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Un bac de culture commune pour l’Université

vendredi 6 octobre 2017, par Cédric Hugrée, José Tovar, Tristan Poullaouec

Quels que soient les milieux sociaux, une large majorité des parents souhaite que leurs enfants poursuivent des études supérieures. Plus de la moitié des bacheliers vise [1] un bac +5. Et voici qu’arrivent dans l’enseignement supérieur les générations nombreuses du début des années 2000 : si rien ne change, ce sont 350 000 étudiants supplémentaires qui se profilent à l’horizon 2025. À l’évidence, les capacités d’accueil actuelles ne permettraient pas d’y faire face, même en retoilettant le système d’Admission Post Bac ou en supprimant le tirage au sort dans les filières où la demande excède l’offre de places.
Faut-il alors « arrêter de faire croire à tout le monde que l’université est la solution pour tout le monde » ? La formule d’Emmanuel Macron n’a rien de courageux, ni de nouveau : il n’est ni le premier, ni le dernier à vouloir détourner la jeunesse populaire des études longues. Pour les libéraux, l’occasion est trop belle d’instaurer enfin la sélection à l’université, sous une forme ou une autre.
Rien n’a été prévu pour y accueillir convenablement ces nouveaux étudiants. Tout au contraire, 10 ans de loi Pécresse n’ont conduit qu’à réduire l’offre de formation, diminuer le nombre d’enseignants-chercheurs et étendre la précarité parmi les personnels, sans améliorer la réussite en licence. Et le gouvernement d’annuler cet été 331 millions d’euros de crédits pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Les universités n’ont pas trop d’étudiants : elles manquent cruellement de moyens. Veut-on vraiment améliorer l’accueil et la réussite des étudiants en premier cycle ? Aujourd’hui, moins d’un tiers des enfants des classes populaires obtient un diplôme d’enseignement supérieur, contre les deux tiers des enfants de cadres et de professions intermédiaires. Qu’on le veuille ou non, c’est à l’université que se retrouve la grande majorité des bacheliers d’origine populaire [2]. Les inégalités ne peuvent pas être glissées sous le tapis.
Encore faut-il en prendre la mesure, dans les parcours et les niveaux d’acquisition des étudiants, de fait très contrastés. Trop de bacheliers, en effet, ne disposent pas des connaissances et des techniques de travail suffisantes pour réussir sans encombres leurs études universitaires. Certains enseignants-chercheurs estiment pouvoir restaurer leurs conditions de travail en les écartant des premiers cycles universitaires, parfois même au nom de leur attachement au service public. Nous pensons au contraire qu’il est urgent et possible de prévenir ces difficultés d’apprentissage.

Premièrement, se focaliser, comme Olivier Beaud et François Vatin (Le Monde, 11.09.2017), sur les difficultés réelles des bacheliers professionnels est trompeur, car ils s’inscrivent rarement à l’université. Deuxièmement, dans un enseignement supérieur de plus en plus hiérarchisé, les orientations « par défaut » ne sont pas plus fréquentes en Licence qu’en IUT ou en BTS. Troisièmement, les étudiants d’origine populaire qui décrochent une licence sont le plus souvent des bacheliers généraux. Issus des classes populaires ou pas, ce dont ont besoin les étudiants pour s’approprier les savoirs universitaires sont des connaissances et des méthodes inégalement transmises dans l’enseignement primaire et secondaire.
En conditionnant l’accès à certaines filières au suivi de certains enseignements au lycée et aux notes obtenues au bac ou en terminale, l’instauration de « prérequis » n’a que l’apparence du bon sens. Laisserait-on chaque université définir ses prérequis en fonction des cursus proposés ? Rien de tel pour renforcer la concurrence entre établissements, entre filières. De plus, ce n’est pas vraiment en vertu de la spécialité de leur bac que les bacheliers généraux réussissent le mieux, quelle que soit la filière : c’est d’abord parce qu’ils ont bénéficié des meilleurs apprentissages de l’école primaire jusqu’au lycée.
Il faut donc concevoir ensemble la transformation des premiers cycles universitaires, la lutte contre la ségrégation dans l’enseignement supérieur et la refonte du baccalauréat. Le gouvernement veut prolonger la ségrégation actuelle entre les filières du bac par une ségrégation renforcée entre les filières du supérieur : davantage de bacheliers professionnels en BTS, davantage de bacheliers technologiques en IUT, en espérant davantage de bacheliers généraux à l’université… mais sans toucher aux moyens accordés aux classes préparatoires, qui permettent aux plus favorisés d’esquiver les premiers cycles universitaires.
On ne sortira pas de l’impasse actuelle sans un vaste plan d’investissement public pour les universités. En ramenant le montant du très décrié Crédit d’Impôt Recherche offert aux entreprises à son niveau de 2007, avant sa refonte par Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy [3], on disposerait d’une première enveloppe de 4 milliards d’euros, qui permettrait à la fois de relancer les financements pérennes de la recherche publique et de rouvrir le chantier d’une formation intellectuelle exigeante pour tous les étudiants. Mais on ne combattra pas non plus efficacement l’échec en premier cycle sans conduire tous les lycéens vers un haut niveau de culture commune, à la fois littéraire, scientifique et technologique. C’est pourquoi il faut mettre en débat la proposition d’un bac de culture commune comme issue normale d’un lycée unifié, permettant aux futurs bacheliers de faire de vrais choix d’orientation dans l’enseignement supérieur sans remettre en cause leur droit à la poursuite d’étude. Cet objectif fait partie du projet d’école commune élaboré par le GRDS.


[2Tristan Poullaouec, Cédric Hugrée, « Qui sont les étudiants d’origine populaire ? », in Coulangeon P., Galland O. et Vourch R., Mondes étudiants, La Documentation française, 2011