans le cadre des + 40 000 globalement envisagés pour l’ensemble du système éducatif. Mélenchon, lui, prévoit le recrutement de +60 000 enseignants supplémentaires, sans préciser d’affectation prioritaire pour ces postes.

[3Du lycée, il n’est pratiquement jamais question, sauf pour E. Macron et qui propose le passage du baccalauréat en contrôle continu et pour F. Fillon qui propose de réduire à 4 le nombre d’épreuves (Français en première et trois épreuves portant sur les matières dominantes de la série en terminale, le reste en contrôle continu).

[4Voir la discussion de ce rapport in Jean-Pierre Terrail, Quelle finalité pour l’école ?