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Pour le lycée unique

mercredi 18 mai 2011, par José Tovar

Dans le texte intitulé « Un lycée unique ? Le GRDS lance la discussion », la question est posée :

« Si l’on admet que, dans l’école commune que nous préconisons, le parcours commun commence à trois ans, ( … ) à quel niveau s’agit-il d’en fixer le terme ?
 »

Dans un livre paru récemment (Faites chauffer l’école, Principes pour une révolution scolaire, par Bernard Calabuig et José Tovar, ed. Syllepse), José Tovar, membre du GRDS, affirme un choix qui soulève de nombreuses questions : c’est celui d’un tronc commun allant jusqu’à la classe de première, sanctionné par un baccalauréat de culture générale, et ouvrant en terminale sur quelques grandes options préfigurant des orientations disciplinaires et professionnelles ultérieures. Nous soumettons au débat, avec son accord, deux extraits de son livre où ce choix est exposé, la question de la formation professionnelle initiale étant abordée par ailleurs.

Inventer l’école commune

Le concept de « haut niveau de culture commune » comme finalité principale d’un système éducatif réellement démocratique est, à juste titre souvent utilisé dans le vocabulaire revendicatif des organisations progressistes. Nous reviendrons plus avant sur ce concept, qui devra être précisé, mais il implique, en tout état de cause, qu’on en finisse avec le système fallacieux de « l’école unique » pour construire enfin l’école commune assurant réellement, du fait de son organisation l’accès de tous les jeunes à cette culture. C’est pourquoi nous proposons de construire un parcours scolaire commun à tous les élèves dès l’entrée à l’école enfantine jusqu’à 18 ans et assurant la réussite scolaire de chacun. Il s’agit d’organiser la scolarité de tous les jeunes autour d’un tronc commun de disciplines de culture générale auquel pourraient s’ajouter diverses activités sportives, artistiques et culturelles. L’objectif de cette scolarité commune serait l’obtention d’un baccalauréat de culture générale à l’issue de la classe de première, mariant la transmission des savoirs fondés sur les acquis scientifiques historiques, fruits de la rigueur intellectuelle et de la raison nés au sein des grandes civilisations humaines avec ceux issus du monde du travail et des pratiques professionnelles, les savoirs relevant de la maîtrise du corps (EPS) et ceux de la sensibilité (éducation artistique et culturelle), assurant ensemble l’ouverture aux approches différentes de l’autre et du monde et associant en permanence démarches théoriques et pratiques dans l’organisation des apprentissages. Bien entendu, il faudra, lors de la définition de ce cursus, redéfinir la place, le contenu et la progressivité de chaque discipline : dans cette perspective nouvelle de polyvalence et de pluridisciplinarité, la hiérarchie entre disciplines comme les ruptures inhérentes au système actuel sont appelées à s’effacer.

La priorité ainsi accordée à la culture commune pose du coup de façon nouvelle la question de la formation professionnelle initiale qui ne peut venir qu’en prolongement, dans la continuité de la formation générale. Dans ce schéma, la formation à un métier, quel qu’il soit, n’interviendrait qu’après l’obtention du baccalauréat d’études générales, selon des modalités prenant en compte la spécificité de chacun des métiers et débouchant dans tous les cas sur un diplôme qualifiant. Nous proposons donc que la classe de terminale des lycées fasse l’objet d’enseignements plus largement optionnels, débouchant sur l’obtention d’un baccalauréat de spécialité, premier palier d’orientation pré-professionnelle.

Le déroulement de scolarité que nous proposons pour tous les élèves s’organiserait donc sur le schéma suivant :

1. de deux ou trois ans à dix-sept ans (de l’école enfantine au lycée) : école commune constituée de classes hétérogènes bénéficiant de pédagogies adaptées à ce nouveau mode d’organisation et débouchant sur l’obtention d’un baccalauréat de culture générale ;

2. entre dix-sept et dix-huit ans, une année à fonction propédeutique débouchant sur un baccalauréat de spécialité, et sur une diversification des parcours, notamment entre formation professionnelle et études longues dans le cadre de l’enseignement supérieur.

Vers un baccalauréat de culture générale

L’architecture globale actuelle du système ne serait pas bouleversée par cette organisation nouvelle des scolarités, même si les contenus des programmes et les formes d’organisation des études seraient bien sûr complètement à reconsidérer.

La répartition des élèves entre études générales, technologiques ou professionnelles serait reportée au niveau de la classe de terminale du lycée pour permettre l’accès à une formation professionnelle immédiate à ceux qui le souhaitent et la poursuite d’études plus ou moins longues pour les autres. Cette classe serait donc conçue comme une véritable propédeutique organisées autour d’un tronc commun de matières générales auquel s’ajouteraient des options de spécialité permettant une claire distinction entre les trois voies choisies. On recherchera en tout état de cause dans l’organisation globale un équilibre permettant d’éventuelles réorientations en cours et/ou en fin de parcours.

Afin d’éviter toute rechute dans un système d’orientation conditionné par les différences d’acquis cognitifs attestés à ce stade de la scolarité, le choix éventuel fait par l’élève d’un projet individuel de vie professionnelle sera le fruit d’un long processus de sensibilisation, d’information et de réflexion entamé très en amont, dès le collège, avec l’aide de personnels spécialisés relevant d’un service scolaire de psychologie pour l’éducation et l’orientation, sans que l’on puisse préjuger du moment où l’élève fera les choix décisifs, chaque individu étant, là aussi, singulier.

Il faut, bien entendu, prévoir les situations exceptionnelles où le parcours théorique viendrait à être entravé par des « accidents de vie » (scolaire ou autre) mettant en cause la progression normale de la formation. Les membres de l’équipe pédagogique concernée, éventuellement aidée par des spécialistes extérieurs, seront chargés dans ces situations de mettre en place des dispositifs temporaires, individuels ou collectifs, adaptés à chaque cas et ne marginalisant pas l’élève, seuls les élèves affectés de handicaps sévères étant susceptibles d’être pris en charge dans des écoles spécialisées. La créativité professionnelle des enseignants sera ici fortement sollicitée et encouragée.

(…) La mise en place du tronc commun scolaire dans les conditions énoncées ci dessus ne suffira probablement pas à réduire toutes les inégalités héritées de la diversité des origines sociales, géographiques ou culturelles des élèves. Nous savons par ailleurs que la culture des milieux sociaux défavorisés privilégie le « concret » plutôt que l’abstraction, la manipulation d’objets matériels plutôt que la réflexion théorique et qu’elle donne plus spontanément du sens aux savoirs lorsque leur intérêt pratique apparaît clairement. Il semble donc également important de concevoir un système scolaire permettant de compenser – autant que faire se peut – ces inégalités dans l’accès aux savoirs organisés par la culture scolaire par le développement, au plan local, dans et hors les établissements d’enseignement, d’activités fondées sur leurs usages sociaux (…). Cette proposition n’est d’ailleurs pas originale : il suffirait bien souvent de redonner vie, par exemple à des clubs, des ateliers de pratiques scientifiques, artistiques, de cinéma, etc. qui existaient il n’y a pas si longtemps ( et qui existent encore parfois !), animés par des enseignants.

Mais il s’agirait, dans notre esprit, d’en redéfinir les finalités : autrefois conçus essentiellement comme activités de "loisirs éducatifs" , il faudrait les concevoir comme de véritables activités d’enseignement, complémentaires dans leur forme comme dans leurs contenus aux enseignements développés en classe, en quelque sorte comme des "travaux pratiques ludiques" systématisés. Animés par des enseignants ou des intervenants extérieurs spécialisés, mais toujours entretenant un rapport étroit avec l’équipe éducative des élèves concernés, l’essentiel étant qu’ils soient réellement conçus de manière à apporter un complément utile aux apprentissages spécifiquement disciplinaires. Précisons que la conception des activités culturelles que nous développons ici n’a que peu à voir avec la conception développée depuis quelques décennies dans notre système éducatif sur les pratiques d’éducation artistique et culturelle offertes à certains élèves, soit sous forme d’option au baccalauréat, soit sous forme de classes à projet, voire de rencontres plus ou moins permanentes avec des artistes « en résidence » ou en partenariat dans certains établissements scolaires.

Il s’agit là en effet d’une conception de l’éducation artistique et culturelle discriminante sans que cela ne modifie d’aucune manière l’absence totale d’ambition en direction du plus grand nombre. C’est la raison pour laquelle nous préférerons utiliser la terminologie d’« activités prenant en compte les usages sociaux et culturels des disciplines scolaires ». Il ne s’agit pas pour autant de traiter par le mépris ce qui se fait, encore moins les enseignants qui s’investissent souvent de façon remarquable dans ces activités d’éducation artistique qui restent malheureusement marginales. Tout simplement, c’est d’autre chose dont il est question ici. L’idée directrice est en effet que les apprentissages scolaires puissent s’appuyer sur des pratiques culturelles partagées, sources de plaisir immédiat, donnant un sens supplémentaire aux contenus d’enseignement et contribuant ainsi à réduire les écarts scolaires.

Messages

  • Comme conseiller d’orientation retraité ayant travaillé en collèges ZEP (Mantes-la-Jolie) je suis sensible au fait que ce projet permettrait de remédier à l’"orientation" prématurée, souvent contrainte et irréversible vers la voie professionnelle. Pour maintenir tous les élèves dans le tronc commun jusqu’en première il faudrait que les programmes fassent une part aux enseignements pratiques (comme dans les pays nordiques...)c’est pourquoi le terme "culture générale" (connoté socialement par ailleurs) me gêne un peu.
    Charles Fornier.

  • De la part de Denis Paget, en complément de ce que j’ai déjà écrit je vous adresse un article paru dans le supplément formation des maîtres de la revue du SNEsup :

    Pour un nouveau lycée

    Disons d’abord qu’il n’est pas de progression possible du nombre de lycéens qui poursuivront des études sans une amélioration sensible des apprentissages sur toute la chaîne éducative. Rappelons ensuite que les solutions de cette amélioration ne relèvent d’aucune recette miracle ; nous en sommes au stade où les solutions pédagogiques restent largement à inventer à partir de l’expérience du quotidien et des réflexions menées dans les différentes disciplines des sciences de l’éducation. Toute réforme doit donc s’inscrire dans le temps long et partir des enseignants, de leurs controverses et de leur formation.

    Parmi les mesures d’urgence qu’il me paraît nécessaire de prendre, je crois qu’il faudrait donner des possibilités de reprendre ce qui a été manqué à divers niveaux du cursus. Le verdict scolaire actuel revêt un caractère tellement définitif qu’il décourage tous ceux qui ont le sentiment d’avoir échoué à un moment de leur scolarité. De ce point de vue, la perception positive des classes d’adaptation pour les élèves venant de l’enseignement professionnel en 1ère ou en STS, ou pour ceux qui veulent se réorienter , indique une des voies possibles. Allons même plus loin en souhaitant que les lycées accueillent beaucoup plus d’adultes en formation, jeunes ou moins jeunes. J’ai actuellement une classe de BTS qui mélange ces publics et je trouve que c’est très riche et encourageant pour les étudiants.

    Mais à plus long terme quelle structure des lycées proposer ? les mêmes idées reviennent toujours : modulariser les formations et se rapprocher d’un système « à la carte » ? conserver des voies identifiées en les diversifiant plus ou moins ? créer une sorte de lycée unique ? de droite ou de gauche ces idées reviennent en boucle. Ce n’est pas très étonnant car chacune présente des avantages et des inconvénients. Un lycée modulaire laisse l’initiative du parcours à l’élève et à sa famille : c’est très souple mais c’est aussi très inégalitaire car tous les élèves ne sont pas en situation de faire les bons choix ; la formation risque l’éclatement et les déséquilibres. Conserver des voies identifiées à dominantes renforce la cohérence inter-disciplinaire mais présente aussi le désavantage de la rigidité, de la hiérarchie sociale des filières. Le lycée unique évite cette hiérarchie et permet de maintenir une culture commune le plus longtemps possible mais présente l’inconvénient de demander à tous les élèves de faire à peu prés la même chose en faisant fi des goûts et en éliminant de fait de nombreux domaines aujourd’hui couverts par la diversité car on ne peut demander à tous les élèves de tout faire. Ajoutons qu’un lycée unique tuerait définitivement toute formation professionnelle de service public et ferait prendre le risque – déjà bien présent dans les réformes – de laisser dominer la pédagogie des séries générales sur tout ce qui a pu s’inventer dans les enseignements technologiques et professionnels.

    Il faut donc trouver une voie qui limite ces inconvénients et installe pourtant des exigences plus égalitaires. J’en propose une : celle qui construirait des dominantes tri-disciplinaires organisées mais plus nombreuses et évolutives que celles d’aujourd’hui à partir d’un choix de majeures et de mineures. Ces dominantes devraient inclure des champs nouveaux (par ex. l’écologie, l’environnement, les risques ; l’urbanisme, l’architecture, les cultures urbaines ; la communication et les medias ; les nouveaux systèmes technologiques et les énergies nouvelles ; la socio-histoire etc.). En même temps, et pour éviter les hiérarchies, il faudrait construire des enseignements de culture générale commune, fondés sur une honnête vulgarisation, c’est à dire une culture pour non spécialiste mais qui ouvre aux grandes problématiques scientifiques ou philosophiques, ou historiques, ou littéraires etc. Elle suppose une maîtrise suffisante de la langue pour poursuivre des études supérieures et construire sa pensée. Cette « culture commune » devrait être validée séparément des spécialités des dominantes et sans compensation pour s’assurer qu’elle est vraiment acquise. Les universités pourraient peut-être faire valoir différents niveaux d’approfondissement exigibles en fonction des poursuites d’études envisagées.

    Enfin, il faut fluidifier les parcours entre les différents types de lycée et décloisonner le professionnel sans le faire disparaître, même si, à plus longue échéance , on peut peut-être généraliser l’idée de lycées totalement polyvalents avec un corps unique d’enseignants( ce qui pose le problème de la bivalence des PLP rendue nécessaire par le faible nombre d’heures d’enseignement général dans les formations pro.). Le principe de poursuites d’études post-bac pro. me semble entrer progressivement dans les faits à condition de prévoir et multiplier des formations type licences pro ou licences technologiques pour accorder à ces lycéens la possibilité d’aller au plus haut niveau.

    Un tel projet ne peut vivre dans des classes comme celles que nous connaissons cette année ; il suppose aussi de changer les modalités de travail en donnant du temps à un travail personnel réellement encadré.

    Denis Paget