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Lecture : un "coup de pouce" ou un coût pour rien ?

dimanche 8 juillet 2012, par Janine Reichstadt

Le Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse (FEJ) vient de publier une enquête approfondie sur l’efficacité des "clubs Coup de Pouce Clé" qui, pour l’année 2010-2011, ont touché 9800 élèves du cours préparatoire dans 270 villes. Ces clubs sont organisés par l’Apfée (Association pour favoriser l’égalité des chances à l’école), en vue d’un appui à l’apprentissage de la lecture.

Le rapport du FEJ précise qu’il s’agit d’un « dispositif très intensif qui concerne cinq enfants de cours préparatoire (CP) pendant toute l’année scolaire, choisis dans chaque classe parmi ceux présentant le plus de risques d’être en difficulté et pris en charge pendant 1h30 tous les soirs après l’école. Les enfants sont amenés à manipuler les mots de façon ludique et à apprécier la lecture d’histoires, activités qui sont, probablement, peu réalisées ou valorisées à la maison pour beaucoup d’élèves en difficulté. »

L’objectif revendiqué n’est pas de s’occuper des difficultés mais de développer chez les élèves la confiance en soi, la motivation, la sensibilité à la lecture, au travers de contacts avec l’écrit approché de façon ludique. Il n’est pas en lien avec le travail de la classe : Coup de Pouce Clé n’est pas de la remédiation ; l’examen du matériel qu’il utilise le montre.

Si on en juge par le rapport du FEJ, l’action atteint ses objectifs. Elle développe chez les élèves la confiance en soi, le goût de l’écrit, un meilleur rapport à l’école, mais elle n’a aucun effet sur les compétences en lecture, et c’est précisément par là que le bât blesse. Si l’objectif est atteint, son coût étant de 1200 euros par enfant (soit 20% environ du coût moyen d’une scolarité en CP), il semble d’un « rendement » bien faible, mesuré aux enjeux majeurs des difficultés de lecture qu’il convient de rappeler : tout enfant qui ne parvient pas à bien lire voit son avenir scolaire compromis car le fondement même de l’école repose sur la culture de l’écrit.

La confiance en soi et la motivation jouent certainement un rôle efficace dans les apprentissages, mais si la réussite n’est pas au rendez-vous, elles ont vite fait de s’étioler. L’envie d’apprendre à lire ne suffit pas pour apprendre à lire : un travail spécifique est nécessaire.

Toute l’ambiguïté du dispositif Coup de Pouce réside dans la différence des missions qu’il assigne à l’aide à la maison et à l’apprentissage scolaire. Conseiller scientifique de l’Apfée, Gérard Chauveau précise à son propos : « Il n’agit que sur un seul facteur de la (non) réussite en lecture-écriture au CP : le fait d’être ou non aidé à la maison dans l’apprentissage de la lecture-écriture, le fait d’avoir ou non un environnement familial « porteur » dans le domaine de la culture écrite (le lire-écrire). Ce facteur est social et culturel donc extrascolaire. Il ne « combat » qu’un seul type d’inégalité : certains enfants de six/sept ans ont des aides quotidiennes et adaptées dans leur famille pour apprendre à lire et à écrire, d’autres non. »

L’inégalité des aides dans les familles est reconnue. Mais nous savons bien que dans celles qui le peuvent, « les aides quotidiennes et adaptées » ne s’arrêtent pas à l’environnement « porteur ». Ces familles entrent dans l’apprentissage proprement dit en faisant vraiment lire leurs enfants, voire en allant, comme c’est souvent le cas, vers l’achat d’un manuel qu’elles jugent plus efficace que celui de l’école. Autrement dit ces aides ne se contentent pas de développer la confiance en soi, la motivation, un meilleur rapport à l’école. Elles s’appuient bien sur un environnement « porteur » mais ne s’y réduisent pas : l’extrascolaire ici introduit en réalité beaucoup de scolaire.

Si donc dans ces familles, les aides, quotidiennes et adaptées, le sont pour apprendre à lire et à écrire comme le précise Gérard Chauveau, ce ne sont pas les clubs Coup de Pouce qui peuvent rétablir de l’égalité entre les élèves, car leur dispositif n’est pas conçu pour cette mission. Et c’est bien le problème. Comment accepter qu’une entreprise dans laquelle les municipalités s’investissent, y compris financièrement, renonce à développer chez les élèves de CP qui en ont besoin, les compétences décisives nécessaires à leur entrée dans la culture écrite et à leur réussite scolaire ?

Il paraîtrait plus pertinent et légitime que le Ministère de l’Éducation Nationale cherche à mobiliser la réflexion collective des maîtres sur les dispositifs d’enseignement de la lecture, sources de graves difficultés qui touchent principalement les élèves des classes populaires. Cela serait autrement efficace pour assurer l’égalité scolaire.