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Apprendre à lire à 50 ans... ou au CP ?
lundi 2 novembre 2020
Aline LE GULUCHE, J’ai appris à lire à 50 ans, Editions Prisma, 2020.
C’est un livre émouvant que nous donne à lire Aline Le Guluche au travers de son autobiographie de femme illettrée. Avec beaucoup de dignité, elle n’élude aucun aspect du vécu qui fut le sien entre l’enfance où elle n’a pas pu apprendre à lire et le moment de la libération, où à 50 ans elle a pu sortir de l’épreuve qui fut la sienne pendant tant d’années. Lecteurs, nous pouvons essayer d’imaginer ce que cela représente d’être en permanence obligé d’inventer des stratégies pour qu’autrui ne puisse pas deviner que l’on est incapable d’accéder au sens du moindre écrit. Mais pour suivre tout ce que cela signifie dans le vécu quotidien, de honte, de peur, de replis, il faut un livre comme celui d’Aline Le Guluche. Ce livre nous permet de sentir à quel point la vie professionnelle et personnelle peut être difficile dans une société où tout passe par l’écrit lorsque l’on a été empêché-e de pouvoir le déchiffrer, mais aussi à quel point il faut être capable de beaucoup d’intelligence et de pugnacité pour affronter et déjouer les embûches permanentes qui se présentent.
Parce que ce témoignage s’attelle à un problème social critique, alarmant et récurrent, il appelle un commentaire sur un point sensible qu’il est difficile de passer sous silence. On a réussi à convaincre Aline Le Guluche que c’est la dyslexie qui est à l’origine de ses difficultés, d’où le plaidoyer qu’elle lance en faveur d’un recrutement d’orthophonistes au sein même de l’école, pour remonter le niveau scolaire et réduire les inégalités.
Bien que la dyslexie « vraie » ne touche qu’un nombre infime d’enfants, on a réussi à populariser l’idée que tout enfant qui ne parvient pas à lire en est atteint, d’où l’explosion du nombre d’orthophonistes. Une enquête récente qui porte sur un très vaste échantillon, montre qu’en juin, fin de l’année de CP concernée, l’ensemble des élèves ne lisent pas plus de 38 mots en moyenne en une minute. 50% n’en lisent pas plus de 18. Quel avenir scolaire pour ces élèves ? Une telle donnée, avec d’autres, montre qu’il n’est pas pensable d’invoquer la dyslexie pour expliquer le phénomène, pas plus d’ailleurs que l’origine socio-culturelle des élèves, elle aussi mise en avant pour passer sous silence le rôle déterminant de l’école dans son ensemble.
Aline Le Guluche a forcément rencontré des démarches efficaces d’enseignement de la lecture, puisqu’elle a réussi à vaincre son illettrisme. Les encouragements qui lui ont fait défaut dans l’enfance l’ont aidée à réussir cette nouvelle conquête, mais il a bien fallu qu’elle s’approprie les clés fondamentales du savoir lire auxquelles tout apprenti lecteur doit nécessairement être confronté. Cet apprentissage peut être encouragé, mais en aucun cas remplacé dans ses exigences propres. Des exigences qui n’ont pas grand-chose à voir avec la dyslexie, mais beaucoup avec la formation des maîtres.
Merci à l’auteure pour ce précieux témoignage qui pose des questions essentielles.
Janine Reichstadt
[Publié dans l’Humanité du jeudi 29 octobre 2020 rubrique « Parlons-en ! »]