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Le lycée modulaire : une alternative aux « séries » du lycée français ?

samedi 20 janvier 2018, par Le secteur Lycées du SNES-FSU

[À l’heure où le débat sur l’unification du système éducatif reprend de la vigueur dans la gauche politique et syndicale qui se prononce en faveur de la scolarité obligatoire à 18 ans, la perspective ministérielle d’un lycée modulaire ne devrait-elle pas être appréciée comme un pas vers une école plus démocratique, qui ne diviserait plus les élèves et ne séparerait plus les classes sociales ?

Le lycée modulaire n’a en fait que les apparences d’une « école commune ». Conjuguant proximité spatiale et distance sociale, c’est une solution « new management », intelligente et retorse, qui confie au libre jeu des choix individuels le soin d’assurer la sélection scolaire. Qui mieux qu’elle ?

Le ministère Blanquer déclare viser 100% de réussite dans les apprentissages du lire-écrire au CP. Qu’il associe cette entreprise à une réforme du lycée nous rappelle que, depuis les années 1960, tout progrès dans la scolarisation de masse s’est toujours accompagné de la mise en place dans les étages supérieurs du cursus de voies de dérivation. C’est qu’il s’agit, comme le soulignaient alors de Gaulle et son ministre Berthoin, d’éviter que les filières nobles soient "envahies". L’école de masse doit rester une école de classe, ce que lui garantit le lycée modulaire.

Et merci au SNES-FSU qui nous permet de mettre à disposition de nos lecteurs l’étude qui suit, concernant l’expérience (probante) du lycée modulaire anglais.]

Les séries du lycée français sont régulièrement accusées « d’enfermer » les élèves dans une « spécialisation précoce » qui ne correspond pas forcément à leurs goûts (en termes de contenus disciplinaires), mais dont ils ne peuvent pas changer une fois qu’ils entament le cycle terminal. Les séries sont également accusées d’être hiérarchisées, et ainsi d’enfermer les élèves dans des parcours inégaux, certains plus « prestigieux » que d’autres, « ouvrant plus de portes » que d’autres, etc. Bref, le lycée organisé en séries serait à la fois cloisonné et hiérarchisé.

À l’inverse, le « lycée modulaire » ou « lycée à la carte » permettrait aux élèves de construire eux-mêmes leur parcours de formation, de façon plus souple et plus libre, en faisant des choix de formation plus divers. Les élèves ne seraient ainsi plus soumis aux « hiérarchies » des séries et des disciplines, ne seraient plus enfermés dans des parcours plus ou moins prestigieux, puisqu’il n’y a plus de « parcours obligés ». Ce « libre choix » du contenu de la formation par les élèves résoudrait donc le cloisonnement et la hiérarchisation des parcours que les séries « à la française » provoqueraient.

Les partisans du lycée modulaire proposent diverses variantes de ce type d’organisation, plus ou moins encadrées par des règles, par des « passages obligés », des enseignements communs à tous, etc. Ils ne prônent pas tous le « libre choix pur », certains proposant des modes d’organisation qui se rapprochent plus ou moins des séries, en introduisant une dose plus ou moins forte de « modularité ».

Il semble intéressant de regarder ce qui se passe dans le cadre du « lycée » britannique, car c’est un modèle presque « pur » de lycée modulaire. Après l’examen du GCSE (à 16 ans), les élèves peuvent continuer dans les études « post-compulsory », dans différents types d’écoles secondaires qu’on appellera « lycée » (Grammar schools, Comprehensive schools, Independent schools, etc.). Ils doivent alors choisir librement les disciplines qu’ils vont étudier pendant un an ou deux : d’abord 4 ou 5 disciplines pour le « AS level », puis 3 disciplines (ou plus) pour le « A2 level », qui aboutissent à un « GCE A level » complet. On est donc dans le cadre d’un « lycée » très fortement « modulaire », sans réelle contrainte autre que les disciplines disponibles dans l’établissement fréquenté.

Ce type d’organisation est donc censé permettre de dépasser les problèmes de cloisonnement et de hiérarchisation des séries à la française. En réalité, on peut montrer que c’est tout sauf le cas : s’il n’est pas possible de dire que le lycée « à la carte » serait davantage cloisonné et hiérarchisé que le lycée « en séries », en revanche, ce qui semble très net, c’est qu’il ne l’est pas moins !

Un lycée « à la carte »... très rigide !

Pour qu’une organisation du lycée puisse éviter « d’enfermer » les élèves dans une « spécialisation précoce », une voie de formation « cloisonnée », il faudrait que l’élève puisse changer de champs disciplinaires étudiés d’une année sur l’autre. Or ce n’est absolument pas possible en Grande-Bretagne : si l’élève a le choix des disciplines étudiées en AS level (year 12), les disciplines qu’il étudiera l’année suivante (pour le A2 level) ne peuvent être choisies que parmi celles qu’il a étudiées pour le AS level ! Il est strictement impossible, par exemple, de choisir « histoire » ou « mathématiques » pour le A2 level (year 13) si on n’a pas étudié ces disciplines pour le AS level (year 12). D’ailleurs, les programmes des disciplines sont souvent pensés en continuité : le contenu disciplinaire des cours pour le A2 level suppose les acquis du AS level... un peu comme les programmes de terminale supposent d’avoir suivi les cours de 1ère, en France...

Ainsi, en réalité, la « voie de formation » de chaque lycéen est certes construite par le lycéen... mais une fois les disciplines choisies pour le AS level, il n’est plus possible de modifier sa formation ultérieurement (autrement qu’en abandonnant une des disciplines étudiées).

Le lycée modulaire, tel qu’il se pratique en Grande Bretagne, est donc en réalité très cloisonnant, sans doute davantage qu’en France (étant donné le faible nombre de disciplines étudiées par chaque élève). Il enferme très tôt les élèves dans une spécialisation disciplinaire précoce. Et d’ailleurs, peut-il en être autrement ? Peut-on imaginer de « reprendre les maths ou l’histoire » (ou autre) pour le bac en terminale, si on a arrêté les maths ou l’histoire (ou autre) en 1ère ?...

Il faut également noter, sur ce point, que si formellement le nombre de disciplines « au choix », et donc le nombre de combinaisons de disciplines possibles, sont très élevés, en réalité les choix techniquement possibles sont définis, tout simplement, par l’offre de chaque lycée. Et évidemment, tous les lycées n’offrent pas toutes les disciplines !

Des choix vraiment « libres » ?

Formellement, donc, chaque élève est « libre » de « choisir » ses disciplines pour composer son cursus de formation au lycée « à la carte » - dans les limites rappelées ci-dessus. Mais de manière très peu surprenante, on constate que les choix de disciplines sont en réalité très nettement influencés par un certain nombre de « variables » sociales tout à fait classique : le sexe, le niveau scolaire, le type d’établissement, la classe sociale... Autrement dit, laisser les élèves « libres » de choisir leurs disciplines, c’est en grande partie laisser des déterminismes sociaux et scolaires jouer librement sur les choix individuels.


Note : tous les tableaux et toutes les données sont issues de divers dossiers réalisés par Cambridge Assessment, organisme privé britannique, sur la base du National Pupil DataBase, en 2014/2015. Voir en particulier le dossier « uptake of GCE A level subjects 2014 », Statistics report series n°82, avril 2015, sur le site http://www.cambridgeassessment.org.uk/our-research/all-published-resources/statistical-reports/


On retrouve, comme en France, des différences très nettes entre filles et garçons

La diversité des parcours est plus forte pour les filles que pour les garçons, puisque les 10 combinaisons de disciplines1 les plus fréquentes représentent 22% des choix des garçons, et 14,2% des choix des filles.

Sur les 10 combinaisons de disciplines les plus fréquentes chez les garçons, 10 contiennent au moins 2 disciplines scientifiques (et 7 ne contiennent que des disciplines scientifiques) ; aucune ne contient de discipline littéraire. Sur les 10 combinaisons les plus fréquentes chez les filles, seules 6 contiennent au moins une discipline scientifique ; 8 contiennent au moins une discipline littéraire ou une discipline de sciences sociales ; 4 ne contiennent aucune discipline scientifique.

De manière plus fine, on retrouve, comme en France, un « clivage de genre » très classique dans le « choix » d’un certain nombre de disciplines :

Lecture : 20,1% des filles choisissent les mathématiques pour le A2 level, contre 37,9% des garçons.

Les choix de disciplines sont également influencés par le type d’établissement fréquenté par les lycéens

On peut opposer, pour simplifier, les « grammar schools », qui sont sélectives et cherchent à accueillir de « bons élèves » pour leur offrir des formations ambitieuses, et les « comprehensive schools », qui ont une moins bonne réputation, accueillent les élèves sans sélection, et sont souvent perçues comme moins « ambitieuses ». Les élèves des « grammar schools » choisissent plus souvent mathématiques, biologie, chimie, physique, économie... Les élèves de « comprehensive schools » choisissent plus souvent des disciplines artistiques (photographie, design), des disciplines de sciences sociales (sociologie, psychologie), des disciplines culturelles (media / film studies).

Lecture : 25,1% des élèves des comprehensive schools choisissent les mathématiques, contre 44,1% des élèves des grammar school.

On voit au passage que visiblement, les scolarités dans les comprehensive schools semblent plus « diverses » et plus « éclatées » que dans les grammar schools : mais est-ce une plus grande « richesse » de l’offre de disciplines, ou plutôt le signe que les grammar schools (ou en tout cas les élèves de grammar schools) se concentrent sur les disciplines les plus « prestigieuses » ?

On note également que, si formellement, les lycéens doivent choisir trois disciplines pour leur dernière année d’étude, ils peuvent en choisir plus ou moins. Mais là encore, le type d’établissement fait des différences : si 31,6% des lycéens des comprehensive schools ne prennent qu’une ou deux disciplines, ce n’est le cas que de 5,9% des lycéens des grammar schools (soit 6 fois moins). A l’inverse, seuls 11% des lycéens de comprehensive schools suivent 4 disciplines ou plus, contre 31,8% des élèves de grammar schools (soit trois fois plus).

Le niveau scolaire des élèves influence fortement les choix de disciplines...

On peut voir les choix des élèves en fonction de leur niveau aux examens du GCSE : élèves « faibles », « moyens » ou « bons ». De manière très prévisible, ces catégories d’élèves ne font pas les mêmes choix.

D’abord, plus leur niveau de départ est élevé, plus ils suivent un nombre important de cours : seuls 4,9% des lycéens de bon niveau ne suivent que un ou deux cours, contre 53,1% des élèves de niveau faible (soit 10 fois plus !). A l’inverse, 27,2% des élèves de bon niveau suivent 4 cours ou davantage, contre seulement 4,6% des élèves faibles.

De plus, les disciplines choisies ne sont pas les mêmes. Par exemple, sur 100 élèves « bons », seulement 15 choisissent au moins une discipline artistique, alors que 73 choisissent au moins une discipline scientifique ; à l’inverse, 43% des élèves « faibles » choisissent au moins une discipline artistique, et seulement 26% choisissent au moins une discipline scientifique. Les rapports sont donc de 1 à 3 pour les deux choix... Autrement dit, les élèves d’un bon niveau choisissent massivement des disciplines scientifiques, alors que les élèves faibles s’en détournent : est-ce si différent du système des séries français ?

On peut voir les choses de manière plus fine en voyant les choix spécifiques de disciplines en fonction du niveau des élèves, et les choses sont claires et confirment tout simplement l’existence de hiérarchies symboliques entre disciplines en Grande Bretagne : certaines disciplines sont davantage choisies par les bons élèves, d’autres par les élèves faibles... comme en France.

Lecture : 7,7% des élèves faibles choisissent les mathématiques, contre 23,8% des élèves moyens, et 50,8% des élèves bons.

● Enfin, la classe sociale d’origine des élèves a une influence sur leur choix de disciplines : le système modulaire ne fait pas disparaître l’effet des inégalités sociales sur les parcours scolaires.

De manière peu surprenante, les enfants issus des catégories supérieures (higher managerial et higher professional) choisissent plus souvent des disciplines scientifiques (et exclusivement ces disciplines), ou encore l’histoire, que les élèves issus des catégories populaires ou de classes moyennes. Même si les différenciations sont plus subtiles, on retrouve donc l’influence de la classe sociale sur les choix de parcours...

Connaître son orientation post-bac dès la fin du collège ?

Les choix individuels de disciplines sont donc, on vient de le voir, fortement déterminés par des variables sociales et scolaires : la « liberté de choix » est en réalité la porte ouverte à l’action des déterminismes sociaux, et si on reproche aux séries d’entretenir les inégalités sociales de parcours scolaires, alors clairement le lycée modulaire est tout sauf une solution à ce problème.

Se renseigner sur les « prérequis / attendus » des universités

Ce lycée modulaire demande aussi aux élèves qui sortent de « collège » (qui ont donc 16 ans) d’avoir une idée déjà très claire de ce que sera leur orientation « post-bac » (après le A-level). En effet, les universités proposent des formations en précisant les « prérequis » (« qualification requirements ») en termes de disciplines choisies comme A-level (et en termes de niveau atteint dans ces disciplines). Elles sélectionnent ensuite les élèves en fonction du cursus suivi et du cursus demandé. Chaque lycéen doit donc se renseigner, avant de choisir quelles disciplines il étudiera en AS et A2, sur les attentes des universités qu’il vise, pour les cours universitaires qu’il vise. Faire les « mauvais » choix, c’est se fermer les portes de l’université deux ans plus tard [1].

On attend donc des lycéens, dès leur entrée au lycée, qu’ils aient une idée déjà très claire de l’emploi qu’ils veulent exercer, pour savoir quelle formation universitaire demander, et ainsi décider des disciplines qu’il faudra étudier pendant les deux années de AS et A2. S’agit-il là vraiment des meilleures conditions pour permettre une spécialisation progressive, une construction des choix d’orientation apaisée, qui prenne le temps nécessaire à la maturation des projets ?

Les « prérequis » sont très différents d’une université à l’autre. Par exemple, un lycéen qui envisage d’étudier la biologie à l’université se retrouvera face à une offre de formations aux « attendus » très différents (on n’a pris que 3 exemples, tirés du site UCAS, équivalent d’APB [2]) :
Biological Sciences University of Birmingham
Qualification requirements
A level
AAB
A level Biology/Human Biology and a second science°. Minimum of five GCSEs to include Mathematics, English and double award science at grade C. °Subjects accepted as ’second science’ : Chemistry, Mathematics (or Further Mathematics or Statistics), Physics, Geography, Geology, Psychology. Specified subjects excluded for entry : General Studies, Critical Thinking, Citizenship Studies, Applied Science, Communication and Culture, Critical Studies, Global Perspectives, Science in Society, Use of Maths and World Development.

Biological Sciences University of Essex
Qualification requirements
A level
BCC
Including Biology grade B. Pass required in science practical element of A-level Biology.

Biological Sciences University of Edinburgh
Qualification requirements
A level
AAA - ABB
Minimum entry requirement : ABB in one sitting, to include Biology and Chemistry ; Grade A is required in one of Biology, Chemistry, Mathematics or Physics. GCSEs : English at Grade B or 6. Mathematics or Physics at Grade B or 6.

On voit déjà que certaines universités ont des exigences fortes (Birmingham, Edinburgh) : notes élevées au A level, notes du GCSE (Brevet), disciplines exigées, disciplines interdites... gare aux erreurs de parcours que l’on découvre trop tard... D’autres ont des exigences plus faibles pour la même formation (Essex : notes « BCC »). Sans doute un effet ou une preuve de la hiérarchie entre universités, certaines pouvant se payer le luxe de sélectionner leurs étudiants, d’autres moins.

Que faire si on ne sait pas quoi faire ?

Les acteurs de l’orientation et de l’éducation ont bien conscience, cela dit, que demander aux jeunes lycéens de savoir exactement ce qu’ils voudront étudier plus tard peut poser problème. Un groupement d’universités qui se présente comme « leading universities » (dont Cambridge et Oxford), le groupe « Russell Universities », édite donc un guide pour faire des « informed choices », dans lequel cette situation est évoquée.

Qu’est-il conseillé aux lycéens qui ne savent pas ce qu’ils voudront faire plus tard ? Tout simplement de choisir d’étudier des « facilitating subjects » pour leur A-level. Ces disciplines sont celles qui sont le plus souvent requises par les universités, et donc il est conseillé aux lycéens « dans le doute » de construire leur parcours à partir de ces disciplines, ce qui leur garantit les meilleures chances ultérieures d’orientation réussie. Et quelles sont ces disciplines « facilitantes », ces disciplines « qui ouvrent toutes les portes » ?
-mathématiques
-littérature anglaise
-physique
-chimie
-biologie
-langues vivantes
-géographie
-histoire

Il est « surprenant » de constater que ce lycée modulaire qui, sur le papier, autorise tous les choix et toutes les combinaisons, en réalité, favorise un petit nombre de disciplines... Dont la combinaison complète ressemble à s’y méprendre au contenu de la série S, en France ! Série souvent vue par les élèves et les parents comme « ouvrant toutes les portes »... Et le lycée modulaire ferait tomber les hiérarchies entre séries ?... Et donnerait toute liberté de choix aux élèves ?... Il suffit d’ailleurs de lire le guide du Russell Group de manière plus détaillée pour voir que ces universités donnent des « combinaisons » de discipline à suivre, plus spécifiquement, pour chaque voie universitaire envisagée. Et on évoque une plus grande liberté de choix ?

À ce titre, on peut revenir aux données statistiques concernant les choix de disciplines, et les combinaisons entre ces disciplines. Certes, la multiplicité des combinaisons fait qu’on ne trouve pas l’équivalent d’une « série S » hyper-dominante, car la combinaison de disciplines la plus fréquente ne représente que 5,8% des élèves, et ensemble, les 10 combinaisons les plus fréquentes ne représentent que 16,6% des élèves. En ce sens, il semble bien y avoir une diversité de parcours plus grande, et des parcours plus individualisés, que dans le cadre des séries françaises. Mais s’en tenir là est trompeur :
-sur les 10 combinaisons les plus fréquentes, 7 contiennent uniquement des disciplines scientifiques (mathématiques, chimie, physique, biologie, mathématiques renforcées) ;
-sur les 10 combinaisons les plus fréquentes, une seule ne contient aucune discipline scientifique (english literature ; history ; psychology), combinaison qui n’est prise que par 0,7% des lycéens.

Par conséquent, les disciplines scientifiques sont très clairement dominantes en termes numériques par rapport aux champs littéraires, artistiques, des sciences sociales ou de la technologie.

Parcours d’initiés et « liberté de choix »

Le SNES a souvent pointé le risque que, dans un lycée modulaire, des « parcours d’initiés » plus ou moins implicites se forment, ce qui ne changerait rien à la hiérarchie des disciplines et séries que l’on peut reprocher au système français, mais la rendrait plus insidieuse.

Le groupe « Russell Universities » explique aux élèves que non seulement les universités peuvent exiger d’avoir suivi telle ou telle discipline, et d’avoir obtenu telle ou telle note, mais qu’elles peuvent aussi, parfois, refuser de prendre en compte les dossiers qui incluent le suivi de telle ou telle discipline. Dans les exemples ci-dessus, l’université de Birmingham est dans ce cas : certains « A level » sont considérés comme « non-acceptables », et donc un élève qui postulerait en ayant suivi un de ces cours verrait son dossier refusé par principe. Ainsi, par exemple, un élève ayant fait biologie, chimie, et « general studies » se verrait refuser l’admission, car « general studies », bien que donnant lieu à un « A level », n’est pas considéré comme un « A level » de niveau acceptable...

Il y a donc des parcours d’initiés, et des parcours pour ceux qui ne savaient pas, qui n’avaient pas eu la bonne information. Mais la responsabilité leur en incombe, puisqu’ils n’ont pas fait les démarches nécessaires pour se renseigner sur les « attendus » de chaque université ! Au passage, on voit à quel point ce type de pratique va à l’encontre de l’idée même de liberté de choix, et de lycée « à la carte » : malheur à celui ou celle qui a voulu « diversifier » ses disciplines sans savoir qu’ainsi, il se fermait des portes ! On pourrait tout à fait dire que les séries françaises, parce qu’elles sont plus larges, parce qu’elles incluent davantage de disciplines, permettent en réalité un choix bien plus large et bien moins risqué pour les élèves ! Elles leur permettent de poursuivre une formation disciplinaire large, sans risque de voir leur poursuite d’études bloquée par un « mauvais choix ».

* En fin de compte

Par conséquent, un lycée « purement » modulaire où les élèves choisissent leurs formations ne fait en rien disparaître les hiérarchies de « prestige » entre les disciplines (au bénéfice des disciplines scientifiques), ni les inégalités de choix d’orientation entre les élèves, en fonction du genre, de la classe sociale, du niveau scolaire...

Présenter le lycée modulaire comme une solution aux inégalités et aux hiérarchies qui seraient intimement liées à l’organisation du lycée en « séries » est donc au mieux fallacieux, au pire mensonger. L’orientation selon la voie ou la série, en France, fait apparaître des hiérarchies entre séries et disciplines, et des inégalités entre élèves, c’est un fait connu. Mais on retrouve les mêmes inégalités dans un lycée modulaire. Peut-être de manière plus « diluée », moins visible (et donc plus pernicieuse), mais jusqu’à preuve du contraire, pas de manière moins forte.

On notera pour finir que, si le lycée modulaire « pur », le plus éloigné dans son esprit des « séries », ne règle pas les problèmes qu’on reproche à ces séries, alors on ne voit pas comment un lycée modulaire plus « cadré », moins éloigné du système des séries, pourrait le faire.

Il faut en tout cas en finir avec l’idée selon laquelle le lycée modulaire serait un gage de liberté de choix pour les élèves : c’est en réalité tout le contraire !


[1En fait pas complètement : si au moment de candidater, le lycéen se rend compte, soit qu’il n’a pas suivi les bonnes disciplines, soit qu’il n’a pas les notes suffisantes, il pourra parfois être accueilli en « foundation year », c’est-à-dire admis sous condition : il devra suivre une année de remise à niveau...

[2www.ucas.com ; on trouve sur ce site la description de chaque formation (lieu, organisation, coût, prérequis, etc.), et les élèves passent par cette plateforme pour candidater.