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Dix idées reçues sur les élèves des classes populaires

mardi 11 janvier 2011, par Cédric Hugrée, Tristan Poullaouec

Depuis la Loi Fillon de 2005, la politique gouvernementale en matière d’école (avec entre autres la note de vie scolaire, l’apprentissage junior, les bourses au mérite, la multiplication des dispositifs « relais », l’accompagnement personnalisé, l’accompagnement éducatif pour les « orphelins de 16 heures », le développement des options à la carte, les groupes de niveau déguisés en groupes de compétences...) n’a fait que renforcer les inégalités. Dans ce contexte, il s’agit d’alimenter notre réflexion et de nous aider à résister.

Dossier "Démocratisation scolaire", extrait du bulletin de l’École Émancipée de Loire Atlantique (n°24, décembre 2010) réalisé par Mary David et Marie Haye. L’intégralité du numéro (contenant notamment la transcription d’une conférence de Jean-Pierre Terrail à Nantes) est disponible ici.

À l’heure de la crise économique et sociale, les diplômes sont de plus en plus nécessaires pour faire face aux exigences du marché du travail. Mais les diplômes cèdent la place aux certifications par compétences, et les parcours scolaires sont restés toujours aussi inégaux selon l’origine sociale des élèves : 20% des enfants d’ouvriers décrochent aujourd’hui un bac général, contre plus de 70% des enfants de cadres.

L’école prend en charge individuellement le tri social des élèves, sur la base de leurs résultats scolaires : à l’élève qui réussit scolairement, la voie générale, et, à celui qui ne parvient pas à surmonter les difficultés inhérentes à tout apprentissage, les filières de relégation. Loin de renforcer les repères de classe, cette situation n’a fait que les brouiller plus encore : chaque élève et sa famille se voient individuellement imputés le mérite et donc la responsabilité de son propre parcours scolaire.

Première partie : Dix idées reçues sur les élèves des classes populaires

Idée reçue n°1. « Lui, ce qui le motive, c’est les choses pratiques, concrètes. » Tous les enfants (en particulier les enfants issus des classes populaires) ne sont pas capables d’abstraction, de raisonnement logique et de réflexivité.

Tristan Poullaouec : Après l’idéologie des dons (certains auraient la « bosse des maths », d’autres « l’intelligence de la main » faite pour le travail manuel), c’est l’idéologie du handicap socioculturel qui domine aujourd’hui les explications ordinaires des difficultés scolaires, à travers « l’équation simpliste selon laquelle les enfants de pauvres ne sauraient être que de pauvres enfants » (Jean-Yves Rochex). En réalité, tous les élèves arrivent à l’école avec les mêmes capacités intellectuelles, dès lors qu’ils sont tous entrés dans le langage. Parler, c’est en effet décrire et interpréter le monde grâce à des abstractions, faire des raisonnements logiques (ne serait-ce qu’en enchaînant l’adverbe « pourquoi » et la locution « parce que ») et réfléchir sur le langage : quand un enfant se questionne autour du sens d’un mot par exemple, cela implique de sa part une réflexion sur les diverses significations de ce mot, sur ses emplois, sur ses origines, etc. D’un milieu à l’autre, les usages effectifs du langage sont certes variables. Mais les façons de parler des enfants issus des classes populaires ne les empêchent pas par principe de bénéficier normalement des apports de l’école [1], notamment parce que les écarts constatés entre les jeunes enfants des milieux populaires et les autres sont encore très peu significatifs. Les capacités des élèves ne peuvent donc être indexées sur leurs origines sociales. Quant à leur volonté d’apprendre, elle est trop souvent considérée comme une donnée, a priori figée dans la tête des élèves. Il suffit pourtant d’interroger sa propre histoire pour voir que cette motivation n’a rien de naturelle. S’il est clair que la motivation est encouragée par l’appropriation des savoirs, elle peut réciproquement être découragée par les difficultés scolaires.

Idée reçue n°2. « On ne peut pas faire le programme avec ces élèves-là. », « Elle ne comprend rien : si je lui faisais faire les mêmes choses qu’aux autres, elle se découragerait. » Il faut différencier, adapter les dispositifs pédagogiques voire les contenus aux élèves en difficulté, quitte à en rabattre sur ses exigences.

T.P. : C’est malheureusement une réalité : face aux difficultés scolaires, bien des enseignants revoient leurs exigences à la baisse. Convaincus que les ressources intellectuelles des élèves dépendent d’abord de la position sociale de leurs parents, ils adaptent leur enseignement en attendant moins des élèves des classes populaires et davantage des élèves des classes moyennes ou dominantes : en illustrant plutôt qu’en démontrant, en privilégiant le concret sur l’abstrait, en préférant se limiter aux points les plus simples au détriment des points compliqués, etc. Cela est particulièrement vrai dans les établissements où l’hétérogénéité sociale est très faible, ou dans ceux où se pratiquent les classes de niveau. Mais anticiper sur les difficultés d’abstraction, de raisonnement ou de réflexion, contribue en fait à de nouvelles inégalités d’appropriation des savoirs en donnant encore moins à « ceux qui n’ont que l’école pour comprendre l’école » (Stéphane Bonnéry). Plusieurs recherches sociologiques l’ont observé, dans le premier degré comme dans le second degré. Certains dispositifs pédagogiques y contribuent également par eux-mêmes, comme le montre Stéphane Bonnéry [2], par exemple à propos des exercices à trous à l’école primaire, qui focalisent les élèves sur les consignes et les détournent des objets de savoir ou Jérôme Deauvieau [3], par exemple à propos du cours dialogué en lycée, qui brouille la différence entre savoirs scolaires et savoirs d’expérience : les élèves puisent dans leurs expériences pour répondre aux questions, sans comprendre que ce sont d’autres savoirs, objectivés, qui permettent une véritable réussite scolaire.

Idée reçue n°3. « Les études, c’est pas pour lui ! Ce serait le leurrer quant à ses possibilités. » Il est préférable d’orienter un élève en difficulté le plus tôt possible vers la voie professionnelle, pour le prémunir d’une ré-orientation douloureuse.

Cédric Hugrée : Cette affirmation fait en partie écho à l’idée que les enfants issus des catégories populaires auraient tendance, et même intérêt, à ne pas trop prolonger leurs parcours scolaires dans l’enseignement supérieur. Sur ce point, il faut être très clair : les enquêtes dont nous disposons montrent sans ambigüité que, pour ces enfants, plus leurs diplômes sont élevés, plus la « force de rappel » de l’origine sociale est faible. Ce que les sociologues de la mobilité sociale nomment la « force de rappel de l’origine sociale », c’est le fait qu’à diplôme égal, les enfants de cadres supérieurs connaissent de meilleures positions sociales que les enfants d’ouvriers. C’est un fait incontestable, et une partie de ma recherche sur les cheminements professionnels des enfants d’origine populaire ayant au moins une licence le confirme pour les générations les plus récentes. Mais, il faut tenir ensemble ces deux faces de la réalité pour comprendre l’enjeu des études supérieures pour ces familles : pour échapper aux emplois les moins rémunérés, les moins protégés socialement et les plus difficiles du point de vue des conditions de travail, les jeunes d’origine populaire ont besoin, plus que ceux issus des classes moyennes ou supérieures, d’un diplôme du supérieur.

Idée reçue n°4. « Cet élève souffre à l’école, mais il est malheureusement trop jeune pour la quitter. » « Il faudrait lui faire faire des stages. » « On pourrait l’envoyer en classe-relais, il pourrait souffler. » Le collège unique ne fonctionne pas : beaucoup d’élèves n’y trouvent pas leur place.

T.P. : Pendant longtemps, le collège unique a en effet concentré toutes les critiques. Il est d’ailleurs encore considéré par certains comme le maillon faible de notre système éducatif. Mais depuis quelques années, le débat scolaire se déplace largement vers l’école primaire. Il n’y a pas que de mauvaises raisons à cela. Qu’on en juge : quand on les répartit en quatre quarts d’effectifs égaux dans l’ordre croissant de leurs performances aux évaluations à l’entrée en 6e, la part des enfants d’ouvriers qui ont atteint la seconde générale ou technologique sans redoubler au collège passe, d’un quartile à l’autre, de 6 % à 25 %, puis 55 % et enfin 85 %.

L’entrée en seconde sans redoublement selon la qualité des apprentissages en primaire (en %)
Taux d’accès à une seconde générale et technologique en cinq ans selon les notes obtenues à l’entrée en 6e aux épreuves nationales d’évaluation en mathématiques et en français
Position des notes de l’élève en 6e par rapport à celles de tous les élèves de France Ensemble des élèves… … dont : Enfants d’ouvriers … dont : Enfants de cadres
Quart supérieur 89 85 93
Troisième quart 62 55 75
Second quart 29 25 45
Quart inférieur 7 6 19
Ensemble 46 32 76
Lecture : Lorsque leurs performances les ont placés dans le quart supérieur des meilleurs élèves à l’entrée en 6e, 85% des enfants d’ouvriers ont atteint la seconde générale et technologique sans connaître de redoublement au collège. Champ : Ensemble des élèves entrés en 6e ou en SES en 1995.

Mieux : légèrement supérieures, les proportions correspondantes d’enfants de cadres qui entrent au lycée sans redoubler sont tout à fait du même ordre. Autrement dit, si tous les élèves réussissaient aussi bien leur primaire, l’avantage des enfants de cadres sur les enfants d’ouvriers serait très faible. Arrivés au collège, puis au lycée, les parcours scolaires des élèves dépendent alors davantage de la réussite en primaire que de l’origine sociale. Qu’ils soient enfants de cadres ou enfants d’ouvriers, les bons élèves du primaire ont ainsi toutes chances d’arriver sans encombre en seconde. Les effets du primaire se mesurent jusque dans l’enseignement supérieur : 61 % des élèves du dernier quartile obtiennent au moins la licence, contre seulement 28 % des élèves du troisième quartile, 12 % du second et à peine 6 % du premier.
Le principal obstacle à la démocratisation scolaire vient donc du fait que les enfants des classes populaires se situent bien plus souvent dans les premiers quartiles, nettement sur-représentés parmi ceux qui ne savent pas lire et écrire correctement en entrant en 6e.

Idée reçue n°5. « De nos jours, les diplômes n’ont plus aucune valeur sur le marché du travail. » Il est inutile, voire néfaste, de pousser tous les élèves le plus loin possible dans leurs études : cette « inflation scolaire » ne fait qu’encombrer le marché du travail par un trop grand nombre de diplômés, qui sont, qui plus est, déclassés à l’embauche. En outre, les diplômes ne protègent pas contre le chômage.

T.P. : On évoque beaucoup la dévalorisation des diplômes et le déclassement à l’embauche. En réalité, le paradoxe des diplômes est qu’ils sont à la fois de moins en moins suffisants dans le contexte du chômage de masse et de la précarisation des débuts de vie professionnelle, mais aussi de plus en plus nécessaires pour faire face aux exigences des postes de travail, des critères de recrutements et des évolutions de carrières. La crise économique avive encore cette tension, en renforçant les inégalités entre les diplômés. D’un côté, les diplômes de l’enseignement professionnel conduisent le plus fréquemment aux positions d’ouvriers ou d’employés et permettent rarement d’accéder en cours de carrière aux emplois les plus qualifiés. De l’autre, les diplômés de l’enseignement supérieur sont souvent reclassés en cours de carrière après un déclassement à l’embauche. La métaphore de l’inflation scolaire ne convient pas. À la différence de la monnaie, les diplômes ont une valeur spécifique, qui tient aux contenus enseignés. D’un côté, la valeur d’usage apportée à leur qualification personnelle par la formation scolaire des jeunes est de plus en plus recherchée par les employeurs, qui leur assignent des tâches plus complexes et leur demandent d’intensifier leur travail productif, d’atteindre des objectifs toujours plus élevés, de prendre certaines initiatives, de s’adapter aux changements, etc. De l’autre, la valeur d’échange des diplômes est revue à la baisse, du fait de la dégradation du rapport de force des salariés face aux employeurs : le chômage de masse, la précarisation des débuts de vie professionnelle ou encore l’individualisation de la gestion des carrières multiplient en effet les obstacles à la reconnaissance des qualifications acquises. La thèse de l’inflation scolaire confond au contraire ces deux processus, en postulant que tous les déclassés sont sur-qualifiés. Au total, les enfants d’ouvriers ont aujourd’hui légèrement plus de chances d’occuper une position de cadre ou d’exercer une profession intermédiaire : c’était le cas de 19% d’entre eux à l’âge de 30 ans en 1970, c’est désormais le cas de 26% de la génération qui a eu le même âge en 2003. Pousser les élèves le plus loin possible dans leurs études est donc possible et souhaitable.

Idée reçue n°6. « Tu préfères qu’il sorte du système éducatif sans rien ? » Quitter l’école avec un livret de compétences validé en poche, c’est mieux que d’en sortir sans aucun diplôme. Le socle commun et la certification par compétences sont un progrès, qui permet au passage de se débarrasser de la note, qui n’est pas un mode d’évaluation satisfaisant.

C.H. : Sur la question très précise du socle commun, mon « incompétence » ( !) est totale et je me permettrais juste de souligner les actuelles recherches en sociologie de Pierre Clément qui montrent qu’un des enjeux des outils qui l’accompagnent est une rationalisation gestionnaire du système éducatif. Cette nouvelle orientation des politiques éducatives répond de fait mal aux trois questions très simples qui se posent à tous les systèmes scolaires, dans toutes les sociétés : qu’est-ce qu’on transmet, à qui on le transmet et comment on le transmet. Et ce n’est pas la seule suppression des notes en primaire qui permettra de réduire les inégalités d’apprentissage entre les élèves. C’est pour cette raison que le GRDS n’a pas signé l’appel à l’initiative de l’AFEV. En revanche, mes recherches personnelles sur les nouvelles politiques d’insertion qui se mettent en place pour les diplômés de l’enseignement supérieur me permettent de dire quelques mots sur cette notion que tout le monde a le plus grand mal à définir, mais qui est très en vogue en ce moment à l’université : « compétence ». Il s’agit d’une catégorie de pensée qui est explicitement issue du monde productif et qui s’est imposée depuis près de 30 ans au système éducatif. Les enseignants du supérieur qui voient arriver depuis quelques années cette notion auraient d’ailleurs de précieux conseils à recevoir des professeurs des écoles qui ont dû être les premiers à se voir imposer cette nouvelle rhétorique dans les programmes scolaires.
Le problème avec la notion de compétence est qu’elle opère une double mystification :
1. Cette notion entend substituer la représentation verticale de la hiérarchie entre savoirs et pratiques à une représentation horizontale de cette hiérarchie, comme le disait la sociologue Lucie Tanguy. La représentation verticale du rapport savoir/pratique organise largement aujourd’hui le système scolaire, par exemple dans l’opposition général/professionnel. Et, au prétexte mensonger d’une lutte contre les inégalités, une partie des réformateurs scolaires cherchent à inverser ce rapport. D’un point de vue philosophique, il y a là quelque chose d’intéressant après tout. Le souci, c’est que cette nouvelle vision des choses est de nature à flouer (au double sens du terme) les savoirs scolaires : ils deviennent moins visibles, on les dit moins recherchés dans les processus d’apprentissage puisque désormais on cherche à faire « émerger des compétences »… Et finalement, l’école se voit disputer par le monde des entreprises son monopole de la transmission des savoirs et de vérification des acquisitions.
2. Cette notion recouvre un ensemble de propriétés instables qui, de fait, doivent être continuellement évaluées. Et, de ce point de vue, la « compétence » permet de se distancier d’une vision des choses où la qualification était acquise une fois pour toute. Ce point n’est pas sans effet sur le marché du travail puisque la qualification était jusqu’ici une chose définie juridiquement qui ouvrait des droits, inscrits dans les conventions collectives (secteur privé) ou dans les statuts (secteur public).

Idée reçue n°7. « Cet élève a des difficultés, mais c’est un peu de sa faute ! » « Il faut dire que ses parents ne l’aident pas beaucoup... » « Qu’ils sont méritants, ces gosses des cités qui réussissent ! » « Tu sais, ces parents-là ne suivent pas leur enfant. » La réussite scolaire, ça se mérite. Les enfants issus de familles populaires qui réussissent sont d’autant plus méritants qu’ils partent avec un « handicap », mais s’ils sont en échec, c’est aussi de la faute de leurs parents qui sont démissionnaires.

T.P. : L’idée des parents démissionnaires dans les classes populaires est démentie par l’essor des ambitions scolaires dans les familles ouvrières. Jusqu’aux années 1960, seule une petite fraction des ouvriers espéraient que leurs enfants aillent jusqu’au bac (15% en 1962). Aujourd’hui, le bac est un minimum, visé par 88% des familles ouvrières. La plupart d’entre elles rêvent ensuite d’études supérieures pour leurs enfants. Elle ne tient pas non plus lorsqu’on demande aux parents combien de temps ils consacrent aux devoirs à la maison. D’après les enquêtes de l’Insee, cette aide au travail scolaire de leurs enfants les occupe à peu près une heure par jour, quel que soit le milieu social. D’autres enquêtes auprès des élèves montrent par ailleurs que la plupart d’entre eux sont aidés par leurs parents. Les différences qualitatives dans l’aide apportée sont bien sûr beaucoup plus fortes : les parents les plus diplômés sont bien à même de comprendre les exigences de l’école, tandis que ceux qui gardent un mauvais souvenir de l’école peinent à expliquer à leurs enfants ce qu’ils n’ont pas compris en classe. L’institution scolaire contribue ainsi aux inégalités en déléguant des tâches d’apprentissage aux familles. 90% des élèves demandent en effet à leurs parents de leur expliquer les points difficiles à comprendre. Une étudiante engagée dans le soutien scolaire l’expliquait très bien à un journaliste de L’Humanité il y a quelques semaines : « Je suis toujours étonnée de voir que certains profs ne s’assurent pas que les élèves ont tous bien compris. Au final, plus l’année avance et plus il se creuse un fossé entre ce que l’enseignant pense que l’élève a compris et ce qu’il a réellement compris. »

Idée reçue n°8. « Il y a bien des enfants des quartiers qui réussissent ! » Penser la réussite scolaire en terme de rapport de classe est dépassé. D’ailleurs, la lutte des classes est un concept d’un autre âge.

C.H. : Encore heureux que tous les enfants d’ouvriers et d’employés ne sont pas condamnés à l’échec scolaire ! Mais l’enjeu d’une société réellement démocratique n’est pas d’en faire réussir 500 par an en les envoyant à HEC (hautes études commerciales), à l’IEP (Institut d’études politiques) ou à l’ENS (école normale supérieure). C’est exactement le sens du dernier numéro de la revue de sociologie Actes de la recherche en sciences sociales auquel j’ai participé. Ce numéro rend compte des travaux récents sur les classes populaires et l’enseignement supérieur. Le premier point de la démonstration est de rappeler ce que le mot d’ordre du gouvernement de 30 % de boursiers en grande école est illusoire puisque seuls 1 à 2 % des enfants d’ouvriers accèdent à ce secteur très fermé de l’enseignement supérieur, qui scolarise à peine 5 % des jeunes d’une génération, autant dire, un fait tout à fait marginal. Un des résultats intéressants de ma recherche sur les étudiants d’origine populaire rappelle que les STS et les diplômes de Licence et de Master 1 sont les destinées scolaires majoritaires des enfants des catégories populaires qui ont un baccalauréat. De toute évidence, attaquer l’université comme on le fait actuellement, c’est d’abord et avant tout affaiblir un des lieux de formation intellectuelle de ces jeunes, et principalement, de ces « anciennes bonnes élèves du secondaire » qui ont connu des scolarités non pas excellentes mais honorables au collège et au lycée. Alors bien sûr, il faut saluer le fait que les étudiants de Sciences Po ou de l’ENS apparaissent régulièrement dans les luttes de la jeunesse scolarisée. Mais si l’on pense à la lutte contre le CPE, les cortèges et le mouvement étaient avant tout portés par la jeunesse des premiers cycles universitaires, toutes disciplines confondues d’ailleurs. Et cette jeunesse risque de ne pas faire la même expérience du marché du travail et que celle sortant des « grandes écoles ».

Idée reçue n°9. « L’école ne peut pas porter toute la misère du monde ! » Ce n’est pas à l’école de résoudre les inégalités sociales. De toute façon, si elle le voulait, elle ne le pourrait pas.

C.H : De mon point de vue, l’école est un des outils privilégiés de la transformation sociale, ce qui fait d’ailleurs que l’enseignement n’est pas une activité professionnelle comme les autres. Certes, on ne peut pas tout demander à l’école. Il y a notamment toute une série de questions que l’on pose actuellement à l’école et qui sont en fait des questions dont les issues reposent sur le marché du travail, et plus particulièrement sur les salaires d’embauche. Mais, rien ne peut justifier que les conditions de vie des individus déterminent leur accès aux savoirs et ce faisant leurs futures places dans la société. Commencer par l’école pour réduire les inégalités résonne à mon sens comme un principe politique intangible… à condition de s’en donner les moyens financiers mais aussi intellectuels. C’est en ce sens qu’au GRDS nous défendons l’idée d’une véritable école commune pour tous en croisant les discussions « académiques » à celles des militants et enseignants qui font quotidiennement l’expérience des inégalités sociales à l’école.

Idée reçue n°10. « Elle réussit mieux que son frère : c’est normal, c’est une fille. » Les filles réussissent mieux à l’école que les garçons, toutes classes sociales confondues.

C.H. : C’est vrai ! Depuis 1971, il y a plus de bachelières en France que de bacheliers. À l’époque, ce constat n’avait que peu retenu l’attention des sociologues… Heureusement depuis lors, la question des inégalités sexuées de réussite scolaire a été relativement bien travaillée par la sociologie. On peut retenir plusieurs enseignements de nombreux travaux sur la question. Tout d’abord, ce résultat doit être relié à deux autres résultats importants. L’origine sociale, et le capital culturel des parents expliquent plus que le genre les inégalités de réussite et d’orientation à l’école. En d’autres termes, le genre est une variable « secondaire » d’explication des inégalités scolaires. L’autre résultat qui me paraît essentiel à mobiliser est le suivant : les seules variables scolaires (par exemple l’âge d’entrée en sixième ou en seconde, le type de baccalauréat, les mentions au baccalauréat) restent, pour les sociologues, des variables très puissantes pour expliquer les parcours des élèves. Ces éléments permettent de souligner que le monde social et a priori le monde scolaire sont des mondes pluridimensionnels que l’on ne peut comprendre qu’avec une seule variable. Le point qui est ensuite l’objet de nombreuses discussions est l’orientation des filles en fonction de leurs résultats scolaires. À réussite scolaire comparable, on a en effet observé que les filles tendent à s’orienter vers des secteurs, souvent moins rentables par la suite dans leur carrière que les secteurs privilégiés par les garçons. Il faut donc expliquer ce constat. Les interprétations peuvent diverger entre les chercheurs qui mettent l’accent sur l’homologie entre la socialisation des petites filles et les normes scolaires, ceux qui soulignent leur adaptation et leur anticipation des fonctionnements sexistes de l’école ou du marché du travail ou enfin ceux qui préfèrent souligner le très net revirement des usages féminins de l’école et des diplômes. Certes, il faut globalement plus de diplômes aux filles pour en avoir un peu moins (voire nettement moins dans certains secteurs !) que les garçons. Mais, ce qui retient l’attention quand on observe l’essor des scolarités féminines à l’échelle historique, c’est le passage d’un régime où le diplôme servait aux filles à se placer sur le marché matrimonial à un régime où les filles ne séparent désormais plus leurs scolarités de l’accès à l’emploi, et notamment à l’emploi qualifié dès qu’elles sont diplômées. En étudiant les femmes qui deviennent ingénieurs, Catherine Marry utilise la très belle expression « d’insoumission discrète » des femmes accédant à ces professions. Elle signifie par là les formes de distanciation de ces femmes aux canons de réussite auxquels on les a souvent incitées à se conformer, puisqu’elles étaient des filles. Elle montre ainsi dans quelles conditions ces filles échappent à un déterminisme social et scolaire. Dans ma recherche sur les étudiantEs des milieux populaires qui accèdent au moins à une licence, je me suis risqué à parler « d’échappée belle » [4], un peu en écho à cette approche. Bien sûr, ces étudiantes n’ont pas les insertions des filles de cadres supérieurs, mais leurs parcours peuvent être vus comme des parcours scolaires honorables qui se sont transformés en mobilités sociales raisonnables. Finalement, c’est au terme de cette transition que l’expression d’échappée belle revêt son double sens : celui d’une belle échappée à laquelle est aussi associé le sentiment de « l’avoir échappé belle ».

Deuxième partie : Quelques pistes pour réduire les inégalités scolaires

École Émancipée : Avez-vous repéré des pratiques que les enseignants mettent en œuvre et qui mettent à coup sûr en échec les élèves qui n’ont que l’école pour s’approprier la culture écrite ? Et celles qui, à l’inverse, leur permettent de réussir véritablement, c’est-à-dire de maîtriser pleinement la « culture légitime » ?

Tristan Poullaouec : En tant qu’enseignant-chercheur, je n’ai pas de recettes toutes faites à proposer aux collègues du primaire ou du secondaire. À l’école, au collège, au lycée ou à l’université, il faudrait surtout instaurer les conditions d’une véritable réflexion collective sur nos pratiques d’enseignement, nous permettant de reprendre la main sur le cœur de notre métier. Pour ma part, je suis convaincu qu’il nous faut déjà reconsidérer le rôle de la difficulté intellectuelle et de l’erreur dans les apprentissages. On ne peut pas contourner ces problèmes, comme le laissent croire certaines vulgates pédagogiques misant sur l’autoconstruction des savoirs par les élèves. Ainsi que le rappelle une lycéenne enquêtée par Fanny Renard, « si on savait tout, on serait même pas là, elle [l’enseignante] serait pas là, elle aussi » [5] Reconnaître que l’école a pour mission principale la transmission des savoirs, c’est faire en sorte que les élèves soient effectivement confrontés aux difficultés intellectuelles inhérentes à ces savoirs, c’est également accepter le rôle formateur de leurs erreurs en cherchant avec eux leurs raisons et c’est enfin leur fournir à tous les moyens de surmonter ces erreurs et ces difficultés. Il nous faut donc trouver le moyen de mettre en œuvre efficacement la pédagogie explicite et rationnelle qu’appelaient de leurs vœux Bourdieu et Passeron dans les années 1960.

ÉÉ : Est-ce la notation qui décourage les élèves et qui crée les inégalités scolaires ? Faut-il abandonner les notes chiffrées et les remplacer par l’évaluation par compétences ?

T.P. : L’AFEV a lancé une pétition pour la suppression des notes à l’école primaire qui a contribué à ranimer le débat sur la démocratisation scolaire. En effet, de multiples recherches ont soulevé les problèmes que pose la notation, qui contribue davantage à classer et à trier les élèves qu’à leur indiquer leurs acquis et leurs difficultés, leurs progrès ou le chemin qu’il leur reste à faire. Les mauvaises notes sont en effet très décourageantes, dans un système scolaire qui laisse croire aux élèves qu’ils sont les seuls responsables de leurs résultats. Le GRDS a cependant refusé de signer cette pétition : cette mesure est trompeuse, partielle et même contreproductive, en l’état actuel de l’école. En effet, à quoi sert de supprimer les notes si l’on maintient l’évaluation des compétences, d’une manière ou d’une autre ? Ou bien s’agit-il seulement de ne pas stigmatiser les élèves qui n’apprennent pas en masquant leurs difficultés ? Et pourquoi ne pas étendre la mesure au secondaire : est-ce parce que la compétition scolaire y serait plus légitime ? Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on changera la température. La question du redoublement l’a montré : les chercheurs ont prouvé qu’à niveau égal, ceux qui passent dans la classe supérieure progressent plus que les redoublants. Mais quand on évite le redoublement, on n’a pas résolu pour autant les problèmes d’apprentissage. Depuis le milieu des années 1980, les redoublements ont ainsi beaucoup diminué, mais les écarts de niveau entre les élèves en fin de collège se sont creusés… Les compétences du socle commun et le livret qui en atteste la maîtrise ne sont pas des solutions miracle. Au contraire, tout cela risque d’accentuer les inégalités entre les élèves, entre ceux qui s’approprieront de réelles connaissances et ceux dont on n’exigera que la maîtrise pratique de quelques savoir-faire ou bonnes manières.

ÉÉ : Dans la France de l’après-guerre, la formation des futurs ouvriers et employés est le produit de l’opposition de deux conceptions : celle « scolariste » de l’Etat et celle « professionnaliste » du patronat. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les conceptions de l’Etat n’ont-elles pas rejoint celles du patronat ?

Cécric Hugrée : C’est à mon avis le fait central du cycle de réformes scolaires ouvertes depuis le début des années deux mille : l’option « professionnaliste », très ancienne, a plus que jamais le vent en poupe… au point d’ailleurs de ne plus être cantonnée aux sections professionnelles/technologiques ou à l’apprentissage puisqu’elle guide désormais les réflexions sur les cursus généraux. Le risque est bien sûr que la nouvelle hiérarchie des savoirs scolaires et universitaires soit dictée par un ensemble d’injonctions que les responsables locaux des politiques scolaires vont peu à peu faire leurs, au motif que l’on forme pour « employer ». Que l’on me comprenne, il faut ouvrir la discussion sur les savoirs scolaires, sur les programmes et les manières d’enseigner. Il me semble par exemple qu’on ne peut se satisfaire que l’écart entre les moins bons lecteurs et les meilleurs lecteurs au primaire connaisse l’accroissement de ces dernières années. Il me semble également que les dispositions critiques des élèves face aux informations « en ligne » par le biais des réseaux sociaux ou des recherches sur internet doivent faire l’objet d’une formalisation qui permette à ces savoirs désormais décisifs d’être enseignés par des professionnels… de ces savoirs ! C’est-à-dire des personnes formées et réflexives et pas seulement focalisées par l’acquisition de quelques compétences « cliquer », « copier/coller », etc. Il me semble enfin impensable que la quasi-totalité des élèves du lycée général (notamment les L et ES et certains S) soit dispensés d’enseignement dits « techniques » qui n’en sont pourtant pas moins théoriques [6]. Bref, il faut à tout prix résister à la tentation de soumettre les savoirs scolaires ou leur orientation à des impératifs économiques ciblés et ouvrir urgemment un débat politique sur ce que l’école du 21è siècle doit transmettre et comment elle doit le faire. Je vais prendre un exemple que je connais bien : les enseignements liés à ma discipline, la sociologie. J’insiste pour que les étudiants que j’ai en cours prennent au sérieux les savoirs liés à la problématisation (poser une « bonne » question), les savoirs liés aux méthodologies (utiliser la bonne technique d’enquête : statistique, ethnographique, archive) car ces enseignements sont constitutifs de notre discipline. Ces enseignements sont aussi les meilleurs garants pour leur vie professionnelle future. J’apprends donc à des étudiants à bien mener une enquête par questionnaire, à faire de bonnes analyses de leurs données. Mais, je n’apprends pas à faire des « études de marché », « des évaluations statistiques de programmes publics » ou tout un tas de choses qu’ils feront dans leur vie professionnelle. Ce sera aux employeurs de les former à leur domaine particulier et à leurs « commandes » précises. Il ne faut pas oublier la responsabilité des employeurs en matière de formation !

Troisième partie. « Je lutte des classes » : Des bancs de l’école aux mobilisations collectives

ÉÉ : Vous évoquez un affaiblissement de la conscience de classe chez les familles populaires. En est-il de même chez les familles issues des classes supérieures ? En quoi cela freine-t-il la démocratisation scolaire ?

Cédric Hugrée : Il est toujours malaisé pour les sociologues d’objectiver voire de quantifier la « conscience de classe ». Le sentiment d’appartenir au groupe ouvrier varie selon les époques et les calendriers socio-politiques. Il baisse ces dernières années, c’est certain. Tout semble indiquer que la bourgeoisie se présente bien comme la dernière des classes sociales, « capable d’exister comme réalité sociale, économique mais aussi symbolique », ainsi que l’écrivaient les sociologues Michel et Monique Pinçon-Charlot. Pour autant, la conflictualité au travail en France est encore importante. Ainsi, lors de la récente lutte contre la réforme des retraites, on a reparlé des inégalités d’espérance de vie, de celles liées aux de condition de travail, des maladies socio-professionnelles qui affectent prioritairement les classes populaires. On a même recommencé à parler de nos salaires. C’est pour toutes ces raisons que la notion de classes populaires reste une notion intéressante à mobiliser au delà des nouvelles catégories de désignation des victimes de la domination économique et symbolique que sont les mots « assistés », « nouveaux pauvres », etc. Cette notion renvoie nécessairement à un système des inégalités, que l’on peut désigner comme lutte de classe si l’on souhaite se référencer à une approche marxiste, ou comme lutte des classements s’il l’on préfère faire écho aux travaux de Pierre Bourdieu. L’école, elle-même, est un objet de très nettes concurrences entre les classes sociales. C’est particulièrement visible dans la géographie scolaire des pôles urbains où la déréglementation de la carte scolaire parachève la main mise de certaines catégories sociales très précises sur les établissements présentés comme des établissements de réussite… Le problème n’est pas que de tels établissements existent. L’enjeu d’une véritable politique éducative est de faire en sorte que les établissements des quartiers populaires puissent proposer les mêmes choses à leurs élèves en matière de savoirs, de contenus, d’ouverture culturelle. Et franchement, il y a des choses très concrètes à faire en matière d’offre de formation, de structures de séries qui permettraient de rééquilibrer le gouffre inadmissible qui sépare aujourd’hui les établissements du centre et ceux de la périphérie. Quelle est la différence d’heures de cours de français et de maths ou d’histoire reçues effectivement par un-e élève d’un collège « ambition réussite » et par un-e élève scolarisé-e au collège du Lycée Janson de Sailly dans le 16è arrondissement ? Sur quatre années, je fais l’hypothèse que c’est important et je ne prends pas beaucoup de risques, je crois.

ÉÉ : La frustration produite par l’écart entre les attentes des familles populaires et la réalité des parcours scolaires de leurs enfants ne se manifeste-t-elle pas aussi à travers des mobilisations de jeunes lycéens ou étudiants, qui sont récurrentes à partir du milieu des années 1980 ?

Tristan Poullaouec : Face aux difficultés d’apprentissage, beaucoup d’élèves se démotivent peu à peu. L’écart est de taille entre leurs attentes et la réalité des parcours scolaires. Seule la moitié des enfants d’ouvriers deviennent bacheliers, contre 88% des enfants de cadres. Et quand on détaille selon le type de bac, moins de 20% obtiennent un bac général (contre 70% parmi les enfants de cadres). Les frustrations sont profondes. Elles se traduisent généralement par l’absentéisme, le décrochage, voire les violences et la déscolarisation. Mais la crise scolaire se manifeste aussi de façon plus positive, à travers des mobilisations de jeunes lycéens ou étudiants. La jeunesse scolarisée montre ainsi son profond attachement au droit à étudier et sa demande d’égalité scolaire, contre les réformes libérales. Bien sûr, cette jeunesse conteste aussi la précarité qu’on leur impose en début de vie professionnelle. Mais face aux difficultés rencontrées sur le marché du travail, la plupart sont convaincus que le diplôme reste leur meilleure arme, a fortiori lorsqu’ils n’ont pas d’autres ressources à opposer à la domination patronale (patrimoine familial ou réseau de relations des parents pour accéder à l’emploi).

ÉÉ : La mobilisation contre la réforme des retraites semble avoir pris une tournure plus forte et radicale chez les ouvriers (les raffineries ont été à ce titre un secteur emblématique) et dans la frange populaire de la jeunesse (qui a eu de grandes difficultés à mobiliser dans les filières d’élite). Cela ne contredit-il pas l’idée selon laquelle il y aurait un affaiblissement de la conscience de classe dans les couches populaires ?

C.H. : Les enquêtes sur la conflictualité sociale, et notamment la conflictualité au travail, rappellent que les mobilisations sont loin d’être rares en France dans les dernières années. Si l’on regarde maintenant le mouvement contre la réforme des retraites, il a effectivement été tiré par des secteurs « ouvriers », tel que la pétro-chimie. Il s’agit d’un secteur où la présence syndicale est relativement importante (au regard des moyennes dans le secteur privé), avec une configuration assez peu commune en ce moment : ce sont de très grandes entreprises qui, indépendamment de la crise économique, affichent des résultats records et qui lancent de grands programmes de restructuration. Il y a là un ensemble de conditions qui rendaient plus probable qu’ailleurs, en ce moment, la mobilisation contre une réforme qui accentue les inégalités. Maintenant, il ne faudrait pas oublier que les enseignants, un peu en retrait de la mobilisation, étaient au cœur de la mobilisation en 2003 avec les cheminots. Et au-delà de ma prudence à employer l’expression de « conscience de classe », il reste difficile de conclure à une hausse ou une baisse de la conscience de classe à partir d’une configuration sociale et d’un mouvement. Il faut en fait trouver les bons « indicateurs », ce qui n’est jamais aisé. De mon point de vue, la double défaite des salariés du privé et du public sur les retraites en 7 ans, est loin d’avoir enterré l’idée d’une retraite à 60 ans, à taux plein. Mais, l’indice le plus net d’un regain de la conscience des intérêts propres aux salariés serait le retour de mobilisations nationales sur leurs salaires…

Propos recueillis par Mary DAVID et Marie HAYE


[1Lire à ce sujet « Langage et égalité des intelligences », L’école émancipée, n°19, entretien avec Jean-Pierre Terrail à propos de son dernier livre : De l’oralité, La Dispute, 2009.

[2Comprendre l’échec scolaire La Dispute, 2007

[4La thèse de Cédric Hugrée est intitulée « L’Échappée belle ? Sociologie des mobilités scolaires et sociales des nouvelles générations populaires diplômées de l’Université (1970-2005) » (Université de Nantes, décembre 2010)

[5Ce qui les fait – inégalement – lire, PUR, à paraître.

[6Note de Marie Haye et Mary David : L’ÉÉ milite d’ailleurs pour que tous les élèves soient scolarisés jusqu’à l’âge de 18 ans, dans des lycées où ils reçoivent tous les enseignements : généraux, technologiques et professionnels

Messages

  • « Il nous faut donc trouver le moyen de mettre en œuvre efficacement la pédagogie explicite et rationnelle qu’appelaient de leurs vœux Bourdieu et Passeron dans les années 1960. »

    En parlant d’enseignement explicite, Bourdieu souhaitait un enseignement compréhensible et structuré, évoquant ainsi la pratique d’un enseignant clair dans ses explications. Ce qui est à l’opposé des pratiques constructivistes qui laissent patauger les élèves jusqu’à ce qu’ils découvrent par eux-mêmes ce que leur enseignant avait en tête… ou qu’ils se noient.

    Or, depuis Bourdieu, la recherche pédagogique sur l’efficacité en enseignement a beaucoup avancé. Notamment en Amérique du Nord où les travaux se poursuivent actuellement. De multiples études, analyses, méta-analyses, méga-analyses indiquent que la Pédagogie Explicite, telle qu’elle a été décrite par Barak Rosenshine dès les années 1980, est une pratique d’enseignement efficace auprès de tous les publics d’élèves, y compris ceux qui sont le plus en difficultés.

    Mais encore faut-il que ces nombreuses données probantes s’imposent tant auprès des décideurs que des enseignants sur le terrain, en France comme ailleurs. Ce qui n’est pas encore le cas, loin s’en faut.

    Pour ceux qui souhaiteraient approfondir leur réflexion, je me permets d’indiquer le site Form@PEx qui contient, en accès libre, de nombreux documents sur cette question des pratiques efficaces en enseignement, et notamment sur la Pédagogie Explicite (PEx).

    Voir en ligne : Site Form@PEx

    • des informations par rapport au message publicitaire précédent :
      Extrait ;
      Le site est équipé d’un formulaire d’inscription et d’un module de paiement sécurisé opérationnels.
      Il est désormais possible de souscrire aux services disponibles.
      Soyez donc les bienvenus !

      Par contre pour ceux que ça intéresse, quand Bourdieu se risquait à la prescription en matière d’enseignement ça donnait ça : le rapport Gros/Bourdieu rien de révolutionnaire, rien que le petit peu qu’on peut (rien à voir non plus avec le boubiboulga du site susmentionné : leçon toute prête, discours de l’OCDE resucés, et même le rapport " a nation at risk" extait :

      La formation d’une main-d’œuvre de qualité constitue un atout dans la compétition internationale. Le rapport A Nation at Risk prône en ce domaine un retour au réalisme. Il faut revenir aux fondamentaux (back to basis).

    • Le GRDS souhaite contribuer au développement de la réflexion collective sur les moyens d’une véritable démocratisation de l’accès aux savoirs de la culture écrite. Il nous paraît bénéfique à cet égard que les textes que nous publions en ligne puissent être librement débattus et critiqués.

      Les forum à disposition des visiteurs du site ont vocation à favoriser le débat. Aussi n’entendons-nous pas exercer de censure sur les interventions proposées par tel ou tel, mais à deux conditions : que l’auteur s’identifie clairement ; et qu’elles soient effectivement consacrées à la discussion des idées, arguments et thèses proposés par le texte que l’on a entrepris de commenter.

  • Merci pour cet article ! Fils d’ouvriers, je considère que j’ai connu (et que je connais encore) un parcours scolaire exceptionnel. Je remercie encore chaque jour mes facilités de compréhension. Celles ci m’ont permis, sans trop d’efforts, de décrocher un Bac L mention TB, puis d’effectuer une CPGE littéraire et de continuer aujourd’hui mes études dans un IEP. Mais malheureusement, j’ai l’impression de faire partie d’une minorité, voire d’être un rescapé de ce système scolaire élitiste. J’ai pu durant mes années d’écoles fréquenter des établissements très différents : un collège implanté dans un quartier très populaire, un lycée plus hétérogène, puis une classe préparatoire déjà beaucoup moins mixte socialement pour enfin atterrir à l’IEP de Lille, où la majorité des étudiants est visiblement issue des classes supérieures. Je suis donc très sensibilisé sur les thèmes que vous abordez dans cet article et y adhère tout à fait. Mais j’aimerais ajouter un aspect à votre développement : celui du déchirement que l’on peut rencontrer après un tel parcours. A la fois me sentant différent de mon milieu d’origine et ne partageant pas tout à fait le même habitus que les autres étudiants d’une grande école, j’ai fini par en perdre mes repères et à ne plus savoir qui je suis.. De fait, je me demandais si a contrario d’un système scolaire français encore trop inégal et sélectif, une ascension sociale trop soudaine n’était pas, elle aussi, difficilement gérable ? J’ai l’impression que l’adaptation d’un milieu à un autre peut s’avérer parfois difficile sans l’existence d’un "sas de décompression" que l’école ne peut malheureusement point fournir...

    DonStefano