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Formation et débuts professionnels des professeurs des écoles
jeudi 20 février 2020, par
Le parcours du débutant. Enquêtes sur les premières années d’enseignement à l’école primaire est un ouvrage collectif dirigé par Sylvain Broccolichi, Christophe Joigneaux et Stéphan Mierzejewski et publié en 2018 [1].
Issu d’une investigation pluridisciplinaire poursuivie depuis dix ans, ce livre est le premier ouvrage de recherche qui documente en France les parcours professionnels des enseignants débutants entrés dans l’enseignement du premier degré après la réforme du concours qui exige d’eux la possession d’un master depuis la session de 2010, puis l’installation des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) à la place des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) à partir de la rentrée universitaire de 2013.
« En grand questionnement sur les conséquences » de cette réforme dite de « mastérisation », en particulier de la suppression de l’année de formation professionnelle en alternance, ses sept auteurs [2], impliqués dans la formation des enseignants, ont voulu « étudier [leurs] évolutions contrastées [...] selon leurs parcours et motivations initiaux, et selon les conditions institutionnelles et locales de leur socialisation professionnelle » (p. 30). Pour ce faire, ils ont suivi, par entretiens et observations répétés, une soixantaine de professeurs des écoles stagiaires ou titulaires : d’abord, entre 2010 et 2013, des candidats admissibles au Concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) ; puis, à partir de 2014, des lauréats du CRPE [3].
Mais l’interrogation des auteurs remonte plus loin dans le temps et s’inscrit dans une problématique plus large. Comment se fait-il que les politiques scolaires menées au nom de la réussite de tous les élèves depuis les années 1960 se heurtent au constat d’une aggravation des difficultés d’apprentissage et des inégalités scolaires ? L’introduction des trois directeurs d’ouvrage part de ce « hiatus entre idéaux et réalités ». Faisant le point sur les réformes de l’enseignement, en particulier sur les lois d’orientation de 1989 et de 2005, ils soulignent l’élévation des ambitions pour les élèves, mais aussi la multiplicité et la complexité des nouvelles prescriptions faites aux enseignants (travail en équipe, projet d’école, différenciation pédagogique, collaboration avec d’autres partenaires...). Ils détaillent également de façon très utile les constats d’échecs et d’inégalités au sein de l’école française, en particulier à travers les rapports d’inspection générale, avant d’exposer les réformes de la formation des enseignants en 2009 et 2013.
Dans le premier chapitre, Catherine Couturier et Stéphan Mierzejewski présentent trois cas de professeurs des écoles débutants dont les profils sont assez variés. Ils se demandent comment ils font face aux multiples objectifs de la seconde année de master (concours, stage, mémoire...) et ce qu’ils parviennent à réinvestir de leur formation en classe. Leurs conclusions soulignent le travail continu de priorisation entre les objectifs de formation qu’ils mettent en concurrence. Ils pointent également la superposition latente des fonctions de conseil et d’évaluation prêtées aux conseillers pédagogiques, qui se révèle très déstabilisatrice. Enfin, ils analysent le sentiment d’inadaptation de la formation reçue à l’IUFM : pour préparer les stages ou analyser les difficultés rencontrées, « les stagiaires consultés citent alors plus spontanément internet, les manuels, certains collègues de terrain, voire leur réseau personnel pour alimenter leur réflexion et leur imagination pédagogique ».
Au chapitre 2, Sabine Thorel-Hallez adopte le cadre de la clinique de l’activité pour suivre deux stagiaires ayant subi des remarques dévalorisantes de conseillers pédagogiques et d’enseignants titulaires de classe. Mais les problèmes pointés ne sont pas pris au sérieux par l’analyse de l’auteure : quand le conseiller pédagogique affirme que le stagiaire a « à peine le niveau de [ses] CM1 », dans quelle mesure dit-il vrai ? Et quand la titulaire « considérait que j’étais parfaitement incompétent pour leur apprendre à lire ou à écrire », son diagnostic est-il fondé ? La conclusion se focalise sur les raisons du plaisir retrouvé d’enseigner en SEGPA (Sections d’enseignement général et professionnel adapté) l’année après la titularisation, conditions d’un développement professionnel : le respect du travail par les conseillers pédagogiques, la bonne ambiance entre collègues, et enfin la « liberté avec les programmes qui autorise de se donner du temps pour s’occuper des élèves ».
Le chapitre 3 permet à Johanne Masclet de présenter « un modèle du stress comme outil de compréhension ». Entendu comme une « contrainte qui produit une tension », le stress est étudié comme une adaptation des débutants face à la surcharge de travail : certains adoptent la stratégie du recul et de la rationalisation de la situation là où d’autres ont des comportements d’évitement des difficultés ; certains cherchent l’aide de leurs collègues là où d’autres recourent à des stratégies autoritaires pour maintenir la discipline dans la classe. Observations et entretiens révèlent en effet un défaut de préparation aux réalités du terrain et un manque d’encadrement dans l’adaptation aux situations. C’est pourquoi la stratégie dominante est de se centrer sur les problèmes en surinvestissant les préparations de classe, y compris « pendant les cours à l’ESPE », alors que la formation en master est perçue comme trop théorique. Mais l’usure et la déception peuvent déboucher sur le burn out ou la révision à la baisse des ambitions initiales.
Maïra Mamede se demande dans le chapitre 4 « quelle est l’efficacité » de l’universitarisation progressive de la formation et du mémoire demandé aux futurs professeurs des écoles : ces dispositifs contribuent-ils à la construction ou à l’inhibition d’une posture réflexive chez les débutants ? Pour y répondre, ce chapitre décrit comment ils sont confrontés au choc des élèves réels et au choc institutionnel des relations avec les collègues, les formateurs, les inspecteurs, etc. D’une part, les débutants tendent à reporter sur les élèves la difficulté de leurs apprentissages. D’autre part, les difficultés des échanges avec les encadrants ou les discordances d’appréciation peuvent également les désorienter. Deux types de réflexivité sont repérés face à ce double choc : dans la première, le rapport binaire à la réalité rend la remise en cause difficile ; dans la seconde, le rapport multifactoriel à la réalité facilite l’identification des dysfonctionnements.
L’impact de la création des ESPE et du retour de la formation rémunérée en alternance fait enfin l’objet du chapitre 5, rédigé par Christophe Joigneaux et Sylvain Broccolichi. L’exposé des parcours de plusieurs débutants rappelle d’abord la fréquence des premières affectations « sur des postes désertés », où les moins expérimentés doivent faire face aux situations les plus compliquées. Il montre ensuite comment les mêmes prescriptions officielles peuvent trouver des traductions pédagogiques différentes par les formateurs, selon qu’ils privilégient un point de vue pédagogique ou didactique. La formation donnée à l’ESPE ne s’avère enfin pas mieux « orientée vers la pratique du métier d’enseignant » : d’une part parce que les stagiaires se disent tout aussi débordés en 2e année d’ESPE que les admissibles en 2e année d’IUFM, d’autre part en raison de la précocité, de l’intensité et de la durée du stage en responsabilité. Les auteurs concluent en soulignant quatre processus parmi les débutants : une « délégitimation des acteurs de la formation initiale » et un « alignement progressif des pratiques d’enseignement » sur celles des collègues titulaires, encore plus rapides depuis 2013 ; l’apprentissage de « stratégies de contournement des prescriptions officielles et la rationalisation des choix ou des renoncements qu’elles impliquent ».
Sans doute peut-on regretter que ce livre ne réponde pas complètement aux nombreuses questions qu’il soulève. Le respect affiché des identités disciplinaires des différents chercheurs dans le travail collectif ne rend pas non plus toujours sa cohérence évidente. Mais ses résultats solides et leur mise en perspective éclairante sont cependant très précieux pour comprendre en quoi les insuffisances de la formation initiale des professeurs des écoles contribuent encore à la fabrication des inégalités d’apprentissage entre les élèves.
Bibliographie
MIERZEJEWSKI S., BROCCOLICHI S., JOIGNEAUX C. & SINTHON R. (2018). « Apprendre à enseigner à l’école primaire. Une socialisation professionnelle paradoxale ? ». Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, no 17, p. 191-215.
[1] BROCCOLICHI Sylvain, JOIGNEAUX Christophe & MIERZEJEWSKI Stéphan (dir.). Le parcours du débutant. Enquêtes sur les premières années d’enseignement à l’école primaire. Arras : Artois Presses Université, 2018, 232 p.
[2] À l’exception de l’une d’entre eux, ils sont tous membres en 2010 de l’équipe RECIFES (Recherche en Éducation Compétences Interactions Formations Éthique Savoirs, université d’Artois).
[3] Le volet quantitatif de la recherche étant malheureusement quasi absent de cet ouvrage, on complétera sa lecture par un article récent (Mierzejewski, Broccolichi, Joigneaux et al., 2018) issu du dépouillement de 2 000 questionnaires auprès du public des IUFM puis des ESPE se destinant au métier de professeur des écoles dans l’académie de Lille puis celle de Créteil.