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Absentéisme scolaire : l’échec de la pénalisation

Suspendre les allocations et... supprimer la réflexion

dimanche 17 octobre 2010, par Etienne Douat

La mesure de suspension des allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes récemment adoptée par le Sénat ne donnera aucun résultat. Présentée comme une nouveauté, elle est en réalité très ancienne, largement expérimentée depuis 1959, avant d’être abrogée en 2004.

Lorsqu’il s’installe à l’Intérieur en 2002, Nicolas Sarkozy s’approprie la question de l’absentéisme et veut durcir les sanctions en remplaçant la suspension des allocations par une amende parentale de deux mille euros, réponse pénale à la hauteur du «  risque de délinquance  » qu’entraîneraient les manquements à l’assiduité. L’annonce suscite un tollé. Chercheurs et représentants du champ éducatif, invités à s’exprimer dans le cadre d’une «  grande consultation  », sont d’accord : le dispositif de suspension est «  trop répressif, injuste et inefficace  ». Aucune enquête ne permet d’affirmer que lorsqu’elle est appliquée (environ neuf mille suspensions prononcées en 2001-2002) la mesure entraîne un retour à l’école. Quant à l’amende, ils sont majoritairement contre puisqu’elle ne ferait qu’accentuer une logique de pénalisation des familles qu’ils réprouvent. Mais le but de cette consultation n’est pas d’interroger l’approche sécuritaire de l’absentéisme. Il s’agit de calmer les esprits en «  communiquant  » autour de l’organisation d’un grand débat… dont on ne retiendra presque rien, juste ce qu’il faut pour légitimer la seule «  responsabilisation des parents  ».

Quelques mois plus tard, exit la suspension des allocations. Et, comme prévu, la sanction pénale réprimant l’absentéisme est renforcée avec la mise en place d’une contravention (750 euros). Exit aussi les réflexions des acteurs auditionnés et leurs pistes alternatives. Qu’on se le dise, la démission des parents explique les manquements des élèves. Sous le coup de la sanction, ils prendront conscience de leur erreur, et leurs enfants renoueront avec l’assiduité. Le rôle de l’école ? Rappeler la loi avec fermeté, renforcer la surveillance, «  traiter  » et «  signaler  » toutes les absences en «  temps réels  » suivant le principe de la «  tolérance zéro  ». Les conditions d’apprentissage ou l’expérience de l’échec sont des questions secondaires… quand elles ne sont pas oubliées. 2006, peu après les émeutes. La suspension chassée par la porte revient par la fenêtre, comme réponse possible au nom du contrat de responsabilité parentale proposé aux «  familles en difficulté  » par les départements. Un échec, encore. Très peu de contrats signés et des conseils généraux qui rechignent à brandir l’arme des allocations. Dans le même temps, se diffusent les recherches attestant l’aporie d’une perspective centrée sur la culpabilité des familles, ignorant la précarité de leurs conditions, la question des conflits de socialisation dans lesquels sont pris les élèves et le rôle de l’école dans la genèse du décrochage. 2010, la surenchère sécuritaire s’accentue. Invoquant une «  inflation  » de l’absentéisme et le «  laxisme  » des conseils généraux, le monsieur Sécurité de l’UMP, Éric Ciotti, veut re-réinstaurer la suspension des allocations, appliquée cette fois de manière systématique par les inspections académiques. Sa loi est votée. Une nouvelle «  arme de dissuasion  » qui «  réinstaure la crainte de la sanction  » pour «  les familles qui n’ont pas saisi la main qu’on leur a tendue  ». Étrange, la «  culture de l’évaluation  », par ailleurs imposée comme un dogme, se heurte à un mur.

Que la dernière «  innovation  » pour lutter contre l’absentéisme scolaire soit un échec annoncé ne la rend pas anodine. Sa (re)mise en œuvre atteste le mépris qu’inspire aujourd’hui la recherche en sciences sociales, et l’hypocrisie de nombre d’opérations de consultation d’acteurs de terrain, dont la parole est finalement instrumentalisée ou simplement ignorée. Sa réactualisation et le discours de promotion qui l’accompagne participent aussi d’un processus collectif qui conforte comme autant d’évidences la seule responsabilité-culpabilité des familles dans les phénomènes de décrochage, et obère toute réflexion sérieuse sur les questions pourtant décisives du sens de la confrontation aux exigences scolaires, notamment en milieu populaire, de l’auto-exclusion des apprentissages, et plus largement des contradictions d’un système scolaire aujourd’hui massifié mais toujours très inégalitaire.

Du même auteur, à paraître en janvier 2011 : L’école buissonnière, aux éditions La Dispute.


Voir en ligne : Article paru le 16 octobre dans L’Humanité