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Jean-Michel Blanquer. Une politique scolaire et de droite et de droite

samedi 2 septembre 2017, par Alain Beitone

Nous avons montré à quel point il était important, dans les débats sur l’école, de bien distinguer les discours libéraux et les discours conservateurs (Beitone et Pradeau, 2016). L’analyse du discours, des propositions et des premières mesures de Jean-Michel Blanquer confirme la nécessité de cette grille d’analyse.

Toute une partie du discours de Blanquer vise à caresser dans le sens du poil les tenants de l’approche conservatrice. Par exemple la distribution aux élèves des Fables de La Fontaine (auteur injustement instrumentalisé par les tenants du retour en arrière en matière éducative) est saluée à droite. Alain Finkielkraut (inlassable contempteur de la pédagogie) apporte son soutien au ministre et à son directeur de cabinet qui veut « restaurer les grands textes patrimoniaux dès le plus jeune âge » (L’Obs du 24/08/2017). Au demeurant, il faut rappeler qu’après la publication, en 2016, de son livre « L’école de demain » (Odile Jacob), Blanquer était présenté par les médias comme le probable ministre de l’Eduction Nationale de François Fillon. A la veille de sa désignation au ministère, Blanquer accorde un entretien au très conservateur site SOS-Education, proche notamment de la manif pour tous. L’article sera précipitamment retiré du site par l’association éditrice qui ne veut pas « causer du tort au ministre » mais se réjouit bruyamment de sa nomination. Le Figaro, pour sa part, rappelle, en s’en réjouissant, que lorsqu’il était recteur de l’académie de Créteil, Blanquer faisait chanter la Marseillaise aux écoliers et organisait des stages de « tenue de classe » pour les professeurs (Le Figaro, 17/05/2017). Et Blanquer vient de relancer le projet d’apprendre la Marseillaise à tous les écoliers. Il veut aussi développer à nouveau les internats d’excellence et favoriser un recours plus large au redoublement. Après sa prise de fonction, le ministre donne une interview au Monde (un journal plus convenable que SOS éducation) dans laquelle il dénonce le clivage gauche-droite « qui a fait plus de mal que de bien à l’éducation ». Plus de clivage donc, du « pragmatisme ». Parmi les éléments de langage qui réjouissent les conservateurs, il y a la dénonciation par Blanquer de l’égalitarisme. Le titre de son entretien à l’Obs (24/08/2017) est d’ailleurs le suivant : « Le discours égalitariste est destructeur ». Bref Blanquer c’est « la droite complexée » (ou qui avance masquée).

Dans les annonces de Blanquer, il en est qui sont plus difficiles à interpréter. Ainsi en est-il, à propos du collège, du rétablissement des classes bilingues et des classes latin-grec. Certes, les enseignants qui se sont mobilisés dans une perspective progressiste, contre la réforme N. Vallaud-Belkacem dénonçaient la suppression de ces classes. Mais les conservateurs se réjouissent de leur rétablissement dans une toute autre perspective : le retour à la tradition et à un enseignement secondaire réservé à une minorité. De même, Blanquer se prononce pour l’apprentissage de la lecture sur la base de la méthode syllabique. Les traditionnalistes se réjouissent et les pédagogues modernistes (y compris ceux qui se situent à l’extrême-gauche) dénoncent le caractère conservateur de cette méthode d’enseignement de la lecture. Au GRDS nous défendons la méthode syllabique et à ma connaissance, personne n’est d’extrême droite dans notre groupe. Mais Blanquer donne des gages à la droite conservatrice et c’est ce qui compte pour lui.

Car, dans le même temps, Blanquer donne aussi des gages aux modernistes. Il annonce une plus grande autonomie des établissements, une réforme du baccalauréat (que les modernistes considèrent comme le verrou faisant obstacle à l’innovation pédagogique au lycée). En collège, il ne supprime pas les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), mais il supprime la liste des thèmes tout en laissant les établissements libres d’organiser à leur guise une partie du temps scolaire. Dans son interview au Monde, il déclare : « Je ne donnerai pas dans la verticalité, dans l’injonction. Je serai un ministre qui pousse aux solutions de terrain. Mon message aux enseignants, c’est qu’il n’y a pas de chape de plomb : qu’ils se sentent libres, qu’ils innovent ». Pas de verticalité, de l’innovation, priorité au terrain…c’est le discours traditionnel des pédagogues modernistes.

Les modernistes ont reçu le message cinq sur cinq. Dans l’Obs (24/08/2017, p. 23), François Dubet, qui a soutenu activement tous les ministres sociaux-démocrates de Claude Allègre à Najat Vallaud Belkacem, développe un discours constructif à l’égard de Blanquer. Il déclare par exemple : « Politiquement, c’est un homme avec des convictions plutôt libérales, mais il est très loin de ce que nous propose la vraie droite scolaire ». Et il ironise sur les conservateurs qui approuvent Blanquer : « Cela prouve qu’ils ne l’ont pas lu ! A bien des égards, Blanquer est l’incarnation de l’affreux pédagogue qu’ils abhorrent. Il parle formation des enseignants, projets éducatifs, ou socle de connaissances atteignables pour tous ». Et Dubet d’ajouter que « le fruit est mûr pour une rénovation en profondeur de l’école ». Il apparaît à le lire (à peine) entre les lignes que Blanquer est l’homme providentiel de la rénovation. Il va réussir là où Allègre et Vallaud Belkacem ont échoué. Blanquer comme nouvel espoir des pédagogues modernistes !

Lecteur de La Fontaine (on l’espère !) Blanquer applique la stratégie argumentative de la chauve-souris : « Je suis oiseau : Voyez mes ailes ; Je suis souris : Vivent les rats ». On peut traduire facilement, je suis conservateur : voyez ma défense de la Marseillaise. Je suis moderniste, voyez ma condamnation de la verticalité.

N’y a-t-il là qu’une habileté permettant de définir une voie médiane entre les réactionnaires et les pédagogues modernistes ? Certainement pas. Le projet de Blanquer a une profonde cohérence : il s’agit de réguler le système scolaire par l’autonomie des établissements. Dubet considère que l’on arrivera à cette situation « inéluctablement ». Cette régulation quasi-marchande a deux dimensions :

a) Des projets éducatifs spécifiques permettant aux établissements de choisir les horaires d’enseignement, les contenus d’enseignement, les méthodes pédagogiques. Dès lors, puisque les établissements (écoles, collèges, lycées) diffèrent fondamentalement, ce sera la fin de la carte scolaire. On ne peut pas obliger des parents à scolariser leurs enfants dans l’école du secteur, si l’école propose une pédagogie Steiner ou une discipline militaire avec salut au drapeau et que ces « projets pédagogiques » ne leur conviennent pas. Blanquer a annoncé la couleur : les établissements doivent pouvoir formuler une offre scolaire autonome et cela ne nécessite pas une privatisation ;

b) Cette autonomie pédagogique a pour corollaire le libre recrutement, par le chef d’établissement, d’enseignants qui adhèrent au projet pédagogique de chaque école, collège ou lycée (faute de quoi la différenciation de l’offre éducative n’a pas de sens).
Les deux logiques : différenciation, innovation, adaptation à la spécificité des élèves et des territoires d’une part et autonomie des établissements sous l’autorité d’un vrai chef d’entreprise d’autre part sont complémentaires.

Dans cette perspective, la réforme du bac est décisive. L’existence d’un bac sur programme national évaluant un nombre important de disciplines contraint finalement, jusqu’à aujourd’hui, les lycées à offrir un programme scolaire qui est globalement le même. Dès lors que l’essentiel du bac sera obtenu dans le cadre d’un contrôle continu, ce dernier pourra évaluer les enseignements spécifiques au projet de chaque lycée. Ce qui permet ainsi l’autonomie du lycée au même titre que l’autonomie des écoles et des collèges.

Modernistes et conservateurs peuvent facilement se retrouver derrière Blanquer puisque les uns pourront offrir des écoles catho-tradi où l’on porte l’uniforme et les autres des écoles Montessori, des collèges Freinet, des lycées bienveillants utilisant en masse la pédagogie inversée. Les parents n’auront plus qu’à choisir entre les diverses « offres pédagogiques autonomes ».

L’astuce, c’est que si les adeptes du libéralisme économique appliqué à l’école sont pour des établissements autonomes, c’est aussi le cas des mouvements pédagogiques (héritiers de l’éducation nouvelle). C’est François Dubet (2017) qui nous l’explique : « L’appel à des communautés éducatives autonomes est une vieille revendication des mouvements pédagogiques le plus souvent marqués à gauche ».

Le risque est donc très grand que Blanquer parvienne à faire passer sa contre-réforme libérale. Bien évidemment les principales victimes de ce nouveau dispositif sont les enfants issus des classes populaires. L’autonomie des établissements sur la base de projets pédagogiques spécifiques, c’est le préjugé déficitariste institutionnalisé. Sous prétexte de s’adapter à la diversité des élèves, certains établissements réviseront en baisse les objectifs d’apprentissage, mettront en œuvre des démarches fondées sur le concret et sur des problèmes pratiques et se préoccuperont surtout de transmettre aux élèves des « compétences non cognitives » (sérieux, ponctualité, respect de l’autorité, etc.). Mais bien évidemment d’autres établissements offriront des projets pédagogiques destinés aux héritiers et proposeront des objectifs cognitifs ambitieux. C’est le marché qui régulera. Les établissements, fatalement confrontés à une inégalité entre leurs capacités d’accueil et la demande des familles, sélectionneront leurs élèves comme ils choisissent leurs professeurs.

On comprend dès lors ce que signifie les critiques répétées de Blanquer contre l’égalitarisme. L’idée c’est que tous les élèves ne peuvent pas accéder aux mêmes savoirs. Il faut donc logiquement apporter à chacun les savoirs auxquels il peut (par nature ?) accéder. Et donc différencier l’offre éducative. Dès lors, les élèves et les familles seront « libres » de choisir l’école dont ils pensent qu’elle leur convient le mieux et ils seront seuls responsables ensuite de leur sort. S’ils n’ont pas étudié ce qui est nécessaire pour entrer dans telle ou telle filière de l’enseignement supérieur, ce sera de leur faute. Le droit accordé aux formations du supérieur de déterminer les pré-requis exigibles de leurs étudiants conduit à ce que les choix antérieurs de formation des bacheliers constituent un piège pour ceux qui n’ont pas, en amont, les informations pertinentes pour choisir les « bons » projets pédagogiques, les « bonnes » options, les « bons » établissements.

Les choix de politique scolaire qui s’annoncent et qui commencent à être mis en œuvre ne concernent pas que les enseignants et les usagers de l’école. Ils sont sous-tendus par un choix politique fort : celui de substituer à l’égalité devant le service public le principe de la concurrence entre établissements et le renforcement des inégalités sous prétexte de diversité de l’offre éducative et de liberté de choix des élèves et des familles.

Certains considéreront sans doute qu’il s’agit là de plans sur la comète. Je les invite à lire la description par Sylvie Laurent (2016) des réformes scolaires opérées aux Etats-Unis pendant les deux mandats d’Obama. L’offre autonome d’éducation a conduit à la destruction du système éducatif public et à une inégalité accrue.


Bibliographie

Beitone A. et Pradeau R. (2016), "Le débat sur l’école. Le camp progressiste doit se battre sur le fond", Revue Les Possibles, ATTAC
https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-11-automne-2016/debats/article/le-debat-sur-l-ecole

Dubet F. (2017), "Peut-on réformer l’école ? De droite ou de gauche ?", Le magazine de l’éducation, n° 1, septembre 2017
https://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/ema/recherche/ema-techedulab/le-magazine-de-l-education/numero-1.html

Laurent S. (2016), La couleur du Marché, Seuil (voir le chapitre 12 : « L’école publique mourra guérie » pp. 149-158).