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Pour une école de l’exigence intellectuelle : contribution à la réflexion

samedi 13 avril 2019, par Alain Beitone

(Ce texte est la mise en forme de deux interventions effectuées dans le cadre d’un stage du syndicat SUD Education à Valence les 14-15 Mars 2019. Je remercie les responsables de ce syndicat pour leur invitation (adressée au GRDS) et les participant.e.s au stage pour leurs questions et leurs objections. Comme l’indique le titre adopté, ce texte s’inspire largement du livre de J.-P. Terrail (2016), mais je suis évidemment seul responsable des erreurs, oublis et affirmations contestables.)

Les paradigmes pédagogiques et leur histoire

On entend par « paradigme pédagogique » un ensemble d’institutions, de normes sociales relatives à l’enseignement, de pratiques, qui sert de cadre à la fois aux politiques publiques et aux comportements des acteurs impliqués dans le fonctionnement du système éducatif (élèves et étudiants, enseignants, membres de la hiérarchie, responsables politiques). Le paradigme pédagogique détermine ce que doit être l’école, quelles fins elle doit servir, ce qu’elle doit enseigner et comment. Ce cadre cognitif et institutionnel est porté par une communauté de politiques publiques qui promeut des mesures cohérentes avec le paradigme. Ce paradigme s’inscrit dans un cadre social plus large qui est fondé notamment sur les rapports entre les classes sociales et sur les grands enjeux politiques. Cependant, on ne doit pas oublier que l’école, et plus encore les savoirs scolaires (articulés aux savoirs savants), dispose d’une autonomie relative par rapport aux enjeux sociaux et politiques.

Du paradigme élitiste au paradigme déficitariste

On peut considérer que deux paradigmes pédagogiques se sont succédé dans le système éducatif en France.

Le premier que l’on peut qualifier de paradigme élitiste (du XIXe siècle aux années 1950) se caractérise par une structure binaire.
-  D’une part, la filière « Primaire-Professionnel » destinée aux enfants issus des catégories populaires se termine pour le plus grand nombre d’entre eux à la fin de l’école primaire (une moitié seulement d’entre eux obtiennent le Certificat d’études primaires) et se prolonge pour une minorité dans les centres d’apprentissage. La majorité des élèves trouve un emploi dans l’industrie, le commerce ou l’artisanat.
-  D’autre part, la filière « Secondaire-Supérieur », réservée (sauf exception pour quelques bousiers) aux élèves des catégories sociales privilégiées. Elle commence dès l’équivalent de l’école primaire (le « petit lycée »), se poursuit dans le premier cycle de l’enseignement secondaire (où l’on étudie notamment le grec et le latin) et se poursuit dans le second cycle (l’équivalent du lycée actuel). Les mêmes enseignants ont vocation à y enseigner. Seuls les élèves de cette filière ont vocation à poursuivre des études longues (Baudelot et Establet, 1971 ; Poullaouec, 2009).

Le système éducatif dans son ensemble est caractérisé par une logique de séparation des élèves qui ne sont pas dans les mêmes établissements (dont certains sont privés), ne bénéficient pas des mêmes contenus d’enseignement, ne sont pas formés par les mêmes enseignants. S’ajoute à cela le fait que filles et garçons sont séparés (non-mixité) et que même les filles de la bourgeoisie bénéficient d’un enseignement spécifique dans le secondaire comme dans le supérieur (d’un niveau inférieur à celui des garçons). Par exemple, ce n’est qu’en 1924 que les programmes et les finalités des enseignement secondaire féminin et masculin deviennent identiques et il faut attendre 1976 pour que, à l’issue d’une lente évolution, toutes les agrégations soient mixtes (avec épreuves identiques et liste unique de lauréat.e.s.).

Les débats sur l’école évoluent après chacune des deux guerres mondiales avec les propositions des Compagnons de l’université nouvelle après 1918 et le Plan Langevin-Wallon après 1945. Dans les deux cas, la volonté d’une augmentation des taux de scolarisation et d’une orientation des élèves sur la base de leurs « aptitudes » et non de leur origine sociale est manifeste. En dépit d’évolutions significatives (la loi Astier de 1919 sur l’enseignement technique ou l’essor des cours complémentaires qui s’intégreront bien plus tard au « collège unique »), le système reste fondamentalement identique. On peut parler d’un « paradigme pédagogique élitiste » qui se caractérise par de forts clivages internes. Ce paradigme se caractérise par des structures qui séparent de façon stricte les garçons et les filles, les enfants du peuple et ceux de la bourgeoisie. Une logique de sélection des élites (largement acceptée) est la caractéristique centrale de ce paradigme. Dans le même temps, sur le plan pédagogique, une logique « transmissive » dans les méthodes d’enseignement s’impose ainsi que des rapports hiérarchiques forts entre enseignants et élèves comme entre les autorités du système (ministère, inspecteurs généraux, inspecteurs d’académie, proviseurs) et les personnels enseignants.

Ce paradigme élitiste entre progressivement en crise après la Seconde guerre mondiale. A partir des années 1960, la nécessité d’étendre la scolarisation pour répondre aux besoins de la modernisation de l’économie s’exprime. Par ailleurs, un souci « d’égalité des chances » se manifeste à travers une volonté des classes moyennes et plus tard des classes populaires de permettre à leurs enfants d’accéder à une formation plus longue. Des responsables politiques soucieux de la modernisation de la société vont modifier le fonctionnement du système éducatif. Sur le plan des structures, la réforme Berthoin de 1959 porte l’âge de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans, les Collèges d’enseignement secondaires (CES) remplacent les Collèges d’enseignement général (CEG) et l’examen d’entrée en sixième est supprimé. De même les centres d’apprentissage sont transformés en collèges d’enseignement technique. Cette transformation des structures, qui conduit à une hausse progressive des taux de scolarisation, nécessite un changement de démarche pédagogique. Cette aspiration au changement pédagogique trouve notamment ses sources dans les méthodes de « l’école nouvelle » et s’exprime avec force dans les colloques de Caen (1966) et d’Amiens (1968). Lors du colloque d’Amiens, auquel participe Elise Freinet enthousiaste, Alain Peyrefitte (figure marquante du gaullisme) plaide pour un « maître accompagnateur » et la mise en œuvre de méthodes actives. C’est donc à partir du milieu des années 1960, qu’émerge un nouveau paradigme pédagogique que l’on peut qualifier de « moderniste » dans la mesure où il se définit en opposition à l’école traditionnelle. Le mouvement lycéen et étudiant de Mai 68 et des années qui suivent accentue les changements pédagogiques sur fond de critique de « l’école caserne ». On peut aussi, c’est ce que nous ferons, qualifier ce paradigme de « déficitariste » dans la mesure où la volonté d’accompagner l’accroissement des effectifs et de promouvoir « l’égalité des chances » repose sur l’hypothèse d’un « déficit socio-culturel » des élèves issus des milieux populaires. On peut parler de préjugé déficitariste dans la mesure où il conduit à réviser en baisse les exigences intellectuelles (surtout pour les enfants des classes populaires) puisqu’il repose sur « la conviction (…) qu’une confrontation trop brutale aux savoir abstraits et « cultivés » condamnerait [les jeunes issus des classes populaires] à l’échec » (Terrail, 2016, p. 15).

C’est donc à la fois pour rompre avec les méthodes désuètes de l’enseignement traditionnel et pour s’adapter au « handicap socio-culturel » des milieux populaires, que va s’instaurer progressivement un nouveau système de normes pédagogiques (réforme de l’enseignement du français de 1972, promotion de la mise en activité des élèves, ouverture de l’école sur la vie, transformation du rapport entre enseignants et élèves, importance croissante de l’apprentissage des méthodes, etc.). Cette évolution n’est pas propre à la France : à la même époque, en Angleterre, Basil Bernstein voit émerger la « pédagogie invisible ».

Il faut cependant insister sur le fait que la mise en œuvre du paradigme déficitariste (en particulier les changements de structure) a eu indiscutablement des effets positifs. En raison de l’augmentation des taux de scolarisation, les générations nées dans les années 1950 ont accédé à des connaissances, et plus généralement à une culture, qui étaient ignorée de leurs parents et grands-parents. En ce sens, il est indiscutable que les changements dans les structures : instauration croissante de la mixité, création des SES et donc de la filière B des lycées en 1967, création du baccalauréat technologique en 1969 et du baccalauréat professionnel en 1985, etc., ont contribué à la démocratisation du système éducatif.

Progressivement, les milieux patronaux, longtemps adeptes du paradigme élitiste, se sont massivement convertis au paradigme déficitariste et à la doxa qui le justifie. Par exemple : « « On peut objecter que le modèle d’école forme tout de même de bons exécutants mais c’est limité. L’intelligence artificielle sera dans quelques années bien meilleure que nous à ces tâches. On ne peut plus normer l’apprentissage, le meilleur moyen d’apprendre est d’explorer et de laisser explorer. (…). L’école doit penser de nouveaux modules de formations basées sur l’expérimentation et l’échange plutôt que la hiérarchie » (Eytan Missica, professeur à l’ESCP et à l’EDHEC, Forbes, 31/12/2018). Ce type de discours, très inspiré des idées « modernistes » en éducation, se retrouve dans les publications du MEDEF, mais aussi de l’OCDE et de l’UNESCO. Il se caractérise par une péjoration des savoirs et des disciplines et l’accent mis sur les « compétences comportementales » (Algan, Huillery, Prost, 2019). Tout cela est cohérent avec l’adoption croissante du « nouvel esprit du capitalisme » (qui repose moins sur l’autorité hiérarchique que sur la souplesse, l’innovation, le travail en équipe, etc.) Comme le souligne J.-Y. Mas, la critique artiste du capitalisme et la critique artiste de l’école se complètent « Si les institutions néo-libérales s’intéressent aux pédagogies alternatives ou aux réformes soutenues par les mouvements pédagogiques, ce n’est donc pas parce qu’elles favorisent l’autonomie ou l’épanouissement de la personne, mais parce qu’elles permettent de développer les compétences comportementales dont les futurs travailleurs auront besoin pour s’adapter aux mutations de l’organisation du travail et aux nouvelles normes de l’emploi » (Mas, 2019, p. 99). Pour sa part, J. Tovar, s’interroge sur la proximité entre l’hégémonie idéologique des thèses de la révolution libérale opérée depuis les années 1980 et la doxa éducative de la « gauche compassionnelle » (Tovar, 2018). Cette proximité entre les thèses du libéralisme économique et celles du libéralisme culturel dans le domaine éducatif devrait interroger. Elle est souvent niée, par les mouvements pédagogiques et certains syndicats qui se préoccupent surtout de soutenir les « réformes » qui renforcent l’innovation pédagogique (les TPE au lycée, puis les EPI au collège par exemple (Terrail, 2015).

Un exemple de la Doxa

« Par ailleurs, la tentation du petit lycée a aussi conduit l’ensemble du système à tendre vers l’abstraction : le collège en France est très notionnel et les enseignements, peu fondés sur des projets, oublient en cours de route d’enseigner aux élèves des compétences pragmatiques et concrètes ».
Maya Akkari et Caroline Veltcheff (Fondation Terra Nova)," A propos du débat sur la réforme du collège de Najat Vallaud Belkacem", Libération, 12 mai 2015.

La crise du paradigme déficitariste

La crise du paradigme déficitariste est aujourd’hui patente (Beitone, 2018). Le niveau baisse et les écarts se creusent comme le soulignent des auteurs reconnus (R. Establet, A. Prost) qui ont longtemps (et à juste titre) soulignés que le niveau montait. L’épuisement du paradigme déficitariste est affaire de structures (l’organisation du système éducatif), mais aussi de contenus d’enseignement et de dispositifs pédagogiques (Bautier et Rayou, 2013 ; Bonnery, 2007 ; Deauvieau et Terrail, 2017 ; Rochex et Crinon, 2011). De très nombreux travaux empiriques démontrent que la doxa pédagogique, qui s’est progressivement imposée à partir du milieu des années 1960, conduit les enseignants à mettre en œuvre, souvent sur injonction de leurs formateurs ou de la hiérarchie, des dispositifs pédagogiques qui amplifient les inégalités sociales d’apprentissage. S. Chauvel observe que « le souci de transmission des savoirs disparait au profit de la production des diplômes (Chauvel, 2016, p. 13) et que « la relégation de la transmission des savoirs au second plan contribue à la production des inégalités d’apprentissage » (Chauvel, 2016, p. 196).

La situation est d’autant plus paradoxale qu’il s’agit, du côté du pouvoir politique, d’augmenter les taux de scolarisation et, du côté des syndicats et des mouvements pédagogiques, d’œuvrer à la démocratisation qualitative, et donc à une réussite scolaire accrue, des élèves issus des milieux populaires.

Or les études se multiplient qui montrent l’épuisement du projet de démocratisation associé au paradigme déficitariste. Parmi les « décrocheurs », 5% sont des enfants de cadres et 45% sont des enfants d’ouvriers ; 90% des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs qui entrent en 6ème obtiennent un bac 6 ans après, ce n’est le cas que pour 40% des enfants d’ouvriers ; 70% des enfants d’ouvriers obtiennent un bac professionnel ou technologique, 75% des enfants de cadres supérieurs et d’enseignants obtiennent un bac général (Delahaye, 2019). Les études de DEPP sur les savoirs disciplinaires montrent que les résultats des élèves les plus faibles sont en recul, les rapports PISA soulignent que la France est le pays de l’OCDE où l’origine sociale a l’impact le plus fort sur la réussite scolaire des élèves. S’agissant des structures, on constate certes une hausse des taux de scolarisation dans le secondaire, mais ce dernier est caractérisé à la fois par une hiérarchisation des établissements et une hiérarchisation (dès le collège prétendument unique) des parcours de formation. Plus significatif encore, le mécanisme de « l’élimination différée » (Oeuvrard 1979) s’est déplacé vers l’enseignement supérieur (Beaud, 2008). Si la démocratisation scolaire a bien été, dans un premier temps, égalisatrice, elle devenue ensuite une démocratisation uniforme et, au moins depuis les années 1990, une démocratisation ségrégative (Merle, 2017).

Face à cet enlisement du paradigme déficitariste trois positions se dégagent :

• La position conservatrice qui réclame un retour au paradigme élitiste (pour eux les difficultés du collège et du lycée résultent du fait que trop d’élèves n’y ont « pas leur place »). Parallèlement à ce problème de structures (pourquoi ne pas réinstaurer l’examen d’entrée en 6ème ?) s’exprime la volonté d’un retour aux « bonnes vieilles méthodes » : renforcement des sanctions, port de l’uniforme, levée des couleurs en début de journée, etc. Tout cela est bien sûr lié à des contenus d’enseignement eux aussi conservateurs (le retour au roman national en histoire, les grandes œuvres étudiées de façon chronologique en français, etc.). Ce projet est partiellement mis en œuvre dans des établissements hors contrat qui se multiplient avec l’appui de certains milieux religieux et patronaux (Fondation Saint Pie V, Fondation Espérance Banlieue, etc.). Les appels en faveur de l’éducation à la maison s’inscrivent en partie dans cette perspective ;

• La position « moderniste » qui rassemble à la fois une partie des mouvements pédagogiques, certains syndicats et les milieux patronaux eux aussi modernistes et innovateurs. Ils considèrent que les mauvais résultats d’une partie des élèves résultent du fait que l’on n’est pas allé assez loin dans la mise en application des méthodes pédagogiques innovantes. Ils réclament donc plus d’autonomie des établissements, plus de réduction de la place des disciplines en faveur d’enseignements pluridisciplinaires, plus de compétences et moins de savoirs, plus de nouvelles technologies, plus de pédagogie inversée, etc. Les ministres de l’éducation (de gauche ou de droite) et une large fraction de l’appareil hiérarchique de l’éducation nationale, sont sur cette position. Ils réclament de faire des chefs d’établissements des « patrons » sur le modèle des créateurs de start up, un changement du recrutement et de la formation continue des enseignants qui fasse plus de place aux techniques pédagogiques et moins de place aux savoirs académiques ;

• Une position qui défend une authentique égalité dans l’accès aux savoirs. Cette position conduit à revendiquer à la fois des changements de structures (l’école commune jusqu’à 18 ans) et une transformation radicale des dispositifs pédagogiques dans le cadre d’une école de l’exigence intellectuelle (Terrail, 2016). Cette posture qui rejette à la fois le retour au modèle élitiste et la persistance du paradigme déficitariste s’appuie notamment sur les travaux de Jean-Pierre Terrail, du GRDS et du groupe ESCOL (Paris VIII). J.-P. Terrail précise que sa conception repose sur « l’exigence, dans le monde d’aujourd’hui, d’une éducation pour tous de haut niveau, une éducation qui ne vise pas d’abord à inculquer des messages, mais à former des capacités instruites de réflexion et d’analyse » (Terrail, 2016, p. 11).

Le paradigme de l’exigence intellectuelle

Le paradigme de l’exigence intellectuelle refuse l’opposition stérile (voire dangereuse) entre :

• Celles et ceux qui veulent un accès des élèves à une culture de haut niveau quitte à accentuer la situation actuelle d’élimination tout au long de la scolarité des élèves qui ne parviennent pas à entrer dans les apprentissages ;

• Celles et ceux qui, par volonté de démocratisation scolaire, sont prêt.e.s à en rabattre sur l’enseignements des savoirs exigeants qui seuls permettent de rendre compte de la réalité naturelle et sociale. L’argument souvent avancé par les tenants de cette position, c’est qu’on ne peut pas enseigner à toute une génération ce qui n’était enseigné au début du XXe siècle qu’à 5% d’une génération et au début des années 1960 à 15%.

Pour le GRDS, il est nécessaire et possible de repenser le système scolaire afin de créer les conditions d’un accès égalitaire aux savoirs.

Les propositions du GRDS (précisées ci-dessous) reposent sur trois idées fondamentales :

• La première développée par J.-P. Terrail (2013) souligne que, dès lors que les enfants sont entrés dans le langage oral, ils disposent de tous les outils qui peuvent servir de base aux apprentissages : « Apprendre à parler, c’est se familiariser avec le maniement des abstractions linguistiques et se doter, par suite, d’une capacité de pensée abstraite (…) Apprendre à parler, c’est se doter d’une capacité de mise à distance, d’objectivation des objets du monde et de pensée réfléchie (…) Apprendre à parler soumet les humains à l’empire du raisonnement logique (…) » (Terrail, 2016), pp. 74-75). Il y a donc une égalité des intelligences et il faut renoncer non seulement à la théorie des dons, mais aussi au fatalisme sociologique. Car « l’aptitude à la pensée abstraite est un universel humain, comme l’est le langage » (Terrail, 2016, p. 74) ;

• La seconde est la spécificité de l’écrit (Goody, 1979 ; Terrail, 2004). L’utilisation des signes graphiques permet d’acquérir une posture réflexive à l’égard des savoirs. Le développement de l’école est historiquement liée à la lente généralisation, au sein des sociétés, du langage écrit. L’une des tâches essentielles de l’école est donc de permettre à tous les élèves de maîtriser le langage écrit ;

• L’école est un lieu d’apprentissage spécifique, non seulement parce qu’elle est le lieu de mobilisation des capacité d’abstraction et de raisonnement logique que permet le langage oral et des capacités de réflexivité que permet le langage écrit, mais aussi parce qu’elle doit permettre à tous les élèves d’accéder aux « savoirs puissants » (« powerful Knowledge », Young, 2014). Ces savoirs reposent sur la distinction entre les savoirs issus des disciplines et les savoirs issus de l’expérience des élèves et du sens commun. Young insiste aussi sur le refus du relativisme (il cite Boghossian, 2006). Les auteurs de ce courant soulignent que la domination des conceptions néo-libérales conduit les politiques de l’éducation à concevoir un enseignement basé sur les compétences pour les élèves issus des milieux populaires et réservent les « savoirs puissants » aux élèves issus des catégories privilégiées (Wheelahan, 2007).

Pour l’école commune

Sur le plan des structures, le GRDS met en avant la revendication d’une école commune jusqu’à 18 ans. Il ne s’agit pas de revendiquer l’égalité des chances, mais l’égalité des résultats. Les mêmes apprentissages pour toutes et tous. Ce qui suppose très largement la suppression de la notation et le refus de la mise en concurrence des élèves et des établissements.

Au niveau des école maternelles et primaires, il faut lutter vigoureusement en faveur de l’hétérogénéité des publics et du renforcement des moyens en fonction de l’origine sociale des élèves (la majorité des élèves en difficulté sont hors des établissement situés en « éducation prioritaire »). Aujourd’hui, 20% environ des élèves sortent de l’école élémentaire sans maîtriser correctement la lecture et l’écriture, ce qui a une influence très négative sur leurs apprentissages ultérieurs et leurs parcours scolaires.

Au collège, il faut obtenir la suppression des filières de dérivation (notamment SEGPA, EREA, ULIS, classes préprofessionnelles). Ces structures de dérivation ont une population massivement issue des catégories sociales défavorisées et constituent largement le vivier où l’on recrute les élèves de l’enseignement professionnel (Palheta, 2012). Les inégalités de niveau scolaire (notamment en fonction de l’origine sociale) doublent entre l’entrée en 6ème et la fin de la 3ème. Il faut au contraire, au collège comme dans les autres niveaux de formation, mettre en place un dispositif de formation commun à tous les élèves.

La revendication de l’école commune, doit s’appliquer aussi au lycée ce qui suppose la suppression des trois filières (professionnelle, technologique et générale). Il faut fixer au système éducatif une obligation de résultats avec 100% de réussite des apprentissages. Ces apprentissages correspondent aux exigences d’un programme qui doit conduire tous les élèves à une culture commune ambitieuse. Cette école ne vise pas à appliquer le modèle de l’enseignement général actuel à tous, mais permet à tous les élèves d’acquérir une culture, incluant une dimension polytechnique, sans exclure les pratiques sportives et artistiques, les humanités, les sciences sociales, les mathématiques et les sciences de la nature.

On nous objecte souvent que beaucoup d’élèves ne sont pas « faits » pour un modèle d’école commune. Cette objection relève soit d’une naturalisation des aptitudes scolaires des élèves, soit d’un fatalisme sociologique (certains élèves auraient un « esprit concret » etc.). Mais si notre projet est utopique, il faut le comparer au modèle actuellement en vigueur où on s’accommode d’écoles élémentaires très différentes quant à leur recrutement et aux apprentissages qui y sont réalisés. Ce modèle, où « l’école primaire divise » (Baudelot et Establet 1971), ne parvient pas, loin de là, à réaliser l’égalité des apprentissages (Rochex et Crinon 2011). Le pseudo-collège unique, aggrave la situation et les trois filières du lycée sont loin de délivrer des bacs qui sont égaux du point de vue des apprentissages réalisés et de la poursuite des études. Ce qui se pratique aujourd’hui, c’est « l’élimination différée ». Poursuivre dans cette voie de distillation fractionnée qui sélectionne une élite sans se préoccuper de ce que deviennent ceux qui ne réussissent pas, est inacceptable. D’autant plus que ce système se présente comme un modèle méritocratique où on se préoccupe d’assurer l’égalité des chances et où, par conséquent, les élèves en difficulté sont responsables de leur échec.

Cette idée d’une école commune jusqu’à 18 ans est un projet de transformation radicale. Il faudra convaincre les militant.e.s, les enseignant.e.s pas spécialement militant.e.s, les organisations syndicales, les parents d’élèves, sans compter les classes dirigeantes. Ce projet d’école commune suppose l’intégration de l’enseignement privé qui contribue actuellement beaucoup à la ségrégation scolaire. Mais aujourd’hui, la tendance qui se manifeste dans le système scolaire est inverse : c’est l’accentuation des projets éducatifs propres à chaque établissement, la publication dans la presse d’un palmarès des lycées, le développement de la pédagogie par projets, la différenciation qui justifie, sous prétexte d’adaptation aux élèves, une inégalité des apprentissages, etc. Les milieux patronaux et les groupes communautaristes multiplient la création des écoles privées hors contrat. Certains pédagogues critiques en viennent, eux aussi, à créer des écoles privées hors contrat, souvent très coûteuses pour les familles. Le risque de l’entrée dans une logique marchande est patent. Une solution « libérale » à ce problème est le système des chèques-éducation. Solution qui est préconisée par des économistes très libéraux. Elle est utilisée en Suède avec des résultats désastreux, tant sur le plan des apprentissages des élèves que sur la situation des enseignants (Goarant 2018).
Le système actuel de « l’école unique » place les enseignants dans une situation intenable. On ne peut leur demander « de s’investir de façon déterminée et durable dans la réussite de tous tant que perdure la mission que leur confie l’école unique d’inséparablement former et sélectionner. L’institution doit clairement signifier, par la suppression de la concurrence entre les élèves et la mise en place d’un tronc commun, qu’elle attend d’eux qu’on en finisse avec la sélection et qu’ils conduisent tous leurs publics à l’appropriation d’une culture commune de haut niveau » (Terrail, 2016, p. 15).

Transformer les dispositifs pédagogiques

La création d’un tronc commun permettant la réussite de tous les élèves ne peut pas être réalisée sans la mise en place de dispositifs pédagogiques cohérents avec cette action déterminée en faveur de l’égalité des apprentissages. Les propositions et pistes de réflexion présentées ci-dessous s’appuient sur de nombreux travaux empiriques (observations de classes, entretiens avec les élèves et les enseignants) qui visent à comprendre les dysfonctionnements actuels des apprentissages.

Il faut préciser que les analyses et propositions ci-dessous ne constituent pas une critique des pratiques actuelles des enseignants pris individuellement. Il s’agit de transformer le paradigme pédagogique qui s’impose très largement aux enseignants à travers la formation initiale et continue, les injonctions hiérarchiques, les supports pédagogiques (manuels, ressources en ligne, etc.), de nombreux discours d’origine syndicale et un discours de sens commun qui s’impose dans les médias (une école ludique c’est quand même mieux pour les élèves !). Or, comme nous allons le montrer, ce paradigme contribue très significativement à l’échec des élèves issus des catégories populaires.

Rompre avec le fatalisme sociologique

Il faut prendre au sérieux la perspective d’une « pédagogie rationnelle » avancée par P. Bourdieu et J.-C. Passeron dès 1964 : « celle qui se donne comme fin inconditionnelle de permettre au plus grand nombre possible d’individus de s’emparer dans le moins de temps possible, le plus complètement et le plus parfaitement possible, du plus grand nombre possible des aptitudes qui font la culture scolaire à un moment donné » (Bourdieu et Passeron, p. 164). Les contraintes liées aux conditions de vie des familles des élèves sont bien sûr considérables (logement, revenus, situation relatives à l’emploi, capital culture, etc.), mais il n’en demeure pas moins que l’école, dans sa fonction spécifique de transmission des savoirs, dispose d’une autonomie relative. Elle contribue certes à la reproduction des rapports sociaux, mais elle ne se réduit pas à cela. Les savoirs qu’elle transmet sont soumis à une norme du vrai. Si l’on ne prend pas en compte cela, on s’interdit de comprendre comment des enfants du peuple (Jaurès et Bourdieu par exemple) se sont emparés du savoir pour le mettre au service de la critique sociale. Il y a un principe d’éducabilité qui concerne tous les élèves quelle que soit leur origine sociale et leurs conditions de vie. Le fatalisme sociologique joue, dans une large mesure aujourd’hui, le même rôle que jouait jadis la « théorie des dons ». Les difficultés scolaires des élèves trouveraient leur origine uniquement dans des facteurs qui sont extérieurs à l’école. C’est enfermer les enseignants dans une forme de désespérance. Bourdieu, au contraire, soulignait que la connaissance des lois qui gouvernent le monde social nous met en mesure d’en combattre les effets.

L’enjeu décisif du langage

Plusieurs auteurs (Bautier et Rochex, 1997 ; Bautier et Goigoux 2004) ont souligné l’importance décisive du langage dans les apprentissages. En particulier, s’inspirant des travaux de M. Bakhtine, ils ont introduit, à propos des usages du langage, la distinction entre le genre premier et le genre second. Le genre premier est plus simple, plus ancré dans le quotidien et les émotions, le genre second est plus complexe, il repose sur une posture réflexive à l’égard du langage. Pour permettre aux élèves d’accéder à des connaissances issues des savoirs-savants et des savoirs scolaires, l’école doit permettre à tous les élèves de s’approprier le genre second dans le travail scolaire. J. Deauvieau (2007 et 2009) a notamment montré l’importance du genre de discours qui est utilisé dans la classe de jeunes professeurs de SES. Certains acceptent d’interagir avec les élèves à partir du genre premier, c’est-à-dire sur le registre de la vie quotidienne et/ou sur le registre de l’opinion politique. Ceux-là, en particulier, présentent leur propre discours comme une opinion parmi d’autres. Ils ne peuvent donc pas institutionnaliser les savoirs appris parce qu’ils n’entrent pas dans le registre de discours second. Ces professeurs pratiquent ce que Deauvieau appelle « l’activisme langagier ». Comme, en SES, la norme professionnelle est la « participation » des élèves, ils craignent qu’en interrompant les élèves pour leur imposer le genre de discours correspondant aux savoirs scolaires, ils ne conduisent à des prises de parole moins actives. Mais, si les élèves sont actifs, ils ne réalisent pas, faute de discours adaptés, les apprentissages visés. Qui plus est, on parle à certains élèves sur le registre du genre premier et on exige d’autres le recours au genre second. Ces usages différenciés du langage, sont créateurs d’inégalités sociales d’apprentissages (il s’agit d’un contrat didactique différentiel). Dans la même perspective, J.-Y. Rochex, observe une classe de l’école élémentaire qui travaille sur les triangles. Aux bons élèves, les enseignants parlent de « sommets » et de « côtés », aux élèves en difficulté, les enseignants parlent de « bords » et de « pointes ». La seconde catégorie d’élèves, déjà en difficulté, va voir ses difficultés aggravées par un tel usage du langage.

Faire entrer tous les élèves dans la culture écrite

B. Lahire l’avait souligné en 2000 dans un livre qui rendait compte d’une longue et minutieuse enquête empirique (Lahire, 2000, p. 9), l’univers scolaire est le lieu de la culture écrite par excellence. La première condition de l’entrée dans la culture écrite c’est l’apprentissage de la lecture. Or pendant des années en France la méthode syllabique a été dénoncée. La mise en œuvre du B. A., BA a fait l’objet de nombreux sarcasmes comme symbole d’une pédagogie traditionnelle fondée sur la répétition plus que sur la compréhension. Or, disaient les adversaires de la méthode syllabique, « lire c’est comprendre ». Comme si la syllabique excluait la compréhension. La chose s’est compliquée du fait que la droite politique (et d’abord J.-M. Blanquer lui-même) a fait du retour à la syllabique une composante du discours conservateur. Certains en déduisent, hâtivement, qu’être pour la méthode syllabique c’est être de droite. Pourtant les travaux s’accumulent qui montrent de façon convaincante que le recours à la méthode syllabique favorise la lecture et réduit les inégalités d’apprentissage dans ce domaine (Deauvieau, Terrail et Reichstadt, 2015). Dans ce livre les trois auteurs s’appuient notamment, sur une enquête conduite dans des écoles de Seine Saint-Denis qui montre que dans les classes où le manuel conforme à la méthode syllabique est utilisé, l’apprentissage de la lecture est favorisé pour tous les élèves et que les inégalités dans ce domaine sont réduites. J. Deauvieau et J.-P. Terrail (2018) rappellent les trois principes essentiels de la méthode syllabique :

- « Tout déchiffrable ». Pas de lecture devinette ou de mots outils. On entre dans l’écrit en décodant l’écriture alphabétique et en maîtrisant la correspondance phonème/graphème ;

- Assurer l’autonomie de l’élève qui peut s’approprier des textes culturellement ambitieux ;

- Mettre en œuvre une pratique soutenue de la lecture à voix haute.

Terrail (2018) et Reichstadt (2018) insistent sur les méfaits des faux débats à propos des méthodes de lecture qui conduisent à passer à côté de l’enjeu essentiel : la difficulté pour des dizaines de milliers d’élèves d’entrer dans la culture écrite. J. Reichstadt illustre cette question à partir de très nombreux exemples.

S. Garcia et A.-C. Oller, qui affirment ne pas vouloir entrer dans cette polémique sur les méthodes de lecture, publient tout d’abord un livre (2015) puis un article (2018) qui ont eu un certain retentissement. Dans l’article, elles décrivent une école où la moitié des élèves de CP ne maîtrisent pas la lecture. Cette situation est sans doute à mettre en relation avec le fait que l’école utilise un manuel très proche de la méthode globale où la « lecture devinette » est très fréquente. En accord avec les enseignants de l’école, elles prennent en charge les élèves en difficulté de lecture avec comme support un manuel syllabique, les élèves progressent très rapidement et cela améliore leurs résultats dans les autres matières. En dépit de cela, la situation conduit à des tensions avec des enseignants de la circonscription et plus encore avec l’IEN.
S. Garcia est récemment revenu sur cette question. En s’appuyant sur B. Bernstein, elle montre que l’insuffisance ou l’absence d’enseignement du déchiffrage à l’école est un facteur d’inégalité sociale dans les apprentissages : « le déchiffrage est le premier stade de la lecture et c’est précisément son absence de prise en charge par l’école, comme l’avait déjà vu Bernstein (Bernstein, 1975, p. 55) qui met en échec les élèves de milieu populaire » (Garcia, 2018, p. 71).

Adopter une pédagogie visible radicale

Basil Bernstein (1924-2000) a distingué dès les années 1960 deux modèles pédagogiques :

• La pédagogie visible qui est une pédagogie explicite quant aux objectifs cognitifs qui sont visés, qui utilise de façon intensive un discours instructeur, qui pratique à la fois une classification des savoirs (notamment pour distinguer les savoirs d’expérience et les savoirs scolaires) et un cadrage des activités des élèves qui est mis au service des apprentissages ;

• La pédagogie invisible, dont l’approche des savoirs est globalisante (classification faible), qui utilise principalement un discours régulateur et un cadrage faible (on privilégie l’expression spontanée et les activités de découverte). Dans cette pédagogie, l’accent est mis sur le discours régulateur de l’enseignant (régulation des activités des élèves qui doivent être aussi autonomes que possible).

Bernstein observe que ce nouveau modèle pédagogique est porté par les classes moyennes salariées, tant en ce qui concerne les enseignants que les parents d’élèves. Or, comme le souligne Roger Establet, si la pédagogie invisible est favorable aux élèves issus des catégories privilégiées et des catégories moyennes cultivées, elle nuit aux apprentissages des élèves issus des catégories populaires. Il écrit : « Tous les résultats sont convergents. Ce sont les pédagogies qui définissent le plus explicitement les savoirs pertinents (classification) et qui font connaître le plus explicitement les performances attendues de l’élève (cadrage) qui permettent aux enfants des classes défavorisées de réussir » (Establet, 2008). Le paradigme déficitariste s’est inscrit très clairement dans la pédagogie invisible. Comme l’écrit J.P. Terrail « (…) les politiques scolaires n’ont cessé, depuis cinquante ans, de chercher à rendre l’école plus attractive pour les enfants du peuple en gommant les aspérités inévitables de tout accès aux savoirs élaborés. Elles n’ont réussi qu’à leur rendre cet accès majoritairement très difficile, souvent impossible » (Terrail, 2016, pp.15-16). Contrairement aux idées reçues, c’est lorsqu’on permet aux élèves d’accéder à « la saveur des savoirs » (Astolfi, 2017), même et surtout lorsqu’il faut s’engager sur « les sentiers escarpés de la connaissance » (Marx, 1965, p. 543) qu’on les mobilise dans les apprentissages. A la seule condition bien sûr que les enseignants mettent tout en œuvre pour surmonter les difficultés d’apprentissage. A l’inverse, si on ne propose pas aux élèves des enjeux cognitifs forts et/ou si on ne met pas en place le cadrage adéquat pour que les élèves franchissent les obstacles, le risque est grand que les élèves, qui font une expérience répétée de l’échec, manifestent un refus de l’ordre scolaire, voire « décrochent » du système scolaire. Or, comme l’a rappelé Tristan Poullaouec (2010), « le diplôme est l’arme des faibles ». Les élèves qui ne parviennent pas à entrer dans les apprentissages, dès l’école primaire, sont ceux qui alimentent les sorties sans diplôme du système scolaire, ou qui n’obtiennent que des diplômes trop faibles pour assurer une poursuite d’études ou l’insertion professionnelle.

Il existe comme le soulignent E. Bautier et P. Rayou, un lien fort entre les usages du langage et l’invisibilisation des apprentissages : « En référence aux nécessités contemporaines, et aux préconisations institutionnelles, la parole en classe est donc produite dans une pluralité d’objectifs. Il s’agit pour l’enseignant de construire la classe comme communauté où chacun peut exister comme sujet- ce qui n’équivaut pas à construire un collectif de travail- apprendre à prendre la parole en public, exprimer un sentiment, une opinion ou commenter un document, s’approprier des savoirs et construire des significations nouvelles, raisonner verbalement, problématiser, débattre, expliquer, raconter, argumenter, représenter…. Cette pluralité produit de l’ambiguïté concernant le registre cognitif des activités langagières et de travail attendu, conduit à son opacité, voire son invisibilité. » (Bautier et Rayou, 2013, p.108).

Lutter contre les malentendus scolaires et développer une pédagogie explicite

Il y a malentendu scolaire lorsque l’élève ne comprend pas l’enjeu cognitif et l’objectif des tâches qu’on lui demande de réaliser. S. Bonnery (2007), notamment, donne de nombreux exemples de ces situations. Ainsi lorsque, dans une activité en géographie, qui vise à faire comprendre l’importance des courbes de niveau dans certaines cartes, un élève s’attache à réaliser un beau coloriage. Ou bien, quand un élève qui doit réaliser le schéma d’un circuit électrique, s’attache à reproduire fidèlement la couleur des fils et leurs circonvolutions. On voit dans ce dernier cas que l’élève ne s’est pas approprié le concept de schéma et qu’il n’a pas perçu l’enjeu cognitif (ici la compréhension de ce qu’est un circuit électrique). E. Bautier donne l’exemple d’une activité de mots croisés dans laquelle beaucoup d’élèves ne perçoivent que le caractère ludique sans percevoir que l’enseignant veut les conduire à une posture réflexive sur l’articulation entre les mots et les lettres et à l’apprentissage de l’orthographe. La volonté d’inscrire les apprentissages dans des exemples concrets conduit dans certains cas à s’éloigner des objectifs d’apprentissages. Par exemple, l’étude des pourcentages de répartition à partir des résultats d’une récente élection dans la commune où se trouve l’école observée, conduit l’enseignant à s’éloigner de l’objectif d’apprentissage pour se lancer dans des développements liés à l’éducation civique (que veulent dire les termes « blancs », « nuls », « suffrages exprimés », etc.). En ne centrant pas les activités sur les apprentissages visés, on risque de ne pas permettre aux élèves (ou à certains d’entre eux) de repérer ce qu’il convient d’apprendre.

Toujours pour se conformer à la doxa actuellement dominante, certains enseignants s’efforcent de mettre en œuvre une conception « intégrée » des savoirs à travers les activités mises en place. Par exemple une sortie scolaire permettra d’apprendre à la fois de la géographie, de la botanique, de la géologie, des mathématiques, etc. Mais au total, dans la globalité de l’approche, les élèves n’identifient pas les concepts, les raisonnements, etc. qu’il convient de mémoriser et de mettre en œuvre dans d’autres contextes. Cela est étroitement liée à la volonté de pratiquer des approches pluridisciplinaires. Ces dernières peuvent aussi constituer un obstacle aux apprentissages. Comme l’écrivent E. Bautier et P. Rayou, « Cette présentation des savoirs conduit, peut être faute de temps, à faire l’impasse sur les spécificités de chaque discipline convoquée, sur la logique de leur construction, la spécificité de leur problématisation, de leur mode de validation des enjeux des spécificités des types d’écrits. Plus encore, une telle démarche conduit à faire comme si ces savoirs disciplinaires étant maitrisés la priorité revenait à leur convocation pertinente et à leur mise en relation. Le cours est ainsi le lieu, du collège à l’université, où les élèves et étudiants s’entrainent à ces convocations pluridisciplinaires, les savoirs eux-mêmes et leur acquisition étant renvoyés, en fonction de ce que chacun sait ou ne sait pas, au travail de documentation personnel de documentation hors le cours. (…) Nombre d’élèves et d’étudiants n’ont pas accumulés les savoirs disciplinaires nécessaires à cette convocation, ne sont pas à même d’identifier les savoirs possiblement pertinents. Ce sont les disciplines elles-mêmes qui disparaissent en tant que principe organisateur des savoirs de l’élève. » (Bautier et Rayou, 2013, p.98-99).

Il convient donc, pour mettre en œuvre une pédagogie rationnelle (ou explicite ou visible), de renoncer au pilotage des apprentissages par les tâches et mettre l’accent sur une logique de compréhension des enjeux des savoirs, de leur portée démystificatrice, de leur capacité à voir et à comprendre le réel autrement. Cela suppose que l’on donne, au cours des apprentissages, toute leur place à l’abstraction et à la théorisation.

Renoncer à la vulgate constructiviste

Le constructivisme en matière pédagogique et didactique a de nombreux mérites. Qu’il se réclame de J. Piaget ou de L. Vygotski (ou des deux), le constructivisme insiste sur le fait que les savoirs enseignés doivent avoir du sens pour les élèves et donc ne doivent pas être introduits de façon plus ou moins arbitraire par l’enseignant. Ensuite, le constructivisme insiste sur le fait que les élèves doivent développer une activité intellectuelle pour apprendre. Les activités mises en place au sein de la classe ont pour but de permettre la transformation des savoirs (qui existent objectivement dans la société et dans le monde savant) en connaissances qui ont du sens pour l’élève et qui résultent d’une activité d’investigation-structuration au cours de laquelle l’élève est intellectuellement actif. A l’issue de cette phase doit exister une phase d’institutionnalisation du savoir qui permet aux élèves d’identifier exactement ce qui a été appris et qui est valide au regard des savoirs de références élaborés par des communautés scientifiques.

De nombreux ouvrages, de nombreuses formations en IUFM puis en ESPE, ont visé à ce que les enseignants inscrivent leurs activités dans cette logique constructiviste. Mais progressivement, ce qui relevait de la recherche en psychologie et en éducation, s’est transformé en une vulgate dont on a de bonnes raisons de penser qu’elle a un impact négatif sur les apprentissages des élèves et surtout sur les inégalités d’apprentissages. Le cours typique relevant de cette vulgate comporte trois phases :

• Une phase de sensibilisation dont l’objectif est de permettre aux élèves de donner du sens aux apprentissages. Mais dans de nombreux cas, il s’agit de se situer par rapport aux représentations, aux centres d’intérêt des élèves et pas par rapport aux savoirs de référence. Ces activités de « sensibilisation » se réduisent bien souvent en une collecte des opinions des élèves, ce qui peut conduire à la pratique de l’activisme langagier plus qu’à l’échange public d’arguments fondés en raison ;

• La seconde phase, la plus longue au cours d’une séquence d’enseignement, consiste pour les élèves à réaliser des activités qui, en principe débouchent sur les savoirs visés par l’enseignant. La première difficulté consiste à passer de la phase de sensibilisation aux activités prévues par l’enseignant.e. Souvent ce passage est arbitraire. Par ailleurs, les activités se réduisent dans la plupart des cas au travail sur des supports documentaires fournis par l’enseignant et à une investigation sous la forme d’un cours dialogué dont rien ne permet d’assurer qu’il donne lieu à une véritable activité intellectuelle des élèves ;

• Une phase d’institutionnalisation qui est réduite, quand elle existe, à la portion congrue. De telle sorte que, les élèves ne disposent pas d’un texte du savoir, qui leur permettrait de connaître sans ambiguïté quels savoirs ou savoir-faire ils doivent maîtriser. S. Bonnéry (2015) en comparant des manuels de l’école élémentaire et du collège des années 1950 à aujourd’hui montre que la même évolution s’est produite : la place des savoirs institutionnalisés s’est réduite dans les manuels actuels qui comportent un grand nombre de documents, de questions, de consignes pour des activités dont un parent non doté en capital culturel ne peut pas faire grand-chose. Il ne peut pas, par exemple, s’assurer que son enfant maîtrise le contenu du texte du savoir. Evidemment, à l’inverse, les parents qui maîtrisent la culture scolaire et ses attentes implicites, qui disposent à leur domicile d’une abondante littérature documentaire, qui savent comment faire une recherche internet efficace, peuvent aider leurs enfants à faire leur « métier d’élève », vont pouvoir faire en sorte qu’ils répondent aux attentes de l’école. On est en présence, là encore, de dispositifs pédagogiques qui amplifient les inégalités sociales et scolaires.

Conclusion

Le paradigme déficitariste repose sur un ensemble de thèses et de pratiques contestables : en différenciant les pratiques et le vocabulaire utilisé, en s’efforçant de rendre l’école plus ludique, en relativisant la spécificité des savoirs scolaires et leur ancrage dans les savoirs savant, en transférant certaines tâches indispensables aux apprentissages hors de l’école (la pédagogie inversée constitue de ce point de vue un sommet, Beitone et Osenda, 2017), ce paradigme nuit aux apprentissages de tous, mais de façon encore plus grave, aux apprentissages des élèves issus des catégories populaires. Peut-on faire autrement ? Des expériences nous montrent que la réponse est positive. Nous l’avons vu à propos de l’apprentissage de la lecture. Nous disposons, de plus, d’un témoignage important de la part d’un professeur d’histoire et géographie de collège en ZEP (Nicolas Kaczmarek) qui a décidé un jour de mettre en œuvre la pédagogie de l’exigence intellectuelle et qui constate, et ses collègues avec lui, que tout change tant en ce qui concerne la maîtrise des savoirs par les élèves qu’en ce qui concerne l’ambiance de sa classe (Kakzmarek, 2017).

Nos propositions, comme on nous le reproche parfois, constituent-elles un retour aux bonnes vieilles méthodes en usage dans le paradigme élitiste ? Pas du tout. D’abord par ce que notre paradigme est résolument égalitaire et qu’il faut se donner les moyens (matériels et didactiques) d’atteindre cet objectif. Ensuite parce que notre perspective de l’exigence intellectuelle exclue un retour de l’école à la logique de restitution et que notre perspective est clairement celle de la compréhension des enjeux culturels ambitieux pour tou.te.s les élèves. Dans cette perspective notre objectif n’est pas de renoncer à la mise en activité intellectuelle des élèves ou à un usage raisonné des pédagogies actives. O. Mottint (2018) a montré clairement qu’il ne fallait pas jeter le bébé des méthodes actives avec le bain de la pédagogie invisible. Et nous sommes, sur ce point au moins, d’accord avec R. Goigoux, lorsqu’il plaide pour une « pédagogie éclectique » en soulignant « de nombreux chercheurs ont montré les effets néfastes de pédagogies « invisibles », celles qui sont peu intelligibles aux élèves et à leurs parents, peu explicites dans leur mise en œuvre et lacunaires quant aux savoirs enseignés : trop de compétences requises par les tâches scolaires ne sont pas assez exercées à l’école et sont laissées à la charge de l’éducation hors l’école, ce qui contribue à renforcer les inégalités. Bref une pédagogie insuffisamment explicite, progressive et structurée ne permet pas de réduire les inégalités scolaires, voire les accroit (Goigoux, 2001, p. 1).

Au total nous pouvons reprendre la position défendue par Nico Hirtt (Association Pour une Ecole Démocratique, Belgique), ce collectif militant se trouve confronté à une nouvelle réforme de l’enseignement en Belgique francophone (les autorités gouvernementales parlent de « Pacte d’excellence »). A ce projet, N. Hirtt (2018) oppose la perspective d’une école démocratique : « L’école démocratique, émancipatrice, devra être à la fois exigeante et compréhensive, attachée à la rigueur des savoirs théoriques comme à la richesse de la pratique, dotée d’une grande autonomie mais protégée de la concurrence et de ses effets ségrégateurs, ouverte sur l’expérimentation pédagogique mais attachée à une solide transmission des connaissances ».

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