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Compte rendu de lecture.

La Pensée, n°357, L’école

Pensées progressistes sur l’école

mardi 28 avril 2009, par José Tovar

Face aux attaques en règle dont fait l’objet l’école depuis plusieurs décennies, pourquoi , au delà de la défense de l’existant, les forces progressistes ont-elles tant de difficultés à s’unir pour proposer une alternative réellement transformatrice ? C’est la question que pose, Laurent Frajerman, historien de l’éducation, en guise d’introduction à ce numéro de la revue La Pensée consacré pour l’essentiel à un dossier sur le système éducatif aujourd’hui. La réponse paraît simple : c’est qu’elles divergent sur les solutions à apporter à une crise dont personne ne conteste la réalité. Mais c’est surtout, affirme–t–il d’emblée, parce que le projet global de la gauche est en crise, en lien avec l’approfondissement de la crise du capitalisme et de la société, et que la division des progressistes sur l’école reflète des tensions objectives sur le terrain.

Pour traiter cette question hautement sensible, l’auteur a réuni une dizaine de contributions de chercheurs qui se font écho à partir de la démarche propre à chacun : historiens, sociologues, économistes, philosophes, pédagogues, tous ont en commun le même objectif : identifier les racines de la crise pour construire une cohérence alternative. Où l’on voit la diversité des approches et la complexité du problème…

L’ensemble est introduit par un article de C. Laval, sociologue et économiste, qui situe d’emblée la question au niveau de la « mutation générale des sociétés occidentales ». Il montre que celles ci obéissent de plus en plus à une rationalité nouvelle qui fait de la loi du marché et de la concurrence une norme générale d’existence. Dans ce contexte, « les champs de la connaissance, de la culture et de l’éducation sont appelés […] à voir les institutions se modeler sur le fonctionnement des entreprises ». Ainsi , « un modèle cohérent se dessine, celui de l’école néo-libérale, qui met en question les fondements classiques de l’ancien modèle de l’école républicaine ». L’auteur décrit en détail les transformations progressivement imposées en France notamment à partir des préconisations européennes (OCDE ; agendas de Bologne et de Lisbonne…) ; il montre comment se met en place un « curieux système qui associe le management moderne, la pédagogie nouvelle et un conservatisme autoritaire » participant d’un mouvement plus général de responsabilisation des individus dans le cadre de la logique générale de compétition qui doit venir remplacer les logiques de solidarité et d’assistance de l’état providence…

Cette grille de lecture générale donnée , plusieurs études s’enchaînent tendant à dresser une sorte d’état des lieux de la diversité des approches et des réflexions des chercheurs en sciences de l’éducation sur l’école aujourd’hui : Ainsi, alors que A. Prost trace, dans un saisissant raccourci l’histoire de « La gauche et la pédagogie républicaine, 1880-1950 », mettant en évidence l’opposition radicale des enseignants de la SFIO , et de la société des agrégés au plan Langevin Wallon avec l’argument de la défense des humanités classiques, et le refus du « nivellement par le bas » qu’induiraient les principales dispositions du plan, mais aussi « les ambiguïtés de la politique du PCF » peu empressé dans sa défense (il ne le publiera qu’en 1962) ; Guy Coq nous invite à repenser la culture scolaire de l’école de la démocratie [1], dont l’équilibre instable repose sur une dialectique subtile entre logique égalitaire et logique élitaire, tandis qu’Anne Barrère interroge la notion de « travail scolaire » : travail des élèves, activité contrainte, normée, organisée, dont elle montre que, dans les conditions du développement culturel de la société aujourd’hui, il est davantage source d’incertitudes que de repères stables, et surtout pilier explicatif par défaut de l’échec scolaire ; mais travail des enseignants aussi, et cette mise « en miroir » permet un regard nouveau sur les conflits latents qui structurent au quotidien la relation pédagogique entre le maitre et l’élève.

Pierre Roche , lui, trace l’historique de la question de l’orientation des élèves et montre comment, des Compagnons de l’Université nouvelle au plan Langevin Wallon, elle se confond avec la notion de « juste sélection » voulant promouvoir « une élite véritable, non de naissance mais de mérite » A partir du « cas de Fadela Amara [2], qu’il juge emblématique d’un système où « tout se base sur les notes et sur la discipline, on juge superficiellement et numériquement, on ignore les aptitudes véritables », il montre comment on en est arrivé aujourd’hui à une conception relevant d’un « humanisme positif » qui suppose en chacun une ou des qualité(s)s propre(s)à être mise(s) en valeur, notion désignée couramment sous le terme d’ « aptitudes » qu’il serait nécessaire de repérer et de cultiver « pour que les différences de rythme, de sensibilités, de caractères, de formes d’intelligence soient mieux prises en compte et que chacun puisse réussir [3] »

La place manque ici pour citer chaque article et en montrer tout l’intérêt. On remarquera en particulier la nouvelle analyse de l’échec scolaire » menée par S. Bonnery, qui remet notamment en cause le fonctionnement de l’école élémentaire et de ses enseignants, ou l’article de J. Deauvieau qui rend compte d’une recherche menée entre 1996 et 2000 sur les comportements professionnels des enseignants du second degré face au phénomène de massification scolaire de ces trois dernières décennies, où il apparaît que les façons de faire face à la difficulté scolaire ont peu à voir avec l’ancienneté dans le métier mais essentiellement, en dernière instance, avec les rapports que l’enseignant entretient avec les savoirs savants, c’est à dire « dans le registre des ressources cognitives que les enseignants peuvent mobiliser en situation ».

Il revenait à L. Frajerman lui même, chercheur mais aussi professeur d’histoire en lycée de mettre le doigt sur quelques unes des contradictions (ou « tensions » ) qui traversent la partie la plus progressiste du corps enseignant lui même : privilégier l’égalité des élèves ou le mérite ? pédagogies nouvelles ( actives) ou traditionnelles ? stratégies éducatives individualisantes, ou collectives ? L’auteur , analysant l’échec des politiques scolaires de la gauche depuis plusieurs décennies estime, en tout cas, qu’il faut « réformer l’école avec les enseignants et non contre eux », et que « la solution passe par la co-construction des réformes », préconisant en particulier de s’inspirer des méthodes d’analyse et des pratiques de l’éducation populaire. Mais il estime qu’il serait « illusoire d’espérer créer immédiatement un nouveau consensus entre progressistes tant les points de tensions sont nombreux et tant ils correspondent à des tensions objectives »…

Le contexte d’une actualité particulièrement bouillonnante au plan universitaire dans lequel paraît cet ouvrage fait que l’on regrettera l’absence de référence à certaines questions telles que la formation des maîtres, ou à l‘école maternelle par exemple. Mais la revue n’avait pas la prétention de publier une somme…

José TOVAR
Avril 2009

(à paraître dans le numéro de mai de la revue Unité et action de la FSU)


[1À lire également sur cette question en fin de dossier une intervention de P. Langevin de décembre 1944 consacrée à la réforme de l’enseignement, « pierre angulaire de la reconstruction de notre pays » sur le thème « Culture et Humanités »

[2La secrétaire d’état à la ville a été orientée en fin de 3ème vers un CAP d’employée de bureau, pour cause d’insuffisance de niveau et de problèmes de discipline, décision qu’elle continue aujourd’hui de considérer comme une injustice.

[3Extrait de la Lettre aux éducateurs de N. Sarkozy, septembre 2007