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Mouvement social et politique : la rencontre nécessaire

mercredi 29 avril 2009, par José Tovar

Les luttes qui se développent depuis plus de deux mois dans l’éducation, de la maternelle à l’université, posent des questions de société fondamentales concernant la place des services publics, le rôle des savoirs dans la conception même de l’économie et de la société, la recomposition du salariat. Mais le manque de débouchés politiques montre, une fois de plus, l’urgence d’une véritable alternative dans laquelle le mouvement social devrait prendre toute sa part.

Les réformes engagées touchent aux fondamentaux du service public national d’éducation et de formation : réformes de l’école élémentaire, du collège et du lycée sur la base d’une refonte réductrice des programmes ; autonomie et mise en concurrence des établissements entre eux ; mise en place de la LRU impliquant le développement du financement privé des universités et une recherche assujettie aux règles de la compétitivité et du marché… Toutes ces mesures posent, a priori, une conception nouvelle des apprentissages et des savoirs nécessaires aux individus en fonction de la place qui leur est assignée dans le système de production et dans la société (d’où la réforme de la formation des enseignants). Les élèves issus des milieux favorisés, auxquels s’ajouteront les plus « méritants » provenant des classes populaires, trouveront dans les établissements réservés à l’élite, ou dans le privé, les contenus de formation nécessaires pour perpétuer leur système de domination dans l’optique néolibérale en vogue. Quant aux autres, ils devront se contenter de l’« ordinaire », assuré par le service public transformé afin de faciliter l’apprentissage des conduites, comportements et valeurs véhiculés par les nouveaux modèles d’organisation des scolarités : individualisation, flexibilité, soumission à l’autorité, division du travail et mise en concurrence des personnes, conformité aux standards idéologiques, économiques et sociaux dominants.

C’est bien d’une véritable révolution dans la conception même du système éducatif dont il est question ici, conforme en tout point aux recommandations formulées au niveau européen par les agendas de Bologne (1998) et de Lisbonne (2000), visant à « construire l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde » [1] : une réforme globale, pièce essentielle du projet de refondation sociale mis en oeuvre par le gouvernement Sarkozy. D’où l’acharnement à vouloir l’imposer malgré l’opposition de l’immense majorité des acteurs de la communauté universitaire. C’est contre les effets les plus inacceptables de cette politique (suppressions massives de postes, appauvrissement des enseignements, réforme liberticide du statut des enseignants-chercheurs, privatisation rampante, marchandisation du savoir…) que continue et se durcit la mobilisation des enseignants et des étudiants aujourd’hui, mettant en cause ses principes mêmes.

Mais force est de constater que l’absence de projet alternatif visible constitue, une fois de plus, un handicap qui fait obstacle au succès des luttes. C’est que, sur le fond, ces réformes font l’objet d’un consensus implicite entre les forces de la droite libérale autoritaire et celles du social-libéralisme [2]. D’autres propositions de réformes existent, allant dans un sens progressiste, avancées notamment par les syndicats ou par le réseau école du PCF. Mais, faute d’être portées par un projet politique unitaire et cohérent, elles restent ignorées des médias et confinées dans des cercles restreints de militants et de spécialistes. Face à un pouvoir autoritaire, s’appuyant sur des institutions taillées sur mesure et bien déterminé à ne rien céder sur l’essentiel, l’impasse est mortifère. Il est temps aujourd’hui d’affronter cette question ouvertement, sous peine d’aboutir à de nouveaux reculs de civilisation et à la résignation face aux dogmes de l’idéologie libérale.

Les divisions du mouvement syndical résultant des relations de dépendance plus ou moins étroite qui ont marqué, tout au long du XXe siècle, les rapports entre syndicats et partis politiques ont ancré aujourd’hui dans les esprits le dogme selon lequel « le syndicalisme ne doit pas faire de politique », le rôle des partis étant, au mieux, de relayer en termes réglementaires au niveau des institutions du pouvoir d’État, les revendications syndicales [3]. Le mouvement social ne peut se substituer au politique. Mais pour être totalement crédible, la plupart des organisations qui l’animent sont amenées à expliciter les conditions politiques qui permettraient la mise en oeuvre des revendications qu’elles avancent. Rien ne justifie donc cette division des rôles paralysante et mortifère.

On peut comprendre que le poids d’une histoire (soumission du syndical au politique et manipulations diverses tendant à instrumentaliser les syndicats et associations au service d’objectifs politiques, voire politiciens) ait creusé des fossés de méfiance entre ces deux instances de l’action des hommes pour leur émancipation économique et sociale. Mais l’indépendance totale d’organisation, de réflexion et d’initiative des uns et des autres est aujourd’hui un principe qui s’est imposé. La possibilité de discuter d’égal à égal pour parvenir à des stratégies d’action convergentes, voire - pourquoi pas - des propositions alternatives communes, devient aujourd’hui crédible, et refuser cette perspective par crainte de retomber dans les dérives d’antan paralyse toute perspective d’évolution du rapport des forces en faveur des transformations nécessaires. Jusqu’à quand ?

L’humanité, 16/04/2009

José Tovar, syndicaliste, secrétaire national du réseau école du PCF.

Notes :


[1Les mêmes tentatives visant à imposer des réformes similaires sont en oeuvre dans d’autres pays d’Europe (Espagne, Italie, Grèce…), provoquant des mobilisations importantes.

[2Vingt organisations syndicales et associatives de la mouvance réformiste regroupées autour du mot d’ordre « De l’ambition pour les lycées » travaillent à l’élaboration de contre-propositions au plan Darcos sur le lycée qui, gommant ses aspects les plus inacceptables, restent fondamentalement dans la même logique. Par ailleurs, plusieurs d’entre elles ont décidé d’organiser des Assises nationales de l’éducation à Paris le 6 juin 2009, sous la houlette du Réseau des villes éducatrices présidé par Y. Fournel, maire adjoint (PS) de Lyon.

[3Cette remarque vaut particulièrement pour la France, la doctrine sociale-démocrate ayant une pratique beaucoup moins rigide dans d’autres pays, où les syndicats peuvent être y compris partie constitutive du parti politique, mais la soumission du syndical au politique reste la constante.