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Sur la vulgate socio-constructiviste (billet d’humeur)

lundi 5 décembre 2016, par Serge Cospérec

Un jour de septembre 2016, je traîne en salle des professeurs (j’y traîne souvent en quête de mes semblables). Mais ce jour-là personne... En revanche la table commune est noyée sous les spécimens « gracieusement » remis par des éditeurs soucieux de leurs ventes.

Je tombe ainsi sur cet ouvrage intitulé « Hatier Concours CRPE 2017 - Épreuve orale d’admission - Histoire ». Je le feuillette distraitement et je tombe sur le passage suivant page 78 :

Chapitre II. Maitriser les contenus pour réussir les concours / Thèmes 1 : Et avant la France ?

C’est la présentation du thème 1.


"ET AVANT LA FRANCE ?

La première partie du programme du cycle 3 réintroduit une notion qui fait appel à l’imaginaire d’une nation qui, sous la Troisième République, cherchait une identité antérieure à la monarchie capétienne. Si les Gaulois sont devenus les ancêtres objectifs de ce peuple français, les origines très lointaines de cette vieille nation européenne apparaissent comme une évidence avec de très grandes découvertes comme la grotte de Lascaux ou l’homme de Tautavel. L’ancienneté de l’occupation du sol national ne peut que justifier sa puissance européenne et mondiale. Cependant, les récentes découvertes archéologiques éclairent ces différentes périodes d’une histoire plus européenne que strictement nationale, comme le rêvaient les hommes de la fin du XIXe siècle."


Bien évidemment le propos de l’ouvrage n’est pas de soutenir l’ex-roman national que Sarkozy-Fillon souhaitent voir de nouveau enseigné (mais Fillon a précisé : j’ai dit « récit national » pas roman ou narration...).

Mais l’écriture de cette présentation est remarquablement équivoque et cela m’inquiète sachant que les lecteurs de l’ouvrage sont des étudiants (dont les connaissances historiques et les compétences de lectures sont souvent faibles).
Si on ne fait pas attention au fait que la dernière phrase implique (ou suggère) une réinterprétation éventuelle des affirmations précédentes, on a bien lu ceci :

- 1° Avec les nouveaux programmes on a « réintroduit une notion qui fait appel à l’imaginaire d’une nation »
- 2° « les Gaulois sont devenus les ancêtres objectifs de ce peuple français »
- 3° « les origines très lointaines de cette vieille nation européenne apparaissent comme une évidence avec de très grandes découvertes comme la grotte de Lascaux ou l’homme de Tautavel »
- 4° « L’ancienneté de l’occupation du sol national ne peut que justifier sa puissance européenne et mondiale. » [1]

La lecture du reste de l’ouvrage fait justice de ce qui aurait pu devenir un mauvais procès. Je considère alors que c’est simplement une maladresse fâcheuse et très étonnante pour des pédagogues patentés.

MAIS VOILÀ QUE JE LIS LA SUITE et tout spécialement la partie consacrée à la didactique (conception d’une séquence / exemple en vue du concours). Je croyais naïvement que des concepteurs de manuels se tiendraient un peu au courant des recherches en éducation. Or je constate qu’en 2016, ce manuel propose aux étudiants des modèles sévèrement datés ou, plus exactement, reprenant des conceptions qui se veulent « socio-constructivistes » mais qui relèvent en fait d’une vulgate dogmatique hélas très fréquente.

Ce qui m’ennuie  : c’est que je retrouve cela chez beaucoup de nos stagiaires.
Ce qui me console : c’est que je comprends mieux pourquoi certains d’entre eux (croyant bien faire) se croient obligés de monter des usines à gaz infernales, je parle des séquence d’une complexité invraisemblable et d’une lourdeur inimaginable pour arriver à un résultat microscopique.

Il est vrai que selon le dogme ici rappelé sur le mode de l’évidence : « La situation-problème est une situation d’apprentissage qui privilégie le moyen d’apprentissage avant le résultat » (cf. encadré ci-dessous). L’important n’est donc pas que les élèves en sachent plus au terme de la séquence (ce serait un résultat) car l’essentiel est dans la méthode, le chemin et cheminement (« le moyen d’apprentissage »).

Alors examinons cette proposition de pratique.

A. L’UTILISATION DE CONCEPTS PSEUDO-DIDACTIQUES

Je lis p. 17 :


"LES OBJECTIFS D’UNE SÉQUENCE

On peut distinguer trois types d’objectifs pour une séquence :
- des objectifs de savoirs, c’est-à-dire les connaissances que les élèves doivent acquérir lors de la séquence (idées principales, dates, éléments de vocabulaire) ;
- des objectifs de savoir-faire (apprendre à utiliser des outils spécifiques à la discipline, comprendre les méthodes, savoir les réinvestir) ;
- des objectifs de savoir-être (apprendre à travailler seul ou en groupe, respect, investissement, curiosité).
Ces objectifs ne sont pas exclusifs, mais certaines séances de la séquence peuvent privilégier tel ou tel objectif."


Je suis bien d’accord, ce n’est pas méchant. Mais tout de même :
- quelle est la légitimité scientifique (et même institutionnelle !) de cette triplette éculée ? Pourquoi en 2016 reprendre ces stupidités ?
- Et puis les « savoir-être »... en 2016... A-t-on réfléchi à ce que l’on écrit ? Par exemple, à ce que cette expression signifie exactement en français ? Et aux connotations qui lui sont associées et qui ne manqueront pas de façonner l’imaginaire de l’enseignement et de l’apprentissage ?
- quel est l’effet de ce discours prescripteur s’adressant à de futurs enseignants qui ont à apprendre la préparation d’une séance ?

B. LA VULGATE SOCIO-CONSTRUCTIVISTE

Je lis p. 21 :


"PARTIR DES REPRÉSENTATIONS DES ÉLÈVES
Partir des représentations des élèves sur une période, un personnage ou un fait historique peut être une situation motivante. Il s’agit de partir de ce que savent ou croient savoir les élèves, de leur proposer de vérifier avec les sources historiques disponibles (archéologie, textes anciens, objets) et de confronter ces représentations avec ce qu’ils auront appris pendant les séances d’histoire. Non seulement cela permet d’acquérir des connaissances plus justes mais aussi de comprendre le travail de l’historien.
Par exemple, on peut choisir cette démarche pour aborder l’étude des Gaulois. La majorité des élèves ont une représentation des Gaulois inspirée par Astérix et Obélix. Partir de ce qu’ils croient savoir puis mener une enquête en utilisant les sources dont l’historien dispose pour finalement rétablir la vérité des connaissances actuelles est une situation motivante et enrichissante.
LA SITUATION-PROBLÈME
La situation-problème est une situation d’apprentissage qui privilégie le moyen d’apprentissage avant le résultat. C’est une tâche complexe qui nécessite plusieurs types de connaissances, des obstacles à surmonter et qui amène l’élève à trouver les moyens de répondre au problème posé. Exemple : « Les Barbares, des sauvages ? » La situation-problème sollicite l’engagement des élèves, car une situation-problème bien menée implique qu’ils s’interrogent sur les outils dont ils vont avoir besoin pour répondre à la question. Poser une question sur un document n’est pas construire une situation problème, la tâche doit être plus complexe."


Je reprends ce passage :


"Il s’agit de partir de ce que savent ou croient savoir les élèves, de leur proposer de vérifier avec les sources historiques disponibles (archéologie, textes anciens, objets) et de confronter ces représentations avec ce qu’ils auront appris pendant les séances d’histoire. Non seulement cela permet d’acquérir des connaissances plus justes mais aussi de comprendre le travail de l’historien."


Je parle de vulgate car il y a bien entendu un postulat aux effets ravageurs qui sous-tend une telle représentation : les élèves auraient forcément des savoirs (ou ce qu’ils croiraient être des savoirs) au sujet de ce qu’ils vont apprendre.

Ce postulat non questionné se transforme en deux assertions dogmatiques :
1° ils en ont (on verra plus loin comment on les invente) ;
2° il faut les détruire (Delenda opinio est).

Ainsi se trouve justifiée la mise en place sur tout sujet de savants et lourds dispositifs de déconstruction-reconstruction des représentations.

Mais est-ce évident ?
1° Les élèves ont-ils toujours de telles représentations sur ce qu’on se propose d’étudier [2] ? A-t-on réellement constaté ce (trop) plein de représentations antécédentes, et justement sur tous les sujets étudiés à l’école ?
2° Et, lorsqu’ils en ont, s’agit-il forcément de représentations-obstacles, fortement résistantes, nécessitant une démarche ad hoc afin de surmonter ces terribles représentations initiales qui font obstacle au cheminement vers le savoir ?

Je ne conteste pas (on l’aura compris, je l’espère) la pertinence de ces affirmations par rapport à certains objets de savoirs ; et pas davantage l’intérêt de travailler ainsi dans certains cas. Je trouve problématique les effets sur les pratiques enseignants de la généralisation de ce discours et de sa forme prescriptive (fortement relayée sur « le terrain »).

Et j’ai bien l’impression que ces fameux « obstacles à surmonter » sont parfois inventés... ou pour être plus exact, on les postule en faisant des projections sur ce que croient ou pensent les élèves. On leur attribue ainsi des connaissances qu’ils n’ont pas et qu’il faudra, à grand renfort de dispositifs socio-constructivistes et de conflits inévitablement socio-cognitifs, absolument déconstruire.

AUSSI, je me demande si, en formation, ce ne sont pas les présupposés de cette vulgate qu’il faudrait commencer par déconstruire.

LE MANUEL HATIER EN DONNE UNE ILLUSTRATION :


"Par exemple, on peut choisir cette démarche pour aborder l’étude des Gaulois. La majorité des élèves ont une représentation des Gaulois inspirée par Astérix et Obélix. Partir de ce qu’ils croient savoir puis mener une enquête en utilisant les sources dont l’historien dispose pour finalement rétablir la vérité des connaissances actuelles est une situation motivante et enrichissante."


Il serait vain de nier que beaucoup d’élèves connaissent Astérix mais cela suffit-il ?

Quelques questions :
- d’abord de quel Astérix s’agit-il ? Celui des BD d’Uderzo-Goscinny (quels élèves lisent / ont lu cela ? Il y en a mais lesquels ? ) ? Celui des dessins animés proches de la BD ? Celui des 4 films - très différents selon les réalisateurs (avec Depardieu dans le rôle d’Obélix et dans celui d’Astérix Christian Clavier / Clovis Cornillac / Édouard Baer). Celui du Parc Astérix ?
- s’agit-il réellement d’un imaginaire au sujet des Gaulois fonctionnant comme un savoir pour les élèves ? Ce « savoir » est-il si prenant qu’il fasse obstacle au cours sur les Gaulois (et qu’il faille donc commencer par en partir pour mieux le surmonter) ?

Ce genre d’affirmations m’a toujours surpris pour trois raisons différentes :

a) L’obstacle est-il réel ? Après tout lorsqu’un enseignant travaille sur la chaîne alimentaire (en découverte du monde, ou plus tard en SVT) avec quelques exemples d’animaux et de plantes... il ne sent pas obligé de déconstruire les représentations (pourtant fortes) associées à certains animaux : est-ce que le loup (prédateur) mange les grands-mères (proie) ? Est-ce que le lion peut-être féroce alors que le Roi-Lion (ou même Simba) est si gentil, noble et généreux ?
Diable ! Faudra-t-il déconstruire tout l’imaginaire-mythique pour accéder au savoir ? Et celui-ci (l’imaginaire des gaulois d’après Astérix) fait-il vraiment obstacle au point qu’il faille en faire un élément de « situation-problème » ?

b) Je postule que les enfants sont moins idiots qu’on ne le pense et qu’ils comprennent, même jeunes, la différence entre un Gaulois de BD et les Gaulois que l’on étudie en histoire. Je ne dis pas que leurs idées soient toujours très claires ni distinctes. Bien entendu, il peut y avoir des interférences ou des confusions, qui surgiront (et que l’on exploitera alors, ponctuellement). Mais c’est autre chose que de construire entièrement une séance dont la première phase (parfois la 2ème, la 3ème et la 4ème) tourne sur Astérix et qui doit impérativement faire émerger les supposées croyances des élèves au sujet des gaulois. Et on finit par passer plus de temps sur l’expression, le recueil et la discussion des faux savoirs et des idées exotiques que sur les savoirs eux-mêmes [3].

c) Et quid des élèves qui ne connaissent rien à Astérix ? Leurs parents n’ont pas la collection complète d’Astérix ; ils ne sont pas de la génération des dessins animés mentionnés même rediffusés (ils ne leur plaisent pas) ; ils n’ont pas vu ces films déjà anciens et n’ont pas été au Parc Astérix. Quel est le sens de la situation problème avec Astérix pour ces élèves ?

Mais les auteurs du manuel ne doutent pas : « partir de ce qu’ils croient savoir » [Astérix] « puis mener une enquête » «  pour finalement rétablir la vérité des connaissances actuelles » [sic !] « est une situation motivante et enrichissante ». Pourquoi motivante ? Là encore dans la vulgate il y a des représentations naïves sur ce qui motive les élèves... Quant à la phrase au relativisme « de bon aloi » - « rétablir la vérité des connaissances actuelles » - elle me semble emblématique là encore d’un certain discours type entendu souvent dans les IUFM-ESPE bien que, épistémologiquement parlant, elle soit sinon contradictoire, au moins confuse. Car de deux choses l’une :
- ou il est vrai que les Gaulois sont un peuple querelleur, implanté dans l’ouest de la France, vivant au temps de Jules César, mangeant principalement des sangliers et buvant de la cervoise, etc. ;
- ou c’est faux et définitivement faux ! Et non pas seulement par rapport aux « connaissances actuelles » de l’historien. Qui peut sérieusement soutenir qu’il faut rester prudent à ce sujet compte tenu du caractère forcément non démonstratif et jamais « objectif » des sciences humaines et sociales ? (Là encore, il faudrait arrêter de construire des représentations délirantes du savoir chez les futurs enseignants ; ne pas confondre la construction du savoir - et même sa construction sociale - avec l’idée qu’il n’y a pas de « faits » mais seulement des « interprétations » , etc. toute une vulgate - encore une fois socio-constructiviste - mais épistémologique cette fois).

On ne peut qu’admirer la belle assurance des auteurs sur la pertinence de la proposition : « Non seulement cela permet d’acquérir des connaissances plus justes mais aussi de comprendre le travail de l’historien ». Je comprends bien l’intention et la référence au travail critique de recherche de documents, d’analyse, etc. Mais je doute que cette démarche qui part de « documents » (BD, films, parcs de loisir) qui n’ont jamais prétendu dire ou enseigner la « vérité » sur les Gaulois soit une illustration très pertinente et très sérieuse du « travail de l’historien ». En somme, il enfoncerait des portes ouvertes. J’imagine alors qu’on illustrera le travail d’un entomologiste en déconstruisant avec les élèves les représentations préalable de la vie des abeilles véhiculées par Maya l’Abeille.

Suis-je injuste ?

On pourrait m’objecter que j’ai sélectionné quelques passages malheureux. Je soutiens que quantité de pages au sujet de la didactique sont de la même farine.

C. LA PRODUCTION SCOLAIRE DES REPRÉSENTATIONS INITIALES SUPPOSÉES DES ÉLÈVES. EXEMPLE D’UN SCÉNARIO SOCIO-CONSTRUCTIVISTE

Autre exemple : p.52 sq.

Un chapitre est consacré à la construction de repères temporels. Il expose préalablement l’importance de cette construction et souligne les multiples déclinaisons de cette construction dans les programmes et selon les cycles. L’étude de « l’évolution des modes de vie » (programmes de 2015) participe de cette construction. Et sur le plan pédagogique, le manuel attire l’attention sur un point effectivement important :


"Les recommandations des programmes de 2015 du cycle 2 mettent en évidence la nécessité de partir de la réalité vécue par les élèves pour construire cet enseignement, tenant compte de la conception temporelle de l’enfant. Il s’agit d’une part de commencer à construire des repères temporels proches de l’élève avant de s’en éloigner peu à peu ; et d’autre part de progresser conjointement dans les apprentissages spatiaux et temporels."


Puis, le manuel justifie ses propres choix thématiques :


"Les thèmes envisagés pour l’étude du temps coïncident avec ces deux volontés. Ainsi, les premiers repères éloignés dans le temps sont ceux de la famille ou du temps personnel (les générations, les frises de vie de ma famille), ils s’inscrivent donc dans un temps perceptible pour l’élève : celui de la famille proche (le temps des grands-parents voire jusqu’au début du XXe siècle). De plus, les sujets concernant l’évolution des modes de vie se concentrent sur les lieux proches et connus de l’élève abordés également dans l’étude des repères spatiaux familiers (l’école ou la maison par exemple). Ils s’appuient ainsi sur le lien indissociable entre l’espace et le temps pour construire cette première étude du temps long."


Jusqu’ici, il n’y a rien à redire, si ce n’est un certain nombre de postulats (concernant la composition des familles) qui peuvent se révéler problématiques dans certains contextes, avec certains enfants. Cela n’est peut-être pas insurmontable pour peu qu’on y soit attentif et y qu’on y réponde de manière appropriée. On peut justement regretter qu’il n’y ait pas un seul mot de mise en garde à ce sujet, sinon une ubuesque proposition de « différenciation pédagogique » en fin de séance (cf. ci-après l’« étape 5 »).

Arrive ensuite la proposition pédagogique « Enseigner le temps des grands-parents : pratiques pédagogiques » (p. 53). On aurait même pu dire « Enseigner AU temps des grands-parents et aujourd’hui », car le thème de l’évolution comparative (celui de l’école) réunit - a priori - toutes les conditions requises (lieu proche et connu, ancrage dans le vécu, etc.).

La proposition de séquence (en 5 séances) est bien documentée (impressionnantes fiches de préparations avec quantité d’idées intéressantes) mais l’ensemble laisse perplexe quand on regarde la complexité et la lourdeur du dispositif destiné à un ... CE1.

Je me contente de reprendre succinctement l’exposé de la première séance avec mes interrogations.

LA 1ère SÉANCE a pour titre ainsi formulé : « Représentations, hypothèses et élaboration de l’enquête sur l’école des grands parents » (ce titre semble aussi indiquer ses objectifs spécifiques). On y reconnaît de nombreux indices d’une démarche dite socio-constructiviste. Pourquoi pas. Alors voyons le détail.

Le déroulé de la séance se fait en 5 étapes, le tout en 45 mn.

- 1ÈRE ÉTAPE (« De l’école d’aujourd’hui ») Les élèves en dégageront « les traits principaux » en oral collectif, pendant 10 mn. On partira d’une situation inductive, l’enseignant pourra « Raconter une histoire ». « Une élève venant d’un autre pays veut connaître l’école et la façon dont se déroule une journée de classe, comment lui décririez-vous en quelques mots l’école en France ? ». Puis, il notera « au tableau les éléments les plus importants issus des descriptions des élèves ». D’expérience, ces 10 mn sont bien optimistes ! C’est sans compter le lancement de la séance elle-même.

Dans les faits, il est impossible de commencer directement par la petite histoire inductive, surtout en 1ère séance où il faut bien expliquer le projet, son sens, ce qu’on va étudier et pourquoi... SAUF à ne rien en dire explicitement - ce qui est souvent le cas - et en dépit de tout ce que la recherche nous a appris depuis 20 ans au sujet des inégalités scolaires.

Mais c’est à l’étape 2 que la vulgate produit ses effets.

- ÉTAPE 2 (« à l’école d’autrefois »). En binôme, à l’écrit, les élèves doivent « situer l’année 1950 sur une frise chronologique », expliquer l’expression « les années 1950 », « discuter avec leur binôme de leurs représentations personnelles de l’école d’autrefois » [d’où peuvent-ils les tirer ? et pourquoi faire ?], « écrire ce que l’on sait sur l’école de nos grands-parents » [de nouveau : d’où vont-ils tirer cela ? le peuvent-ils ? en savent-ils seulement quelque chose et d’où le tiendraient-ils ?]

La fiche précise encore :


"Rôles et places de l’enseignant :
• Faire émerger les représentations initiales des élèves
• Amener les élèves à un questionnement : « Il y a cinquante ans, pensez-vous que l’école était la même qu’aujourd’hui ? Dans les années 1950, vos grands-parents étaient à l’école eux-aussi [sic !] : savez-vous comment étaient leurs écoles à l’époque ? » [ et s’ils n’en savent rien ? comme c’est probable]
• Définir et situer les années 1950 sur la frise chronologique
• Distribuer les feuilles et donner les consignes : « Par deux, vous allez écrire tout ce que vous savez sur l’école de vos grands-parents. Vous pouvez, par exemple, parler du matériel, des tenues, des jeux, etc. »"


Et bien sûr tout cela sera fait en 10 mn chrono !

À aucun moment, on ne s’interroge sur la pertinence de la démarche [4], les postulats sur les liens familiaux ou le type de dialogue entretenu avec les grands-parents, etc.

J’ai le sentiment que l’on a ici l’invention typiquement professorale de ce supposé savoir des élèves (très stéréotypé et très marqué socialement) sans lequel la démarche tombe à l’eau. La vulgate socio-constructiviste produit ainsi les conditions de son auto-validation ; elle est assurée de ne pas se trouver contredite par le réel puisqu’elle invente (sans s’en rendre compte) quand il lui fait défaut. L’enseignant pourra déconstruire les « représentations initiales » de ses élèves, provoquer un « questionnement » par leur confrontation, à ceci près qu’il les aura fabriquées par son dispositif. Comme il ne s’en rendra pas compte, ce sera un motif supplémentaire d’auto-persuasion du bien fondé de sa pratique et une source de contentement pédagogique.

Mais pourquoi cet aveuglement ?

Parce que la conformité de la démarche à la vulgate socioconstructiviste (recueil / confrontation / discussion des représentations initiales) anesthésie tout sens critique (et plus simplement tout bon sens). Les traces de surface de la démarche socio-constructiviste suffisent à assurer la validation intellectuelle de la pratique proposée. L’enseignant ne peut que se réjouir de satisfaire (à si bon compte) aux attentes supposées de l’institution et aux croyances supposément partagées de l’ensemble de ses confrères.

- ÉTAPE 3 (Mise en commun des recherches) et nouveaux effets de la vulgate.
On retrouve les procédures classiques. Il n’y aurait rien à dire sauf que le poids de la vulgate socioconstructiviste entraîne de nouveaux effets pervers.

On lit en effet ceci :


"Intentions pédagogiques :
• Mettre en évidence des représentations
• Confronter des représentations
• Questionner"


Les « intentions » sont effectivement reconnaissables...


"Tâches des élèves :
• Respecter les règles de l’échange verbal en collectif
• Faire preuve d’un esprit critique sur les représentations affichées
• Faire un bilan et formuler des hypothèses à l’oral : « On pense que... / On ne sait pas si... »"


Personnellement, je ne comprends pas ce que peut bien signifier, à ce moment de la démarche, cette injonction faite aux élèves de « faire preuve d’un esprit critique sur les représentations affichées » : je ne le comprends ni par rapport aux objectifs de la séance, ni par rapport à ce que peuvent faire les élèves en réalité à ce stade. On constate ici la confusion entre les différents types de représentations que j’ai appelées représentations « tremplins » et représentations « obstacles » et entraînant une confusion dans la démarche.

Évidemment, tout cela s’éclaire si on comprend que le dogme a de nouveau frappé : la forme superficiellement socioconstructiviste (mettre en évidence... confronter... questionner, etc.) emporte le fond [5] (pourquoi maintenant ? Et à ce sujet ?).

Ajoutons que cette phase de mise en commun ne dure aussi que 10 mn !

Le travail des binômes (avec des classes de 20 à 30, cela fait 10 à 15 binômes !) est exploité en commun (fiche A3 ou TNI précise le manuel !). Les élèves doivent montrer, expliquer, et les autres comprendre et tout cela fait objet de discussions et de réflexions critiques.

On se demande comment, avec un tel rythme, les interactions langagières sont seulement possibles. Quant à savoir si les échanges permettront un travail méta-cognitif et critique...

La situation pédagogique est complètement déréalisée. Les auteurs du manuel croient-ils seulement à ce qu’ils proposent ?

REMARQUE : les débutants constateront douloureusement que les trois premières étapes... occupent très largement la séance... rien ne sera fini et la suite sera renvoyé à « plus tard ». Ainsi une séquence de 5 séances se transformera en 7, 8, 10 séances qui s’éternisent, dispersent l’attention, fatiguent, etc. Certains débutants coupent alors dans le beau dispositif intenable. Mais ils se garderont de dire « ça ne marche pas, cela prend bien plus de temps » car on les renverra à leur incompétence (« mettre en œuvre une situation... »).

- ÉTAPE 4 (« élaboration de l’enquête »). Et cela continue...

La 4ème étape de la séance vaut réellement son pesant de cacahuètes en matière de déréalisation des situations scolaires. Car tout cela est censé se faire encore une fois en 10 minutes.


"Étape 4 : Élaboration de l’enquête

Oral collectif / Matériel : Tableau Veleda, TNI, Ordinateur / 10 min

Intentions pédagogiques :

• Questionner
• Faire un bilan
• Faire mener des investigations

Compétences :

• Participer
• Proposer un questionnement
• Avoir un esprit critique
• Produire une phrase en dictée à l’adulte

Tâches des élèves :

• Trouver un moyen de vérifier les éléments qui ont émergés : le témoignage, l’enquête
• Formuler des questions morphologiquement correctes à partir des éléments mis en évidence au tableau
• Dicter les questions à l’enseignant, corriger d’éventuelles erreurs de langue

Rôles et places de l’enseignant :

• Amener les élèves à solliciter le témoignage d’un grand-parent pour vérifier leurs hypothèses
• Expliquer le rôle qu’aura l’enquête lors des prochaines séances
• Donner les consignes : « En fonction des hypothèses que vous avez formulées, quelles questions voudriez- vous poser à vos grands-parents pour les vérifier ? »
• Signaler les questions redondantes, corriger les erreurs de langue
• Écrire les questions des élèves, à l’ordinateur, en dictée à l’adulte."


Il s’agit de faire élaborer un questionnaire par les élèves qui leur permettra de recueillir « le témoignage d’un grand-parent ».

On peut se demander si les élèves vont percevoir le lien entre les étapes précédentes et ces nouvelles « tâches ». Et d’ailleurs, y a-t-il seulement un lien réel ? J’ai tendance à penser que le lien est artificiel, externe, uniquement justifié par les dogmes de la vulgate.

Artificiel... les élèves doivent imaginer des moyens de « vérifier » leurs « hypothèses » (sic) mais le moyen est prescrit par avance et déterminé par le choix didactique de l’enseignant : « trouver un moyen de vérifier les éléments qui ont émergés : le témoignage, l’enquête » (comme on est dans une fiction, il n’y a pas d’autres possibles que ceux fixés par l’enseignant mais que les élèves doivent quand même « trouver »).

On voit que la production d’un questionnaire d’enquête était en fait l’objectif réel de la séance. Mais pourquoi alors être passé par un « dispositif » aussi lourd et un chemin aussi tortueux qui ne peut qu’égarer bon nombre d’élèves ? On a interrogé les élèves sur l’école « d’aujourd’hui », puis ils ont dû dire comment ils se représentaient l’école « d’hier » (même s’ils n’en avaient aucune représentation) ; et ils ont dû, enfin, discuter leurs idées et en faire la critique. Et voilà maintenant qu’un nouvel objet surgit... la réalisation d’une enquête sur l’école d’hier. Pourquoi un tel itinéraire ?

On imagine la réponse selon la vulgate : les élèves auront ainsi éprouvé les insuffisances de leurs représentations initiales et - donc - ressentis cognitivement le besoin d’en savoir plus (= enquêter). Sauf que :
ce « donc » ne va de soi : on peut constater que de nombreuses personnes imaginent des choses différentes au sujet de l’école d’autrefois sans éprouver le moindre besoin de surmonter les contradictions ; il en va de même chez les élèves [6] ;
Ne peut-on susciter le désir de connaître des évolutions du passé au présent autrement (même sur un thème comme l’école), de façon tout aussi efficace (et même plus pertinente) et plus rapide car directement centrée sur l’objet réel de la séance ? Bref, supprimer les 3 premières étapes et concevoir une séance présentant l’objet de connaissance de la séquence (prendre conscience des évolutions en prenant comme exemple le cas de l’école), les exigences associées (un travail comparatif entre l’école d’hier et d’aujourd’hui), la nécessité pour connaître d’une méthode de recherche (par exemple une enquête par questionnaire auprès de témoins, mais qui pourrait être aussi bien une recherche documentaire).

- ÉTAPE 5 (« Lecture collective du questionnaire »). En 5 minutes (ben voyons !)


"Étape 5 : Lecture collective du questionnaire

Oral collectif / Matériel : 1 enquête polycopié / élève / 5 min

Intentions pédagogiques :

• Anticiper des difficultés de lecture Compétences :
• Lire
• Écouter
• Poser des questions

Tâches des élèves :

• Lire les questions à voix haute ou silencieusement
• Expliquer le sens de la question demandée

Rôles et places de l’enseignant :

•Mettre en page, photocopier et distribuer les enquêtes aux élèves
• Donner la parole aux élèves pour la lecture à voix haute, solliciter les petits parleurs
• Demander à un élève volontaire d’expliquer le sens d’une question qui pourrait poser problème, compléter l’explication
• Donner les consignes : « Vous allez remettre cette enquête à l’un de vos grands-parents, ou à une personne de leur âge, ou bien encore à vos parents. Nous nous servirons de leurs réponses lors de la prochaine séance. Il serait intéressant que vous soyez présents lorsqu’ils la remplissent afin que vous compreniez ce dont ils parlent et que vous en discutiez avec eux. »
•Différenciation : En cas de difficulté individuelle (élève séparé de sa famille par exemple), proposer à l’élève de s’orienter vers un personnel de l’école prévenu au préalable par l’enseignant."


Rien qu’en relisant le passage sur les « rôles et places de l’enseignant » on se demande comment les auteurs peuvent sérieusement prévoir 5 minutes.

Il y a d’abord une opération hautement magique :

- « Mettre en page, photocopier et distribuer les enquêtes aux élèves ». Eh oui... à l’issue de l’étape 4 le questionnaire a été fait avec les élèves (au tableau, au TNI ou à l’ordi)... et là magiquement, il est mis en page, photocopié et distribué en zéro secondes (et tout le matériel est là !). Page 59 figure le fameux questionnaire... dont on comprend vite qu’il ne peut avoir été fait et distribué lors de la séance.

Ensuite on prévoit dans les 5 minutes :

- de « donner la parole aux élèves pour la lecture à voix haute » TOUT EN VEILLANT à « solliciter les petits parleurs », ce qui comme chacun sait ne prend pas de temps ;

- ensuite de « demander à un élève volontaire d’expliquer le sens d’une question qui pourrait poser problème, compléter l’explication » (espérons que le questionnaire soit vraiment bref).

- enfin de « donner les consignes : « Vous allez remettre cette enquête à l’un de vos grands-parents, ou à une personne de leur âge, ou bien encore à vos parents. Nous nous servirons de leurs réponses lors de la prochaine séance. Il serait intéressant que vous soyez présents lorsqu’ils la remplissent afin que vous compreniez ce dont ils parlent et que vous en discutiez avec eux. »... et cela d’ici à la « prochaine séance » car, bien entendu, les élèves ont pépé et mémé sous la main dans une pièce de la maison (sinon on ira les voir...). Heureusement, il est prévu qu’on puisse interroger ses parents... Ouf ! Sauf que... que savent-ils de l’école des années 50, eux qui l’ont fréquenté au plus tôt dans les années 70 ? On n’est pas à une contradiction près (mais le risque d’anachronisme n’est-il pas fâcheux en histoire ?)

Notons que la « Différenciation » est aussi prévue « En cas de difficulté individuelle (élève séparé de sa famille par exemple), proposer à l’élève de s’orienter vers un personnel de l’école prévenu au préalable par l’enseignant ».

Le mot « différenciation » est l’un de ces « mots hochets » qu’il faut obligatoirement agiter dans toute bonne préparation mais aussi un « mot-valise ». Ici il n’est nullement question de différencier les apprentissages (la dimension cognitive n’est pas en cause) mais de prévoir le cas d’un « élève » (plus exactement d’un enfant) « séparé de sa famille »... et qui sera « orienté vers un personnel de l’école » (?!?). On orientera vers ce personnel l’enfant dont les grands-parents sont morts, trop lointains (en France ou à l’étranger), cacochymes ou en EPAD, etc... et ceux dont les parents ont rompus les liens avec leurs propres parents... flûte ! ce que le réel est contrariant. C’est dur l’école « inclusive ». Heureusement, il y a 5 minutes pour prévoir tout cela.
Et, ... au fait, comment l’enseignant peut-il savoir ces choses là ?

Les auteurs donnent pour finir quelques conseils effectivement utiles :


"• L’enquête est remise aux élèves, de préférence avant une période de vacances ou avant un weekend, afin qu’ils disposent du temps nécessaire pour contacter la personne de leur choix et faire remplir l’enquête.
• La remise du questionnaire aux élèves s’accompagne d’une note, destinée aux parents d’élèves, leur expliquant les enjeux de celui-ci dans le projet d’apprentissage et permettant de s’assurer de leur coopération quant à l’exploitation en classe des informations fournies (en séance 2).
• L’enseignant garde une trace des idées des élèves concernant les caractéristiques de l’école d’aujourd’hui afin de remplir une partie du tableau de comparaison de la séance 2."

On pourrait toutefois émettre des réserves :

- sur les délais : la phrase « avant un weekend, afin qu’ils disposent du temps nécessaire pour contacter la personne de leur choix et faire remplir l’enquête » laisse rêveur.
- la représentation que l’on induit chez les jeunes enseignants du rôle des parents qui avant d’être des humains (hommes, femmes) - parents d’enfants - sont avant tout des « parents d’élèves » sommés de se transformer en auxiliaires pédagogiques même dans leur vie privée. On peut imaginer « on annule Ikéa, faut aller voir mamy car il y a une enquête à faire pour l’école »...
- les effets socialement et culturellement discriminants de la démarche (apparemment la majorité des élèves relèvent de ce type de famille dont les « grands-parents-qui-ont-été-à-l’école » pourront « raconter-fièrement-comment-c’était »... Il y aura sûrement un intéressant travail d’histoire comparative à conduire sur l’école « chez nous » et « là-bas », c’est-à-dire d’enfants issus de parents / grands-parents métropolitains et enfants issus d’autres horizons, y compris nos anciennes colonies. Il est curieux que dans un ouvrage d’historiens... la remontée à partir des générations actuelles « vers le passé » soit à ce point aveugle aux phénomènes migratoires. Il est vrai que si on vit dans l’entre-soi des « beaux-quartiers », on finit par l’oublier, mais ce n’est pas le cas des auteurs, alors ?

RESTE ENCORE CINQ AUTRES SÉANCES ... pour boucler la séquence...

séance 2 : « L’école des grands-parents et l’école d’aujourd’hui : quelles évolutions ? S’appuyer sur des témoignages pour remettre en question ses représentations [sic] ».
séance 3 : « L’école des grands-parents à travers la photographie : les photographies d’écoliers de Robert Doisneau » avec toutes sortes d’activités associées (lire et analyser les photos de Doisneau, rechercher d’autres photos, prendre des photographies de son école, etc.
séance 4 : « L’école des grands-parents à travers la littérature de jeunesse » avec pour objectif spécifique « S’appuyer sur ses connaissances de l’école des grands-parents pour décrire, interpréter et critiquer les images » (outre la sous-estimation manifeste de la complexité d’un tel projet - en une séance - c’est une conception étrange de l’esprit critique et de ses rapports à la littérature : l’élève aura appris à faire des « critiques » des « extraits donnés » « au regard de ses savoirs » .... à déconstruire les représentations initiales des écrivains en quelque sorte ! Ou à critiquer la fausseté des fictions !
séance 5 : « évaluation de fin de séquence ». Rien n’est d’ailleurs dit à ce sujet, mais vu le dispositif, on comprend. En matière d’évaluation... on a l’embarras du choix au regard de la quantité de choses survolées, de compétences sollicitées, etc.

Une question est esquivée : que restera-t-il dans la tête d’élèves de CE1 d’une démarche aussi sinueuse et aux mille objets ?
Et quid des inégalités scolaires ?
Et imaginons que l’on procède ainsi pour tous les objets de savoirs...

Nous venons d’apprendre par une enquête internationale (Trends in mathematics and science study, 2015) que le niveau des petits français de CM1 « en mathématiques et en sciences » est tel que la France est au dernier rang des pays de l’Union européenne (et juste devant la Turquie si on élargit) pour « les mathématiques » et à l’avant dernier rang pour « les sciences » (devant Chypre).
Notre Ministre a tôt fait d’en trouver la cause : ce sont les élèves des programmes 2007 et dont les enseignants ont vu leur formation supprimée. « Ce sont les élèves entrés en CP en 2011 et qui sont, je pèse mes mots, la génération sacrifiée. Celle qui paye au prix fort les choix politiques d’hier, c’est-à-dire du gouvernement de M. Fillon ».
Ainsi il faudrait croire :
- que les seuls professeurs enseignant à des élèves entre 2011 et 2015 à la cohorte CP-CM1 étaient tous sans formation (étrange) ;
- que des programmes permettent d’expliquer par eux-mêmes la médiocrité du niveau scientifique des élèves (et évidemment ni le niveau des professeurs du primaire en science, et encore moins leurs pratiques « standards »... du type de celle exposée plus haut ).

Enfin pour éviter les malentendus :
- la thématique de l’école n’est pas en cause : il y a effectivement quantité de choses possibles à partir de ce thème, mais pas comme ça ;
- la sollicitation des parents / grands-parents n’est pas non plus en cause ; ce sont les modalités qui laissent perplexe et l’espèce d’inconscience des réalités sociales et culturelles qui nimbe tout le projet. Comme contre-exemple, on peut citer la démarche du lycée Le Corbusier (70 nationalités) dans le cadre de son projet (2015) L’Anthropologie pour tous qui a donné lieu à un vrai travail inter-générationnel sur des objets ancrés dans les réalités historiques et culturelles.

Le livre est rédigé par des auteurs que l’on imagine tous plus compétents les uns que les autres au regard de leur titre et/ou de leur fonction :
Didier Cariou, maître de conférences en didactique de l’histoire, ESPE de Bretagne ;
Marielle Chevallier, agrégée d’histoire, ESPE d’Aquitaine ;
Charles Mercier, maitre de conférences en histoire contemporaine ;
Anne-Sophie Molinié, maître de conférences en histoire de l’art moderne Université Paris Sorbonne-Paris IV/ ESPE de Paris ;
Karine Ramondy, certifiée biadmissible en histoire-géographie professeur au lycée Pascal, Paris ;
Valérie Schafer, agrégée d’histoire et de géographie chargée de recherche au CNRS ;
Thierry Truel, docteur en histoire contemporaine enseignant ESPE d’Aquitaine ;
Élisabeth Szwarc, agrégée d’histoire.
Personnellement je n’en connais aucun et j’adopte par principe le préjugé favorable : ce sont sûrement de très bons spécialistes et de très bons enseignants.

Mais c’est aussi la raison de ma consternation.

Ou alors, j’ai perdu toute lucidité, je suis injuste et excessivement critique…


[1Et d’ailleurs la dernière phrase informe simplement le lecteur que de « récentes découvertes archéologiques » [c’est tout ?] « éclairent ces différentes périodes d’une histoire plus européenne que strictement nationale, comme le rêvaient les hommes de la fin du XIXe siècle ». C’est vraiment le service minimum ! Éclairent... mais dans quel sens ? (« plus européenne » ?) Faut-il oui ou non apprendre aux élèves l’imaginaire national (on a dit que c’est « réintroduit ») ? Et qu’est-ce que cela change au fait que les Gaulois sont « nos ancêtres objectifs » ? Et même si cette « occupation nationale » remonte plus loin que Tautavel cela ne justifie pas plus le rôle de la France comme « puissance européenne et mondiale ».

[2Je constate souvent l’effort désespéré de nombreux enseignants pour faire émerger les représentations que les élèves sont censées déjà posséder sur à peu près tout (la formation des montagnes, la provenance de l’eau du robinet, etc.). Décidément, avant d’aller à l’école, nos élèves se posent plein de questions sur les sujets les plus abstraits et ont aussi pleins de réponses. J’en déduis que je devais être un sacré cancre car si à 8 ans on m’avait demandé « comment tu expliquerais que la lave sort du volcan ? », j’aurais dit la vérité : « je ne sais pas » ou « je n’en ai aucune idée ! ». Aujourd’hui je serai supposé en avoir... il me faudrait donc en inventer pour ne pas déplaire au maître ou mettre involontairement sa séance par terre.

[3Faudra-t-il pour étudier un peuple d’Afrique commencer par Tarzan ? Ici les études postcoloniales (comme décoloniales) venant au secours de la vulgate nous le recommanderaient fortement car l’imaginaire des enfants est supposé entièrement façonné et prisonnier des clichés véhiculés par les BD, les livres, les films, etc. On ajoute que cela reste vrai même si les enfants n’en ont jamais entendu parler, ne les ont jamais lus/vus car dit-on, ces représentations sont inscrites dans « l’inconscient » familial, social, etc. de tous les enfants du monde.

[4La différence de statut didactique des représentations est rarement explicitée ni claire dans les esprits : 1 représentations initiales « tremplin » (pour le dire de façon imagée), c’est-à-dire ayant un rôle inductif, constituant un ancrage dans l’expérience de l’élève et un point d’appui (souci pédagogique ordinaire de faire sens ou de « tisser » comme dit Bucheton) ; 2. représentations initiales « obstacles » qu’il est didactiquement impératif de travailler et dont il s’agit de faire apparaître les limites (insuffisances, contradictions, voire simple fausseté) afin de provoquer leur abandon (leur transformation).

[5Que dire de la « tâche » (sic) « formuler des hypothèses à l’oral : « On pense que... / On ne sait pas si... », sinon qu’il s’agit manifestement et uniquement de produire des « marques » de conformité externe à la vulgate et en dépit de tout bon sens (qu’appelle-t-on ici « hypothèse » ? quel statut ? par rapport à quel problème ?)

[6Dans la psychologie qui accompagne la vulgate, le désir de connaissance (élément clé de la motivation à apprendre) est supposé naître des « tensions cognitives » (les fameuses « dissonances ») et de la « déstabilisation » engendrée par le « conflit socio-cognitif ». Certains constats empiriques démentent cette belle assurance : les élèves s’accommodent parfaitement de leurs propres contradictions et s’accommodent encore plus des contradictions entre leurs opinions et celles des autres (c’est vrai de beaucoup d’adultes aussi). Nul ne semble pressé de questionner un état de fait qui est même, au contraire, revendiqué et posé comme ne devant être ni critiqué ni changé au nom de la « tolérance », du droit de penser librement (dans sa version postmoderne, librement signifie le droit de penser n’importe quoi si ça nous chante) et du droit universel d’être traité gentiment (ce qui exclut qu’on me contrarie).