Accueil > Débats > Réforme de la voie professionnelle : examen critique
Réforme de la voie professionnelle : examen critique
lundi 6 septembre 2021, par
Au nouveau bac pro 2009 succède le nouveau bac pro 2019.
La réforme précédente [1] réduisait le cursus de la voie professionnelle de quatre à trois ans pour l’aligner sur le cursus de la voie classique (seconde, première, terminale), et ce dans un louable souci de normalisation-légitimation d’une filière dominée du système scolaire français [2]. Mais, tout en maintenant l’examen de BEP en fin de première, elle annonçait sa suppression probable à plus ou moins brève échéance. C’est chose faite dix ans plus tard [3] : les élèves n’ont maintenant d’autre alternative que le CAP ou le Bac – de préférence – (la plupart refusent l’humiliation d’une affection en CAP). Si nombre d’entre eux n’ont pas le niveau 4 [4], l’institution les accepte en son sein par "bienveillance" et sous couvert d’humanisme ; pour elle, le risque s’accroît de rabaisser ses exigences vis-à-vis d’un public rendu plus hétérogène, et de contribuer toujours davantage à la dévaluation des diplômes qu’elle décerne. Le mécanisme de sous-sélection des élèves s’observe à tous les niveaux de la hiérarchie académique (à l’exception des "bons" établissements) : il s’amorce en 1985 avec le mot d’ordre politique de Jean-Pierre Chevènement des "80 % au bac", lancé à l’occasion de l’instauration du baccalauréat professionnel [5] et se concrétise par la loi d’orientation du 10 juillet 1989 ; il se poursuit dans les sections de technicien supérieur (STS) [6] pour se répercuter jusque dans les universités à partir des années 1990 [7]. Naturellement, il ne faudrait pas tirer de la massification scolaire l’argument d’une démocratisation [8] de l’enseignement ou d’un niveau fatalement en baisse [9].
D’une réforme à l’autre
La réforme 2019 comporte d’autres "innovations" [10] : la "co-intervention" et le "chef-d’œuvre".
I. La "co-intervention" suppose l’association (harmonieuse) d’un professeur de l’enseignement professionnel et d’un professeur de l’enseignement général à des fins d’enseignement transdisciplinaire. Un tel attelage ne va pourtant pas de soi et participe d’une redéfinition du travail enseignant risquant d’aboutir à une perte d’autonomie des uns et des autres.
1° La co-intervention se solde d’abord par une diminution du volume horaire dévolu au professeur d’enseignement général quant à l’enseignement de ses disciplines (le français, l’histoire-géographie et l’’éducation morale et civique perdent 113 heures sur trois ans) [11] ; alors que le professeur de lettres- histoire – plurivalent – doit enseigner la littérature, l’histoire, la géographie, ainsi que l’enseignement moral et civique, il doit de surcroît consacrer une heure de "français" à la co-intervention alors que son nombre d’heures reste inchangé ;
2° La co-intervention se traduit par un surcroît de travail [12] : chaque enseignant se présente souvent à son collègue avec un projet en tête (ou même bien avancé) sans savoir si sa proposition sera retenue. Prenons l’exemple d’un enseignant de lettres-histoire confronté à trois enseignants de vente (ou inversement d’un enseignant de vente confronté à trois enseignants de lettres-histoire), chacun étant porteur d’un projet différent. L’enseignant de lettres-histoire que je suis devra donc produire autant de cours pour chacun de ses collègues ; alors que je propose de remettre en question le poncif du "client-roi", l’un des enseignants de vente accepte cette problématique, un autre préfère s’en tenir au développement durable (qu’il travaille par ailleurs dans le cadre du "chef-d’œuvre"). Au risque de multiplication des problématiques peut correspondre une tendance inverse de "mise en commun" des thèmes et séquences "qui ont bien marché", par économie de moyens. En cas d’absence de projet commun (faute de temps pour le mettre en place), la co-intervention peut être détournée, voire abolie, d’un commun accord entre les enseignants, chacun se chargeant d’une moitié de classe pour poursuivre ses objectifs propres, dans une salle en propre, avec la complicité plus ou moins compréhensive du chef d’établissement (quand il est au courant de ce type d’arrangement) ;
3° La co-intervention pose de façon accrue la question du travail partagé : or, "Il faut surtout éviter de prendre pour argent comptant les discours réformistes, éducatifs et pédagogiques (et parfois le discours de certains chercheurs prônant la collaboration entre enseignants) qui véhiculent toujours une vision largement normative et positive du partage du travail enseignant. (...) Partager du travail, c’est certes ’mettre en commun’, ’faire ensemble’, voire se solidariser, mais c’est aussi et tout autant diviser, séparer, se distinguer, se démarquer, se différencier, voire s’opposer [13] :
a) Des enseignants peuvent être réunis contre leur gré alors que leurs relations ne sont pas bonnes ; à cette mésentente initiale peut s’ajouter le risque grandissant de la prise d’ascendant d’un enseignant sur un autre dans un contexte de rivalité interpersonnelle et disciplinaire ; l’enseignant de lettres-histoire peut craindre de voir sa discipline subordonnée à des impératifs utilitaires pour devenir l’auxiliaire des disciplines, devenues reines, de la voie professionnelle. Cette subordination de l’enseignant de littérature à l’enseignant de la discipline professionnelle me semble aussi perceptible dans l’introduction d’un nouveau thème, reconduit d’une année sur l’autre, et intitulé "Dire, lire, écrire le métier".
b) Les enseignants appartiennent à des traditions disciplinaires différentes, voire antagonistes dans leurs principes, leurs objectifs, leurs méthodes, etc. "Les enseignants des matières générales se recrutent plutôt parmi les étudiants et souvent ils optent pour le corps de Prof de LP après un échec au CAPES ou à l’agrégation. Leur arrivée en LP ressemble à celle des élèves qui sont là sans l’avoir vraiment demandé" [14] ; dans l’idéal, le professeur de lettres-histoire enseigne ses disciplines sur un mode autoréférentiel [15], voire dans une perspective de démystification / démythification du monde, d’émancipation à l’égard de toutes formes de domination ; il se fixe pour objectif la restitution d’une vérité scientifique (dans l’état plus ou moins actuel des connaissances de sa discipline [16]) dans un but d’accumulation d’un savoir critique [17] ; de leur côté, les enseignants des disciplines professionnelles sont soumis à des injonctions contradictoires qui les portent à des compromis entre des référentiels éthiquement exigeants et la réalité de la vie en entreprise [18] ; pour la plupart issus de ce monde de l’entreprise, les enseignants de vente et d’économie-gestion adhèrent parfois sans distance critique à la logique hétéronome de sciences appliquées, tournées principalement vers un objectif de marchandisation du monde, de promotion de "l’esprit d’entreprise" [19] et de "domination masquée du travail par le capital".
D’une manière générale, la co-intervention néglige le fait que "l’école n’est pas une entreprise" [20] ; elle nie l’antinomie entre la fonction principielle de l’école de former des esprits libres, et la fonction de l’économie marchande qui vise la production de biens et services par des salariés employables, adaptés, pour ne pas dire soumis au monde de l’entreprise [21]. Le problème n’est pas nouveau dans la filière professionnelle [22], plus récent à l’université [23].
II. La réalisation par les élèves d’un "chef-d’œuvre" témoigne de l’irréalisme démagogique de l’institution.
L’expression, importée du compagnonnage, désigne au sens propre "l’ouvrage que tout aspirant doit réaliser pour pouvoir prétendre au titre de compagnon" [24] et au sens figuré "ce qui touche à la perfection" [25] ; l’appliquer, par le procédé d’adynation, à des travaux d’élèves hors de ce contexte élitiste procède d’une volonté de réhabilitation qui peut se comprendre mais qui procède d’un coup de force symbolique dont les élèves ne sont peut-être pas entièrement dupes. Comme l’écrit fort justement Alain Beitone, "si on voit bien ce que peut être un chef d’œuvre pour une formation de tailleur de pierre, d’ébénisterie ou de joaillerie, on voit mal à quoi cela correspond dans le domaine du commerce, de l’administration ou des services à la personne. Or ces trois spécialités représentent les deux tiers des élèves scolarisés en lycée professionnel" [26].
1° Le chef-d’œuvre qu’il m’a été donné de voir n’a pas consisté dans une réalisation matérielle mais dans un exposé d’une dizaine de minutes. Comme toute prestation de cet ordre, l’exercice peut accentuer les inégalités sociales : l’aisance à l’oral à ses déterminants sociaux – la classe et le genre – que les sociologues connaissent bien [27] et le risque est de juger l’apparence plutôt que le fond (le lexique, la syntaxe, la grammaire, mais aussi l’hexis).
2° Le développement durable est un thème abondamment traité. Mais contrairement aux souhaits du géographe François Mancebo [28]/, ce thème ne fait pas l’objet d’un enseignement transdisciplinaire cohérent par des "enseignants des diverses disciplines concernées (SVT et Géographie, certes, mais aussi Economie, Gestion, Philo- sophie, etc.)", il ne sollicite pas "l’esprit critique des élèves qui devrait être particulièrement stimulé", il ne fait pas l’objet d’une "progression pédagogique d’année en année" (ce qui demanderait bien sûr beaucoup d’investissement de notre part). Bien au contraire, il n’est bien enseigné que parce qu’il est "à la mode" et qu’il est censé apporter un "supplément d’âme" à des disciplines qui peuvent en manquer sin- gulièrement [29]. Il peut être dévoyé et instrumentalisé par des disciplines capables d’en faire une exploitation inconséquente et/ou cynique, et malgré les rappels insistants à la pseudo-responsabilité sociale des entreprises (RSE) [30] : un enseignant est capable de dénoncer le greenwashing d’un côté et de l’encourager de l’autre, d’une séance à l’autre, voire dans la même séance. Quid de l’enseignant de géographie face à ces contradictions subies, dans le cadre d’une co-intervention, également subie et susceptible de constituer une nouvelle cause de souffrance au travail [31] ?
Reste la labellisation de "chef-d’œuvre". Comment lui faire un sort ? L’expression de l’institution est rapidement passée dans le langage des enseignants. On dit : "tout à l’heure, vous avez chef-d’œuvre" comme on dit "tout à l’heure, vous avez français". Comment lui tordre le cou, échapper au ridicule d’une extension sémantique indue [32] ? De quelle formule user pour éviter l’abus ? Car, "mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde".
Le "programme limitatif" de français
I. Un corpus sur le thème du jeu
À l’image de ce qui existe déjà au niveau 5, pour les Brevets de technicien supérieur (BTS), une "innovation" de la réforme 2019 concerne l’instauration d’un programme de français "limitatif", renouvelable tous les deux ans [33]. Sauf que le cursus du BTS se déroule sur deux ans et que celui du baccalauréat professionnel s’étend sur trois ans.
À l’imitation de la voie générale et de la voie technologique, cette mesure s’accompagne de l’introduction d’une douzaine d’œuvres parmi lesquelles les professeurs en choisissent une à travailler avec les élèves. Sauf que les œuvres se répartissent en quatre objets d’étude dans les voies générale et technologique et qu’elles se limitent à un seul objet d’étude dans la voie professionnelle : "Vivre aujourd’hui : l’humanité, le monde, les sciences et la technique". Un "programme limitatif" en précise le nouveau thème. Soit, pour les deux ans à venir, "le jeu : futilité, nécessité". On le voit, la réforme 2019 se veut le prolongement de la réforme de 2009 dans la volonté d’aligner la voie professionnelle sur les deux autres voies, et en dépit des différences précitées.
1. Honoré de Balzac, La Peau de chagrin (1831).
2. Bruce Bégout, Zéropolis - L’expérience de Las Vegas (2002).
3. Emmanuel Carrère, Hors d’atteinte ? (1988).
4. Feodor Doistoïevski, Le Joueur (1866).
5. Yasunari Kawabata, Le Maître ou le tournoi de go (1954).
6. Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy (2008).
7. Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (1782).
8. Erwan Le Bihan, Requiem pour un joueur (2017).
9. Vladimir Nabokov, La Défense Loujine (1930).
10. Arthur Schnitzler, Les Dernières Cartes (1926).
11. Stefan Zweig, Le Joueur d’échecs (1943).
Les œuvres sont présentées par ordre alphabétique (dans les voies générales et technologiques, elles sont classées par ordre chronologique).
Elles sont toutes postérieures au XVIIe s. : on compte une œuvre du XVIIIe s., deux du XIXe s., quatre œuvres du XXe s., les trois dernières appartiennent au XXIe s. La plus récente est d’ailleurs épuisée et les enseignants, comme les élèves, ne pourront pas se la procurer autrement que sous forme numérique. - Toutes les œuvres sont des romans à l’exception d’un livre philosophique, celui de Bruce Bégout.
Toutes sont réalistes (au sens large), y compris le conte fantastique de La Peau de Chagrin.
Toutes se répartissent selon deux sens principaux du jeu : le jeu au sens de loisir ; le jeu au sens amoureux, prégnant dans deux œuvres seulement (le Choderlos de Laclos et le Maylis de Kerangal).
Quant à la forme, la moitié d’entre elles concernent le jeu de hasard et d’argent (Alea), soit six sur onze (les numéros 1, 2, 3, 4, 8 et 10) ; trois concernent le jeu de stratégie (Agôn) (les numéros 5, 9, 11). Rappelons que Roger Caillois classe les jeux en quatre catégories qui peuvent se combiner entre elles [34] : Agôn (la compétition), Alea (le hasard), Mimicry (le simulacre), Ilinx (le vertige). Il est d’ailleurs très tentant de rapporter le jeu amoureux (les numéros 6 et 7) à la catégorie de l’Agôn.
II. Une approche pessimiste du jeu
Quand elle traite du jeu, la littérature romanesque paraît en privilégier les dérives. C’est ce dont témoigne la liste des œuvres proposées pour ce premier bac pro.
La surreprésentation du jeu de hasard et d’argent (Alea) se manifeste, chez le joueur, par la perte du sens des réalités, l’absence de distance et des conséquences dramatiques pour sa vie : "ce qui était plaisir devient idée fixe ; ce qui était évasion devient obligation ; ce qui était divertissement devient passion, obsession et source d’angoisse" [35]. Dans La Peau de chagrin, Raphaël de Valentin – "le jeu incarné" – songe à se tuer après avoir brûlé sa "dernière cartouche" au jeu ; il s’accorde un sursis par un pacte diabolique qui le mène à sa perte. Dans Hors d’atteinte ?, une enseignante, Frédérique, découvre l’univers des casinos avant de succomber à la tentation d’une "occupation absurde" qui la ruine (elle dilapide un petit héritage), lui fait abandonner son travail et son fils, lui fait envisager de tuer (pour se procurer de l’argent) et de se tuer. La descente aux enfers de l’héroïne se prolonge sur près de 180 pages avant de se terminer par une fin heureuse, comme in-extremis, racontée en une douzaine de pages. D’un côté comme de l’autre, Raphaël et Frédérique négligent d’accomplir l’œuvre intellectuelle qu’ils avaient projetée, La Théorie de la volonté pour le premier, une thèse pour la seconde. Alexis Ivanovitch, le "joueur" de Dostoïevski, joue au casino, d’abord pour aider Pauline à rembourser ses dettes, ensuite pour lui-même. La passion du jeu le ruine et le fait passer à côté de l’amour de sa vie. Dans sa préface à La Peau de chagrin, "roman philosophique" et fantastique, Balzac se revendique d’une esthétique réaliste : les écrivains sont "dotés d’une sorte de seconde vue qui leur permet de deviner la vérité dans toutes les situations possibles (...) ils inventent le vrai, par analogie". Jacques Le Rider dépeint Arthur Schnitlzer comme "un moraliste sans indulgence et analyste pessimiste de la dégradation des valeurs individuelles et culturelles" [36] : dans Les Dernières cartes, l’un des personnages a détourné de l’argent et cherche le moyen de rembourser sa dette auprès de son ami qui tente de gagner cette somme au jeu (le baccarat, les courses, les cartes). Alors qu’il croit avoir vainement sollicité l’aide d’une ancienne amie (une prostituée, devenue entre-temps la femme de son oncle), le lieutenant Wilhelm Kasda se suicide. Erwan Le Bihan annonce la couleur dans le titre de son roman, Requiem pour un joueur : Richard Lenzini, employé de banque, se pique au jeu des paris sportifs en ligne [37]. Comme souvent, le joueur sombre dans une extrême précarité en l’espace de quelques mois ; il s’isole de son cercle familial et amical, se réfugie dans le mensonge, se met à boire, parfois se tue. Dostoïevski, joueur invétéré, vivant dans l’errance, ressemble beaucoup à son personnage. En toute connaissance de cause, le joueur s’abandonne à l’inexorabilité de son destin.
Le jeu de stratégie (Agôn) – essentiellement le jeu d’échecs [38] – peut lui aussi s’avérer fatal : dans le roman de Kawabata, le "maître" Shusai, atteint d’une maladie de cœur, lutte contre sa fin proche afin de poursuivre sa partie interminable, ce qui nécessite des périodes fréquentes de repos, voire de passages à l’hôpital. Il meurt un an après avoir été détrôné de son titre, sénile, dépourvu de "toute capacité pour le go" alors qu’il était animé d’une "obsession qui devenait troublante". Malgré les efforts de sa femme pour l’arracher à son jeu, Loujine ne peut vivre sans les échecs et s’avère incapable de mener une vie sociale "normale" : "la seule chose qui le préoccupât vraiment était le jeu". Faute de pouvoir satisfaire sa passion, le personnage de Nabokov se suicide. Si le Joueur d’échec de Stefan Zweig trouve des ressources dans le jeu pour surmonter l’épreuve de son emprisonnement, il s’y perd également : le fait de jouer contre lui-même le conduit à la folie schizophrénique. Lorsqu’il bat le champion du monde, le mystérieux personnage, qui n’apparaît que sous les initiales M. B., montre à nouveau "tous les symptômes d’une excitation pathologique". À l’instar de Frédérique, il sait s’arrêter à temps.
Cette vision pessimiste du jeu ne semble pas propre aux œuvres du corpus mais caractéristique de ce genre de littérature. On pourrait citer d’autres exemples : dans La Dame de Pique de Pouchkine, Hermann commet un meurtre après avoir vainement tenté d’obtenir le secret d’une martingale détenue par sa victime. La partie de tric-trac de Prosper Mérimée se solde par le suicide d’un joueur désespéré de sa perte financière et par les remords du tricheur qui en est la cause ; une situation à peu près semblable se présente dans William Wilson. Cette nouvelle des Histoires extraordinaires donne aussi à Edgar Poe l’opportunité de développer le thème du double en écho à la duplicité du tricheur. Il est à son tour le jouet d’une manigance organisée par le spectre de la défunte et termine à l’asile. Monaco (sic), le tricheur de Sacha Guitry a un destin singulier qui le conduit du statut de tricheur à celui de travailleur honnête en passant par la condition de joueur honnête (mais ruiné).
S’il fallait citer l’exemple d’une œuvre en partie à contre-courant, ce serait Le Tableau du maître flamand (1990), d’Arturo Perrez-Reverte. Ce long roman de 350 pages, qui prend pour point de départ la vente d’une œuvre d’art "à tiroirs", combine le roman d’aventures, le roman policier et le roman historique, développe toutes sortes d’acceptions du jeu : le jeu d’échecs, la "chasse au trésor" – le déchiffrage ludique d’une énigme policière, historique, étymologique –, le jeu commercial, et le jeu amoureux. Le lecteur n’est pas soumis au prosaïsme de la réalité mais plongé dans "l’histoire la plus extraordinaire que j’aie pu imaginer" (p. 328). Il n’empêche : ce récit reconduit le thème du suicide et la vision du joueur soumis à la passion névrotique du jeu [39]. S’il fallait citer un contre-exemple – quasiment surréaliste –, ce serait De l’autre côté du miroir (1871), de Lewis Carrol.
III. Le contraire d’une littérature d’évasion
Le corpus n’est pas sciemment le produit d’une sélection d’œuvres réalistes ; il tient à un genre de littérature peu développé et surdéterminé par le pathologique [40]. Je le redis. Il n’est pas interdit toutefois de s’interroger sur les fonctions remplies par de telles œuvres comme le fait Claude Grignon, en 1971 : "On s’efforce de ne présenter aux élèves que des auteurs ’sérieux’. Tels professeurs d’ENNA conseillent à leurs stagiaires de bannir les auteurs jugés trop frivoles (...), de ne pas insister sur les scènes de farce [chez Molière], de ’gros comique’, (...) et de choisir des pièces sérieuses, comme Tartuffe ou Don Juan. On retrouve, dans les propos des professeurs de l’ENNA, le même souci moralisateur que chez certains réformateurs du siècle dernier, qui reprochaient aux romantiques de ’perdre l’esprit de l’homme au lieu de l’élever au niveau des idées grandes et généreuses’, et qui dénonçaient la vulgarité des romans populaires ’où la seule fantaisie est la loi suprême, où l’audace de la passion rend tout excusable, où les obstacles disparaissent devant le joueur audacieux’". Pour le sociologue, "l’univers [littéraire] proposé aux élèves est aussi dépourvu de scepticisme, de casuistique, de nuances et de fantaisie qu’est exempt de hasard dans le monde de la mécanique" [41]. À propos de L’Assommoir, Claude Grignon et Jean-Claude Passeron notent que "Zola se propose d’exploiter au niveau du peuple la veine réaliste : il entend bien se démarquer des représentations édifiantes et bêtifiantes de l’ouvrier vertueux. (...) L’Assommoir sera donc un tableau à la fois ’effroyable’ et ’très exact’ de la vie de l’ouvrier" ; et de conclure : "L’Assommoir est presque un roman édifiant à l’envers, le vitriol remplaçant l’eau de rose. [42]. Comme dans une tragédie classique (...), l’intrigue est réglée par une "mécanique du contre-temps" qui ne laisse aucune chance aux personnages" [43].
Plus troublant, même lorsque le jeu est abordé au sens figuré de jeu amoureux, l’une des œuvres choisies se trouve marqu+-----ée du sceau du pessimisme et de la perversion : Les liaisons dangereuses, roman épistolaire de Choderlos de Laclos, se veut le contre-modèle de La Nouvelle Héloïse du romantique Jean-Jacques Rousseau [44]. Il repose sur un pacte libertin entre des personnages qui méprisent l’amour. Le roman se termine en apothéose : le comte de Valmont est tué en duel par le Chevalier Danceny. Danceny renonce à Cécile Volanges. Cécile Volanges se réfugie au couvent. La comtesse de Merteuil se voit défigurée par la petite vérole...
Le joueur corrompu par sa passion joue avec sa vie et celle des autres. Son déni de la réalité et ses transgressions légales ou illégales de la vie en société ne constituent pas une invitation au lecteur à le suivre mais un rappel à l’ordre social et moral constant. Le type de littérature d’inspiration psychologique (réunie dans le corpus), nous offre le plus souvent une vision dépolitisée de la réalité justement parce qu’elle met l’accent sur la psychologie de personnages livrés à leurs passions individuelles. Ce type de littérature – de mise en garde – n’engage pas le lecteur à prendre des libertés avec le réel mais l’appelle au contraire à s’y soumettre. Certes, la littérature sociologique n’est pas une littérature d’évasion au sens où elle nous ramène à une réalité soumise à quantités de déterminismes sociaux. Mais elle nous offre la possibilité de contester ce monde en en pointant les inégalités et les injustices.
La seule œuvre qui se distingue du lot est Corniche Kennedy : le roman évoque parfois crûment la condition d’une jeunesse populaire qui se livre aux jeux de séduction amoureux et aux joies de sauts "périlleux", en dépit des interdits d’un maire ridicule et d’un commissaire compréhensif. Elle me paraît accessible à des élèves de bac pro malgré la syntaxe elliptique de l’autrice et l’incipit très longuement descriptif ; d’autres romans me paraissent rédhibitoires : Le Joueur de Dostoïevski est ardu (on renoue les fils du récit et des personnages après 80 pages...) ; Le Maître de go est très lent (la partie de go dure cinq mois...).
Des propositions parfois douteuses
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le caractère problématique de certaines formations académiques, notamment pour des raisons qui tiennent à l’absence d’autonomie des intervenants (les membres de l’inspection académique ont un devoir de loyauté envers le pouvoir politique) et à un manque de compétence (si les intervenants n’ont pas de titre à parler de sujets qu’ils ne connaissent pas en spécialistes) [45]. D’autres travaux pointent d’autres faiblesses dans la formation continue dispensée au sein de l’Education nationale [46].
Il s’avère que l’Académie de Paris dont je dépends n’a pas jugé utile de nous fournir les matériaux nécessaires à la critique de Zéropolis, en s’abstenant notamment de citer le très beau livre de la géographe Pascale Nédélec sur le sujet : Las Vegas dans l’ombre des casinos. [47]. Soit par volonté délibérée de sa part. Soit, plus probablement, par ignorance de l’existence dudit ouvrage.
I. Las Vegas, un objet d’étude illégitime ?
Zéropolis présente deux intérêts ; il est court et "littéraire" (bien écrit). Sans doute les deux raisons essentielles pour lesquelles il figure dans la liste des ouvrages retenus pour le bac. Mais Bruce Bégout n’est pas sociologue et ça se voit. Son statut de philosophe le porte à tirer un trait sur les sciences sociales et à nous faire part de sa mauvaise humeur de façon incontrôlée, dans l’ignorance totale de ce que signifient la neutralité axiologique [48] et l’objectivation du sujet objectivant [49]. Tout à l’opposé, Nédélec évoque son rapport à l’objet, comme est censé(e) le faire tout chercheur et toute chercheuse dignes de ce nom : elle pose la question toute sociologique et faussement naïve que posait l’un des précurseurs de la sociologie, en son temps : "comment peut-on être persan ?" [50] ; ou Bourdieu dans le même esprit : "comment peut-on être sportif ?" [51]. Cette question est ici : comment peut-on prendre Las Vegas pour objet ? "Le succès touristique de Las Vegas ne fait que renforcer le désintérêt des chercheurs, qui estiment que la ville n’est pas un objet d’étude digne d’intérêt. Par digne d’intérêt, j’entends un objet d’étude dont l’examen peut enrichir la pensée scientifique et contribuer à la fabrique du savoir" (p. 55). Dès son introduction, Nédélec raconte les réticences qu’elle a rencontrées de la part de ses collègues à l’évocation de son sujet de recherche : tout de suite, "est apparu le besoin de légitimer le choix de Las Vegas, suscité par des multiples réactions de surprise, voire d’incrédulité. (...) La mention de Las Vegas n’a pas manqué de susciter des commentaires plus ou moins complices sur l’intensité de ma pra- tique des casinos" (2017, p. 11).
Une telle interrogation sur la légitimité d’un objet d’étude a été maintes fois posée en sciences sociales : Bourdieu, par exemple, inaugure le premier numéro de sa revue par un texte de présentation et un autre intitulé "Méthode scientifique et hiérarchie sociale des objets" [52] dans lequel il évoque les censures et autocensures qui déterminent la distinction convenue entre objets "nobles" et "ignobles". Du fait du prisme marxisant de recherches centrées sur l’étude du monde ouvrier, d’autres champs sont resté ignorés ou suspects des années 60 aux années 90 : ainsi de l’histoire des femmes – reçue dans une "grande indifférence" par les chercheurs masculins [53] ; ainsi de la so- ciologie de la grande bourgeoisie, perçue comme empathique, voire complice à l’égard des classes dominantes [54] ; ainsi de la théorie de la reproduction, déstabilisante pour des syndicats et des enseignants acquis à l’idée d’une école démocratique [55], une "histoire des sensibilités" après une histoire des mentalités. [56], etc. Autant d’objets auparavant dénués d’intérêt, mis de côté, ou de l’ordre de l’impensé et de l’impensable. On pourrait en dire autant du jeu : "la grande majorité des travaux qui se réclament de l’anthropologie sont plus attentifs à des notions proches [du jeu] mais distinctes comme celles de rituel ou de sport. (...) [il y a] tant de connotations dépréciatives à la notion de jouer dans notre culture [qu’elles] la prive[nt] de devenir objet de recherche" [57].
II. Le mépris pour la ville
Selon Bégout, "Las Vegas n’a jamais été rien d’autre que la plus grosse ampoule électrique du monde". Et leurs auteurs de prétendre que "cette épigraphe invite d’emblée à interroger les représentations des élèves sur ce lieu et les casinos". Or, l’épigraphe en question est bien moins révélatrice des "représentations des élèves" que des préjugés de l’auteur. La restriction "rien... que" connote la vision péjorative de Bégout sur la ville alors que les classes populaires n’éprouvent pas de telles préventions à son égard, bien au contraire. L’exergue témoigne de ce que ce livre, comme tous les autres sur le sujet, est le produit "de cercles intellectuels qui accordent une très grande importance à la culture, et qui revendiquent une distanciation par rapport à la culture de masse, ou plutôt au divertissement de masse" (...) L’écrivain Tom Wolf va plus loin en associant le dédain général que les universitaires portent à Las Vegas à son statut de destination "prolétaire" : ’parce que Las Vegas est prolo, on l’ignore’" (2017, p. 61).
Le livre de Bégout témoigne au contraire que Las Vegas est un symbole fantasmé du cauchemar américain : dès le titre, le ton est donné, Las Vegas est "Zéropolis". L’auteur s’en explique page 23 : Las Vegas est "une ville qui se signale par le néant". Tous les qualificatifs négatifs que l’on peut attribuer en général à une ville lui conviennent". (...) : "no man’s land, terrain vague, non-lieu, villa fantôme, simulacre urbain, ville de nulle part, etc. Elle est pour non Zéropolis, la non-ville" (...) Ville du degré zéro de l’urbanité, de l’architecture et de la culture, ville du degré zéro de la sociabilité, de l’art et de la pensée. (...) Ville du vacant, du rien et de l’absence" (...) en opposition constante au désert qui la cerne de partout et qui lui rappelle sans cessa sa vacuité originelle". Comme le remarque Nédélec, "outre la violence des citations, il est intéressant de souligner la liberté prise par différents auteurs quand il s’agit de parler de Las Vegas, liberté qui va des affirmations contestables aux contre-vérités " : (...) B. Bégout fantasme sur la présence de machines ’même dans les toilettes de l’aéroport MacCarran’ (sic)" (2017, p. 58).
La plupart du temps, "Las Vegas se résume uniquement au Strip [le quartier des casinos]. De là, découle l’une des critiques principales opposées à Las Vegas par les chercheurs à savoir : Las Vegas ne serait pas une ’vraie ville’" (2017, p. 54). (...) Une question résume et symbolise, à elle seule, le scepticisme engendré par Las Vegas : ’Mais il y a une ville à Las Vegas... ?’" (2017, p. 11). D’où vient l’impression que la ville de Las Vegas n’existe pas ? Nédelec explique que "les chercheurs écrivant sur Las Vegas s’approprient les topoi mis en exergue par les acteurs locaux du tourisme, et produits dans une perspective de retombées financière, qui font de la ville la capitale de la licence, de la fête et de la remise en cause de l’interdit. En reprenant ces stéréotypes sans chercher à les questionner, la littérature les valide. (...) Dès lors les imaginaires touristiques et urbains fusionnent pour ne devenir qu’un, aux dépends de l’aire urbaine dans sa diversité et sa complexité" (2017, p. 54). Or, Las Vegas est "une ville américaine comme une autre" (2017, p. 69) : "Même Bégout reconnaît la relative banalité des paysages végasiens, ce qui peut paraître étrange au regard du reste de l’ouvrage : ’Passé le quartier des casinos et des hôtels, Las Vegas ressemble à n’importe quelle autre ville américaine, avec sa faible densité urbaine et ses banlieues résidentielles sans fin" (2017, p. 69 et 2003, p. 39).
III. Le mépris pour les visiteurs (touristes et joueurs)
Le mépris pour la ville n’est rien à côté du mépris pour ceux qui la fréquentent : les touristes et les joueurs, spécialement quand ils sont d’origine populaire. Or, Las Vegas réalise la conjonction de ces deux types de visiteurs.
Jean-Didier Urbain a consacré un livre entier à "l’Idiot du voyage", au mépris du touriste [58]. Ce mépris s’origine notamment dans le plaisir, d’autant plus coupable que Las Vegas s’autoproclame la capitale du péché (Sin City) : en 1872, le Littré définit les touristes comme ceux qui "ne parcourent des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement" (1991, p. 31). Et l’auteur de noter la restriction "ne... que", déjà soulignée par ailleurs. Une réflexion qui vaut pour le touriste et le joueur de Bégout : Las Vegas réalise la "synthèse nouvelle du plaisir et de la soumission. Elle s’exprime clairement dans l’infantilisation constante de ses citoyens et de ses hôtes" (2002, p. 44). Le joueur de Las Vegas est "un enfant qui jouit de son irresponsabilité" (...) se soumet de son plein gré à une désinhibition régulée de manière externe de son plaisir" (2002, l. 45). La régression du joueur à l’état d’enfant, comme l’animalisation (fréquente du touriste) sont typiques d’une vision condescendante des dominants sur les dominés.
"Le dénigrement séculaire du touriste" est l’expression de la "haine d’une élite" (1991, p. 41) : "le touriste est non seulement un voyageur ’amateur’ ; il est aussi un voyageur de ’deuxième classe’, un voyageur de ’classe intérieure’". C’est ce qu’indique par exemple le dictionnaire Hachette de 1980 : "la classe touriste, sur les paquebots, les avions, classe inférieure (anc. deuxième classe)" (1991, p. 32). Ce qui est odieux à l’élite, c’est "la démocratisation du voyage" (1991, p. 63).
Ce mépris prend plusieurs formes, économique (1991, p. 47) – le touriste marchandisé et manipulé – mais aussi littéraire (1991, p. 49) – le touriste comme facteur de la "banalisation" et de "la profanation" du monde. Cette opération de désacralisation-vulgarisation du monde est illustrée de manière exemplaire par Bégout dans sa longue métaphore religieuse (2002, p. 24-29) : au lieu de vouer un culte à la culture légitime, le touriste est ce païen qui se livre "au dieu Fun" (2002, p. 25), tombe dans "l’antre d’Héphaïstos" (2002, p. 29) et dans une "nuit caverneuse", allusion à peine voilée à l’allégorie de la caverne, de Platon [59]. Ce mépris est également scientifique comme l’illustrent ces propos de Daniel Boornstin : "le touriste est un homme qui passe et qui ne voit rien. Et d’ailleurs que cherche-t-il sinon à être confirmé dans ses propres préjugés ?" [60] (1991, p. 82) Une phrase qui s’applique encore une fois magnifiquement à Bégout qui l’avoue bien naïvement : "À qui d’aventure me poserait la question de savoir ce que j’ai appris à Las Vegas, je répondais tout simplement ’rien’. (...) Je n’y ai rien vu que je n’aie déjà su" (2002, p. 9). On avait compris.
Le plus choquant, n’est pas que le ministère propose un livre aussi condescendant à l’égard de la culture et des classes populaires, dans le contexte de la voie professionnelle, la plus concernée par le mépris de classe, [61], car l’enseignant est tout à fait libre d’en faire la critique ; le plus choquant tient dans l’absence de garde-fous académiques susceptibles de mettre en garde des professeurs de lettres souvent dépourvus de culture sociologique.
Comme toute réforme programmatique de l’Éducation nationale, elle prête le flanc aux critiques les plus nécessaires. Je n’ose dire les plus salutaires mais je l’espère.
[1] Décret 2009-148 du 10 février 2009 relatif à l’organisation de la voie professionnelle et modifiant le code de l’éducation (partie réglementaire) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000020237827
[2] Ugo Palheta, La Domination scolaire. Sociologie de l’enseignement professionnel et de son public, PUF, 2012. Dans les lycées professionnels, les enfants de cadres ne représentent que 7% des élèves.
[3] "Le Baccalauréat professionnel", Eduscol, mai 2021. https://eduscol.education.fr/1916/le-baccalaureat-professionnel#oral ; "Transformer le lycée professionnel", Eduscol, mai 2021. https://eduscol.education.fr/2224/transformer- le-lycee-professionnel
[4] "Quelle est la nomenclature des diplômes par niveau ?", Service public, 23 février 2021. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F199
[5] Stéphane Beaud, 80 % au bac... et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, La Découverte, 2002. La loi du 10 juillet 1989 : https://www.education.gouv.fr/loi-d-orientation-sur-l-education-ndeg89-486-du-10-juillet-1989-3779
[6] Sophie Orange, L’Autre enseignement supérieur. Les BTS et la gestion des aspirations scolaires, PUF, 2021, pp. 25 et s.
[7] Jean-Pierre Terrail, "La Tolérance à l’ignorance dans l’institution scolaire", Démocratisation scolaire, 23 mai 2020. https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article317
[8] Pierre Merle, La Démocratisation de l’enseignement, La Découverte, Repères, 2017, 2002
[9] Pierre Merle, "Le niveau scolaire : une baisse incontestable ?", Polémiques et fake news scolaires. La production de l’ignorance, Le Bord de l’eau, 2019
[10] Alain Beitone, "La Réforme des lycées professionnels et la perspective du lycée unique", 16 mai 2019. https://www.democratisation- scolaire.fr/spip.php ?article304
[11] Violaine Morin, "La Réforme du lycée professionnel inquiète les enseignants", Le Monde, 21 mars 2019.
[12] Marion Simon-Rainaud, "Les Jeunes profs épuisés de plus en plus nombreux à démissionner", Les Échos, 2 septembre 2021.
[13] Maurice Tardif, Cecilia Borgès, "Transformations de l’enseignement et travail partagé", Les Sciences de l’éducation – pour l’ère nouvelle, 42, 2009. https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2009-2- page-83.htm
[14] Aziz Jellab, Enseigner et étudier en lycée professionnel aujourd’hui. Éclairage sociologique pour une pédagogique réussie, L’Harmattan, 2017. Entretien avec François Jarraud, le Café pédagogique, 24 mai 2017. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/05/24052017Article636312084416735715.aspx Pour une étude plus récente, on peut consulter Géraldine Farges, Les Mondes enseignants. Identités et clivages, PUF, 2018.
[15] En réalité, on sait que, dans les sciences sociales, "la politique (...) continue de peser sur la cité scientifique". Pierre Bourdieu, "Science, politique et sciences sociales", Actes de la recherche en sciences sociales, 142-142, 2002. https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences- sociales-2002-1-page-9.htm
[16] En réalité, on sait qu’il existe un grand décalage entre les enseignements dispensés dans le primaire et le secondaire, et l’état de la recherche.
[17] "Les professeurs d’his- toire-géographie sont les enseignants qui se rapprochent le plus de la vision idéaliste du métier basé sur la transmission des savoirs. Développer l’esprit critique des élèves est aussi leur priorité". Nadine Esquieu, "Les Professeurs d’histoire-géographie : des enseignants comme les autres ?", Education & Formations, 76, 2007. https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/12410/l-histoire- geographie-l-education-civique-aujourd-hui-les-professeurs-d-histoire-geographie-educatio
[18] Hélène Vérac, Nina Asloum, "Les Tâches appropriées des professeurs d’enseignement professionnel", Activités, avril 2009.
https://journals.openedition.org/activites/2138?lang=fr
[19] Jean-Pierre Le Goff, Le Mythe de l’entreprise, La Dé- couverte, 1992 ; Christian Laval, Régine Tassi, "L’Entreprise : un mythe des réalités", in Enseigner l’entreprise, Syllepse, 2004.
[20] Christian Laval, L’Ecole n’est pas une entreprise. Le néo-libéralisme à l’assaut de l’enseignement pu- blic, La Découverte, 2004.
[21] En réalité, les choses sont un peu plus compliquées. Dès 1970, il apparaît que l’école assure aussi une fonction de maintien de l’ordre : Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement, Minuit, 1970. Plus récemment, Charlotte Nordmann pose la question de la finalité de l’école de façon très critique : La Fabrique de l’impuissance. L’école, entre domination et émancipation, Amsterdam, 2007. D’autre part, le ministère est souvent tenté d’instrumentaliser les enseignants comme l’illustre la "redécouverte" récente de l’enseignement moral et civique. Cf. Kéren Desmery, Éducation à la liberté responsable ? Les perspectives d’un enseignement moral et civique, éd. Jean-Marc Savary, 2020 ; Thomas Douniès, Réformer l’éducation civique ? Enquête du ministère à la salle de classe, PUF, 2021.
[22] Gilles Moreau (dir.), Les Patrons, l’Etat et la formation des jeunes, La Dispute, 2002.
[23] Christian de Montlibert, Savoirs à vendre. L’enseignement supérieur et la recherche en danger, Raisons d’agir, 2004.
[24] Nicolas Adell-Gombert, "Des hommes de Devoir. Les compagnons du Tour de France (XVIIIe-XXe s.)", MSH, Ethnologie de la France, 30, 2008, p. 268. Pendant longtemps, jusqu’au XIXe s., le compagnonnage s’affirme davantage par le Devoir (une bonne moralité, un savoir-être) que par la réalisation d’un chef-d’œuvre ; il en va autrement aujourd’hui : un compagnon passe entre 250 et 3 000 h à réaliser son chef-d’œuvre, (p. 168).
[25] Trésor de la langue française informatisé (TLFI).
[26] Alain Beitone, art. cit.
[27] Le débat a récemment été relancé par la mise en route de l’épreuve du "grand oral" des lycéens (il compte pour 30 % de la note finale).
Marlène Thomas, "Oral au bac : "Même l’improvisation ne s’improvise pas", Libération, 13 février 2018.
https://www.liberation.fr/france/2018/02/13/oral-au-bac-meme-l-improvisation-ne-s-improvise- pas_1629511 ;
Alice Raybaud, "S’exprimer en public, un défi encore plus grand pour les filles", Le Monde, 8 mai 2021. https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/05/08/s-exprimer-en-public-un-defi-encore-plus-difficile- pour-les-femmes_6079610_4401467.html
[28] François Mancebo, "Enseigner le développement durable, qu’en pensent les géographes ?", Le Café pédagogique, 15 décembre 2008. http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/Eedd/Pages/2008/98_Entretiensducafe.aspx
[29] Vincent de Gauléjac, La Société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Seuil, 2005.
[30] Isabelle Daugareilh, "La Responsabilité sociale des entreprises en quête d’opposabilité", in A. Supiot et M. Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, PUF, 2015 ; Alain Supiot, Sandrine Kott, Laure Piguet, "De l’’esprit de Philadelphie’ à la responsabilité sociale et environnement des entreprises", Le Mouvement social, 263, 2018. https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2018-2-page-153.htm
[31] Voir notamment les ouvrages de Christophe Dejours sur la souffrance au travail.
[32] Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l’analogie, Raisons d’agir, 1999.
[33] BO spécial, n°1, 6 février 2020 et BO n°, 4 février 2021. Programme d’enseignement de français des classes de première et terminale préparant au baccalauréat professionnel. Arrêté du 16 décembre 2020. Programme limitatif de français de la classe terminale. https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo5/MENE2036971N.htm
[34] Roger Caillois, Les Jeux et les hommes, 1958, Gallimard, Folio, p. 92.
[35] Roger Caillois, id. idem., 1958, p. 103.
[36] Jacques Le Rider, "jeune Vienne", in Élisabeth Décultot, Michel Espagne et Jacques Le Rider, Dictionnaire du monde germanique, Bayard, 2007.
[37] Le décret du 4 novembre 2020 pose que "sont interdites les publicités qui banalisent le jeu, qui indiquent que le jeu valorise la réussite sociale, ou qu’en jouant, on peut gagner sa vie". https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042500096 https://www.huffingtonpost.fr/entry/euro-2021-paris-sportifs-et-dependance-pour-les-jeunes-de- banlieue_fr_60d04593e4b0b50d622f504a
[38] "Anthologie autour du jeu d’échecs", dossier pédagogique, BNF. http://classes.bnf.fr/echecs/litt/ind_antho.htm
[39] Anne Sophie Huguet, "Le Tableau du maître flamand : œuvre/bibliothèque", Babel, Littératures plurielles, 6, 2002. https://journals.openedition.org/babel/1948
[40] George Canguilhem, Le Normal et le pathologique, PUF, Quadrige, 1943. Le jeu vidéo se prête particulièrement à cette lecture médicale de ses pratiquants : Pascal Minotte, "Cyberdépendance et autres inquiétudes déclinologiques", Adolescences, 30, 2012. https://www.cairn.info/revue-adolescence-2012-1-page-89.htm
[41] Claude Grignon, L’Ordre des choses. Les fonctions sociales de l’enseignement technique, Minuit, 1971, pp. 200-201. L’auteur se réfère à L’Atelier, IV, novembre 1843, page 22.
[42] À propos de l’alcoolisme en milieu ouvrier : Jean-Pierre Castelain, Manières de vivre, manières de boire. Alcool et sociabilité sur le port, Imago, 1989 ; Michel Pialoux, "L’Alcool dans l’atelier : travail ouvrier et sociabilités infrapolitiques à Peugeot Sochaux", in Michel Pialoux, Le Temps d’écouter. Enquête sur les métamorphoses de la classe ouvrière, Raisons d’agir, 2019
[43] Claude Grignon, Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Hautes Études / Gallimard / Le Seuil, 1989, p. 214.
[44] Catriona Seth, "Les Liaisons dangereuses : quand le jeu est truqué", in Catherine Courtet, Mirelle Besson, François Lavocat, Alain Viala, Le Jeu et la règle, CNRS, 2019.
[45] Jacques Dordoigne, "Une formation académique sur l’EMC. Par qui ?... Et pour quoi ?", Démocratisation scolaire, 5 juin 2016.
https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article227 L’article est parfois difficilement lisible à cause d’un problème de mise en page...
[46] Cécile Blanchard, "Formation continue dans l’Education nationale : il reste beaucoup à faire", Cahiers pédagogiques, 9 février 2021. https://www.cahiers-pedagogiques.com/formation-continue-dans-l-education-nationale-il-reste- beaucoup-a-faire/
François Jarraud, "CNESCO : un appel pour une formation continue plus efficace", Le Café pédagogique, 9 février 2021. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/02/09022021Article637484497525358479.aspx/
[47] Pascale Nédélec, Las Vegas dans l’ombre des casinos, PUR, 2017.
[48] Max Weber, Le Savant et le politique, 1919. Jean Baubérot lève d’importantes équivoques à propos de ce concept dans son récent article : "Nathalie Heinich, "Le bé- bé... et l’eau du bain : à propos de Ce que le militantisme fait à la recherche", Mediapart, 31 mai 2021. https://blogs.mediapart.fr/jean-bauberot/blog/310521/nathalie-heinich-le-bebe-et-l-eau-du-bain-propos- de-ce-que-le-militantisme-fait-la-recherche
[49] Pierre Bourdieu, avec Loïc Wacquant, Réponses, 1992, pp. 175 et s.
[50] Montesquieu, Lettres persanes, 1721.
[51] Pierre Bourdieu, "Comment peut-on être sportif ?", 1978, in Questions de sociologie, Minuit, 1984.
[52] Pierre Bourdieu, "Méthode scientifique et hiérarchie sociales des objets", Actes de la recherche en sciences sociales, 1, janvier 1975.
[53] Georges Duby, Michelle Perrot, Femmes et histoire, Colloque La Sorbonne, novembre 1992, Plon, 1993, p. 72.
[54] Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, "Regard sociologique sur l’oligarchie", entretien, Mouvement, 64, 2010. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2010-4-page-22.htm
[55] Gérard Mauger, "Sur ’l’idéologie du don’. Note de recherche, Savoir / Agir, 17, 2011. https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2011-3-page-33.htm ; petit à petit, s’invente une histoire et une sociologie de la vie "ordinaire"[[Jean-Claude Kaufmann, La Vie ordinaire, Greco, 1989 ; Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation. XVIIe –XIXe s., Fayard, 1997 ; Christian Bromberger (dir.), Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Bayard, 1998, etc.
[56] Les travaux d’Alain Corbin sur "l’odorat" (1982), les "manières de jouir" (2007), le "silence" (2016), etc. ; de Georges Vigarello sur "le propre et le sale" (1987), sur le "gras" (2010) ; de David Le Breton sur la douleur (2006), sur la voix (2011), etc. ; de Jean-Claude Kaufmann sur les seins nus (1995), les fesses (2013), etc.
[57] Roberte Hamayon, Jouer. Une autre façon d’agir, Le Bord de l’eau, 2021, 2012, pp. 16-17. L’autrice consacre un chapitre à cette question : "le jouer peut-il constituer un objet de recherche ?" (pp. 23-56) ; et un autre aux origines de la condamnation du jeu : "histoire du jouer en Occident : du blâme à la récupération" (pp. 57-82).
[58] Jean-Didier Urbain, L’Idiot du voyage. Histoires de touristes, Plon, 1991.
[59] Platon (v. 428-v. 348 av. J.-C.), La République, Livre VII.
[60] Daniel Boorstin, "Du voyageur au touriste : l’art perdu de voyager", in Daniel Boorstin, L’Image ou ce qu’il advint du Rêve américain, Julliard, 1963, 1961, pp. 139-140.
[61] François Renahy, Pierre-Emmanuel Sorignet (dir.), Mépris de classe. L’exercer, le ressentir, y faire face, éd. du Croquant, 2021.