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Le rôle de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement dans l’émergence de l’identité communiste enseignante en France (1919 - 1932)

mardi 17 février 2009, par Laurent Frajerman

Article publié dans les "Cahiers d’Histoire, Revue d’Histoire Critique", n° 85, 2001, pp. 111-126.

L’entre-deux guerres constitue une période essentielle pour le syndicalisme enseignant français. Parmi les événements qui datent de ces années tumultueuses figure l’affirmation progressive d’une identité communiste dans le milieu enseignant. Une mutation difficile transforma des militants syndicalistes-révolutionnaires en militants communistes, avec l’émergence d’une nouvelle génération, autour de Georges Cogniot et de l’équipe française de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement. Ils expérimentèrent des pratiques et un discours nouveaux, marqués alternativement par leur sectarisme ou par leur ouverture.

L’identité communiste enseignante se singularisait sur deux plans : le syndicalisme, notamment en acceptant des structures centralisées et en refusant la perspective d’un militantisme éternellement minoritaire, et l’internationalisme, avec la fascination pour l’Union Soviétique et son école. Nous étudierons donc son émergence par le prisme d’une organisation syndicale internationale, créée en France par la Fédération de l’Enseignement , avec qui elle entretint des liens puissants et qui permit l’apparition d’une nouvelle génération militante.

Dans un milieu modéré, l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement pouvait envisager plusieurs options pour son activité. Dans une première phase, elle choisit de réunir une poignée d’enseignants, plutôt libertaires, très motivés par les débats idéologiques, sur la pédagogie en particulier. L’adhésion du syndicat russe initia une deuxième phase, dans laquelle l’ITE s’engagea dans l’action de masse et posa comme principe discriminant l’affiliation de l’organisation nationale à une centrale syndicale, preuve d’une participation concrète à la lutte de classe. Enfin, le tournant de 1928 du mouvement communiste international transforma l’ITE en Internationale avant-gardiste, hostile aux syndicats réformistes. Ce fut une étape décisive dans la genèse de l’identité communiste par la rupture qu’elle provoqua avec les militants expérimentés qui dirigeaient la Fédération.

I) La gestation confuse d’une Internationale de l’Enseignement syndicaliste-révolutionnaire (1919-1924)

Au sortir de la Première Guerre mondiale, les syndicalistes révolutionnaires de la Fédération guettaient les échos d’une révolution mondiale qu’ils croyaient imminente. Dans ce contexte, naquit l’idée d’une organisation qui rassemblerait les groupes enseignants partageant leur foi internationaliste, leur pacifisme et aussi leur soutien à l’Internationale Communiste (IC) en gestation.

Les premiers pas

En 1919, le congrès de la Fédération adopta une motion proposant la création de l’Internationale de l’Enseignement . Pendant un an, des relations furent nouées avec le syndicat italien, co-responsable du projet, en Suisse, et en Belgique avec la Centrale du Personnel Enseignant Socialiste (syndicat affilié au Parti Ouvrier Belge, réformiste). L’Union des Instituteurs socialistes d’Allemagne et d’Autriche avait créé une Internationale Pédagogique, peu active, qui participa aux contacts. Au sujet de la Russie, malgré des communications insuffisantes, dues au blocus, il semblait possible "de s’entendre avec Lounatcharsky" , le ministre de l’Instruction Publique. Les fondateurs de l’IE lui assignaient une fonction pédagogique, et non syndicale. Elle devait se consacrer à l’étude de l’école modèle, organiser des voyages internationaux de maîtres et d’enfants et lutter contre l’enseignement nationaliste.

En août 1920, au congrès fédéral de Bordeaux, l’Internationale de l’Enseignement fut officiellement fondée, en l’absence des délégués allemands, qui n’avaient pas reçu de passeports. Les contacts avec les autres organisations étant ténus, la seule déléguée étrangère à assister au Congrès fut Abigaille Zanetta du Sindacato italien.

Les débats du congrès portaient sur l’opportunité d’une fusion de la Fédération avec le Syndicat National des Instituteurs, issu des puissantes Amicales , qui souhaitait s’affilier à la CGT, encore unie à cette date. L’aile révolutionnaire, représentée par Louis Bouët, le secrétaire de la Fédération, se défiait de la majorité des instituteurs, donc du SNI. Elle était fermement décidée à sauver son radicalisme syndical. Quant aux partisans de la fusion, ils rejoignirent le SNI après leur échec.

La nouvelle Internationale devait déterminer sa ligne de conduite par rapport à la grande organisation réformiste, la Fédération Syndicale Internationale (FSI), et son concurrent, l’embryon d’Internationale Syndicale Rouge (ISR), lié à l’IC et domicilié à Moscou. L’aile "fusionniste" de la Fédération était parvenue à faire adopter par le congrès le principe d’une organisation large de l’IE, intégrant les fédérations nationales adhérentes aux deux Internationales syndicales qui reconnaissaient le principe de la lutte des classes. Abigaille Zanetta et Louis Bouët désiraient au contraire regrouper dans l’IE des organisations révolutionnaires, sélectionnées sur leur pureté idéologique. Leur échec s’explique par la difficulté pour la Fédération d’interdire l’accès de l’IE aux syndicats de la FSI, étant elle-même affiliée à cette organisation par l’intermédiaire de la CGT.

Une Internationale pacifiste et pédagogique

Les fondateurs de l’IE lui avaient fourni une idéologie caractéristique des aspirations de l’immédiat après-guerre et des idées syndicalistes-révolutionnaires qui imprégnaient la Fédération. L’article premier des statuts provisoires en indiquait les fondements :

"- 1) Lutte des classes pour l’émancipation des travailleurs ;
- 2) Lutte contre l’esprit de haine et de guerre ;
- 3) Création d’une école rationnelle." .

L’aspiration la plus importante était le pacifisme, d’autant que, durant la grande guerre, la Fédération figurait parmi les rares syndicats hostiles à l’Union Sacrée dès 1915. En 1921, elle menait campagne contre les manuels d’histoire jugés militaristes. Les fondateurs de l’IE attribuaient les guerres à des malentendus entre les peuples, sans la moindre référence à la notion d’impérialisme.

En bons éducateurs, les instituteurs appréhendaient la question sur le mode pédagogique : la paix, le rapprochement entre les peuples peuvent s’inculquer, comme l’ont été autrefois la guerre et le nationalisme. Or, établir un autre enseignement exigeait, selon eux, des contacts internationaux importants.

L’activité pacifiste de l’IE se restreignit de plus en plus. Le congrès de 1922 ne plaça pas ce sujet au cœur de ses débats. Quatre ans après l’armistice, les préoccupations étaient autres, pédagogiques et syndicales en particulier. Le bulletin n’y consacra plus d’article. Désormais, ses préoccupations s’exprimèrent surtout par le canal pédagogique.

L’intérêt de l’IE pour la pédagogie était stimulé par la critique d’une école qui ne sert qu’à perpétuer la domination de la bourgeoisie, école de classe en somme. En outre, l’idéal des instituteurs révolutionnaires incluait la participation au combat contre les formes classiques d’enseignement, considéré comme passif et académique. Des syndicalistes, tel le jeune Célestin Freinet, ambitionnaient d’introduire ces innovations dans leurs classes. De plus, une expérience pédagogique unique débutait en Russie : la construction d’une école nouvelle, allégée de ses tares tsaristes, dans un pays majoritairement analphabète et détruit par la guerre.

Cependant, certains militants exprimaient quelques réticences. Dès le Congrès fondateur de Bordeaux, Abigaille Zanetta critiquait ces Internationales pédagogiques qui "ne touchent pas au fond, mais seulement aux petits détails de l’école." . Ils ressentaient sans doute le risque que l’IE ne devienne l’affaire de quelques spécialistes, et que, par suite de débats trop obscurs, elle ne se coupe de ses adhérents.

Le conflit avec les conceptions bolcheviques

L’IE manifestait également une certaine séduction pour les théories libertaires, qui concordait avec les options de ses fondateurs. Plusieurs se retrouvèrent ultérieurement dans la Ligue Syndicaliste . Cette tendance minoritaire de la CGTU et de la Fédération, créée en 1925 par Pierre Monatte, défendait la charte d’Amiens contre le noyautage communiste, au nom des traditions du syndicalisme révolutionnaire français. Les communistes commençaient seulement à assimiler les théories bolchéviques, et des militants comme Louis Bouët et ses amis, pourtant membres du Parti, restaient fondamentalement syndicalistes-révolutionnaires.

L’Internationale Syndicale Rouge comprenait, depuis sa fondation à l’été 1921, un Comité International de Propagande (CIP) de l’Enseignement qui tentait de concurrencer l’IE avec principalement les syndicats russes et bulgares. Les CIP étaient conçus pour noyauter les internationales professionnelles réformistes et constituer des embryons d’internationales révolutionnaires. Peu d’éléments avaient manqué pour que l’IE ne prenne cette forme. En février 1921, le Sindacato proposait l’adhésion de l’IE à l’ISR, approuvé par le Conseil Fédéral français. Cependant, une telle option risquait de freiner la croissance de l’IE, notamment en empêchant l’adhésion de la Centrale belge, réformiste. Aussi certains souhaitaient-ils rassembler sur des bases plus larges.

Les circonstances politiques leur donnèrent gain de cause : la scission du Parti Socialiste Italien provoqua le départ de la CGT italienne de l’ISR en 1921, et Abigaille Zanetta se retrouva isolée au sein de son organisation. En France, les militants anarcho-syndicalistes et libertaires combattaient l’adhésion de la CGTU à l’ISR au nom du refus de la liaison organique entre syndicat et parti révolutionnaire. Le Bureau de la Fédération, membre de la CGTU dès sa création en 1921, était dirigé par des militants de cette mouvance, Marie Guillot puis les époux Cornec, de 1922 à 1924. Mais leurs adversaires de plus en plus déclarés, Louis Bouët et les militants communistes et communisants, représentaient la majorité dans la Fédération et toléraient une direction minoritaire.

Parallèlement, une polémique entre les partisans de deux langues artificielles (l’Espéranto et l’Ido) aboutit à la démission du Bureau Provisoire en avril 1921 et son remplacement par une équipe allemande. La section allemande se révéla incapable de gérer l’IE et l’hostilité grandissante de l’Internationale Communiste à son égard compléta son échec ; en août 1921, le délégué français se retrouva seul à Prague, censé être le lieu du congrès de l’IE...

Cet incident stimula la volonté internationaliste des Français, tandis que s’imposait peu à peu l’idée que l’IE ne pouvait rester indéfiniment le "bureau de correspondance de la Fédération française" . Pour les enseignants communisants, elle devait jouer un rôle plus nettement syndical, tenter de devenir un mouvement de masse en lien avec Moscou. A partir de janvier 1922, le nouveau secrétaire, Louis Boutreux, défendit cette stratégie. Proche du Parti Communiste, ami de Louis Bouët, il impulsa une vie régulière à l’Internationale, en publiant un bulletin. Boutreux organisa un vrai congrès à Paris (avec quatre pays représentés...) et entama un rapprochement avec l’ISR.

La situation de plus en plus conflictuelle à l’intérieur de la Fédération explique l’ambiguïté des débats occasionnés par une proposition de l’ISR, en juin 1923. Elle acceptait une fusion des deux organisations enseignantes à condition que l’IE entérine une plate-forme au ton très radical, prônant un enseignement de classe et légitimant la propagande auprès des enfants. Or, l’IE proclamait que l’école future serait rationnelle et universelle ; cette analyse stipulait que l’éducation en régime socialiste libérerait tous les individus et ne tenterait pas d’influencer les enfants. Le Bureau de la Fédération instrumentalisait le refus français d’abandon de cette conception pour s’opposer au rapprochement avec le syndicat russe . Mais cet obstacle ne put empêcher l’adhésion russe, qui ouvrit une nouvelle période dans la vie de l’IE.

II) L’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement, une Internationale syndicale au service de la bolchevisation de la Fédération, 1924-1928

L’IE, lors de son 2° Congrès, à Bruxelles, en août 1924, entreprit une mutation importante et acheva de s’éloigner des traits constitutifs de son idéologie fondatrice, en changeant de nom, de statuts (inspirés pour l’essentiel des propositions russes) et de secrétaire général.

Une adhésion russe qui modifie la physionomie de l’Internationale

L’adhésion d’une organisation telle que la Fédération Panrusse des Travailleurs de l’Enseignement ne pouvait que modifier la physionomie de l’IE. Elle passait de plusieurs milliers de membres à plusieurs centaines de milliers, son centre de gravité ne se situait plus seulement en France et l’apport financier russe allait permettre une amélioration du travail de l’Internationale. L’expérience de l’IE permit d’accréditer l’idée qu’une internationale n’était viable dans le milieu enseignant que sur la base de critères rassembleurs, en maintenant l’autonomie de la nouvelle structure. Le changement de nom traduisait une inflexion syndicale en portant l’accent sur les enseignants, définis d’une manière ouvriériste, comme travailleurs de l’enseignement. Ainsi, l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement (ITE) émanait, à bien des égards, d’une fusion déguisée entre l’IE et le CIP de l’Enseignement de l’ISR.

Ce résultat provenait en grande partie d’une double clarification. La première concerne le milieu révolutionnaire français, dans lequel l’existence d’un PCF en voie de bolchevisation était désormais assurée, tout comme l’hostilité des syndicalistes-révolutionnaires les plus libertaires, heurtés notamment par la création de fractions du PCF dans les syndicats. La seconde s’était opérée à l’intérieur de la Fédération, deux tendances s’y affrontaient : la minorité animée par les époux Cornec (Ligue Syndicaliste), hostile aux Russes et la majorité fédérale animée par Louis Bouët, majorité qui commençait à se structurer autour d’une fraction communiste, à la suite des efforts de Joseph Rollo.

De plus, l’existence d’un Bureau latin de l’ISR situé à Paris facilitait les contacts entre communistes français et russes . Les Russes, en adoptant une position plus souple qu’en 1923 (adhésion sans conditions à l’IE et dissolution du CIP) et en négociant avec les chefs de l’aile communiste de la Fédération, obtinrent donc que l’IE se conforme à leurs désirs.

L’ITE regroupait désormais des militants de dix pays, des auditeurs anglais et hollandais participaient aussi à son congrès . La Centrale belge, dirigée depuis plus d’un an par une équipe composée de sociaux-démocrates de gauche et de communistes, s’était prononcée pour l’affiliation après de longues hésitations.

L’essor de l’ITE se traduisit aussi par le choix d’un nouveau secrétaire général. Léon Vernochet avait participé aux réunions du Comité Directeur du Parti Communiste en août 1922 et présentait un profil adapté à cette nouvelle tâche. Ses positions à la gauche du PCF ne pouvaient que convenir à l’IC. De plus, son réel investissement syndical -il dirigeait le Syndicat de Haute-Garonne de la Fédération - le rendait acceptable aux yeux des partisans de l’indépendance syndicale. Enfin, sa connaissance du journalisme se révélait un précieux atout pour le bulletin de l’ITE. Disponible pour un statut de permanent, puisque révoqué à cause de son activité militante, il devait occuper ce poste durant huit ans. Cette stabilité de la direction de l’ITE contrastait avec la rotation rapide de la première période.

Léon Vernochet mit à profit les nouveaux moyens de l’ITE pour la doter d’un appareil conséquent. Il installa son siège à Paris, dans des locaux de la CGTU et publia régulièrement (presque tous les mois) un Bulletin substantiel. Le Bulletin en français était expédié aux 10 000 abonnés de l’Ecole Emancipée (la revue de la Fédération, lue également par des instituteurs qui n’en étaient pas membres), sa version allemande dénombrait également 3 000 lecteurs. Le seul budget qui ait été divulgué concerne l’année 1928 : l’ITE salariait neuf personnes, 93 % de ses fonds provenait des cotisations russes, 6 % des françaises. Ainsi l’ITE reposait sur les sections russes et françaises, même si le Bulletin de l’ITE regretta à plusieurs reprises l’irrégularité et la faiblesse des versements français. La Fédération se désinvestissait quelque peu de l’ITE, elle vivait plus chichement et pouvait considérer l’ITE comme le canal idéal pour acheminer les fonds russes. La cotisation russe paraissait d’autant plus disproportionnée que le bulletin ne disposait dans ce pays que de quelques centaines d’abonnés.

Tout en effet - et en particulier les archives de l’ISR - démontre la profondeur des liens entre l’ITE et sa section russe . Une de ses activités consistait en l’organisation de voyages d’étude d’instituteurs occidentaux en URSS, dans l’objectif de réduire l’isolement de l’URSS et d’écarter la menace d’une "guerre impérialiste". En octobre 1925, l’ITE avait publié six ouvrages, dont cinq consacrés à l’URSS. Elle éditait ainsi "les programmes officiels de l’enseignement en URSS", un discours de Zinoviev sur le corps enseignant et la dictature du prolétariat. Le bulletin de l’ITE publiait régulièrement des textes officiels de la section soviétique. Ceci provoquait des accusations nombreuses de philo-communisme envers l’ITE, et aussi des campagnes hostiles de la grande presse.

Georges Cogniot estime que "l’information sur la situation de l’école soviétique à destination des pays capitalistes allait passer en grande partie par le bulletin de l’ITE" . Ce rôle déterminant dans l’introduction de la pédagogie soviétique en France peut être illustré par la publicité donnée aux premiers succès des campagnes contre l’analphabétisme en URSS et par le ralliement à l’idée d’éducation de classe.

La bataille pour l’unité internationale

Tirant les conséquences de la nouvelle stratégie du "front unique" de l’Internationale Communiste, l’ISR estimait que sa tâche la plus urgente consistait "à développer au sein des masses ouvrières une vaste campagne pour l’unité du mouvement syndical international" . La stratégie de "front unique" ne signifiait nullement la fin des hostilités entre réformistes et révolutionnaires, qu’elle déplaçait sur le terrain de l’unité. Elle impliquait de stigmatiser le moins possible les sociaux-démocrates de gauche pour conclure une alliance contre la droite de la FSI, qui rejetait toute union avec l’ISR, craignant d’être noyautée par les communistes.

Dans ce contexte, la décision du Trade Unions Congress, la confédération syndicale anglaise, de déléguer au VI° Congrès de la CGT panrusse un de ses dirigeants, également président de la FSI, eut un grand retentissement. Les deux organisations créèrent un Comité Anglo-Russe pour la formation de l’unité internationale. L’ITE adressa une lettre de félicitations aux Russes et aux Anglais . Elle s’engagea de toutes ses forces dans le soutien au Comité Anglo-Russe, bataille qui devait prendre une grande place dans son activité.

L’ITE ne comptait qu’une section par pays. Elle réunissait des organisations membres de la FSI par leur centrale nationale (Italie, Belgique, Luxembourg, Espagne) ou membres de l’ISR par le même canal (Russie, Bulgarie, Pays-Bas, France), ou même autonomes (Portugal, Tchécoslovaquie). Aussi l’ITE développait-elle sa propagande pour l’unité syndicale internationale en valorisant cette particularité, érigée en modèle.

La Centrale belge fournissait la caution réformiste de l’ITE. Elle jouissait d’une représentativité incontestable dans son pays, avec plus de 3.000 adhérents en 1926. Elle participait activement à la vie de l’ITE, en particulier par l’intermédiaire du secrétaire pédagogique de l’Internationale, Van de Moortel. Son affiliation au Parti Ouvrier Belge rendait difficile la négation de son réformisme. Cependant, nous avons noté la force du courant communiste en son sein. L’un de ses leaders fut même élu président de la Centrale.

La volonté unitaire de l’ITE n’excluait pas quelques dérapages, comme cette déclaration d’un membre allemand du secrétariat de l’ITE : "Nous sommes séparés de Renaudel et de Jouhaux par le fossé qui sépare la bourgeoisie du prolétariat." Plus fondamentalement, son autonomie factice ne trompait pas grand monde et ne pouvait masquer son engagement au côté de l’ISR. L’autonomie de l’ITE était surtout conçue comme une arme dans la bataille de l’ISR pour l’unité et un atout pour le recrutement.

Les interférences entre la stratégie unitaire de l’ITE et la vie de la Fédération

En s’installant à Paris, près du Bureau latin de l’ISR, des directions nationales du PC et de la CGTU, l’ITE s’éloignait des instituteurs ruraux qui constituaient les piliers de la Fédération. Un esprit syndicaliste-révolutionnaire inspirait ces derniers, qui refusaient toute promotion administrative et dirigeaient la Fédération à tour de rôle, sans cesser leur métier, toujours dans des départements de province. En se dotant d’un appareil plus développé, l’ITE donnait corps à leur inquiétude de la voir se bureaucratiser. Sa montée en puissance et ses liaisons avec l’ISR induisaient une réduction de l’indépendance d’action des dirigeants fédéraux, désormais sommés de s’adapter aux circonvolutions stratégiques de l’IC.

Ce souci transparaît dans le rejet par Louis Bouët et ses amis, au nom des traditions fédérales, d’une proposition de Léon Vernochet et du syndicat de la Seine. Au Congrès de Paris, en août 1925, ils préconisaient la mise en place d’un permanent appointé, résidant à Paris, l’ITE se déclarant prête à supporter 50 % des charges financières . Une telle décision aurait rendu le permanent de la Fédération dépendant des Russes.

La première source de conflit sérieux avec la Fédération émana de la transposition au plan national de la bataille unitaire de l’ITE. En 1925, le SNI avait pratiquement achevé sa mue syndicale, tous ses adhérents étant affiliés à la CGT. Il devenait difficile de rejeter à priori tout geste en sa direction, d’autant qu’il groupait la grande majorité des instituteurs. L’ITE décida d’accepter plusieurs sections par pays, permettant ainsi l’éventuelle affiliation du SNI. Cette attitude provoqua l’opposition de Louis Bouët qui niait que le SNI soit devenu un véritable syndicat.

De plus, le SNI tolérait la double affiliation. Cette possibilité ne manquait pas d’être exploitée par les militants de la Ligue Syndicaliste, avec la bénédiction de Louis Roussel, président du SNI et membre de la Fédération. Il ne cessait d’expliquer que la porte du SNI était grande ouverte à gauche, pour amener un sang neuf au SNI et rénover ses pratiques et son vocabulaire. Les militants communistes entreprirent de noyauter à leur tour le SNI. Leur principal atout était constitué par les Groupes de Jeunes, groupes officiellement neutres et n’ayant pas choisi entre la Fédération et le SNI, mais en réalité pilotés par la Fédération qui les utilisait pour recruter de jeunes instituteurs. En 1926, ils comptaient 43 groupes départementaux, dont 9 au sein du SNI.

L’ITE, intéressée par ces expériences, décidait dès mars 1925 de mener sa bataille pour l’unité internationale à l’intérieur du SNI. Les années suivantes virent la progression dans le SNI d’une opposition animée par des partisans de l’ITE. Plusieurs sections du SNI invitèrent des dirigeants de l’ITE à exposer leur point de vue sur les questions internationales, montrant leur perméabilité à ses thèses. Cette campagne connut son apogée au congrès de 1927 où une motion sur la mise à l’étude immédiate de l’adhésion à l’ITE recueillit 27 % des mandats, score important pour un syndicat aussi soudé. Un autre vote indique que l’influence réelle de l’ITE pouvait être estimée à 12 %, avec en particulier le soutien de la section de Haute-Savoie. Le reste se composait notamment de délégués de la Ligue Syndicaliste, qui s’investissait beaucoup dans le SNI.

Pourtant, les dirigeants de la Fédération, Louis Bouët et Maurice Dommanget en tête, se souciant surtout de préserver sa pureté révolutionnaire, appréciaient peu une activité qui la privait de militants et tentaient en particulier de convaincre ceux de Haute-Savoie de créer un syndicat CGTU. Notons que l’idée du travail dans le SNI fut développée par les militants communistes impliqués dans l’activité politique, tel Joseph Rollo, responsable de la fraction communiste de la Fédération. Elle devait être concrétisée par l’ITE, et non par la Fédération, marquée par sa culture minoritaire. Pour la première fois, l’Internationale pratiquait une incursion dans le domaine réservé de l’une de ses sections.

En réaction, les dirigeants du SNI jouèrent un grand rôle dans l’édification de deux Internationales concurrentes de l’ITE. En premier lieu, en 1926, le Secrétariat Professionnel International de l’Enseignement, affilié à la FSI et comprenant les syndicats d’Autriche, d’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg (qui maintenait son adhésion à l’ITE). Ensuite et avec plus d’ambition, la Fédération Internationale des Associations d’Instituteurs (FIAI), qui réunit les puissantes associations neutres des pays européens, dans un but pacifiste relevant de l’esprit de Locarno.

La FIAI et son idéologie devint la principale cible des vives attaques de l’ITE. Une déclaration du secrétariat de l’ITE - à l’occasion du boycott en 1927 d’un Congrès sur "La Paix par l’Ecole" - résumait parfaitement cet anti-impérialisme virulent : "Ce n’est pas l’enfant ni l’instituteur qui donneront la paix au monde, mais le poing armé du travailleur." La rupture avec les conceptions pacifistes du début était consommée.

III) L’affirmation d’une idéologie enseignante spécifique au mouvement communiste, 1928 – 1932

Le ton de ces déclarations témoigne d’un durcissement de la ligne de l’ITE à partir de 1927. Pourtant il suffira de deux ans pour qu’il paraisse anodin dans sa prose.

L’ITE et le tournant “ classe contre classe ” du Komintern

L’origine de la métamorphose de l’ITE provient essentiellement de l’adoption en 1928, par l’Internationale Communiste, d’une nouvelle stratégie gauchiste et ultra-sectaire, appelée “ classe contre classe ”. En premier lieu, les communistes devaient prendre l’offensive dans tous les domaines et ne plus accepter la moindre concession aux réformistes. En conséquence, l’IC condamnait le front unique "au sommet" et l’ISR abandonnait tout espoir de rapprochement avec la FSI. Ensuite, la nouvelle stratégie modifiait les rapports entre mouvements syndicaux et politiques. Les liens entre l’Internationale Communiste et l’ISR, le PCF et la CGTU se renforcèrent ostensiblement. Le troisième volet de cette stratégie concernait la question de la paix : dénonçant les campagnes pacifistes de la social-démocratie, qui était considérée comme évoluant du social-chauvinisme au social-impérialisme, le Komintern appelait les communistes à soutenir de façon permanente la politique de l’URSS, menacée selon lui d’une guerre imminente.

Les deux derniers aspects de la nouvelle stratégie communiste furent intégrés sans difficulté par l’ITE. En revanche, elle éprouva plus de mal à adopter le premier, qui heurtait de plein fouet ses pratiques unitaires. Léon Vernochet ne manquait pas de contradictions. Alors que dans plusieurs de ses déclarations, il se montrait prêt dès 1928 à accentuer l’aspect pro-communiste de l’ITE, il répugnait à sacrifier sa ligne unitaire et à risquer de perdre les sections affiliées à la FSI. L’indépendance de l’ITE étant formelle, elle accepta cette stratégie, sous l’impulsion de Georges Cogniot , promu au secrétariat en 1928, après deux ans de militantisme en France.

L’attitude équivoque de l’ITE dura près d’un an, délai nécessaire pour que la théorie nouvelle du Komintern soit appliquée par les partis communistes. Elle se manifesta à propos de la Centrale belge, que certains dérapages pouvaient conduire à quitter l’ITE. Aussi en 1925 le ton du Bulletin de l’ITE envers les réformistes avait été adouci à sa demande. En 1928, une partie des militants communistes de la Centrale quitta le Parti Communiste Belge avec le courant favorable aux thèses de Trotsky, et s’opposa à l’ITE. Le Parti Ouvrier Belge en profita pour lancer une offensive contre l’Internationale et par ce biais contre l’orientation combative de la Centrale. Georges Cogniot contrecarra les velléités conciliatrices de Léon Vernochet envers la Centrale, et le débat aboutit en mars 1929 au départ de la section belge. Cet événement constitua une rupture qui symbolisa et justifia l’adoption de la nouvelle orientation par l’ITE.

La direction de l’ITE interpréta la nouvelle stratégie dans un sens qui rehaussait son importance : les sections de l’ITE étaient sans cesse sommées de faire preuve de discipline. Une phraséologie ultra-gauchiste, pleine d’invectives, tenait lieu de réflexion dans de longs articles. Par ailleurs, le discours de l’ITE opérait des glissements sémantiques. A l’origine, le terme “ révolutionnaire ” était employé pour définir l’un des deux courants de l’ITE, le courant communiste ou communisant, par rapport au courant social-démocrate de gauche, appelé lui "réformiste". Or l’ITE dans son ensemble se donnait maintenant la Révolution pour objectif ; officiellement, elle rassemblait uniquement des révolutionnaires, certes nullement contraints d’adhérer au Parti Communiste de leur pays. Elle évoluait vers la reconnaissance du rôle dirigeant des partis communistes. Ce changement était légitimé par la référence omniprésente à la lutte des classes, comprise dans un sens plus restrictif qu’autrefois, lorsque les sociaux-démocrates étaient sensés y participer. A partir de 1928-1929, la lutte de classes opposait également révolutionnaires et réformistes dans la terminologie de l’ITE.

Le Congrès de 1928 décida que les groupements d’adhérents isolés, en règle de leur cotisation, disposeraient d’un représentant titulaire au Comité Exécutif à partir de 200 membres. La création massive de groupes d’amis de l’ITE - officiellement 40 existaient à travers le monde - signifiait que l’ITE ne se cantonnait plus seulement à son rôle d’Internationale syndicale mais se transformait aussi en Internationale idéologique et pédagogique, cherchant à regrouper partout les quelques instituteurs partageant ses idées. Les débats pédagogiques, qui bénéficiaient d’un regain d’intérêt, étaient centrés sur l’application du marxisme et des thèmes avant-gardistes comme l’inutilité des manuels scolaires. L’ITE accentuait encore la popularisation des expériences soviétiques, confiant le secrétariat pédagogique à un russe. En 1931, l’ITE publiait Pédagogie Soviétique, un bulletin mensuel dirigé par Célestin Freinet, dont la collaboration à l’ITE resta épisodique.

Une autre conséquence de la stratégie "classe contre classe" était le soutien absolu de l’ITE à la politique de l’URSS. De 1924 à 1930, l’ITE passa d’une sympathie appuyée pour le régime bolchevik à un philo-soviétisme engagé. A cette époque, la formule : "la défense sincère et sans réserve de l’URSS" devint si courante qu’elle prit une valeur incantatoire.

La rupture entre l’ITE et une Fédération rétive à la nouvelle stratégie

L’alignement de l’ITE sur l’ISR lui valut de s’opposer durement à sa section française. En effet, les dirigeants communistes de la Fédération - Bouët, Dommanget et Rollo - toujours influencés par le syndicalisme révolutionnaire, se révélèrent réfractaires à la nouvelle stratégie.

La crise fut provoquée par un message du Komintern à la fraction communiste qui dirigeait la Fédération, l’accusant de n’exercer aucun effort sérieux à l’intérieur du SNI pour modifier son orientation, donc de ne pas soutenir les efforts de l’ITE. Le message reprochait à la direction fédérale une idéologie plutôt anarcho-syndicaliste (sur la guerre en particulier) et déclarait même : "Ce qui est bien caractéristique pour les chefs de la Fédération, c’est leur faiblesse idéologique, leur manque de perspectives, leur incompréhension du rôle du Parti, leur mauvais travail de fraction, toutes ces tendances jointes à un manque d’attention à la question de l’organisation, les mènent à la passivité opportuniste et à une résistance trop faible à la minorité anarcho-syndicaliste."

Le PCF, divisé également au sujet de la nouvelle stratégie, décida alors de convoquer tous les militants de la fraction communiste dans une réunion à Paris, début janvier 1929. La majorité de la fraction communiste avec Bouët, Dommanget, Rollo, se prononça contre le message de l’Internationale Communiste et une lutte féroce pour le contrôle du syndicat s’ensuivit . Les dissidents furent exclus du PCF ou en démissionnèrent. Ils constituèrent une tendance, la "Majorité Fédérale", qui développait ses analyses dans l’Ecole Emancipée, se dota progressivement d’une doctrine cohérente qui constitue la matrice du courant syndical du même nom .

Leurs adversaires constituèrent une tendance communiste dans la Fédération : la Minorité Oppositionnelle Révolutionnaire. Vernochet et Cogniot, les deux dirigeants de l’ITE entamèrent une campagne dans la France entière et apparurent comme la tête de la tendance. L’hémorragie de militants enseignants qui affecta le PCF à cette époque permit à une nouvelle génération de tout reconstruire. La MOR bénéficiait du soutien de la section de la Seine de la Fédération, des Groupes de Jeunes, de l’Union Générale des Etudiants pour l’Enseignement (structure regroupant notamment des normaliens, dirigée par les étudiants communistes et affiliée à l’ITE depuis 1929), de la Section Unitaire des professeurs, forte d’une centaine de membres. L’appui de la direction de la CGTU explique qu’elle soit également appelée Majorité Confédérale.

L’ITE aurait pu se contenter de mettre sa structure et ses permanents à la disposition de la MOR, en gardant officiellement une grande réserve sur le conflit. Au contraire, elle officialisa son soutien et confondit pratiquement son action en France avec celle de la MOR. Elle lui fournit son état-major et intégra dans son appareil les leaders de cette tendance. L’ITE proclamait désormais que son rôle était de diriger les luttes de ses sections, ce qui accentua les occasions de conflit avec la Fédération. Après le congrès fédéral particulièrement houleux de Marseille, en 1930, l’ITE était devenue l’ennemie mortelle de la Fédération qui l’avait enfantée, à un point tel que ses congrès furent boycottés et que la Fédération refusa plusieurs fois de payer ses cotisations.

Autre rupture fondamentale, l’ITE mettait désormais sur un pied d’égalité l’école laïque et l’école confessionnelle, estimant qu’elles dispensaient toutes les deux un enseignement de classe. Elle profita du Cinquantenaire de l’Ecole Laïque française, en 1931, pour prendre la campagne anti-laïque en main, en propageant une brochure de Joseph Boyer, au titre révélateur : "L’Ecole Laïque contre la classe ouvrière". Une position aussi extrémiste accentuait son isolement par rapport à un corps des instituteurs se vouant à défense de la laïcité. L’ITE édita également une affiche virulente à des milliers d’exemplaires et organisa une trentaine de réunions publiques. Cette bataille lui permettait de dénoncer concrètement les "carences" de la Fédération, qui boycottait les cérémonies tout en défendant l’école laïque. Ainsi l’ITE avait démontré sa capacité à être l’outil syndical du Parti Communiste Français chez les enseignants, plus que la MOR, puisqu’elle intervenait dans les deux syndicats enseignants.

Un intérêt renouvelé pour le noyautage du SNI

A partir de 1931, l’ITE relança ses efforts d’implantation dans le Syndicat National des Instituteurs, afin de militer dans un cadre moins étroit que la Fédération. Sa nouvelle stratégie ne lui permettait plus de rallier les sympathies de syndiqués très éloignés du communisme : l’ITE qualifiait les dirigeants réformistes de "social-fascistes" ... Elle se contenta donc de structurer ses groupes de partisans dans chaque section départementale du SNI.

Des départements comme la Haute-Garonne servirent de laboratoire à cette tactique d’implantation dans le SNI. Le Groupe des Jeunes y comptait près de 200 membres, sur 500 à 600 adhérents du SNI ; les instituteurs communistes n’étaient que trois et le Syndicat de la Fédération ne comptait que quinze membres qui rédigeaient un bulletin très apprécié . Aux élections du Conseil Départemental de l’enseignement primaire de 1932, les militants du groupe de l’ITE dans le SNI appelèrent à voter pour les candidats concurrents de la Fédération, qui ne recueillirent que 100 voix face à ceux du SNI. Pourtant, dans les assemblées générales internes au SNI, ils rassemblaient plus de 200 suffrages et y frôlait la majorité. Ainsi les communistes pouvaient en déduire qu’il était moins intéressant de s’investir dans la Fédération unitaire que dans le SNI.

En 1932, le Congrès de Hambourg permit à l’ITE de constater l’impasse dans laquelle elle se trouvait. Elle ressemblait plus à un conglomérat de groupuscules au fort contenu idéologique, de cercles de pédagogues marxistes, qu’à une internationale syndicale. Sous la pression soviétique, l’ITE amorça la recherche de nouvelles pratiques unitaires, en contradiction flagrante avec le rapport préalablement écrit. Ce tournant délicat fut assumé par Georges Cogniot, secrétaire général de l’ITE depuis une réunion du bureau de sa fraction communiste, en septembre 1931. S’il ne signifiait pas un simple retour à la stratégie de front unique - d’autant que la Majorité Fédérale était devenue farouchement anti-communiste -, l’ITE participa efficacement à la fusion du SNI et de la Fédération en 1935.

Conclusion

Lors du Front Populaire, l’identité communiste enseignante était donc en place : les partisans de l’ITE avaient rompu concrètement avec l’idéologie dominante chez les instituteurs et également ressenti le prix d’un sectarisme trop grand. L’expérimentation de méthodes syndicales nouvelles, telles que le travail à l’intérieur des Ecoles Normales et du SNI leur permettaient de mieux entrer en contact avec leur milieu. Leur idéologie scolaire était marquée par la valorisation du modèle soviétique et la dialectique du refus de "l’école bourgeoise" et du large rassemblement de tous les laïques.

L’Internationale joua un rôle fondamental dans l’émergence de cette identité, qui suit les méandres de son histoire. La période 1924-1928 constitue l’âge d’or de l’ITE, en raison du nombre de ses adhérents non-russes, de la qualité de son bulletin, et de l’adéquation de sa situation autonome à la stratégie unitaire de l’ISR et de l’Internationale Communiste. En insistant sur son autonomie, exemple vivant de l’unité syndicale internationale, l’ITE créa un discours qui fut paradoxalement ré-utilisé par les partisans de L’Ecole Emancipée lors de la scission confédérale de 1948. En effet, sous leur impulsion, la FEN garda son autonomie pour préserver son unité, contre l’avis des communistes et de leurs alliés syndicaux, qui souhaitaient rester à la CGT.

Les multiples péripéties de la période 1928-1932 servirent de révélateur, en écartant les militants qui refusaient la discipline exigée par le Komintern. Cette ère d’affrontement avec sa fondatrice française permit à l’ITE de former en son sein une nouvelle génération d’enseignants communistes. Parmi eux, outre Georges Cogniot, qui allait devenir la figure tutélaire de la politique scolaire communiste durant des décennies, citons les constructeurs du courant cégétiste de la FEN d’après-guerre, Paul Delanoue et Georges Fournial . L’Internationale fut dissoute en 1946, au profit de la Fédération Internationale des Syndicats d’Enseignants, affiliée à la Fédération Syndicale Mondiale.

L’ITE avait été fondée par des militants de la mouvance de la Ligue Syndicaliste, qui structurèrent solidement la majorité réformiste du SNI après la Libération. Elle assura la transition entre la rupture avec les partisans de la Majorité Fédérale - ancêtre du courant Ecole Emancipée - et le moment où les instituteurs communistes augmentèrent leurs effectifs et prirent solidement pied dans le syndicalisme enseignant. L’antagonisme entre les trois groupes issus de la Fédération survécut à tous les changements de conjoncture, et constitua une donnée structurelle des affrontements de tendance vécus par le syndicalisme enseignant français .

Laurent Frajerman


Voir en ligne : Version publiée dans les Cahiers d’histoire critique