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A propos du rapport du Sénat sur le métier d’enseignant

mercredi 11 juillet 2012, par Yves Baunay

Un rapport de la mission d’information du Sénat sur le métier d’enseignant vient d’être rendu public. Brigitte GONTHIER-MORIN, sénatrice PCF des Hauts de Seine en est la rapporteure. Celle-ci se place dans une perspective d’actions et de transformation. Elle « apporte des éléments de diagnostic des causes du malaise enseignant et propose des pistes de réforme ».

J’ai été auditionné comme animateur du chantier travail de l’Institut de recherche de la FSU. J’avais rencontré la rapporteure lors d’un débat organisé par Espace Marx sur le travail, où j’avais présenté les travaux du chantier sur le travail des enseignants, des filières STI et STL face à la réforme de ces filières.

J’avais remis le livre élaboré par le chantier travail de l’Institut « Le travail enseignant. Le visible et l’invisible » : il est largement cité. Plusieurs des chercheurs ayant contribué à sa rédaction ont été auditionnés et leurs travaux sont cités en appui des analyses et propositions : Jean-Luc Roger, Françoise Lantheaume. Dominique Cau-Bareille, bien que non-auditionnée est aussi largement citée à partir de sa contribution au livre. La proposition d’accompagnement des fins de carrières lui est directement empruntée. Une reconnaissance qui doit faire plaisir à toutes et tous !

Dans son ensemble, le rapport du Sénat et la présentation qu’en fait la rapporteure sont largement en phase avec les travaux de l’Institut de recherche de la FSU et de son chantier travail.

C’est ce que j’essaierai d’analyser dans cette présentation conçue comme une invitation au débat au sein du chantier travail entre les chantiers et au sein de la FSU et de ses syndicats. Mais aussi ailleurs.

Une reconnaissance du travail réel et de ses potentialités

C’est le parti-pris qui irrigue l’ensemble du rapport et qui en fait son originalité. Les travaux de la commission ont cherché à rendre visible cette activité invisible quotidienne souvent microscopique, pour en faire un levier de transformation.

« Beaucoup de réformes se heurtent à la réalité du travail, à un défaut d’expertise locale. »
« L’inflation des prescriptions, conjuguée à la sous-prescription des moyens à mettre en œuvre pour les respecter, perturbe l’activité des enseignants. Elle est à la racine de son travail empêché. »
« Du côté des enseignants, les réformes sont vécues comme un empêchement à travailler, une pression accrue et une transformation non négociée du cœur du métier et de l’identité professionnelle. »
Le rapport reconnaît que les enseignants n’ont pas d’hostilité de principe au changement. Mais « ils ont le sentiment que le bout de la chaîne éducative n’est pas pris en compte lors de la conception des réformes, comme si la réalité de leur travail et leur expertise étaient niées. »
« Les enseignants se retrouvent souvent seuls, parfois rassemblés en groupes informels, pour répondre à la question centrale : que faire de telle ou telle mesure avec mes ressources et mes contraintes ? »
« Travailler n’est pas appliquer mais traduire, ajuster les dispositifs et s’ajuster au contexte. »
« Il faut reconnaître la créativité des enseignants, leur capacité d’adaptation et d’invention de solutions chaque jour mises à l’épreuves. »
« Leur expertise fait défaut aux réformateurs institutionnels trop prompts à se contenter de schémas trop abstraits et sans prise sur l’activité concrète. »

Toutes les expériences, même les plus négatives sont bonnes à méditer, par exemple les réformes mal conçues, répondant aux seuls critères d’économie. Ainsi, la dernière réforme de la formation des maîtres a « déstabilisé en profondeur le travail réel des enseignants stagiaires, des formateurs en IUFM, des maîtres formateurs et des conseillers pédagogiques ».

« Le défaut de processus d’acculturation au métier empêche la constitution d’une culture partagée. On favorise ainsi l’émiettement du milieu enseignant et on freine l’émergence de collectifs. »
A travers ces citations, c’est bien l’activité réelle des enseignants qui parle et qui fonde le travail politique réalisé par la mission sénatoriale.

Une approche globale et ré-articulée de toutes les dimensions du travail

Le travail réel des enseignants est placé au cœur de l’efficacité à construire du système éducatif. La crise du métier se manifeste dans l’activité pédagogique et ses conditions d’exercice au sein des établissements et des classes, dans le « travail empêché et grevé de dilemmes », avec ses impacts inquiétants sur la santé physique et psychique. Il faut en finir avec des réformes qui malmènent le travail. Il faut « soigner le métier pour ne pas avoir à soigner les individus » (Françoise Lanthéaume).

La cohérence du rapport est construite autour d’une approche globale du travail enseignant. Analyses et propositions résultent d’une posture résolument tournée vers le travail réel, articulant les diverses dimensions inséparables de l’activité enseignante :

-  La créativité quotidienne du travail, reliée au « sens retrouvé de l’école » avec sa visée émancipatrice, la démocratisation de l’accès au savoir, la lutte contre les inégalités sociales, territoriales, de genre…

-  La reconnaissance des enseignants comme experts de leur métier, condition de la restauration de la confiance et de la refondation du métier.

-  La mise en évidence du réel de l’activité : « rendre visible le travail invisible » dans toutes ses dimensions individuelles, collectives, sociales, éthiques, avec les débats de critères, de normes, de valeurs…

-  La nécessaire ré-articulation du travail prescrit à clarifier et à simplifier, et du travail réel : en finir avec « la prolifération des mesures et le brouillage de sens de l’éducation qui sont la source majeure de l’exacerbation des conflits de travail et la souffrance ordinaire des enseignants ».

-  La remise en adéquation des moyens matériels et des moyens humains avec les objectifs et missions du service public d’éducation : c’est crucial pour sortir du travail empêché, lutter contre l’usure au travail, prévenir les pathologies, accompagner les fins de carrière… En finir d’urgence avec la RGPP avec les critères financiers « en contradiction avec les enjeux éducatifs essentiels du pays. Rompre avec la gestion des ressources dépourvues de tout objectif pédagogique et qui « a simplement attaqué la substance de l’offre éducative ».

-  La remise du travail réel au centre des politiques de gestion et d’organisation du travail pour en finir avec le déni du travail réel : la mise en visibilité des collectifs informels fondés sur les affinités personnelles, débouche sur un appel à « aménager des lieux et des temps où les enseignants pourront se rencontrer pour réfléchir entre eux sur leur métier hors des injonctions et des prescriptions de l’institution ». Une référence explicite est faite à la recherche action CNAM-SNES de clinique de l’activité.

Cet enchevêtrement entre les composantes toujours imbriquées, de l’activité réelle, met en évidence la complexité, la globalité d’un travail qui engage les professionnels « corps et âme ». Cette remise en perspective, en réarticulant ce qui est en général séparé, constitue une avancée épistémique et politique.

Une posture anthropologique par rapport au travail

Cette approche particulièrement féconde à nos yeux, rejoint les travaux du chantier travail de l’Institut, centrés notamment sur la dialectique entre les aspects micros de l’activité réelle, avec toutes ses dimensions anthropologiques et les conditions extérieures de sa réalisation : réformes des dispositifs, distribution des moyens, organisation du travail, management, prescriptions, ressources mises à disposition. En quoi tout cela aide-t-il à faire du bon travail ? Le rapport ouvre des pistes à partir d’une posture délibérément tournée vers la reconnaissance du travail réel, alors que les débats politiques sur le système éducatif ne dépassent pas en général le travail prescrit et restent dans le déni du travail réel. Comme si celui-ci n’était qu’une forme, même complexe, d’exécution.

Un travail politique renouvelé sur le travail

L’articulation des trois parties du rapport, constat, diagnostic et voies de redressement, trace une perspective de transformation du système éducatif à partir du travail réel des enseignants et sa créativité. Les enseignants constituent bien le problème : « leur souffrance ordinaire provoquée par la « crise du métier », le lieu de résolution du problème : ce que font les réformes sur leur activité et ce qu’ils en font, et enfin la solution au problème, le levier de l’action : restaurer leur pouvoir d’agir et la confiance, redonner sens à l’école et refonder le métier. Tout est lié, imbriqué.
Les « voies du redressement » s’articulent autour de quatre directions remises en perspective les unes avec les autres :
-  Redonner sens à l’école pour mieux repenser le métier d’enseignant à partir des enjeux d’émancipation des nouvelles générations, de démocratisation de l’accès aux savoirs, sur le principe emprunté au GFEN « tous capables ».
-  D’abord restaurer la confiance pour envisager de refonder le métier d’enseignant : mettre d’urgence en chantier un plan de recrutement et de pré-recrutement pluriannuel, remettre à plat la formation initiale et continue.
-  Favoriser l’émergence de collectifs enseignants hors des logiques hiérarchiques : passer des collectifs informels non reconnus à des collectifs disposant de temps et d’espace, véritable respiration du travail et du métier.
-  Préparer les futures réformes dans la concertation avec les enseignants reconnus comme experts de leur métier : une reconnaissance de la créativité que recèle l’activité enseignante.

On retrouve bien les dimensions stratégiques du travail réel et du métier : les questions de sens, de confiance, de collectif, de coopération, de reconnaissance, de ressources…remises en cohérence, en résonance.
Remettre ainsi le travail réel des enseignants (mais aussi des élèves, des chefs d’établissement, des inspecteurs, des gestionnaires…) au cœur des préoccupations réformatrices du système éducatif permet de renouveler les alternatives et de réenclencher des dynamiques inattendues.

L’action politique de transformation du système éducatif prend comme levier « le développement du pouvoir d’agir des enseignants sur leur travail et leur métier ». Elle propose « d’offrir les ressources aux enseignants pour participer comme acteurs autonomes aux transformations de l’école ».
Une conception de leur formation initiale et continue, repensée à partir de leur activité réelle devrait les amener à « approfondir le regard réflexif qu’ils posent sur leurs pratiques, en préservant toujours leur rôle de concepteur de leur métier sans les transformer en simples exécutants ».
Cette proposition est considérée à juste titre comme nécessaire à l’accomplissement de la mission assignée au métier : « s’adresser aux enfants qui n’ont que l’école pour apprendre ».

Ils doivent acquérir les ressources nécessaires pour devenir « des praticiens réflexifs », apprendre à « décortiquer les processus cognitifs et sociaux d’apprentissage et d’acquisition des connaissances » et à « ajuster les pratiques concrètes à la vie de la classe »…
C’est bien une transformation du travail politique qui est proposée : « il convient donc de réformer l’éducation nationale dans la concertation avec les enseignants sans tenter d’exacerber les tensions existantes entre l’école et son environnement extérieur ». « Il paraît nécessaire d’associer les enseignants à la préparation des futures réformes comme experts de leur métier… Ceci ne remet pas en cause les prérogatives propres du politique ».

Là encore, tout est dans l’articulation entre le travail réel des professionnels et le travail politique d’élaboration des décisions, des réformes, des normes… des contenus, des moyens… Qui a le plus à apprendre des autres ? J’ai bien senti au cours de l’audition que la question de la transformation du travail politique d’élaboration des réformes était trop subversive.

Une coopération chercheurs – responsables politiques sur le travail enseignant

Le rapport prend appui sur des travaux de chercheurs qui ont été auditionnés ou non. Les résultats de leur recherche ont été retravaillés par la commission et la rapporteure, en fonction des perspectives politiques qu’ils se sont données.

Cette expérience de coopération recherche – élaboration des décisions politiques est aussi à réfléchir et à développer. Cela peut aussi renouveler concrètement la gestion des biens communs comme l’éducation et les services publics. Une façon de reconnaître l’activité réelle des chercheurs, de leur reconnaître toute leur place et rien que leur place.

Conclusion

Il ne s’agit pas que d’un rapport de commission. Son mode d’élaboration et son contenu ouvrent des perspectives à méditer, à réfléchir, à prolonger.
La question devient alors : quel travail politique faut-il mettre en œuvre pour que ces propositions prometteuses deviennent réalité : qu’elles prennent « corps », qu’elles investissent l’activité réelle des personnels, des syndicalistes, des politiques et des citoyens qui se sentent comptables et responsables de l’évolution du système éducatif.

Il y a sans doute des modifications de « posture », de changement de regard sur le travail réel des enseignants à opérer. C’est d’abord en multipliant les expériences réelles décidées et initiées dans les perspectives tracées par le rapport que chacun pourra apprendre à rectifier éventuellement à partir de ces expériences.

Messages

  • Le rapport d’information de la sénatrice PCF Brigitte GONTHIER-MORIN sur le travail enseignant ouvre à de nombreux égards des pistes de réflexions pour les politiques comme pour les syndicalistes. Dans une analyse de ce rapport faite par Yves Baunay, animateur du chantier recherche de la FSU, l’accent est mis sur la notion de « travail réel » qui se positionne en contre-point du « travail prescrit ». En d’autre terme, il est question de la reconnaissance de l’écart entre ce que veut l’institution et ce que fait le professeur. C’est une distinction capitale, il est heureux qu’elle soit prise en compte.
    L’activité du professeur des écoles (l’activité réelle donc) serait donc ces compromis faits entre ce que je dois faire et ce que je peux faire, entre « ce qu’on demande » et « ce que ça demande » pour reprendre les expressions de Hubault. Pourquoi pas. Mais il me semble qu’il est nécessaire de compléter quelque peu cette manière de voir les choses pour ne pas tomber dans un écueil que le rapport n’a pas contourné, et sur lequel je reviendrai à la fin de ce texte.
    Tout d’abord, dans ce que l’on entend par « prescriptions ». Dans le rapport, elles sont souvent synonymes de « textes prescripteurs », ou encore « d’injonctions verticales » ; c’est ce qu’on pourrait appeler les prescriptions descendantes. Ce sont celles qui viennent en amont de l’action du travailleur, qui émanent de la hiérarchie, mais pas uniquement : de la société, du collectif de travail (et au passage ce serait fort dommageable de négliger le re-travail de cette prescription par le genre professionnel), de la formation…ou celles que l’on s’auto-prescrit. A ces prescriptions s’ajoute le poids du réel : les prescriptions remontantes, qui émanent de la matière première avec laquelle on travaille, avec le terrain à proprement parlé…les élèves, la classe, soi-même !
    La recherche en ergonomie que j’ai menée ces dernières années dans la circonscription de Martigues, auprès d’enseignantes scolarisant des élèves en situation de handicap, montre combien il est difficile parfois de distinguer l’une de l’autre. Si l’élève et ce qu’il est (ses capacités cognitives, d’attention, de mémoire…) sont une prescription remontante lorsque l’enseignant conduit sa classe, cela devient une prescription descendante lorsque des mots sont posés sur le handicap de l’élève lors d’une équipe de suivit. En entretien, une enseignante nous explique combien son activité dirigée vers son élève en intégration est conditionnée par ce que celui-ci est supposé être capable de faire ou non (prescription remontante) et combien elle attend des « spécialistes » qui la prennent en charge en dehors de l’école (prescriptions descendantes) de quoi organiser son activité. Le développement de l’activité de cette enseignante ne passe pas « simplement » par les dilemmes entre ce qu’elle voudrait faire et ce qu’elle fait, mais par la possibilité pour elle de recycler ses pré-occupations dans l’activité réalisée, dans une activité plus efficace.
    On arrive ainsi à la nécessité de s’attarder sur cette notion d’efficacité. Etre efficace dans son travail ne se mesure pas à l’écart entre ce qu’on aurait voulu faire (que cela émane de textes prescripteurs ou soit dicté par une prescription descendante au sens large) et ce qu’on a fait. Cela passe aussi par les effets que l’action a sur « soi », par les « économies d’usage de soi » que l’on a été ou non capables de tenir. Lorsqu’une enseignante en entretien nous dit : « j’essaye de les faire travailler en petit groupes aussi…moi ça me fatigue aussi quoi », elle pointe du doigt une part de son activité qu’il est impossible de négliger, et qui obéit non à des critères d’efficacité mais d’efficience.
    Tout cela nous pousse, et ce sera ma contribution au débat, à éviter autant que possible de coller « efficacité » à « pédagogique » (pages 55 et 60) ou « didactique » (page 71) comme si le travail enseignant se regardait à l’aune des effets qu’il produit sur les élèves uniquement. Considérer l’enseignement comme travail, c’est justement dépasser la notion de « travail enseignant » pour ne pas négliger toutes les dimensions de l’activité de travail, y compris les actions tournées vers une économie de soi, un confort au travail… surtout si les enseignants doivent « durer » jusqu’à 65 ans…
    Contribution à la discussion sur le rapport Gonthier-Morin
    Frédéric Grimaud
    FSU Martigues