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La concurrence tue l’école

lundi 22 juin 2009, par Guy Dreux

"Quand on est à gauche, l’objectif n’est pas de réduire les libertés ; c’est se dire que si pour certaines catégories, notamment les mieux informés ou les plus privilégiées, le libre choix d’une école est un bon principe, pourquoi est-ce que ça ne serait pas le cas pour tous les Français ? C’est ça être socialiste, c’est ouvrir l’éventail des choix à tout le monde dès lors que c’est bien pour certains." Ainsi s’exprimait Ségolène Royal (France 2, 7 septembre 2006) pour justifier son intention d’"assouplir la carte scolaire". Cette intention partagée avec le ministre Darcos devrait être admise au nom du "bon sens". Le seul problème est que ce "bon sens" est en complète contradiction avec les faits.

A partir d’une étude particulièrement bien étayée par une enquête solide le sociologue Choukri Ben Ayed livre dans deux publications récentes une défense convaincante de la mixité scolaire : celle-ci ne contribue pas seulement à assurer l’égalité entre les élèves, elle participe à leur réussite ! Les départements où la mixité sociale est la mieux assurée sont en effet les départements qui connaissent les plus nettes "sur-réussites" scolaires (compte tenu de l’origine sociale des élèves). Autrement dit, la concurrence nuit. Et elle nuit non seulement aux catégories les plus défavorisées mais aussi aux catégories aisées. À l’encontre de l’idée selon laquelle la concurrence favorise la performance des élèves et des établissements, l’enquête de Choukri Ben Ayed montre que « c’est davantage la pondération des clivages scolaires et sociaux qui contribue à une élévation des résultats scolaires d’ensemble sur un territoire donné » (Le nouvel ordre éducatif local, p. 88).

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Depuis les années 1980, l’augmentation préoccupante de l’échec scolaire dans certaines zones urbaines a favorisé l’idée selon laquelle le cadre national n’était plus pertinent pour analyser et administrer notre système éducatif. L’idéal républicain, parfois qualifié de "mystique", a cédé la place à une attention de plus en plus privilégiée aux problématiques du local et du territoire. Largement encouragées par des mouvements idéologiques qui, de plus en plus, promeuvent les rapports consuméristes à l’école, ces problématiques ont fini par présenter la carte scolaire comme un carcan ou, pire, comme une assignation à résidence insupportable au regard des inégalités croissantes du système. C’est oublier que ces inégalités ont justement partie liée avec la compétition scolaire généralisée et la mise en concurrence des établissements que l’on ne cesse de renforcer.

Plus largement, la promotion actuelle de l’autonomie des établissements, le pilotage de la performance des écoles ou la prétendue "liberté de choix" de son établissement sont autant de dispositifs qui accompagnent les logiques inégalitaires dans l’école. Les dimensions proprement sociales et culturelles de l’enseignement sont désormais recouvertes par des considérations idéologiques et une conception purement managériale du fonctionnement de l’école. Souvent présentées comme des libertés nouvelles, ces dispositifs s’accompagnent de pesantes procédures de contrôle et d’évaluation pour constituer un "ordre hybride qui conjugue à la fois libéralisme et bureaucratie" caractéristique de ce "nouvel ordre éducatif local", que l’on pourrait bien nommer « le nouveau désordre inégalitaire de l’école ».

Guy Dreux
Chercheur de l’Institut de Recherches de la FSU.

L’Humanité, 22 juin 2009