Accueil > Débats > L’école est la grande affaire des classes populaires

L’école est la grande affaire des classes populaires

lundi 10 octobre 2011, par Janine Reichstadt

L’école est une préoccupation majeure pour l’ensemble de la société, mais beaucoup plus encore pour les classes populaires, confrontées qu’elles sont à la contradiction particulièrement douloureuse qui se noue pour elles entre leurs aspirations à la franche réussite de leurs enfants et l’échec massif qu’ils subissent. Aussi, l’école est devenue une très grande affaire populaire aux enjeux sociaux et politiques considérables.

En 1962, chez les ouvriers, 15 % des parents souhaitaient que leurs enfants atteignent le bac. Ils étaient 88 % en 2003. Or, 22 % des enfants d’ouvriers obtiennent un bac général, quand c’est le cas pour 72 % des enfants de cadres.

Toutes les décisions prises par la droite vont dans le sens d’une aggravation de cette situation, par la destruction progressive et systématique des bases sur lesquelles l’éducation nationale s’est construite. La disparition de la carte scolaire, la fin du collège unique, de la formation des enseignants, le socle commun, l’autonomisation des établissements… sont autant de mesures destinées à définir les tâches d’une nouvelle école : produire les «  compétences de base  » du «  capital humain  » dont ont besoin les exigences capitalistes d’employabilité à un pôle et les hautes qualifications réservées aux mêmes à un autre.

Cette situation commande à la gauche de vouloir arrêter la casse et de décider d’une politique ambitieuse de moyens à la hauteur des nécessités, mais pas pour revenir à l’école d’avant les premières mesures structurelles de la droite, car c’est celle du tri, des filières d’inégale valeur sociale, des 150 000 jeunes qui en sortent chaque année en très grande difficulté. Cette école-là a fait son temps, elle est humainement, socialement, économiquement insupportable. Envisager de construire une autre école s’impose, celle de la démocratisation, que dans le Groupe de recherches sur la démocratisation scolaire nous avons appelée l’«  école commune  ».

Pour aller vers cette école, il faudra des changements institutionnels, mais il faudra aussi travailler la question des apprentissages. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de nous tourner vers le milieu social des élèves pour expliquer leurs échecs : les enfants des classes populaires ont les ressources nécessaires pour entrer avec succès dans la culture de l’écrit, et ce n’est pas chercher à culpabiliser les enseignants que ne rien céder sur les enjeux de cette réalité.

Aujourd’hui, les enseignants sont confrontés à des situations qui peuvent les conduire à s’interroger sur le sens même de leur métier au regard de la hauteur de leur investissement responsable. Mais les difficultés angoissantes qu’ils éprouvent posent aussi la question des dispositifs d’enseignement qu’ils mettent en œuvre, et agir sur ces difficultés suppose qu’on leur donne les moyens de reprendre collectivement la main sur leur métier en s’appuyant sur la confrontation de leurs pratiques, la recherche entre pairs, avec l’apport des formateurs et des chercheurs : interroger en grand les pratiques contre-productives ne peut plus être éludé. Il y va de la résorption de l’inégalité scolaire, mais aussi du bonheur d’enseigner.

Parvenir à bien lire et écrire tôt est primordial : sans ce savoir, l’avenir des jeunes élèves est d’avance compromis et l’école commune a peu de chances de commencer d’exister. C’est pourquoi réfléchir aujourd’hui sereinement aux démarches d’enseignement qui permettent aux élèves d’accéder à l’intelligence de la lecture, et plus largement à celle de tous les apprentissages, prend un caractère d’urgence, compte tenu des difficultés existantes.


Voir en ligne : L’Humanité