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Un essai d’interprétation paradoxale de PISA
Nathalie Bulle, L’imaginaire réformateur – PISA et les politiques de l’école, 18-1-2010, www.Skhole.fr.
mardi 16 février 2010, par
Nathalie Bulle milite d’évidence pour une école à plusieurs vitesses et dispensant un enseignement de type traditionnel. Son texte vise à prévenir les interprétations de PISA qui valoriseraient le tronc commun (ce qui est le cas du livre de Baudelot et Establet [1], qu’elle cite du bout des lèvres) ou une pédagogie douce à la finlandaise (ce qui est le cas du livre de Robert [2], qu’elle ignore ou feint d’ignorer).
À cette fin :
Elle construit une typologie des systèmes éducatifs qui croise l’organisation des parcours et le type d’enseignement.
Elle montre que PISA classe en premier le système de type est-asiatique, qui combine parcours (relativement) différenciés et pédagogie « académique ».
Dans un troisième temps, elle explique que les exceptions que représentent la France et la Finlande, examinées dans leur contexte, viennent en fait confirmer et non contredire la supériorité des structures à parcours différenciés et enseignement traditionnel.
Cette « démonstration » procède par construction de catégories pseudo-abstraites et à coups d’affirmations non démontrées, indiquant que « l’analyse concrète d’une situation concrète » est bien le cadet des soucis de l’auteur, qui cherche plutôt à forcer la réalité pour la plier à ses convictions préétablies. Reprenons point par point.
Concernant ce qu’appréhende PISA, Nathalie Bulle confirme les conclusions de Baudelot/Establet et des chercheurs d’ESCOL [3] : visant à évaluer des « compétences » relativement indépendantes des savoirs disciplinaires, l’enquête saisit en fait un « potentiel académique » qui est tout aussi bien mesuré par « les performances des élèves dans le cadre de programmes nationaux ». Cela dit le lecteur ne comprend pas très bien si pour Nathalie Bulle ce « potentiel académique » préjuge ou pas de la capacité des élèves à poursuivre avec succès des études longues : s’il s’agit bien d’un potentiel académique cela devrait être le cas ; mais elle soutient à propos des résultats des élèves finlandais à l’épreuve de maths de PISA que ce n’est pas le cas, qu’ils sont bons à 15 ans mais beaucoup moins à l’université. Comme le fait que ce soit ou pas le cas ne renvoie pas à une opposition savoirs disciplinaires/compétences transversales, il ne peut s’agir que d’une opposition entre deux types de savoirs académiques (ceux qui permettent de se débrouiller dans la vie et ceux qui permettent de poursuivre des études approfondies) et on aimerait, mais en vain, d’en savoir un peu plus sur leur différence.
Clé de voûte de sa rhétorique, la typologie des systèmes éducatifs que propose Nathalie Bulle est particulièrement discutable. J’en évoquerai trois aspects :
S’agissant des structures elle distingue les systèmes à parcours indifférenciés (ex. France ou Finlande), mixtes (ex. Japon, Corée ou pays anglo-saxons, la hiérarchie des établissements et l’enseignement privé différenciant significativement les parcours effectifs), et différenciés (ex. l’Allemagne et ses trois collèges). En s’en tenant aux apparences elle ignore ainsi totalement la différence entre école unique et école commune : du fait de la mise en concurrence des élèves et de leur tri précoce, le collège Haby n’a d’unique que le nom, et l’école française devrait être classée dans les systèmes mixtes, pour réserver le label « parcours indifférencié » aux systèmes scolaires qui pratiquent un véritable tronc commun, tel celui de la Finlande.
S’agissant des pédagogies, Nathalie Bulle reconnaît elle-même que l’opposition entre « enseignement académique » et « enseignement progressiste » est totalement idéaltypique, et que les situations réelles s’étagent entre ces deux pôles de façon complexe. Pour autant elle ne justifie pas précisément les raisons pour lesquelles elle classe les systèmes latins en « académiques » et les systèmes nordiques en « progressistes » ; le flou de cette opposition devenant particulièrement éclatant lorsque, pour éclairer les exceptions française et finlandaise elle en vient à expliquer que la France a glissé vers un puérocentrisme « progressiste » à partir du début des années 90 et qu’à l’opposé, sous les apparences progressistes du cas finlandais, se dissimule un enseignement resté très académique.
Cette typologie ne prend pas en compte la dimension didactique des apprentissages : or celle-ci peut être tout à fait décisive pour rendre compte du succès des apprentissages initiaux, et on ne voit pas bien comment on peut sérieusement interroger le succès finlandais en matière de maîtrise de la langue écrite sans se demander comment on apprend à lire, et comment les modes d’entrée dans la pensée mathématique pourraient être indifférents au succès coréen dans cette discipline.
L’explication enfin des exceptions française et finlandaise laisse pour le moins perplexe :
Nathalie Bulle impute la dégradation des résultats de l’école française depuis 15 ans, telle qu’elle est mesurée tant par la DEPP que par PISA, à une uniformisation croissante des cursus (elle évoque à cet égard la suppression de l’orientation en fin de 5ème), alors même que cette apparente uniformisation s’accompagne d’un accroissement inédit de la concurrence entre les élèves et d’un écart croissant entre leurs parcours d’apprentissage effectifs.
à l’inverse elle impute le renforcement de l’école finlandaise à la diversification des parcours qui résulterait du développement des pratiques de remédiation : ce qui est tout aussi absurde puisque à la différence du cas français précisément ces pratiques de remédiation visent (et contribuent dans une large mesure effectivement) à amener tous les élèves au même point d’aboutissement de leur scolarité, et donc à… unifier les parcours. Passons enfin sur la psychologie des peuples pratiquée par Nathalie Bulle et le rôle qu’elle attribue au caractère national finlandais, "discipliné" et "obéissant", ce qui laisserait supposer que l’héritage mental de la révolution française ferait obstacle aux apprentissages de la langue écrite et des mathématiques ; comme sur la remarque concernant la facilité d’apprentissage de la lecture du fait du caractère très phonétique de l’écriture du finnois : elle ne sait sans doute pas que les deux premières années de l’école fondamentale sont consacrées à l’apprentissage de la langue maternelle, qui peut être le finnois… mais aussi le suédois ou le saami.
Voir en ligne : L’imaginaire réformateur - PISA et les politiques de l’école
[1] L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, Seuil, Paris, 2009
[2] La Finlande : un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, ESF, Paris, 2009
[3] Voir à ce sujet, sur le site du GRDS, PISA, commentaires et enseignements d’une comparaison internationale
Messages
1. Ne pas confondre recherche scientifique et rhétorique, 16 février 2010, 21:03
Ne pas confondre recherche scientifique et argumentation rhétorique... Ceci est valable pour votre présent commentaire
Exception finlandaise : 8% des élèves en classes spéciales à plein temps et 22% à temps partiel (mathématiques, finnois…) + voies d’approfondissement proposées.
Cf. aussi L’école et son double (où est défendue une approche historico-culturelle du développement, Vygotski). Au contraire, le progressisme pédagogique est enraciné dans le modèle biologique d’évolution avec toutes les conséquences idéologiques que cela peut ou a pu entraîner (cf. par exemple Spencer, Baldwin)… Un Le Bon était un admirateur des méthodes américaines d’éducation…
Nathalie Bulle