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Collège : traiter les dysorthographies ?

dimanche 20 mai 2012, par Marc-Olivier Sephiha

Professeur de français affecté en collège ZEP, Marc-Olivier Sephiha a constaté, comme bien d’autres, la quasi impossibilité d’un exercice minimum de son métier s’il n’affrontait pas les lacunes les plus fondamentales de ses élèves en matière de langue écrite. On trouvera ci-dessous l’analyse qu’il a menée de ces lacunes, ainsi que la description des « ateliers de remise à niveau » qu’il a conçus en conséquence et de leurs résultats. Le texte que nous proposons ici est extrait d’une contribution plus développée, Les dysorthographies au collège, que l’auteur a donnée au site Skholé, et qui comporte notamment une réflexion argumentée sur les modalités d’apprentissage de la langue écrite. Les enseignants intéressés par les formes précises de la conduite des ateliers de remise à niveau peuvent prendre contact avec l’auteur par courriel :

Lorsque j’ai débuté en tant que professeur de français au collège, il y a quatre ans, et comme je n’avais pas été préalablement formé sur ce sujet, j’imaginais que j’aurais à lutter avant tout contre l’écriture phonétique des élèves (le mode texto ou SMS) ; donc me préoccuper essentiellement d’orthographe et du sens - ou de l’absence du sens - grammatical et lexical, révélé par cette écriture. Mais, devant la récurrence d’erreurs ne relevant pas de ces catégories, j’ai découvert peu à peu d’autres difficultés, plus élémentaires encore, sous la partie émergée de l’iceberg orthographique. Je fus alors tenté de m’exclamer : « si au moins mes élèves écrivaient phonétiquement ! Je n’aurais plus qu’à leur apprendre la grammaire, la conjugaison, l’orthographe, la littérature… » Car j’ai fait le même constat – et dans les mêmes proportions - dans les deux collèges des Hauts-de-Seine tous deux classés ZEP et inclus dans le dispositif de « prévention violence » où j’ai enseigné : près de 95% des élèves font des erreurs sur le son des lettres. Je parle bien de sons, et non d’erreurs d’orthographe grammaticale ou lexicale ! En novembre 2010, j’ai corrigé un test comprenant la plupart des graphèmes du français : sur quatre classes, soit 95 élèves au total, seuls 5 d’entre eux n’ont fait aucune erreur sur les sons du français (je reviendrai plus loin sur les raisons qui expliquent, selon moi, la réussite de ces 5 élèves). C’est dire, si certains élèves s’en sortent mieux que d’autres, combien ce constat reste relatif : presque tous en fait sont touchés et maîtrisent imparfaitement les savoirs graphophonologiques élémentaires (d’un niveau de fin de cycle 2, c’est-à-dire de CE1).

Parmi ces élèves – si l’on ne tient pas compte des difficultés les plus courantes liées à l’ambiguïté de certains graphèmes comme c, g, s, etc. - 30% au bas mot rencontrent des difficultés graves relevant de la « dysorthographie », n’écrivent pas correctement les sons complexes et même certains sons simples du français. Ignorant quelle lettre ou quel groupe de lettres fait quel son, ces élèves sont au sens propre illettrés… Ils ne connaissent pas le son de tous les graphèmes (lettres ou groupes de lettres) et/ou sont incapables, en entendant certains mots, de les transcrire ne serait-ce que phonétiquement. Par exemple, certains de ces élèves connaissent les lettres C et H, mais hésitent quant au son que fait le graphème CH (ex : « il nachait dans l’eux », pour « il nageait dans l’eau ») ou ignorent la valeur des voyelles nasales (ex : « tu mele a rien » pour « tu mêlais en riant »), etc. Phénomène analogue au fait de connaître le nom des notes de musique sans pouvoir les chanter ni les entendre intérieurement, encore moins retranscrire une mélodie…

Or, à ma connaissance, rien n’existe dans le secondaire, pour pallier ces dysorthographies, rien d’équivalent aux anciens Réseaux d’aide et de soutien aux élèves en difficulté (RASED) pour le CP et le CE1 : le plus judicieux me semble, dans le cadre des directives ministérielles actuelles sur le soutien personnalisé aux élèves en difficulté, de mettre en place des petits groupes de remise à niveau au sein même du collège (et du lycée). Nous ne pouvons nous contenter d’envoyer nos élèves chez des orthophonistes submergés de demandes, qui les recevront dans le meilleur des cas au bout de plusieurs mois - pour ceux des élèves et des parents qui entameront cette démarche, difficile à envisager et contraignante à suivre (et pas toujours adaptée...). Ainsi, nous les aiderions individuellement et réglerions maints problèmes de gestion de classe qui se présentent nécessairement lorsqu’on est contraint, dans des classes si hétérogènes, d’enseigner à la fois les sons de base du français et… la subordonnée relative (ou, aussi bien, l’épopée napoléonienne, la démonstration du théorème de Pythagore, etc.).

Du côté du constat

A quoi ressemblent les copies de ces élèves ?

J’ai dactylographié ces copies afin d’en rendre la lecture plus évidente, non entravée par des difficultés liées au graphisme – difficultés révélatrices, il est vrai, et susceptibles de faire l’objet d’une étude particulière, mais dissimulant partiellement la réalité des erreurs : on risque, constatant que l’élève écrit mal, de ne pas regarder de près ce qu’il écrit véritablement.

Copies d’élèves : premier constat

Il s’agit de réponses à un test de début d’année, comprenant une dictée, des questions grammaticales et des questions de vocabulaire, de compréhension ainsi qu’une rédaction, conçu pour évaluer le niveau des élèves.
Lors de la dictée :
certains élèves ont échoué à noter certaines phrases ou certains mots ;
certains ont écrit d’autres mots ou d’autres expressions que le texte dicté ;
beaucoup ont retranscrit faussement plusieurs sons (phonèmes).
Lors de la rédaction, bien qu’ils aient la possibilité de choisir à leur gré les termes et la syntaxe employés, les dysorthographies de certains élèves demeurent patentes.
NB : Dans le cadre restreint de cet article, je ne présente que les copies des élèves les plus en difficulté (les textes des élèves sont en gras). [1]

• Voici des extraits de copies des élèves de 6e :

Nous sommet désendu dou les trois est marie sai imediatement désantu. Masson est moi, Nous savont déssendu le sable est a comment sait a chaufé les pies. J’ai comment sait a dir a Masson : on niva. lui tétentré dans l’eau. Il najér a la brasse est asai male. de sorte de que rejoidre Marine. L’eau étés froide est jété commanten de najé pour rejoidre Marine dans no jese est Notre commtemtentmen. (A.D, 6e B)

Nous sommes tous les trois est Marie cet imediatement. Masson et moi, nous avons attendu impe. Le sable commence a chaufe sou le pied. Je fini de pardir a masson « on ni va ? » lui est entre dans l’eau dousement : il nage a la brace et ace mal, de sorte que je le laise pour rejoindre marie. L’eau été froid est jété contant de nage avec marie nous nous sommes eloinier nous nous santion d’accord dans no geste et dans no contantement. (F.N., 6e C) Extrait de la rédaction : « j’ete impe trouble (…) Je finit a lui parle pendant le vacance cette ven 18:30 que Je suis arrive »

Le sable commençais à jauffer sous les pied. J’ai fini par dire à Masson : « on y va ? » J’ai plonger. Lui entre doucemen : il nagér à la brase et assez mal. Desorte je l’ai laisser pour rejoidre Masson. L’eau été froide et jeté conten de nager. Avec Marie, nous nous somme eloiner et nous nous étion daccerre dans nosjeste et notre contenteme. (D.Z., 6e B).

Le Sable commentcais à chaufer sur les pied. J’ai finis par dit à Mason : « on ivas ! » j’ai plonger. Lui t’entrée doucement il nagé à la brasse et assaie mal, de sorte que je l’ai laissai pour rejoindre. L’eau étais foird. (…) . nou nous sentiont d’accords dans nos jessete (…) (S.B., 6eC)

Voici des extraits de copies d’élèves de 3e :

Apainne entré, je donne de tourres de clé (…) puis je me chouche et jatent comme on atendrai le bouro (…) et tous mon corp trésaille. (M. P-F, 3eB). Un extrait de la rédaction du même élève : « dirier la toile il a une manivel je la tourne un trape souve et une lumier salune (…) ma tente et prise de panic a cosse des tous ce vacarme ».

Apeint entre, (…) je pousse les verroux (…) j’attend le sommeille comme on n’attenderé le douraut je l’attend avec l’epouvante de sa venut et mon coeur bas, et tout corps tresalle (M.G., 3eB). Extrait de la rédaction du même élève : « Maman ma dit que j’alle reste tous seuls se soir je lui et dit non »

Extraits de la rédaction de Z.M. (3e B) : «  je mapproche pat à pat mais puis je fait un pas verse la cuisuine puis mon présentiment se fait savoir (…) mon amis me trahi et point une carabine sur ma tête, je trouver sa bizzard que j’avais de mots de tête ».

Remarques :

Ces textes nécessitent un énorme effort de déchiffrage tant ils sont difficilement compréhensibles si l’on ignore le texte original.

Ces élèves ont à l’évidence une maîtrise insuffisante du code graphophonologique (correspondance des lettres et des sons).

Sur la lecture : beaucoup parmi ces élèves refusent d’abord de lire, sans doute en raison de l’effort prodigieux que cela leur demande et de la gêne provoquée par le fait de montrer ces difficultés devant leurs camarades. Lorsqu’ils acceptent de lire à voix haute, leur lecture est lente, laborieuse ; parfois ils « devinent » les mots, remplaçant le mot à lire par un mot de sens voisin ou par un mot commençant par la même lettre ou la même syllabe... J’y reviendrai.

Deuxième test : approfondissement de l’évaluation

Pour préciser ce premier constat, j’ai rédigé un deuxième test plus précis et exhaustif avec un triple objectif :

- détecter les élèves nécessitant une remise à niveau ;

- déterminer le type d’erreurs commises pour pouvoir se concentrer sur celles-ci durant la remise à niveau ;

- servir d’évaluation initiale pour mesurer ensuite les progrès accomplis.

Ce test est donc conçu de manière à :

- faire le tour des principales confusions graphophonologiques ;

- utiliser au moins deux occurrences de chaque sorte de graphème pour une évaluation moins aléatoire ;

- confronter les élèves simultanément au son des mots et au sens du texte.

A vélo [2]

Sur son vélo, / Paul fonçait en direction du bois, / admirant le paysage de campagne / au crépuscule. / Dans la forêt de chênes, / il aperçut un écureuil / sautillant au milieu des violettes, / ainsi que plusieurs oiseaux / à travers le feuillage / : une grive, / un rossignol... / Le cycliste, / ravi de s’aventurer dans une terre inconnue, /s’égara, / sans avoir emporté de carte...

Soudain, / entre un tronc d’arbre et un rocher, / il freina brusquement / devant une vipère / qui se frotta contre sa roue / puis, craintive, / glissa rapidement sur le tapis de feuilles./ Le serpent disparut : / le visage de Paul / suait sous son casque, / ses mains restaient crispées sur les poignées du guidon, / son coeur cognait contre sa poitrine…Il se dégagea /de son appareil photographique / afin d’attraper sa gourde… / qui était vide !

Grâce à une pancarte / indiquant la direction du château, / Paul retrouva le chemin du gîte, / où l’attendait son épouse inquiète, / qui lui servit un bol de soupe chaude. (5, 4e et 3e seulement) Paul raconta son aventure / en se réchauffant devant les bûches / qui crépitaient dans le foyer de la cheminée. (4e et 3e seulement) Quelle heure est-il ? / demanda Paul à haute voix. / C’est la cloche de l’église qui lui répondit / en sonnant les douze coups de minuit. / (3e seulement) Epuisé par toutes les émotions du week-end, / Paul bâilla : / il avait hâte / de se faufiler dans ses draps...

Extraits des copies de la classe de 6eB [3] :

Sur sons vélo Paul fonsais en diréstions du bois, admirent le pays zage de campagne au craipuscul dans le faurai de chaine, il apairsu un nécurelle au desu d’une violéte un si que plusier oisau une ne grive, un rosiniol… le siquliste ravi savanturai dans une terre inconu mais il saigara, sans avoir enportai de carte…
Soudins, entre untrondarbre et un rochai il il fraina brusquement devans une vipér qui se frota contre sa rou pui, crintive, glisa rapidement sou le tapi de veulle, le serppent diseparu, tandi qui le visage de Paul suié sou son casque, que ses mai reste grispai sur les pounie sur le poiné gidon…
(ADN, 21-X-2010, 6eB, 0/60)

Sur son vélo, Paul fonsait en direction du bois, admiren le payages de campagne au crepuscule. (…) il apperssu une écureurile sotillon au millieu des violettes, anssi que plusieur oisseau a traver le ffelicage : une grife, un rocignole… le ciqlicte sinventurer dans une terre inconu.... (DZ, 21-X-2010, 6eB, 0/60)

Le serpent d’isparue, tandi que le visage de Paul s’ué sou sont casque, que ses mains resté crispé sur les poingnets du gidon…(KF, 21-X-2010, 6eB, 0/60)

tendi que le visage de Paul sue sur son casette, que ces main resté crispé sur les poigné du gidon, que son cœur conié sur sa poirtine… (…) Paul se réchauffent devant les bouche qui créputé dans le foyer de la cheminer. (SL, 21-X-2010, 6eB, 07/60)

Dans la forêt de chaîne, Il appersut un écuereil sotillan atravair le feuillage : une grive, un rocignol… le cicliste ravie saventurait dans une terre inconnut… (GR, 21-X-2010, 6eB, 09/60)

il aperçut un écureil sautilliant au millieu des violette, aussi que plusieurs oiseau à travers : une grive, un rosignole (MG, 21-X-2010, 6eB, 06/60)

Extraits des copies de la classe de 6eC :

paul fonsée en direction du bois, admirant le paysage de campanée au crepiscul, dans la forèt de chenne, il a percie un equirreille sotiant au millieu de, unsi que plusieurs oieau attraver le feuillage. le cycliste étè ravie de s’aventure dans une tèrre inconnie, mais segarra… (…) il frena brisquement devant une vipeur qui se frauta sur sa rou puis, crentuve glisa rappidement sur le tappie feuille le serpent disparut le visage de paul soue sur son casque se main reste crisppé sur le poinye du guydon... (F.N. 6eC, 3-XI-2010, 0/60)

Paule foncer en direction du bois, admirent le paisage de camgne au crépustule. Dans la forêt de chaîne, il aperçu un écureille sotillent au millieu des voillette, ainci que plusieur oiseau… (NG, 6eC, 3-XI-2010, 0/60)

Dans la forêt de cheine, il aperçu un écureille sotillant omilieu des violet, inssi que plusieur oiseaux atraver le feuillage (…) le cyclyse était ravi de savanturée dans une terre inconu mais ségara sans apporter de carte… (MT, 6eC, 3–XI-2010, 0/60)

Paul fonssait en direction du boi, admirent le paysage de cempagne en crépuscule. Dans la forêt de chaîne, il aperçut un écureuille sotillan au millieu des violettes ainssi que plusieurs oiseau a travèr le feuillage : une grive, un rosignol… Le sicliste (…) frena brusquement devant une vipaire qui se frota contre sa rout puis craintife, gliça rapidement (…) (DN, 6C, 3-XI-2010, 03/60)

Il aperçut un éccureuille sotien au millieu des voilettes, inssie que plusieur oiseaux a travére le feuillages (AK, 6eC, 3-XI-2010, 03/60)

Dans la forêt de chêne, il apperçut un ècureille sotillant au milieux des violétte, ainci que plusieurs oiseaux a traver le feuillage : un grive, un roçignole… (IBY, 6eC, 3-XI-2010, 11/60)

Extraits des copies de la classe de 3eB

Il aperçu un ecureill sotillons au milieu des Violéte, ainssi que plusieurs oiseau a traver le feuillage : Une grive, un srignol… (…) entre un tronc d’abre et un rochés, il frenna brusquemen devans une vipérre qui se frota contre sa roue puis, craintive, glissa rapidement (…) le visage de Paul suée sous son caske, c’est main rester crisper sur les poigné du gidon, son cœur cognai contre sa poitrine… Il se dégaga de son apareill photographique en bendouiller afin d’atraper sa gourde… (MPF,21-X-2010, 3eB, 0/60)

Le serpent dipsaru, le visage de Paule suée sur son casque, ses mains rester crissper sur les poigner du gidon (…) il se dégaga de son apparaille photographique en bandouiller… (ZM, 21-X-2010, 3eB, 0/60)

Grace à un pencarte indiquant la direction du chateau Paul retrouva le chemin du jite, ou l’attende son epouse inquiete qui lui servit un boule de soupe chaude. (…) quel heure et-t-til ? C’est la cloche de l’égise qui lui repondi en sonen le 12 coup de minuit… (MG, 21-X-2010, 3eB, 0/60)

le visage de Paul suillait sur son casque, ses main restait cripsé sur le poignés du gidon (J-LF, 21-X-2010, 3eB, 11/60)

Dans la forêt de chaîne, il aperçut un ecureille sauti au millieu des violette, ainci que plusieurs oiseaux a travet le feuillage : un ressignol… (KM, 21-X-2010, 3eB, 22/60)

Barème

Le test était noté sur 60 points :

- 20 points pour la bonne transcription des sons ;

- 20 points pour l’orthographe grammaticale ;

- 20 points pour l’orthographe lexicale.

Résultats

Les résultats vont de 0/60 à 58/60. Dans les trois domaines, la transcription des sons, l’orthographe grammaticale et l’orthographe lexicale, les notes s’échelonnent de 0 à 20. Le test semble donc bien étalonné et discriminant, ce qui était nécessaire pour déterminer les participants aux ateliers de remise à niveau. Mais si l’échelle de notation avait été ouverte aux notes négatives, plusieurs copies (une douzaine sur 91) s’en seraient vu attribuer, et ce, même sur un total de 60 ; c’est-à-dire que certains élèves ont commis simultanément plus de 20 fautes de sons, plus de 20 fautes d’orthographe lexicale et plus de 20 fautes d’orthographe grammaticale.

Seuls 38 élèves sur 93, c’est-à-dire 40,86 % obtiennent la moyenne (30 /60) ou plus. [4]

Quant au code graphophonologique : sur l’ensemble des quatre classes, en prenant en compte également la classe de 6eA, seuls 5 élèves sur 93 ne commettent aucune erreur sur les sons. C’est-à-dire que 94,6 % des élèves commettent encore des fautes de sons au collège. Seuls 5,4 % des élèves n’en commettent pas.

Quelles sont les erreurs précises de ces élèves ?

* Erreurs fréquentes à l’entrée en 6e

Ces difficultés concernent la grande majorité des élèves et devrait faire l’objet d’une remise à niveau en classe entière, tant elles sont communes, et relevant, pour les trois premiers cas, d’une ambiguïté propre à la transcription de certains phonèmes français :

double valeur du s, ex : « la brase » (pour « la brasse »).

double valeur du g, ex : « il nagai » (pour « il nageait »).

double valeur du c, ex : « acais » (pour « assez »).

distinction des sons e,[é] et [è] ; ex :« jetait », « j’etes » pour « jetée ».

e devant deux consonnes, ex : « jettée » pour « jetée ».

ill qui fait le son y , ex : « feulle » pour (« feuille »)

Remarque : La question du lien entre les erreurs graphophonologiques et les erreurs grammaticales mériterait un développement particulier. Par exemple, l’absence de discrimination entre [é] et [è] entraîne souvent des confusions lourdes de sens, comme entre les terminaisons du participe passé et de l’imparfait (« j’ai étais » / « j’été »).

* Erreurs relevant du cycle 2 de l’école primaire

segmentation, ex :« An na rivan a la telier » (« en arrivant à l’atelier »).

oubli de phrases, de mots ou de syllabes, ex : «  i rante doume » (« Lui est entré dans l’eau doucement »), contement (« contentement »).

remplacement d’un mot par un autre, ex : « avec marin nous etion séparé » (« Avec Marie, nous nous sommes éloignés » !).

lettres muettes, ex «  l’eau froid » (« froide »).

lettres finales, ex : « sollei » (« soleil »)

voyelles simples, ex : « luvre » (« livre »).

e devant 2 consonnes, ex : « spéctaculér » (« spectaculaire »)

diphtongues, ex : « émosillon » (« émotions »)

groupes vocaliques, ex : « tu mele a rien » (« tu mêlais en riant »).

consonnes, ex : « je me chouche et jatent » (« je me couche et j’attends »).

groupes consonantiques, ex : « de sotre que » (« de sorte que »).
etc.

Quelles sont les autres difficultés rencontrées par ces élèves ?

* Difficultés d’apprentissage

Tant que la retranscription des sons n’est pas automatisée, il est très difficile pour ces élèves d’acquérir des notions grammaticales, orthographiques, lexicales, littéraires, un tant soit peu complexes (sans parler de toutes les matières qui font appel à la lecture ou à l’écriture), car leur attention est obnubilée par des tâches simples qui auraient dû être devenues réflexes. Il est difficile également pour ces élèves de copier un texte sans erreurs, encore plus de suivre un cours non écrit, de prendre des notes, etc. [5]

* Difficultés comportementales

Ces élèves présentent, souvent, des problèmes de comportement.

Dans le rapport à soi-même : chez ces élèves, on découvre souvent une perte de l’estime de soi, une vision globalement négative de la vie. Tandis que les élèves qui n’ont pas ces difficultés ont tendance à parler de leurs moments de joie, de gaieté, de leur attitude généralement positive face à la vie… Dans les autoportraits rédigés par les premiers, on lit fréquemment des déclarations comme « la vie ses nulle, et ses vrai ! » ou (in extenso ; les mots raturés le sont sur la copie) : « Je suis une fille je sui petite d taille et je suis une fill qui esme rire et parler. Et je sui surtout pas inteligent mais une ratca rackaein rakaieu racaille. ». Le cas de cette jeune fille est très révélateur (même si, bien sûr, chaque destin est singulier), car il est étonnant de constater qu’à travers sa dysorthographie (en la lisant, on comprend qu’elle « esme rire et parler » plutôt qu’écrire), elle trouve le chemin jusqu’au mot « racaille ». Tout dans son comportement montrait en effet que pour camoufler un manque d’estime de soi bien compréhensible, elle se donnait, devant ses camarades avant tout, une allure agressive et violente de « racaille » et faisait preuve, en revanche, en classe d’une inertie presque totale…

Dans le rapport aux autres, deux possibilités s’offrent donc à ces élèves : ils « implosent » ou « explosent » (ou les deux alternativement). Soit ils se « renferment », se mettent dans un état d’« absentéisme intérieur », se font le plus discret possible afin d’être le moins interrogés ; soit ils cherchent un exutoire pour regagner sur un autre plan une estime de soi bien entamée et défouler une énergie trop longtemps contenue ; c’est alors souvent le choix de la perturbation, voire de la provocation, de l’agressivité, verbale et/ou physique. Le seul élève ayant fait preuve de violence physique devant et envers moi (renversant tables et chaises dans un accès de rage, avant de s’enfuir en courant, parce que je gardais son carnet de correspondance pour rédiger un mot) était un élève gravement dysorthographique, que j’avais essayé, en vain, d’orienter vers un dépistage de dyslexie et une UPI (unité pédagogique d’intégration, appelée désormais Unité localisé pour l’inclusion scolaire - ULIS). Les deux années passées, la majorité des élèves repérés en début d’année comme « dysorthographiques » ont été vus ensuite par les CPE du collège Georges Pompidou, pour des problèmes comportementaux… [6] On voit nettement comment s’imbriquent les plans comportemental et pédagogique.

Ateliers de remise à niveau

Un espoir et un pari

La conclusion à tirer de ce travail de repérage paraissait claire. Ou bien l’on abandonnait ces élèves en leur état actuel de maîtrise du français écrit, en perdant pour eux tout espoir de formation intellectuelle et de qualification professionnelle. Ou bien, afin de conserver à notre métier un minimum de sens, il ne restait qu’à reprendre avec eux les apprentissages du code graphophonologique qu’ils n’avaient pas eu la possibilité de réaliser à l’école élémentaire.

Tel serait l’objet, puisque c’est la seconde voie que nous avons choisie, des ateliers de remise à niveau à mettre en place. Une difficulté majeure de l’entreprise réside dans le fait que, après de nombreuses années d’études – cinq ans de scolarité pour les 6e, huit ans pour les 3e -, certains plis ont été pris qu’il va falloir déplier avant de pouvoir reconstruire. Il s’agit non d’enseigner mais de ré-enseigner - sans sous-estimer l’aspect psychologique du découragement après des échecs répétés ou la méfiance a-priori envers les professeurs. Nous gageons cependant que les élèves pourront se mobiliser à nouveau quand ils verront qu’ils surmontent enfin, grâce à ce travail, des difficultés qui les handicapent depuis longtemps...

Lorsque j’ai évoqué ce projet de travail sur le code, un inspecteur de l’Education nationale m’a rétorqué que cela avait déjà été fait et en vain à l’école primaire (je crains qu’il ne s’agisse d’une confusion entre l’apprentissage du décodage dans le cadre d’une méthode mixte et le travail structuré, systématique et progressif de la démarche alphabétique), qu’il ne fallait pas confronter à nouveau ces élèves à leurs difficultés à l’écrit, sous peine de les braquer, de les démotiver, mais qu’il fallait leur proposer un autre enseignement, par exemple les accrocher en leur lisant des histoires, les faisant parler de ces histoires, en repoussant la confrontation à l’écrit à plus tard, à dose homéopathique… Cela revient, me semble-t-il, à aller encore plus loin dans ce qui n’a pas fonctionné.

Je crois, à l’inverse, que la meilleure façon d’accrocher un élève est de l’aider à surmonter sa difficulté, non de l’encourager à la contourner. La joie dans la travail, la motivation viennent, je le crois et je le constate régulièrement, de la difficulté surmontée - c’est-à-dire du danger de se tromper – et cette joie est alors sans commune mesure avec le plaisir facile de la difficulté contournée, fût-ce de façon ludique… Quel bonheur d’entendre un élève qui bloquait depuis longtemps sur la transcription d’un son ou sur une règle de grammaire, s’exclamer, les yeux brillants : « mais c’est facile, alors ! »

Organisation concrète des ateliers

* Quelle méthode choisir ?

La question du support était décisive, car pour combler les lacunes de nos élèves, il faut utiliser une méthode dont la progression soit particulièrement rigoureuse. J’ai souhaité dans un premier temps m’appuyer sur des méthodes du type Boscher, Montessori, Delile, Je lis, j’écris, Lire avec Léo et Léa, J’apprends à lire avec Sami et Julie, Bien lire et aimer lire de Borel-Maisonny, ou d’autres méthodes qui privilégient un travail explicite sur le code graphophonologique.

Mais deux problèmes se sont posés :

Il était nécessaire de suivre la progression d’une méthode et d’une seule, car chaque méthode a une progression spécifique : l’alternance de plusieurs risquerait de conduire à faire lire aux élèves des mots dont ils n’auraient pas revu les graphèmes, et d’entretenir ainsi des confusions de sons ;

De plus, il n’était pas envisageable de travailler directement sur ces méthodes car leur caractère enfantin risquait de provoquer chez les élèves un sentiment d’humiliation préjudiciable.

J’ai donc créé mes propres fiches en m’appuyant sur la progression de la méthode Fransya (Bien lire, bien écrire) du docteur Ghislaine Weinstein-Badour qui a le double avantage d’avoir été conçue pour la rééducation et de tenir compte des dernières recherches en neurobiologie, confirmant ainsi, en conscience, le bien-fondé des méthodes traditionnelles, notamment la nécessité de l’épellation. J’enrichis cette méthode en prenant des mots, des phrases, des textes dans d’autres méthodes alphabétiques, afin de diversifier les exercices.

* Le temps des ateliers

Le travail qui a commencé en décembre 2010 a été conduit, pour cette première année, avec 3 groupes de 4 à 12 élèves, deux groupes d’élèves de 6e et un groupe d’élèves de 3e, à raison d’une heure hebdomadaire. Ces heures d’atelier n’étant pas prévues au départ dans l’emploi du temps, plusieurs séances ont dû être annulées en raison de réunions, conseils de classe, etc. Au total, les élèves ont suivi entre 20 et 25 heures de cours, ce qui est peu, au vu de l’ampleur du travail à accomplir.

Progression et déroulement des séances

* Progression sur l’année

Durant ces quelques mois, nous avons mené :

1) un travail sur les correspondances graphophonologiques (rapports des lettres et des sons) suivantes :
eu / e / é / è / ê / e devant 2 consonnes,
S qui fait [s], s qui fait [z] entre voyelles, ss qui font [s] entre voyelles
C qui fait [k] devant consonnes et devant a, o, u / C qui fait [s] devant e, i, y
G qui fait [G] devant a, o, u / G qui fait [J] devant e, i, y,
ill qui fait [IY], ail(le), eil(le), ouil(le), euil(le)

2) un travail en parallèle sur des notions de base de grammaire : le féminin, le pluriel, les natures et fonctions les plus simples, l’analyse du verbe…

3) un travail sur le vocabulaire : sens des mots, homophones, synonymes, étymologie, construction de certains mots (préfixe radical, suffixe)…

Le travail sur le vocabulaire difficile s’est d’ailleurs avéré essentiel, car les mots inconnus empêchent les élèves de « deviner » pour véritablement déchiffrer. C’est le cas du vocabulaire - souvent critiqué comme « désuet » - de la méthode Boscher ou du vocabulaire volontairement choisi comme « exigeant » dans la méthode moderne Je lis, j’écris.

* Déroulement d’une séance type

1/ Principes organisateurs

On part d’un 1er graphème seul.

Discrimination auditive et prononciation : Avant d’apprendre à lire et à écrire un graphème, il faut déjà savoir l’entendre :

liste de mots avec le graphème.

liste de mots à distinguer avec pièges

Écriture : lignes de calligraphie (cursive, majuscule) du graphème.

Lecture des graphèmes, des syllabes, des mots, des phrases.

Écriture : dictée de syllabes, de mots, de phrases (les élèves les répètent, voire épèlent, en cas de difficulté).

2/ 2e graphème seul : même travail que pour le premier.

3/ mêler et lire les deux ou trois graphèmes : mêmes exercices.

* Exemple de séance : le G qui fait G (comme dans « gare »)

Rappel de l’atelier précédent (en gras : les réponses des élèves) :

- Dans quel cas la consonne C fait-elle le son k ? devant toutes les consonnes (sauf h) et devant les voyelles a, o, u. Exemples ? cloche, craie, canard, corne, cuisine.

- Dans quel cas la consonne C fait-elle le son s ? devant e, i, y. Exemples ? cerise, citron, cycle

- Dans quel cas faut-il un ç pour faire le son s ? devant a, o, u. Exemples ? agaçant, garçon, reçu.

Découverte de la leçon du jour :

Quels sont les deux sons que peut faire la lettre G ? G / J

Dans quel cas la consonne G fait-elle le son G ? devant consonne et devant a, o, u (NB : même voyelles que le C qui fait k)

Dans quel cas la consonne G fait-elle le son J ? devant les voyelles e, i, y (NB : mêmes voyelles que le C qui fait s)

Distribution du dessin de la « bouche » cf Sami et Julie.

Attention : G très proche du son k : quelle est la différence ? G : fait vibrer le larynx (main sur la gorge pour sentir), plus doux que k.

Règles :

La consonne G fait le son G devant une autre consonne (sauf n, champignon). Ex : une gravure, une glace.

La consonne G fait le son G devant les voyelles a, o, u. Ex : une gare, un gorille, un légume.

Pour que G fasse le son G devant les e, i, y, il faut ajouter un u. Ex : une guêpe, Guillaume, Guy.

ENTENDRE

On entend le G qui fait le son G dans les mots suivants (dites pourquoi en faisant une phrase complète) :

Ex : une gomme. Dans le mot « gomme », le G fait le son G car il est devant la voyelle O : un garçon, un kangourou, la glace, une guitare, le garage, une grue, un guetteur, un gamin, un figure, un gaucher.

Fermez les yeux et levez le doigt quand vous entendez le G qui fait le son G dans les mots suivants (et dites pourquoi : attention c k ≠ g g : vibrations larynx : sentir avec la main sur la gorge. Son dur / doux, bruit / son)

Ex : glisser. Dans « glisser », la consonne G fait le son GU car il est suivi d’une consonne : Une galipette, Un légume, de l’écume, un cartable, une cigale, une goutte, combien ça coûte ?,glacer, classer, une grotte, une crotte, une grue, une crue, une vague, un casque, un guépard, se cogner, Guillaume.

LIRE : Lettres à combiner au tableau

G + l, r,

G + a, an, am, ann, amm, ai, ait

G + o, on, om, onn omm,ou, oi

G + u, un, um, une, ume

G + ue, ui, uy, ué, uè, uê

≠ G+ e, é, è, ê, i, y

Mots difficiles (déchiffrez et donnez la définition) :

une agonie : grande souffrance physique et morale souvent avant la mort
< gr.agon : le combat.

l’orgueil (n.m.) : amour excessif de soi-même, fait de se sentir supérieur aux autres.

le galbe : contour harmonieux du corps humain. Ex : galbe d’une hanche.

un galimatias : langage confus, incompréhensible.

La galanterie : manières courtoises des hommes envers les femmes.

un galopin : ( espiègle, effronté.

un galion : grand vaisseau espagnol du XVIe-XVIIIe siècle.

Gaïa : déesse grecque de la Terre.

la Gorgone : monstre avec des serpents à la place des cheveux qui pétrifie celui qui la regarde (cf Méduse).

ÉCRIRE

Écrire la lettre g : une boucle (comme un a), puis on descend verticalement et une boucle qui remonte et croise la ligne descendante sur la « ligne de terre ».

Ecrire une ligne de g « parfaits » en disant à voix haute ce que vous faites.

Puis écrivez, sans aucune erreur sur la taille des lettres,
« Regardez cette grande gare ! »

Syllabes dictées (et prononcez les syllabes en les écrivant).
Ga, ca, go, gu,gue, gui, gué, guè, guê

Mots (répétez et parlez en écrivant, au rythme de l’écriture, en syllabant, au besoin en épelant, puis justifiez ce que vous écrivez). Ex : Une cigogne > dans « cigogne » g fait le son G devant la voyelle O.

Une virgule : dans « virgule » g fait le son G devant la voyelle O
Une vague : dans « vague » g fait le son G devant la voyelle U + E
Une cigale : dans « cigale » g fait le son G devant la voyelle A
Un guide : dans « guide » g fait le son G devant la voyelle U + I
une marguerite : dans « marguerite » g fait le son G devant la voyelle U + E

Un guépard : dans « guépard » g fait le son G devant la voyelle U + E
Une cigale : dans « cigale » g fait le son G devant la voyelle A
L’égalité : dans « égalité » g fait le son G devant la voyelle A
Une bague : dans « bague » g fait le son G devant la voyelle U + E
Il galope : dans « galope » g fait le son G devant la voyelle A
Elle est ligotée : dans « ligotée » g fait le son G devant la voyelle O
Ils vont guérir : dans « guérir » g fait le son G devant la voyelle U + E
Le chien a grogné : dans « grogné » g fait le son G devant une consonne.

Phrases :

Guy a cuisiné un gâteau aux figues : quel régal !
Dans les hangars des grandes gares dorment des wagons et quelques vagabonds.
Regardez la figure réjouie du gamin gâté.
Les vagues grimpent sur la grande digue.

Analyse grammaticale de la dernière phrase (s’il reste du temps !) :

Les : ad, f, p, détermine le nom « vagues »
Vagues : nc, f, p, sujet du verbe « montent »
Grimpent : v monter (1er gr) 3e p du p
Sur : préposition
la : ad, f, s, détermine le nom « digue »
grande : aq, f, s, épithète du nom « digue »
digue : « digue », f, s, CCL du verbe « grimpent ».

Devoirs : chercher des mots avec G qui fait le son G.

Bilan des premiers mois d’atelier

* Comportement

Les séances d’atelier de cette courte année furent des séances très agréables, malgré l’horaire tardif (15h30 ou 16h30). Les élèves, la plupart du temps, étaient si joyeux qu’on avait peine à les reconnaître, tant leur comportement en atelier pouvait différer de leur comportement en classe. La plupart se montraient concentrés, désireux de répondre, et capables de le faire. Ceux qui étaient éteints, fermés, en classe semblaient, dans l’atelier, s’ouvrir à nouveau, montrer même de l’enthousiasme dans le travail, mis à part 1 élève sur 25.

C’est à l’évidence un grand soulagement pour ceux qui vivent en situation d’échec de voir que l’on peut sortir de la fatalité de l’échec en reprenant les difficultés une à une. L’expérience montre une fois encore que la motivation ne précède pas le travail, mais découle de la joie devant la difficulté surmontée et donc devant le danger de se tromper conjuré.

* Confirmation des lacunes

En commençant à mettre en place les ateliers, c’est peu de dire que les difficultés des élèves ont été confirmées, j’ai même eu la confirmation que ces difficultés reposaient en effet sur des lacunes très anciennes, puisque le principe même de l’alphabet organisé en voyelles et consonnes n’est pas toujours acquis : lors des premières séances d’ateliers, par exemple, un élève de 6e a découvert (à 11 ans), tandis que j’expliquais l’étymologie des mots voyelle et consonne, s’est exclamé : « mais alors... j’en ai plein dans mon prénom » ! Une autre élève de 6e, saisie d’un grand doute, m’a demandé avec le plus grand sérieux : « monsieur, U, c’est un consonne ? » (sic). Un élève de 3e, quant à lui, n’a pas su me réciter correctement l’alphabet ! Je le lui ai fait réciter trois fois, n’en croyant pas mes oreilles, et trois fois, il l’a récité en oubliant 4 lettres (n, r, u, v). Il a fallu qu’on le réécrive entièrement ensemble au tableau pour qu’il le « retrouve »…

* Résultats chiffrés

Cet atelier nécessitait au moins deux temps d’évaluation formalisée :

une évaluation initiale (cf première partie de ce document) : pour mettre à jour le plus exhaustivement possible les difficultés réelles de chaque élève.

une évaluation finale : De même, en fin d’année, il a fallu évaluer les élèves concernés afin d’évaluer les progrès accomplis et améliorer notre travail lors de la deuxième année.

Au mois de juin, 19 élèves sur 25 ont passé ce test de fin d’année. Il s’agissait du même test qu’en octobre, à huit mois d’intervalle, avec les mêmes règles de notation (les élèves savaient qu’ils passeraient un test mais n’étaient pas prévenus qu’il s’agirait du même test).

Voici les résultats, avec ceux d’octobre comme point de comparaison :

Les résultats sont à la fois positifs, car tous les élèves ont progressé, et significatifs, car ces progrès sont importants. La moyenne des 3 notes en octobre est de 3 / 20 pour l’ensemble des élèves, tandis qu’elle est de 10,8 / 20 en juin.

Pour les sons, la moyenne à la fin de l’année est de plus de 11 / 20 en sons : c’est à la fois en progrès et encore insuffisant. Le but est évidemment qu’il n’y ait plus aucune erreur sur les sons. Il faudra donc envisager l’année une deuxième atelier pour les 6e qui passent en 5e et qui font encore un trop grand nombre d’erreurs.

* Améliorations à envisager

Pour améliorer le dispositif, il faudrait tenter de :

mener en classe entière le travail conduit cette année en atelier, car la grande majorité des élèves en a besoin et ainsi réserver les ateliers à ceux qui sont en très grande difficulté, pour pouvoir les aider de manière plus ciblée.

aborder en ateliers d’autres graphèmes, comme les voyelles nasales, les lettres muettes, les groupes consonantiques, etc. et approfondir les difficultés persistantes.


Voir en ligne : Contribution intégrale sur le site Skolé


[1Texte de la dictée des 6e : « Nous sommes descendus tous les trois et Marie s’est immédiatement jetée à l’eau. Masson et moi, nous avons attendu un peu. (…) Le sable commençait à chauffer sous les pieds. J’ai fini par dire à Masson : « On y va ? » J’ai plongé. Lui est entré dans l’eau doucement et s’est jeté quand il a perdu pied. Il nageait à la brasse et assez mal, de sorte que je l’ai laissé pour rejoindre Marie. L’eau était froide et j’étais content de nager. Avec Marie, nous nous sommes éloignés et nous nous sentions d’accord dans nos gestes et dans notre contentement. » Extrait de L’Etranger d’Albert Camus. (Le nom propre « Masson » était écrit au tableau.)
Texte de la dictée des 3e : « Vers deux heures, je monte dans ma chambre. A peine entré, je donne deux tours de clef et je pousse les verrous ; j’ai peur… de quoi ?… Je ne redoutais rien jusqu’ici… j’ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j’écoute… quoi ? (…) Puis, je me couche et j’attends le sommeil comme on attendrait le bourreau. Je l’attends avec l’épouvante de sa venue, et mon cœur bat ; et tout mon corps tressaille. » (extrait du Horla de Guy de Maupassant.)
Novembre 2010 : A la lecture de ce dossier, certains responsables de l’Education nationale ont affirmé que ces dictées étaient trop difficiles, que j’avais oublié que nous étions en Réseau de réussite scolaire (RRS). J’avoue ma perplexité : d’abord, la langue d’Albert Camus n’est pas une langue difficile (mis à part, en l’occurrence, quelques participes passés délicats). Ensuite, le fait d’être élève de RRS ne suppose pas de se voir dispensé un enseignement au rabais. Mais, surtout, ce dossier porte sur la question des sons : y aurait-il des sons et des graphèmes trop « difficiles » pour des élèves de 3e ou même de 6e ? Jusqu’où devrons-nous repousser les limites de l’école primaire, appelée aussi élémentaire, elle à qui incombe d’enseigner, comme son nom l’indique, les « éléments » premiers ?

[2Consignes aux adultes :

- Première lecture (durant laquelle on demande simplement aux élèves d’imaginer la scène).

- Lire une deuxième fois, très lentement, le texte pour la dictée proprement dite (les / ou barres de séparation indiquent des arrêts possibles dans la dictée), en indiquant la ponctuation.

- Lire une troisième fois en prenant bien garde au fait que les élèves ont retranscrit tous les mots.

Consigne aux élèves : L’objectif de ce test est de connaître précisément vos difficultés, pour mieux vous aider ensuite. Donc, écrivez tous les mots, même si vous n’êtes pas sûr de l’orthographe de certains d’entre eux.

Test prévu en 50 minutes
5 minutes pour la préparation des copies.
25 minutes de dictée lente.
10 minutes de relecture par l’adulte en vérifier qu’aucun mot n’a été oublié.
10 minutes de relecture personnelle des élèves.

[3Les copies des 6e A ressemblent fort à celles de mes élèves - je n’en ai fait que le relevé statistique : elles ont été corrigées par une collègue de Lettres du même collège qui tient à rester anonyme, mais que je n’en remercie pas moins chaleureusement.

[4On rétorquera sans doute que ce test était difficile : cependant 1/3 de la note (20 points sur 60) dépendait de la bonne retranscription des sons qui est normalement acquise en primaire (à la fin du cycle 2, c’est-à-dire en CE1).

[5Je n’oublie pas le fait que les difficultés de ces élèves dysorthographiques sont un facteur de ralentissement pour l’ensemble de la classe. Car les élèves qui maîtrisent l’essentiel des bases sont contraints de patienter et ne sont pas nourris tel qu’ils pourraient légitimement l’attendre… Malgré les principes d’hétérogénéité et de différenciation tant vantés par nombre de pédagogistes, les classes à ce point hétérogènes conduisent inéluctablement à un nivellement par le bas, le travail étant ralenti, consciemment ou non, par des élèves qui ne sont pas en mesure de suivre le cours. On a donc actuellement des élèves avec un réel déficit sur le code graphophonologique ; or, non seulement on ne traite pas ce déficit, mais on demande aux autres de s’aligner sur cet illettrisme… Est-ce cela que l’on appelle « l’égalité des chances » ?

[6La plupart des professeurs s’exaspèrent souvent – c’est compréhensible - devant ces élèves qui paraissent manquer de volonté ou manifester des déficiences profondes, vite catalogués « fainéants » ou « débiles ». Ils ne sont souvent ni l’un ni l’autre : dans la majorité des cas, il s’agit d’une immense fatigabilité et d’un découragement profond devant la masse insurmontable d’efforts que leur coûte le moindre travail de lecture ou d’écriture.