Accueil > Notes de lecture > Eric Maurin, La nouvelle question scolaire, Seuil, 2007

Eric Maurin, La nouvelle question scolaire, Seuil, 2007

vendredi 13 mars 2009, par Cédric Hugrée

Dans la polémique sur la valeur des titres scolaires des nouvelles générations (Dubet, Duru-Bellat et al., 2006), opposant les analyses qui soulignent les méfaits de l’ouverture des diplômes à celles qui y voient des bénéfices, l’ouvrage d’Éric Maurin constitue un élément important au vu de l’éventail des matériaux quantitatifs mobilisés.

L’auteur met en effet à profit sa connaissance des outils et travaux d’économie français et internationaux sur l’éducation et l’emploi pour « évaluer » (p. 10) les effets des différentes politiques de démocratisation scolaire menées depuis les années 1950. Critiquant les comparaisons des destins sociaux à 25 ans d’écart au titre qu’elles confrontent des situations incomparables (p. 11), il préfère chercher à savoir « si les élèves qui ont bénéficié de cette ouverture ont connu des destins sociaux plus enviables et plus justes que si ces politiques n’avaient pas vu le jour » (p. 10). Défendant une « économie empirique » qui accorde « la primauté à l’analyse méticuleuse des faits » (p. 13), Éric Maurin focalise son analyse sur les faits et effets économiques (salaires, taux d’emploi, taux de chômage) et formels (« performances » scolaires, position sociale obtenue par la PCS à un niveau) des politiques éducatives. Mais ces variables sont ici mobilisées pour comparer des groupes sociaux dont l’unité sociologique est toujours supposée (« cohortes », « diplômés du supérieur ») ou dont la définition est rarement fondée empiriquement ou théoriquement (classes « modestes »). Finalement, Éric Maurin conteste les thèses de la baisse de performance et de rendement de l’actuel système éducatif français pour dessiner les contours de la nouvelle question scolaire.

La première partie compare, pour les expériences scandinaves, britanniques et françaises, les effets des réformes des scolarités post-primaires des années 1950-1970 sur les performances scolaires et les salaires des cohortes concernées.

Les cas scandinaves (Chapitre 1) se prêtent aisément à l’angle de comparaison que l’auteur défend puisque l’augmentation de la durée légale de scolarité n’a pas été menée simultanément sur l’ensemble des territoires de chaque pays. Pour chacun des pays observés, les gains de salaires entre les personnes qui, dans les mêmes cohortes, ont bénéficié de la réforme et celles qui y ont échappé s’avèrent positifs. Reprenant les conclusions de plusieurs études, l’auteur rappelle que les gains salariaux d’une année d’étude supplémentaire sont de 11 %, à chaque âge de la vie, pour les suédois d’origine modeste ayant bénéficié de la hausse du nombre d’années de scolarité obligatoires (p. 37).

A propos de la France (Chapitre 4), Éric Maurin affirme d’abord que la phase de réformes instaurant le collège unique a « surtout permis en pratique l’organisation d’une transition plus soutenue pour les élèves de milieux populaires de l’enseignement primaire vers l’enseignement technique » (p. 110). Le lecteur regrettera sans doute que le tableau fondant cette conclusion ne fasse pas état de l’origine sociale des cohortes observées. Puis, pour étudier les rendements salariaux de ces réformes, l’auteur compare deux groupes scolaires de mêmes cohortes, dont il juge qu’ils permettent d’approcher la comparaison entre ceux épargnés par cette réforme et ceux qui ont le plus directement bénéficié de la hausse de la durée de scolarisation : les diplômés de grandes écoles et les autres, entendez l’ensemble des personnes non détentrices de ces titres scolaires. Cette division, pour le moins schématique, a le mérite de conforter les précédents résultats : l’écart de salaires entre les hommes diplômés de grandes écoles nés entre 1946 et 1964 et ceux qui ne le sont pas baisse de 6,5 % sur 18 ans. Et si l’intérêt de lire ces résultats à la lumière de la politique salariale de l’époque est manifeste, sans doute eût-il fallu prolonger l’analyse de celle-ci au-delà du seul salaire minimum qui ne concerne qu’une partie des individus non titulaires de diplômes des grandes écoles.

La deuxième partie entend plus particulièrement répondre aux analyses se focalisant sur les « effets pervers » de l’ouverture de l’enseignement secondaire et supérieur des années 1980 et 1990. Éric Maurin souligne ici un point souvent absent des écrits sur l’inflation scolaire : les difficultés d’insertion que connaissent les dernières générations « ne sont pas venues de l’éducation mais du marché du travail et de la conjoncture économique » (p. 126). Dès lors, loin de perdre de leur valeur en se multipliant, les diplômes du supérieur permettent surtout à leurs détenteurs de renforcer leurs avantages sur un marché du travail en évolution.

L’auteur met d’abord en évidence une décélération de l’accès aux diplômes du supérieur pour les cohortes nées après 1972. Puis, à l’issue de l’observation de la valeur économique et même sociale des titres de ces cohortes, il formule deux conclusions : d’une part, l’amélioration des conditions d’insertion des premières cohortes à avoir vécu l’ouverture des lycées et des premiers cycles universitaires ; d’autre part, une inflexion de cette amélioration au moment où l’effort éducatif ralentit pour les cohortes nées après 1972.

Avec des variables aussi larges (« diplômés du supérieur », « taux d’emploi », etc.) et une focale d’observation uniquement centrée sur les cohortes, Éric Maurin, s’expose aux traditionnelles critiques sociologiques des usages de catégories statistiques peu enclines à saisir les nuances de l’espace social et du nouveau jeu scolaire. Et la critique de « l’inflation scolaire », formulée au chapitre 6, est certes éclairante, mais on s’étonne de ne la voir reliée qu’aux travaux défendant cette thèse alors que plusieurs analyses sociologiques la rediscutent aujourd’hui (Terrail, 2005).

Au final, les analyses précédemment évoquées font l’objet de quelques développements dans la troisième partie pour aboutir à de nombreuses préconisations de changements de la politique éducative. Une des prises de position qui ne manquera pas de susciter la polémique est celle concernant le financement de la hausse des droits d’inscriptions de l’enseignement supérieur par les anciens diplômés en poste, à la manière d’un remboursement différé de prêt (Chapitre 11).

L’intérêt de cet ouvrage tient finalement à sa perspective générale tentant d’articuler les évolutions croisées du marché de l’emploi français et du système scolaire ainsi qu’à la pédagogie de l’auteur pour retracer les évolutions des systèmes éducatifs étrangers. Sa limite reste malgré tout de surestimer le poids des politiques éducatives et d’ignorer la plupart des travaux de sociologie de l’éducation sur les nouveaux rapports entre les familles et l’école. On peut ainsi regretter que ce travail fasse l’économie de certains outils (tels que les enquêtes du Céreq) et des réflexions sociologiques rappelant que les effets de l’éducation ne sont pas réductibles aux seuls bénéfices économiques (Baudelot, Leclercq, 2005).

Références

Dubet, F., Duru-Bellat, M., Poullaouec, T., 2006. Polémiques sur l’utilité des diplômes, Revue du MAUSS 28, 85-95

Baudelot, C., Leclercq, F., 2005. Les effets de l’éducation, Paris, MEN-La Documentation Française.

Terrail, J.-P. (dir.), 2005. L’école en France, Crises, pratiques, perspectives, Paris, La Dispute.

Cédric Hugrée
(à paraître dans Sociologie du travail)

« Suite à ce compte-rendu, j’ai souhaité ajouter une discussion des aspects polémiques de l’ouvrage afin de dépasser le seul commentaire académique. »

Parmi les nombreux lecteurs de l’ouvrage d’E. Maurin [1], certains furent sans doute séduits par l’ambition politique de l’auteur qui, dès l’introduction, appelle à « franchir un nouveau cap scolaire : celui d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur ».

L’ambition posée, reste la méthode. Et, pour définir « la » nouvelle question scolaire, l’auteur s’érige au rang « d’évaluateur » des politiques éducatives françaises. Expert ès éducation, on s’étonnera quand même de ne trouver aucune réflexion critique sur cette posture dont le monde de la recherche connaît pourtant les effets pervers.

Mais, là ne résident pas seulement les problèmes soulevés par l’ouvrage. On perçoit, en effet, que le généreux appel politique à la démocratisation du supérieur a pour pendant le recours aux financements privés et le retour du vieil argument selon lequel l’enseignement supérieur n’est pas « adapté » aux marchés du travail :

« Autant le soutien à la formation secondaire d’un adolescent s’apparente à un investissement public dont toute la société (et pas seulement le jeune lui-même) bénéficiera, autant le choix de poursuivre des études supérieures constitue un investissement privé dont le premier bénéficiaire sera le futur ex-étudiant lui-même. Si l’on accepte cette distinction, le financement de la diversification ou la professionnalisation des formations supérieures appelle des politiques de nature assez différentes de celles menées pour l’expansion des formations secondaires. » [p. 18].

L’autre problème posé par cet ouvrage reste la quasi-négation de la forte hausse de la demande d’éducation des familles populaires, pourtant attestée par de nombreux travaux sociologiques. Ce point est en partie lié à une mauvaise appréhension des processus de déscolarisation. L’interprétation d’E. Maurin penche ainsi tacitement vers la thèse d’un rapport négatif à l’école des familles et des jeunes issus des milieux populaires : « […] un nombre important de jeunes renonce [sic] dès l’adolescence à achever une formation secondaire » [p. 18]. Cette maladresse feint d’ignorer le caractère construit des déscolarisations précoces. Or, on sait que ces parcours sont les produits de relations d’interdépendances entre plusieurs facteurs (situations familiales précaires mais aussi échec des apprentissages scolaires, étiquetages scolaires négatifs, etc.) dans lesquels l’échec des apprentissages scolaires et les pratiques de l’institution scolaire figurent au premier plan (Millet, Thin, 2005 ; Bonnéry, 2007).

Comment alors ne pas revenir sur le passage de l’ouvrage qui entend traiter du malaise enseignant étayé par les résultats d’une enquête de la FSU sur le scepticisme des enseignants à l’égard du collège unique. Pour E. Maurin, une partie de ce malaise vient du décalage entre la formation et la pratique. On s’étonne alors de ne pas voir ces données centrales reliées à la dégradation des conditions d’enseignement par la précarisation du statut des enseignants (vacataires, contractuels, recrutés sans formation), à la réduction des horaires d’enseignements des savoirs fondamentaux et finalement à l’actuelle ambivalence d’une partie de la gauche à l’égard de l’ambition de démocratisation.

Dans la dernière partie de l’ouvrage, E. Maurin dévoile ses recommandations politiques nécessaires à la relance de l’entreprise de démocratisation scolaire. Militant de l’expansion du supérieur en raison des transformations du marché de l’emploi français [Chapitre 8, p. 197], Eric Maurin critique l’actuelle organisation de l’accueil des enfants de deux ans dans les écoles maternelles. Et s’il s’avoue séduit par une hausse des moyens pour l’école maternelle, l’auteur se positionne malgré tout pour un effort budgétaire essentiellement centré sur le supérieur [p. 219]. Enfin, l’évaluation des différentes politiques européennes en matière de carte scolaire [Chapitre 10] lui fait plaider une solution « intermédiaire » : celle de n’assouplir la carte scolaire que pour les quartiers défavorisés [p. 228] !

La position qui semble bien sûr la plus polémique est celle concernant le financement de la hausse des droits d’inscriptions de l’enseignement supérieur par les anciens diplômés en poste, à la manière d’un remboursement différé de prêt [Chapitre 11]. Bien qu’étayée par une narration précise des différentes réformes réalisées en Australie et au Royaume-Uni, une telle position constitue une négation de la revendication historique du mouvement social (étudiant, enseignant et ouvrier) d’un accès gratuit au savoir. Cette « solution » se fonde en fait sur la distinction, énoncée dès l’introduction, voyant les bénéfices des études supérieures comme essentiellement individuels et privés alors que ceux des études secondaires seraient collectifs et donc publics.

Qui peut souscrire à cette analyse lorsque l’étude des relations formation/emploi atteste le rôle central de la qualification dans les processus de recrutement ? Peut-on sérieusement penser que les gains de productivités des entreprises et administrations françaises ont pour seules origines des modifications de l’organisation du travail et ne trouvent pas leurs fondements dans la hausse de la qualification de la main d’œuvre ? En affirmant que le premier bénéficiaire des études supérieures demeure l’étudiant lui-même, E. Maurin défend-t-il la thèse que la redistribution des gains de productivité sur les salaires s’est faite équitablement pour les salariés qualifiés ?

Malgré des passages intéressants, on peut donc regretter que l’économie empirique de l’éducation que l’auteur ambitionne [p. 13] fasse d’abord l’économie des analyses critiques de l’école. A la sociologie, peut-être, de ne pas faire l’économie d’une réponse.

Références

Stéphane Bonnéry, Comprendre l’échec scolaire. Elèves en difficultés et dispositifs pédagogiques, Paris, La Dispute, 2007.

Mathias Millet, Daniel Thin, Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question sociale, Paris, PUF, 2005.


[1Avant sa réédition en format « poche », l’ouvrage dépassait les 4000 exemplaires vendus (source : Edistat)

Messages