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Démocratiser l’université, oui mais comment ?

vendredi 23 septembre 2022, par Janine Reichstadt

Signé par Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec, L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection sociale (Raisons d’agir éditions, 2022), propose une analyse solidement démonstrative des logiques traversant l’université aujourd’hui, et les confronte aux ambitions démocratiques d’une transformation du système scolaire et universitaire plus que jamais nécessaire.

Université et inégalités scolaires

Face aux difficultés d’accès à l’université générées par Parcoursup, une première réaction consiste à réaffirmer le libre choix des études pour tous les bacheliers. Or, et c’est là la force de l’analyse des auteurs, une telle réaffirmation est loin de suffire. Ils préfèrent écrire : « En replaçant la question de l’inégale transmission des savoirs scolaires au centre de la question étudiante, ce livre vise à rouvrir le débat sur le droit à la réussite. » Ce droit à la réussite très inégalement partagé aujourd’hui par les étudiants, trouve son origine dans un parcours scolaire très inégalement réussi. Cette mise en regard des performances universitaires et des conditions dans lesquelles elles se préparent en amont fait l’intérêt particulier de cet ouvrage, qui montre la cohérence entre les différents aspects d’une même politique scolaire et universitaire antidémocratique. D’où la nécessité de reprendre la réflexion sur les obstacles qui empêchent des étudiants de réussir correctement et la façon de les surmonter.

Un paradoxe mérite des explications : « Jamais la France et son système scolaire n’ont autant diplômé, et pourtant jamais la France et son système scolaire n’ont transmis aussi inégalement les savoirs. » Le taux de bacheliers dépasse aujourd’hui les 80% d’une génération et les effectifs étudiants ont bondi de 26% entre 2012 et 2018. En 2015, l’objectif était d’atteindre 60% d’une génération diplômée de l’enseignement supérieur, dont 50% en licence entre 2008 et 2021 : et pourtant le budget de l’enseignement supérieur par étudiant a chuté de 12%. Cette contradiction entre la hausse de la démographie étudiante et l’austérité budgétaire renforcée conduit les institutions d’enseignement supérieur à sélectionner leur public par le biais notamment de Parcoursup. Ne faut-il pas arrêter « de faire croire à tout le monde que l’université est la solution pour tout le monde » comme le proclame le président Macron ? Si les dépenses par étudiant ont augmenté en STS (préparant au BTS) et en CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles), les formations universitaires qui touchent particulièrement les jeunes d’origine populaire voient leurs dépenses par étudiant fortement diminuées.

Alors que du côté des familles populaires on assiste à une véritable révolution culturelle quant aux aspirations qu’elles nourrissent vis-à-vis du bac et de la poursuite des études supérieures pour leurs enfants, « le premier obstacle à la démocratisation de l’enseignement supérieur français demeure l’inégal accès au bac selon l’origine sociale. » Ainsi, « parmi les élèves entrés en sixième en 2007, 71 % des enfants d’employés et 65% des enfants d’ouvriers sont bacheliers huit ans plus tard, contre 92 % des enfants de cadres ou d’enseignants. » Ces chiffres en rencontrent d’autres qui affinent le sens de cette inégalité. Ce sont les baccalauréats technologiques et professionnels qui ont largement contribué à la forte progression de l’accès au bac ; or 54 % des élèves dans la voie technologique et 69 % dans la voie professionnelle, sont enfants d’ouvriers ou d’employés, alors que ces derniers ne sont que 37 % des élèves dans la voie générale.

Force est de constater que ces bacs technologiques et professionnels préparent mal à l’université. Seul le bac général y prépare bien en garantissant l’obtention de la licence pour la plupart des étudiants quelle que soit la profession des parents. C’est un des nombreux points forts de l’ouvrage, qui examine précisément cette dimension du rapport entre le bac général et l’obtention de la licence, conditionnée par la conduite sans accrocs de la filière générale au lycée, préparée en amont par la réussite des apprentissages au collège, elle-même conditionnée par celle des apprentissages en primaire. Les données dont nous disposons pour appréhender l’ampleur de ces emboîtements de réussites corrélées à l’origine socioculturelle des élèves, sont bien documentées par les auteurs. Leur insistance sur cette dimension des déterminations en amont de chaque niveau du parcours scolaire a le mérite, particulièrement digne d’attention, d’offrir des éléments de réflexion sur la voie par laquelle il est possible de parvenir à construire une école en pleine capacité d’assurer une réelle démocratisation de l’université.

Des ruptures à interroger

Malgré l’importance de la filière générale pour espérer obtenir une licence sans embûches, il est très important de dénoncer un mésusage des statistiques de l’enseignement supérieur destiné à justifier les réformes libérales de l’université ; et cela au nom d’un prétendu échec massif en premier cycle, qui devrait conduire à orienter les étudiants vers des filières plus « conformes » à leur condition sociale et à leur parcours scolaire.

Transformer radicalement les conditions d’entrée à l’université, tel est l’objectif de Parcoursup qui demande à chaque filière universitaire de classer par ordre de priorité les étudiants qui candidatent aux futures formations, en comparant le profil de leur dossier à ce que les filières sélectionnées demandent. Avec APB (admission post bac), les étudiants gardaient le dernier mot ; « dans Parcoursup, ce sont les formations, même celles dites « non sélectives », qui décident de classer et d’admettre les étudiants en fonction de leurs capacités d’accueil. » Des capacités d’accueil qui sont loin des exigences de formation auxquelles les universités devraient pouvoir faire face.

Les étudiants d’origine populaire qui parviennent à la licence n’obtiennent pas ce diplôme dans les mêmes disciplines ni dans les mêmes conditions que les étudiants originaires des couches sociales favorisées. Bien réelle pour eux, la nécessité de travailler préjudiciable aux études n’explique pas tout. Les auteurs nous rappellent qu’en deux ans un étudiant de classe préparatoire reçoit plus de 2 100 heures de cours, alors qu’un étudiant d’université ne reçoit en moyenne que 1 500 heures en trois ans. Que dans de telles conditions une inégalité de réussite se fasse cruellement sentir n’a rien d’étonnant. Toutefois, à l’encontre des annonces du pouvoir politique qui insiste sur l’échec majoritaire en licence afin de justifier les mesures de sélection drastiques, et mieux répondre aux demandes d’ajustement aux postes et aux projets des entreprises, une étude montre que 61 % de ceux qui sont entrés dans l’enseignement supérieur au début des années 2 000 ont obtenu une licence, même s’il leur a fallu s’accrocher, voire se réorienter.

Il n’en demeure pas moins que les ruptures existent et qu’elles concernent au premier chef les étudiants issus des classes populaires qui sont 37 % d’enfants d’ouvriers à sortir non diplômés de l’enseignement supérieur, quand c’est le cas pour 26 % d’enfants d’employés et 14 % pour les enfants de cadres. Sans souscrire aux annonces politiques qui se veulent catastrophistes pour justifier la sélection destinée à s’accorder avec l’austérité budgétaire à laquelle sont soumises les universités, il n’en reste pas moins qu’« en premier cycle universitaire, l’obtention de la licence dépend surtout de la qualité des apprentissages réalisés au lycée, au collège et à l’école. »

Diplômes et emplois

Etant donnée l’évaluation, d’esprit capitaliste, de la « rentabilité économique » de la formation universitaire sur le marché du travail, la production d’indicateurs tels que les taux d’insertion des diplômes devient un critère de pilotage des universités et de hiérarchisation de ceux-ci. Ainsi, les « nouveaux discours [gouvernementaux] valorisent l’employabilité et un mode managérial d’accès à l’emploi, qui contribuent en retour à déprécier le mode scolaire d’accès à l’emploi. » Que des universitaires propagent l’idée de déclassements massifs sur le marché de l’emploi attribués à la supposée surproduction de diplômes ne manque pas de sel.

A l’encontre de ce type de discours, les auteurs soulignent que malgré la conjoncture économique défavorable, le rôle protecteur des diplômes universitaires « est plus que jamais avéré ». Par ailleurs la dégradation des embauches dans le secteur public depuis trente ans explique l’essentiel des difficultés d’insertion des licenciés. La dramatisation des problèmes d’insertion qui stigmatise des diplômes, des filières et des établissements, a pour objectif de contester l’autonomie relative toujours présente des formations par rapport au marché de l’emploi.

Perspectives

L’enjeu des études supérieures continue d’être décisif au moment où les diplômes de l’université sont « de plus en plus nécessaires pour exercer des métiers requérant à la fois des connaissances et une capacité générale à acquérir des capacités particulières. » Comme nous l’avons vu, ces connaissances et cette capacité générale s’acquièrent à l’université à partir d’exigences s’appuyant sur des prérequis qui se construisent tout au long de la trajectoire scolaire. Insister légitimement, comme le fait cet ouvrage, sur la relation profonde qui existe entre celle-ci et la réussite universitaire, quel que soit le milieu social, implique de s’interroger sur les conditions didactiques et pédagogiques des enseignements dès le début de la scolarité. Si l’objectif est de permettre à tous de s’approprier les prérequis exigés par l’université, il devient incontournable de préparer les bases de la disparition des filières. On ne peut pas défendre à la fois le droit d’accès de tous les bacheliers à l’université et vouloir maintenir les trois filières d’accès au bac. La seule perspective authentiquement démocratique correspondant aux exigences universitaires suppose l’institution d’« un bac unifié de « haut niveau de culture commune » pour tous, à la fois littéraire, scientifique et technologique dans un lycée unique indispensable pour rompre avec l’école de classe à la française et pour garantir le libre choix des études supérieures. »

Rompre avec l’école de classe à la française

Cette référence explicite aux travaux du GRDS souligne l’ambition du propos des auteurs, tendu par la question « démocratiser… mais comment ? ». Question à laquelle ils apportent une réponse solidement fondée, à partir d’une démonstration éloquente de la logique de l’existant et de celle des transformations qui s’imposent. Nous vivons aujourd’hui une rencontre objective entre la dimension considérable des enjeux sociaux, économiques, intellectuels, culturels des savoirs élaborés et transmis à l’université, et le tournant historique des aspirations populaires aux études longues. Démontrer comment cette rencontre peut se transformer en une construction authentiquement démocratique par le biais d’une école commune acquise au principe de l’éducabilité universelle, fait de cet ouvrage une référence en la matière.