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Sur la mise en concurrence des établissements primaires

mardi 25 mai 2010, par Stéphane Bonnéry

Enseignant-chercheur en sciences 
de l’éducation 
(Paris-VIII-Saint-Denis) et responsable du PCF, Stéphane Bonnéry éclaire 
le lien direct qui existe entre 
les réformes 
dans l’éducation et celle à venir des collectivités territoriales.

  • À plusieurs reprises, 
le ministre Luc Chatel, puis Nicolas Sarkozy 
ont proposé que les chefs d’établissement scolaire recrutent leur équipe pédagogique. En quoi cela vous paraît-il éclairant  ?

Quel que soit le thème d’actualité, ils formulent toujours les mêmes conclusions  : favoriser l’embauche locale des personnels et la réalisation du socle commun de connaissances. Car ces propositions sont stratégiques  : les gouvernants utilisent les réformes de l’école pour préparer celle des collectivités locales, tandis que cette dernière contribue au démantèlement du service public d’éducation. Ces recrutements de proximité, effectués sous statut précaire, sont un pas de plus vers la fin des fonctionnaires d’État et mettent la pression sur les collectivités locales pour financer ces personnels. C’est la logique des établissements publics d’enseignement du premier degré (Epep), actuellement expérimentés par le ministère. Ce sont des regroupements administratifs de plusieurs écoles sur un territoire, dirigés par un conseil d’administration composé à 50 % de représentants des collectivités, à 20% de personnalités locales (dont des représentants d’entreprises privées) et de seulement 30 % d’enseignants. Avec ces Epep, le gouvernement tente de créer une structure de gestion qui soit l’interface entre financements nationaux, locaux et privés. Il accélère ainsi son désengagement budgétaire au détriment des villes ou communautés de communes dans les zones rurales.

  • Quelles peuvent en être les conséquences  ?

Très clairement, de voir les inégalités entre écoles s’accroître en fonction de la richesse des différents territoires, mais aussi en fonction des financements privés désormais possibles.

  • Vous évoquiez aussi le rôle joué par le socle commun de connaissances dans cette réorganisation. Quel est-il  ?

Avec lui le gouvernement peut se flatter d’assurer un minimum vital dans les zones pauvres tout en évitant de chercher la meilleure manière d’enseigner une même qualité de programmes à tous et partout. Le socle commun fait sauter le verrou égalitaire des programmes et les embauches locales font sauter le verrou égalitaire des missions assignées aux fonctionnaires d’État.

  • Comment cette logique se traduit-elle dans l’enseignement secondaire  ?

Le même genre de structure de gestion existe pour les collèges et lycées avec les établissements publics locaux d’enseignement (Eple), où l’entrée des élus locaux et du privé dans la gestion de l’école peut orienter les choix. Chaque Epep ou Eple constitue au sein d’un territoire un réseau d’écoles dont chacune pourra être spécialisée sur une population  : on nous dessine là des écoles de niveaux, sur lesquelles on aura décidé de cibler les moyens, les plus populaires ne bénéficiant que du minimum.

  • Dans ce cadre, quel rôle joue la réforme du lycée  ?

Elle s’inscrit dans ce processus  : mise en place d’un tronc commun d’enseignements et multiplication, à côté, des options et des heures laissées à la libre appréciation des chefs d’établissement. L’objectif inavoué du gouvernement, dans le secondaire comme dans le primaire, est de n’assurer que la gestion de ce tronc commun, enseigné par des fonctionnaires d’État, et de renvoyer le reste (options, activités pédagogiques…) à la responsabilité des établissements, au nom de la soi-disant autonomie. Pour financer leurs choix, ces établissements n’auront alors pas d’autres possibilités que de se tourner vers le privé ou de faire du chantage aux villes, départements, régions. Déjà en primaire, on oblige à enseigner l’anglais mais, bien souvent, ce sont les communes qui recrutent et paient un professeur contractuel, quand elles le peuvent.

  • Peut-on parler de privatisation de l’école publique  ?

On assiste là non pas à une privatisation totale de l’école publique mais à une forme abâtardie au travers des logiques de partenariats public-privé et de transfert de charges vers les collectivités locales. Et cette réorganisation de l’école sur fond de désengagement financier permet au gouvernement de justifier la mise en place de sa réforme des collectivités. Son discours va être simple  : si des villes ne parviennent pas à payer seules le coût des écoles, elles devront faire appel aux communautés de communes et autres métropoles prévues justement par la réforme des collectivités… se substituant aux communes et départements, menacés de disparition.

  • Quelle vision de l’école se cache derrière ces réformes  ?

C’est de mettre l’école au service du patronat et de la stratégie de Lisbonne : conduire 50 % d’une génération à un sous bac + 3 fourre-tout. Au lieu de permettre une vraie poursuite d’études, le gouvernement ferme les portes après la licence et affadit le contenu pour limiter l’esprit critique. Car le patronat veut plus de travailleurs davantage formés pour exploiter l’intelligence. Pour réaliser cette « productivité éducative » à moindre coût, le gouvernement construit un lycée qui n’accueillera plus autant de jeunes mais où la déperdition devra être minimale, pour mener un maximum d’élèves vers un premier cycle universitaire formant à de simples compétences générales dont ont besoin les employeurs. Ce couple « lycée-licence » impose, en amont, que le couple « élémentaire-collège », segmenté en écoles à plusieurs niveaux, serve de gare de triage pour déterminer les élèves qui ont le plus de probabilité d’aller au bout du bac + 3. Les autres seront éliminés. Tous les outils d’égalité – carte scolaire, statut des fonctionnaires… – sont autant d’obstacles à détruire pour faire de l’espace politique et scolaire un espace de concurrence. Quant à l’ambition de donner le goût des études à tous les élèves, elle est littéralement abandonnée…

Entretien réalisé par Laurent Mouloud


Voir en ligne : L’Humanité