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Réponse à Denis Paget et à Pascal Binet

jeudi 16 juin 2011, par José Tovar

Énième réforme du lycée ou refondation du système éducatif ?

La contribution de Denis Paget « Une nouvelle voie pour le lycée » part d’un constat bien réel : l’histoire du dernier siècle montre que, en chaque occasion, l’extension de la scolarisation des jeunes dans le second degré puis dans l’enseignement supérieur s’est faite par le moyen d’une diversification des voies et filières de formation, et que chaque fois qu’il y a eu « resserrement des séries », et uniformisation des parcours, ( qui est la tendance actuelle ) on observe, à l’inverse, un recul de la démocratisation. Dont acte donc, sur ce point peu discutable. On regrettera simplement l’absence de toute réflexion sur la stratégie de transformation du système éducatif ainsi délibérément mise en œuvre, en particulier dans les années 1960/70, avec l’objectif assumé d’élever le niveau de qualification de la masse des jeunes, mais tout en conservant au système son caractère élitaire et sélectif, fonction qu’il continue d’assurer parfaitement. Nous pensons, pour ce qui nous concerne, que l’expérience historique décrite ne fait pas preuve pour l’avenir : c’est seulement parce que – de manière tout à fait délibérée et pour des raisons politiques – les problèmes n’ont pas été véritablement abordés en amont [1] que la prolongation des études n’a pu se faire que dans des filières moins ambitieuses intellectuellement. Si la question qui en découle : « Pouvait-il en être autrement ? » intéresse pour l’essentiel les historiens de l’éducation, d’autres restent posées, et elles nous intéressent : « Peut-on aujourd’hui transformer le système pour qu’il en soit autrement ? À quelles conditions ? Quelles propositions pour y parvenir ? ».

Face aux blocages actuels, Denis propose, pour relancer la démocratisation du lycée, de s’appuyer sur une démarche de rénovation des contenus de la culture générale commune dans les lycées qui serait conçue – entre autres – comme un outil de rapprochement des trois voies, ce qui montre que, même dans sa problématique, la question de leur hiérarchie (qualifiée, sans doute par euphémisme, d’ « implicite » !) demeure posée. Connaissant Denis et ses travaux antérieurs, on concèdera qu’implicitement – même si ce point n’est pas abordé dans l’article –, il propose également que cette rénovation commence plus en amont, au moins au niveau du collège, dans une conception qui s’oppose totalement à la politique gouvernementale du « socle commun » aujourd’hui mise en œuvre. Mais cela ne change rien au problème : cette stratégie nous paraît inefficace.

Tout le raisonnement repose en fait sur une ambigüité savamment entretenue dans le texte : absence d’analyse des raisons qui expliquent le tri des élèves vers des formations différenciées à l’issue du collège et constat de « la réussite ou l’échec des lycéens en matière de culture générale commune » au lycée qui expliquerait à la fois cette hiérarchie entre les trois voies et le « blocage dans l’accès aux études supérieures » pour certains d’entre eux. Denis escamote ainsi le problème principal : ce sont bien les inégalités constatées en amont du lycée et sanctionnées, sur cette base, par « l’orientation » plus ou moins forcée des élèves en fin de collège qui justifient la hiérarchie constatée ! Du coup est écartée toute problématique conduisant à remettre en cause la cohérence profonde du système, fondée sur le maintien des inégalités à l’école de la maternelle à l’université. Ainsi, à trop vouloir traiter de la démocratisation uniquement au niveau du lycée, il s’enferme dans une équation impossible, qui admet implicitement le caractère inéluctable des inégalités scolaires et, sous couvert d’une démarche pragmatique, raisonne, comme nous le disons par ailleurs, en termes d’adaptation du lycée actuel à une visée plus démocratique [2]. Et non en termes de transformation du système. La proposition que fait Denis apparaît dès lors comme un leurre susceptible, au mieux, d’améliorer de quelques points les taux de réussite d’une frange d’élèves issus des filières technologiques ou professionnelles dans leur accès à des études supérieures, mais sans rien changer sur le fond.

C’est ce qu’a bien compris Pascal Binet dans sa contribution qui, tout en disant « s’inscrire dans la logique proposée par Denis Paget » (on ne remet pas en cause ce qui se passe avant le lycée), propose une organisation de la culture commune à tous couvrant quasiment la totalité de l’horaire d’enseignement des élèves, en seconde comme en première, et un bac complet reposant sur toutes les disciplines enseignées en fin de première, ce qui revient à dire qu’il n’y a plus – à une nuance près (le choix entre une majeure et une mineure en première) qu’une seule voie de formation pour tous les élèves jusqu’à ce niveau, la classe de terminale étant ensuite fondée sur un choix d’options lourdes permettant d’en faire le premier palier d’orientation. C’est, pour l’essentiel, ce que nous proposons nous-mêmes. A la différence près que, au GRDS, nous insistons sur l’idée qu’une telle perspective n’est crédible que si l’on résout l’essentiel du problème des inégalités avant l’arrivée au lycée [3]… sauf à faire semblant de croire qu’on peut résorber ces inégalités en deux ans au niveau du lycée ! [4] Dans ces conditions, le risque serait grand que le niveau des élèves les plus faibles ne tire l’ensemble vers le bas, alors que notre objectif est de tirer tout le monde vers le haut…

Nous sommes donc bien, ici, dans l’alternative entre deux stratégies politiques :

-  la première, défendue par Denis Paget, qui vise à adapter le lycée à la diversité des élèves qui y accèdent dans une visée de réduction, autant que faire se peut, des inégalités grâce à un travail de refondation des contenus des disciplines constitutives de la culture générale commune (moins « d’académisme » et plus « d’ouverture sur la diversité des champs et des pratiques de la culture contemporaine »).

-  La seconde, que nous préconisons au GRDS, qui vise à une transformation radicale dont l’objectif est d’en finir avec un système qui ne lutte pas contre les inégalités d’origine socio-culturelles à l’école mais au contraire les entérine et s’appuie sur elles pour organiser la sélection sociale, et se donne pour objet d’ouvrir des perspectives nouvelles en travaillant les voies et moyens de parvenir à cette ambition démocratique.

Ce débat est fondamental, et nous entendons le mener sans complaisance. J’aurais même tendance à penser, pour ce qui me concerne, que ces deux options stratégiques ne sont pas nécessairement contradictoires.


[1Remarquons par exemple que les conditions d’études faites aux élèves issus des milieux populaires dans les nouveaux collèges puis dans les lycées construits dans les années de la massification n’avaient qualitativement rien à voir avec celles qui avaient toujours existé pour les enfants de la bourgeoisie accueillis dans les établissements de second degré (qualité des locaux, études surveillées, répétiteurs, etc.).

[2Voir dans cette rubrique Jean-Pierre Terrail, Pas de collège unique sans lycée unique.

[3Voir sur ce point l’article fondateur de Jean-Pierre Terrail : Une seule solution démocratique : l’école commune.

[4Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait rien à faire dans la lutte contre l’échec scolaire et la résorption des inégalités au niveau du lycée, mais comme le souligne fort justement Denis Paget lui-même dans sa contribution, « une fois que le constat de l’échec est avéré dans tel ou tel domaine, cette mise à niveau ne se fait pas de la même façon à 12 ans, à 16 ans et à 20 ans ».

Messages

  • De la part de Denis Paget.
    Je trouve la réponse qui m’est faite bien doctrinaire, hors du réel et faisant peu de cas de l’histoire ancienne et récente du système éducatif.
    Je me méfie des formules du type "refonder le système éducatif" qui s’apparentent à une sorte de table rase où le réel n’est jamais vu que comme un obstacle à détruire et non pas comme un objet traversé des contradictions de ses défauts et de ses potentialités.
    Il est vrai que les sections professionnelles et technologiques sont souvent le refuge des élèves de milieu populaire rejetés par le général mais beaucoup y réussissent qui auraient échoué ailleurs. Dans les BTS où j’enseigne il y a 50% de bac professionnels ; ils obtiendront leur BTS et beaucoup feront une licence professionnelle.Le problème est bien dans la façon dont les filières générales se rendent inaccessibles à ces élèves. Quand je propose une réforme profonde des contenus et une réflexion sur les pratiques pédagogiques, quand je propose également de valider de façon différenciée mais séparée la "culture générale commune", j’essaye d’apporter des réponses. Sortir le lycée professionnel de son relatif enfermement est souhaitable mais il y faudra beaucoup de temps.
    Par ailleurs l’accusation qui m’est faite de ne voir la démocratisation que comme un problème du lycée me stupéfie. J’ai proposé un article sur le lycée à la demande de certains membres de votre groupe mais c’est évidemment bien avant qu’il faut réduire l’échec scolaire. J’ai fait des propositions très concrètes dans mon livre "collège commun, collège humain" que personne jusqu’ici n’a voulu discuter. Si l’audace révolutionnaire consiste à ne pas tenir compte de l’expérience professionnelle de ceux qui combattent les réformes jusque dans leur classe, je préfère être réformiste.
    Denis Paget

    • Merci à Denis Paget de prendre la peine de revenir dans ce débat sur le lycée unique. Je m’y introduis à mon tour. La réaction de Denis aux propos de Pascal Binet et de José Tovar a l’avantage de mettre en exergue l’argument essentiel qui est opposé aux propositions du GRDS en faveur d’un cursus unique dans le secondaire, débouchant sur un bac de culture générale et technologique en fin de première et une terminale à trois grandes options préfigurant les orientations ultérieures. Voilà donc le problème : mettre en place un tel tronc commun implique la disparition du dispositif actuel des filières. Que va-t-on faire alors des élèves qui trouvent aujourd’hui dans les filières professionnelles et technologiques leur seule voie possible de salut ?

      Il vaut certainement la peine, puisque visiblement il y a là un point d’achoppement essentiel dans le débat sur les perspectives de démocratisation de l’école, de revenir, à partir des objections de Denis, sur quelques aspects de la démarche qui nous a conduits, au GRDS, à proposer le projet d’une « école commune ».

      1/ Adoptons la perspective historique que souhaite Denis. Le dispositif actuel des filières est le produit du décret Berthoin de 1959 qui annonce la généralisation de l’accès au secondaire, et internalise la sélection sociale. On voit facilement aujourd’hui combien ce dispositif de filières est l’analogue du dispositif des réseaux de scolarisation des Troisième et Quatrième République (primaire/primaire supérieur/secondaire). L’objectif est le même – organiser et garantir les inégalités d’accès aux savoirs élaborés, les attendus du décret Berthoin étant parfaitement explicites à cet égard, ainsi que les propos de De Gaulle lui-même sur ce sujet. Et les résultats sont très probants : avec une grande efficacité statistique (rappelons que 22% des enfants d’ouvriers et 72% des enfants de cadres décrochent aujourd’hui un bac général) le processus évaluation/classement/orientation ventile aujourd’hui les publics de l’école unique dans la hiérarchie des filières en fonction des origines sociales. Aussi y a-t-il deux façons d’apprécier le rôle de l’enseignement professionnel : voué à accueillir un public populaire, il est à la fois le lieu de relégation des exclus et leur seule voie de salut. Ces deux désignations sont tout aussi pertinentes l’une que l’autre : on ne saurait donc opposer l’une à l’autre, et oublier que parce qu’il récupère, rattrape ou réhabilite un certain nombre de jeunes, l’enseignement professionnel tel qu’il est aujourd’hui conçu est la marque d’une politique et d’une école de classe.

      2/ Les inégalités devant l’école n’ont pas varié depuis plus d’un demi-siècle malgré toutes les entreprises de « lutte contre l’échec scolaire ». On peut y voir un fait de nature biologique (théorie des dons) ou de nature sociale (théorie du handicap socioculturel). On peut tout aussi bien penser que le dispositif de sélection mis en place par l’école unique s’est avéré d’une efficacité redoutable. C’est cette seconde appréciation qui est la nôtre au GRDS, convaincus que nous sommes que tous les élèves sont capables de réussir normalement les apprentissages de la culture écrite (voir notamment à ce sujet ma recherche De l’oralité. Essai sur l’égalité des intelligences). C’est là un point crucial de la discussion. Posons la question à Denis : pense-t-il lui aussi que tous les élèves peuvent réussir ? Et si oui, quelles conséquences en tire-t-il pour sa part ?

      3/ Pour ce qui nous concerne, à partir du moment où tous les élèves arrivent à l’école avec le potentiel d’intelligence permettant de réussir des études longues, la seule question qui se pose est de savoir comment parvenir à réaliser ce possible, sachant à la fois :
      -  que c’est là l’exigence aujourd’hui de plus de 85% des familles dans tous les milieux sociaux ;
      -  et que, de la même manière que le patronat français de la fin des années 1950 suspendait le développement du potentiel productif national (et de ses capitaux) aux progrès (inégalitaires) de la scolarisation, il importe aujourd’hui de considérer combien l’avenir démocratique de notre économie et de notre société, et la survie même de notre planète, dépendent absolument d’une promotion massive (et donc égalitaire) de la formation culturelle, scientifique et critique des jeunes générations.

      4/ Pour aborder cette question, nous partons au GRDS de ce constat : tout en échouant à réduire l’inégalité des chances, l’instauration de l’école unique a permis d’élargir considérablement l’accès aux savoirs élaborés. C’est cet élargissement qu’il s’agit aujourd’hui de poursuivre et d’intensifier, en prenant la mesure des contradictions nouvelles qu’il a faites surgir et des moyens de les dépasser. Nous inscrivons bien, comme le souhaite Denis, notre projet d’école commune dans le mouvement réel de notre système éducatif, en nous demandant ce qui, dans ce mouvement réel, a fait obstacle à une véritable démocratisation, et cantonné la masse des enfants des classes populaires aux filières les moins valorisées parce qu’elles débouchent sur les emplois les plus vulnérables et les plus exploités.

      5/ Or l’on mesure très précisément aujourd’hui combien les orientations ultérieures se jouent dès – et pour l’essentiel dans – l’enseignement élémentaire, au long duquel les inégalités culturelles et cognitives moyennes entre un enfant d’ouvrier et un enfant de cadre sont multipliées par deux. C’est là que se joue les destinées scolaires (voir à ce sujet l’ouvrage de Tristan Poullaouec, Le diplôme, arme des faibles) et l’avenir démocratique de notre système éducatif. C’est là qu’il faut en priorité identifier ce sur quoi achoppent les apprentissages des enfants des classes populaires. C’est là d’abord, et non au collège, auquel Denis nous renvoie, que s’opère aujourd’hui la sélection sociale et que se décidera demain si la perspective d’un lycée unique est réaliste ou non. Nous avons avancé sur ce site, concernant les conditions d’une amélioration massive des apprentissages élémentaires, un certain nombre d’éléments de réflexion. Qu’en pense Denis ?

      6/ Parce qu’il n’y a aucune perspective significative de démocratisation scolaire sans remise en cause des principes structurant l’école unique, et notamment de la concurrence entre les élèves (au sein des classes, des établissements, et entre les établissements) ; et parce que la transformation de l’école ne peut se faire qu’à partir du début, c’est-à-dire des enseignements élémentaires, je persisterai à parler d’exigence de « refondation du système éducatif », dussé-je me faire traiter de « dogmatique ».

      7/ C’est bien non pas d’aménagements mais d’une grande réforme démocratique de l’école dont notre pays, à mon sens, a besoin. Historien du système éducatif, Jean-Michel Chapoulie fait souvent observer qu’en France les réformes scolaires mûrissent sur plusieurs décennies : l’école unique a maintenant cinquante ans, et il est peut-être temps de hâter la fin du cycle. Les partisans d’une école démocratique, quant à eux, déclarent volontiers leurs affinités avec le Plan Langevin-Wallon. Soixante-cinq ans après, les objectifs de ce dernier sont loin d’avoir été réalisés : vouloir aujourd’hui s’en rapprocher n’est pas, pour reprendre la formule de Denis, d’une « audace révolutionnaire » folle. D’autant qu’au moment où la réforme sera entreprise, elle devra nécessairement démarrer par le CP, et qu’il faudra neuf ans pour que ses premiers bénéficiaires arrivent au moment où leurs aînés sont aujourd’hui orientés vers l’enseignement professionnel, douze ans pour qu’ils entrent dans l’enseignement supérieur. Le Plan Langevin-Wallon aura alors 80 ans, en supposant que l’école commune soit instaurée à la prochaine rentrée…

    • De la part de Denis Paget, en réponse à Jean-Pierre Terrail
      Je peux répondre sur deux points dans le sens de Jean-Pierre sans trop hésiter :
      1)Je suis évidemment convaincu, comme il l’est, que tous les élèves peuvent et doivent réussir leurs études, qu’il n’y a aucune limite connue qui supposerait que même des enfants atteints de handicap pourraient ne pas réussir ; je pense même que beaucoup d’adultes qui ne les ont pas réussies pourraient les reprendre à partir de leur expérience professionnelle ; je pense également qu’un des défauts majeurs de notre système c’est le caractère toujours définitif des verdicts scolaires (plus dans notre pays que dans d’autres équivalents...) et ’impossibilité de "rejouer les épreuves de la scolarité " comme le dit Dubet. (voir sur ces sujet le livre du GFEN "pour en finir avec les dons, le mérite...auquel j’ai tenté de contribuer).
      2) Je suis également d’accord avec lui pour considérer que les inégalités scolaires se construisent très tôt et que c’est dès les débuts de l’Ecole qu’il faut agir ; je constate néanmoins que, dans l’opinion, on exonère très vite l’école maternelle et l’école élémentaire de l’échec scolaire ; pour ma part, j’ai tenté de faire des propositions sur le collège car j’y ai enseigné 17 ans, dans un collège de périphérie de grande ville et les réflexions que je publie trouvent leur source dans mon expérience concrète de l’enseignement et dans mon expérience de syndicaliste du secondaire ; je n’ai pas les moyens de dire ce qu’il faudrait faire pour que le premier degré aille mieux même si j’ai quelques idées sur l’enseignement de la lecture et de la langue en général puisque je suis professeur de français.
      Mais une fois que j’ai affirmé ces grands principes, je me pose des questions auxquels je n’ai pas toutes les réponses :
      a) Quand on dit que tous peuvent réussir leurs études, que dit-on exactement ? Qu’est-ce que réussir au collège, au lycée ? Si je suis la pente des propositions du GRDS, seuls aujourd’hui réussiraient vraiment ceux qui obtiennent un bac général parce que les autres bacs seraient entachés par la présence majoritaire d’enfants d’ouvriers ou soupçonnés de contribuer à la division sociale du travail aux dépens des enfants issus des milieux populaires ; tout au plus pourrait-on leur concéder des vertus réparatrices d’une part de l’exclusion dont ces jeunes auraient été victimes.Et même dans un schéma où il y aurait 3 options seulement en terminale, on pourra toujours en soupçonner certaines d’être plus prometteuses que d’autres et réservées à l’élite. Dira-t-on alors que les deux autres ne sont que des filières de l’échec et de la reproduction sociale ? Un bac techno industriel aujourd’hui ou un bac ST2S ou un bac Arts Appliqués et même certains bac professionnels ne sont pas des filières dévalorisées ; ils conduisent à des STS, des DUT, et des poursuites d’études qui sont autrement valorisées que certains bacs généraux qui entament ensuite des études à l’université ; et si je me situe dans la logique de l’école unique prolongée, allons alors jusqu’au bout et dénonçons un système d’études supérieures qui me paraît infiniment plus radicalement sélectif que celui des divers lycées, et pas toujours en faveur des bacs généraux.
      b) Je m’interroge aussi sur une stratégie concernant les lycées qui me rappelle singulièrement la réforme Haby de 75 et les diverses réformes des collèges du milieu des années 80 ; la démonstration est faite depuis longtemps que l’unification des structures ne conduit pas nécessairement à la démocratisation scolaire ;A. Prost a même montré sur l’exemple orléanais que la démocratisation des collèges avait été plus forte avant l’unification des structures qu’après.Les progrès de scolarisation des années 85-95 n’ont été réalisés que par la suppression autoritaire des 4è-3è technologiques et la réduction voire la suppression des redoublements ; le résultat a été un grippage rapide des progrès dès 1994 et une stagnation depuis ; pourquoi ? parce que c’est bien d’abord la question d’une amélioration des apprentissages qui est première (je crois que Jean-Pierre sera d’accord avec moi sur ce point) et cette amélioration n’a pas eu lieu même dans des structures unifiées. Je ne voudrais pas que nous poussions à commettre les mêmes erreurs au niveau du lycée en prônant inconsidérément une fusion de toutes les voies du lycée ( que les différentes réformes ont d’ailleurs en partie amorcée puisque la réforme Chatel a bien prévu un tronc commun d’enseignements généraux).Quand Jean-Pierre écrit "Les inégalités devant l’école n’ont pas varié depuis plus d’un demi-siècle malgré toutes les entreprises de lutte contre l’échec scolaire", je ne conteste pas le constat mais l’idée qu’il y aurait eu des tentatives de lutte contre l’échec ; je crois que c’est précisément ce qui a manqué.
      c) Ma dernière interrogation porte sur ce que je sais des adolescents avec lesquels je travaille tous les jours : quel que soit leur milieu d’origine, je ne sens pas en eux l’envie que tout le monde fasse les mêmes études jusqu’en terminale ; ils veulent des choix possibles ; ils ont des envies, des passions, des goûts qui sont de puissants moteurs de réussite ; imposer à tous le même menu me paraît absolument improbable ; c’est d’ailleurs le défaut majeur de la nouvelle seconde qui impose à tout le monde de faire 2 langues, des Sciences de la vie, de l’économie aux dépens des enseignements choisis dont les horaires ont été divisés par deux ; il n suit une fragmentation catastrophique et démotivante pour les enseignants comme pour les lycéens. je ne peux faire abstraction de cette expérience qui est elle de tous les professeurs de lycée. Un élève qui choisit une option technologique (création industriel ou étude des systèmes informatiques...), c’est un choix motivé non pas directement par ses origines mais par ses centres d’intérêts. Pourquoi se priver d’un tel moteur ?
      Voilà donc quelques questions venues du quotidien d’un professeur et d’un militant qui a toujours fait de l’objectif de démocratisation l’idéal de son métier.
      Denis Paget
      c)

    • D’abord, pardon de revenir dans le débat longtemps après. Je partage complètement l’objectif d’école unique, aussi longtemps que possible, au plus près du moment du choix "professionnalisant". Je considère comme régression toute réforme visant à séparer des cursus avant le choix professionnalisant, dans la mesure où je crois qu’il n’y a pas de culture commune possible sans interactions au quotidien entre individus, aussi "pénibles" que cela puisse paraître aux plus favorisés d’entre nous. Pour autant, il y a un état des lieux à faire. Et nos collègues de collège et de lycée ne gèrent pas, aujourd’hui, l’hétérogénéité des classes. C’est même une difficulté réelle pour ceux qui en font une clé de voûte de leur identité professionnelle (ma pomme, en toute immodestie), aussi équipés soient-ils sur les plans technique et théorique. La posture épistémologique, théorique et morphologique de l’accueil de tous dans sa classe quel que soit le niveau et la motivation des élèves est un pari qui fait peur au praticien quotidien qu’est l’enseignant de lycée, qui gère une homogénéité bien moins violente que l’enseignant de collège, en langue vivante, en cinquième ou en quatrième, par exemple. L’effort de formation à accomplir est considérable, et de long terme. Le moteur le plus puissant, comme toujours et particulièrement chez nous, est l’évaluation finale. Mais pour autant, l’idée même d’unicité du parcours est loin d’être simplement envisagée par la majorité d’entre nous. Et cela rend l’applicabilité d’un tel dessein particulièrement périlleux à court terme.
      Pour autant, il ne faut pas y renoncer. Mais il ne faut pas croire non plus que, d’un coup de baguette magique…
      Bonne suite de débat.