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Un enseignement musical ambitieux pour tous
mardi 17 mai 2022, par
Professeure agrégée d’éducation musicale depuis une quinzaine d’années, j’en ai passé onze en REP, avant d’enseigner depuis quatre ans dans un établissement plutôt favorisé dont les classes présentent toutes une très forte hétérogénéité de niveau. Ce parcours m’a offert un panorama assez large des enjeux de l’enseignement de la musique en collège.
Les représentations d’un cours d’éducation musicale aujourd’hui sont pleines de présupposés, d’images d’Epinal. Les gens l’associent à des notions comme « flûte à bec », « bruits », « amusement », « stress intense à l’idée de passer devant sa classe », « matière secondaire »… C’est une matière un peu déconsidérée d’autant plus qu’elle ne représente qu’une heure par semaine dans l’emploi du temps. Elle n’est pas scolairement rentable, aux dires des élèves, car « elle ne permet pas de trouver un métier ». Enfin elle n’est pas enseignée au lycée (sauf pour les élèves qui choisissent cette option) et s’arrête donc en fin de 3ème. Cependant, inscrite dans l’emploi du temps obligatoire des élèves, avec des programmes nationaux, il s’agit d’une matière à part entière, et on ne peut pas l’enseigner en acceptant de se conformer à cette image convenue : un cours où on peut s’amuser, se détendre, avoir facilement de bonnes notes, et surtout un cours qui ne pèsera pas vraiment dans l’obtention d’une orientation à la fin de la 3ème.
Il faut donc avoir des exigences pour les élèves et réussir à les intéresser à la maîtrise de connaissances et de compétences qui a priori ne les intéresseraient pas forcément. Comme face à tout défi intellectuel bien posé, je constate que les élèves sont contents de pouvoir maîtriser cette culture musicale, de réussir l’interprétation d’un chant et d’apprécier une œuvre une fois qu’elle a été étudiée. Le cours de musique est un cours où se déroule la transmission de compétences (chanter seul, en groupe, aborder la création musicale), et d’une culture que seule l’école peut apporter. En effet peu d’élèves pratiquent la musique, que ce soit en conservatoire, MJC, cours privés ou en autodidacte.
Si une heure de cours de musique au collège par semaine, c’est peu, quatre années de musique sont une durée qui devrait permettre de se frotter à une culture musicale d’une grande richesse qui n’est pas limitée à la musique classique occidentale. Que doivent retirer les élèves des cours d’éducation musicale ? Les programmes définissent des compétences à acquérir tout au long du collège mais elles demeurent assez vagues : interpréter, créer, comparer… Un document d’accompagnement décline ces compétences en fonction des domaines musicaux (timbres, espaces, durée…). Mais comment concrètement le professeur peut-il transmettre cette culture et ces compétences ? Que se passe-t-il dans un cours de musique ? Comment les apprentissages fondamentaux prennent-ils toute leur place dans ce cours ? Quelle est la spécificité de ce cours ? Comment mettre les élèves en réussite ? Je vais essayer ici de décrire la manière dont je travaille pour tenter de répondre à ces questions.
Poser une problématique
Comme pour tout enseignant, il est indispensable de partir du principe que les élèves ne seront pas aidés par leurs parents dans l’apprentissage de ce cours et pour la compréhension des notions abordées. Peu de parents ont fait suffisamment de musique pour aider leur enfant. En outre ce cours est souvent considéré comme secondaire, ludique, et permettant de relâcher la pression par rapport aux autres cours. Si l’on veut tout de même que les élèves s’impliquent sérieusement dans cet enseignement, il faut leur donner de manière efficace les clés et un cadre clair pour entrer dans cette culture dont ils sont éloignés.
Une séquence en éducation musicale se déroule en cinq à six séances, évaluation comprise. Chaque séquence doit être construite à partir d’une problématique, chaque séance devant répondre à un aspect de celle-ci. Le choix des thématiques est large, il s’agit de sujets qui croisent les époques et les lieux (ce qui est demandé par l’institution). Parfois je choisis néanmoins des sujets qui approfondissent une époque ou une œuvre en particulier. De plus la pratique musicale réalisée en cours est censée répondre également à la problématique de la séquence.
Le problème de trop croiser les connaissances est que cela nécessite de la part des élèves une forte connaissance de l’histoire de la musique, de l’enchaînement des époques. Or il me semble que la représentation que se font les élèves de la culture musicale se divise en trois parties : la musique écoutée à la maison, la musique dite « classique » et les musiques du monde. La musique leur apparaît comme quelque chose de stable qui n’évolue pas, qui n’a pas d’histoire.
Parfois il est pertinent de pouvoir passer du temps sur une seule œuvre emblématique ou sur une époque pour travailler finement son analyse et la compréhension de certains mécanismes qui permettent un meilleur ancrage des connaissances. On peut se poser la question de ce qu’il doit « rester » des cours d’éducation musicale une fois le collège terminé : des notions d’histoire de l’art ? Le souvenir d’une expérience culturelle et artistique ? Des références culturelles communes ?
Écouter et parler de la musique
Dans un cours, l’heure se partage en plusieurs activités : d’un côté la pratique, et de l’autre l’écoute et la culture musicale. L’objectif demandé par les programmes est que ces deux parties soient étroitement imbriquées, que les pratiques nourrissent l’écoute et vice-versa. Ce n’est pas si simple à mettre en place. L’acquisition des notions et celle d’un certain niveau de pratique nécessitent diverses stratégies. De plus ces deux types d’activité demandent une implication différente des élèves : l’activité d’écoute ressemblerait plus à une activité de cours « classique », l’élève est assis et en situation d’écoute, de réflexion, d’échange ou de production écrite. La pratique, elle, nécessite que l’élève soit entièrement mobilisé : le corps, la voix et l’esprit sont actifs. L’aspect collectif joue un grand rôle. J’explique aux élèves ce que ces deux activités impliquent en termes de discipline et d’attitude : être tonique et dynamique tout en étant sérieux et concentré, oser faire les exercices demandés devant les autres, ce qui est difficile… mais pas impossible. On est finalement loin d’un cours purement récréatif.
En cours d’éducation musicale, l’écoute d’une œuvre ne se limite pas à une simple écoute passive, à visée divertissante ou relaxante : l’objectif est de comprendre que l’œuvre est un objet d’étude et qu’on doit dépasser le « j’aime bien », « j’aime pas ». Parler d’une musique est difficile. Comment entrer dans l’écoute d’une œuvre la plupart du temps inconnue et éloignée des habitudes d’écoute des élèves ? Chaque personne n’entend pas la musique de la même façon, certaines vont entendre quelque chose de global, certaines vont entendre des détails. A titre d’exemple, il arrive fréquemment qu’un élève qui entend une symphonie pour la première fois dise : « j’entends un violon », ou ne soit pas capable de préciser qu’il entend une voix en plus des instruments. A cela s’ajoute la dimension temporelle. La musique se déroule dans le temps et comporte des phrases musicales, des thèmes, des reprises, des ruptures… Il y a donc une forme et une « syntaxe » à comprendre.
Comment un élève entend-il la musique ? Un professeur a l’oreille exercée : un timbre instrumental, un thème, un plan sonore sont directement entendus sans se poser plus de question. L’enjeu pour le professeur est d’amener ses élèves à prendre conscience de tous ces éléments. Il faut arriver à ce qu’ils acquièrent le bon vocabulaire et la bonne méthode pour pouvoir parler de musique (et la pratiquer). Les stratégies mises en œuvre doivent être là aussi nombreuses.
Pour mettre en place un rituel d’écoute constructif et pour que chaque élève arrive à exprimer et expliquer ce qu’il entend au premier abord dans une œuvre musicale, j’ai réalisé des affiches avec le vocabulaire attendu : caractère, formation, tempo, nuance, ce qui correspond aux premières questions qu’il faut se poser tout en écoutant. Ainsi sur les murs de la salle, chaque élève a accès au vocabulaire nécessaire pour présenter rapidement et précisément une œuvre. La mise à disposition de ce vocabulaire permet à tous les élèves de mettre rapidement en place des grilles de lectures élémentaires pour développer et préciser leurs analyses. Par exemple, je souhaite petit à petit qu’un élève ne dise plus « le caractère est rapide » ou « le rythme est crescendo » mais « le caractère est énergique » et « le tempo accélère ».
On aborde le plus souvent une œuvre sous son aspect sensible via les émotions qu’elle fait naître chez les élèves. Chacun possède sa propre personnalité et sensibilité, mais beaucoup d’élèves ont des difficultés à mettre des mots sur leurs émotions. La liste de mots sur l’affiche caractère les aide une fois que chaque mot (mélancolique, dramatique, funèbre, agile, volubile…) a été expliqué. Au fur et à mesure de la scolarité je demande aux élèves de justifier, d’expliquer pourquoi ils attribuent tel caractère à telle musique. Progressivement ils se rendent compte que la nuance, le tempo ou le type de formation jouent un rôle. Finalement, insensiblement, on aborde ainsi les aspects techniques de la discipline musicale au lieu de rester à sa surface.
Bien sûr, on ne saurait réduire l’activité d’écoute à l’expression des émotions provoquées par la musique, il reste en effet à comprendre comment celle-ci est composée, ses caractéristiques stylistiques, le contexte de création, ce qui est l’objectif du cours. Il faut imaginer que, lorsqu’on écoute une œuvre, on est une sorte d’enquêteur à la recherche d’indices. Ce sont ces indices qui permettent de répondre à la problématique du cours. Tout au long des quatre années de collège, je souhaite que les élèves arrivent à faire le lien entre une œuvre ou un extrait d’œuvre et ce questionnement. Cela aboutit, à partir de la quatrième, en fin de séquence, à un commentaire d’écoute où il s’agit d’écouter une œuvre inconnue puis de retrouver les éléments musicaux qui répondent à ou mettent en valeur la problématique travaillée.
A partir de la quatrième, une partie des évaluations consiste en un développement construit où il s’agit pour l’élève de montrer sa capacité à répondre à une problématique. Comme en histoire-géographie ou en français, le développement construit consiste à répondre à une question complexe de manière argumentée. J’essaye, dans la mesure du possible, d’utiliser le même vocabulaire que mes collègues et le même type de grille d’évaluation. Ainsi les élèves ont conscience que le niveau d’exigence en éducation musicale est le même que dans les autres matières et qu’il faut avoir la même qualité de rédaction dans toutes les disciplines.
Avec le temps j’ai constaté que la ritualisation est très importante dans l’acquisition du vocabulaire, de la méthode et finalement des codes scolaires à intégrer. Cela sécurise les élèves. J’essaye d’être la plus exigeante possible sur le vocabulaire employé en classe par les élèves et sur la qualité de leurs réponses orales. Même à l’oral, j’attends des élèves qu’ils fassent des phrases bien construites et ne se contentent pas de lancer les réponses sous forme de simples mots.
Pratiquer collectivement
Ce que j’appelle la pratique en cours d’éducation musicale consiste en des activités rythmiques et vocales. Il est compliqué de faire chanter une classe qui n’en a pas forcément envie, qui manque d’énergie ou, au contraire, qui déborde d’énergie. Je commence par faire un échauffement physique et vocal en fonction de l’état de la classe, quitte parfois à aller chercher des postures ou des sons qui sortent de la zone de confort. De cette manière je cherche à mobiliser leur attention et mettre leur corps en mouvement pour bien chanter. Pour cela, faire des exercices rythmiques (variables à l’infini) mêlant percussions corporelles et voix est intéressant. C’est aussi une pratique collective, les élèves comprennent qu’on doit répéter jusqu’à ce que tout le monde y arrive. Pour que le résultat final soit une réussite, il faut que ce soit bien fait par chacun. Chaque élève se met au service du collectif.
Pour que l’élève ait la place de bouger, la disposition de la salle est particulière : les chaises sont en U avec les tables placées derrière les chaises (les tables sont utilisées uniquement lors des phases écrites du cours). Cela laisse l’espace central disponible (pour l’échauffement vocal, le travail sur la percussion corporelle...etc.) et permet une meilleure circulation et mise en place des élèves quand il faut se disposer par « voix », c’est-à-dire quand les élèves doivent se regrouper (chaque groupe chantant une mélodie ou faisant un rythme différent). Cela facilite enfin la prise en main des percussions (djembé). L’espace de la salle de classe est donc flexible.
En chant, il est intéressant d’accéder rapidement à la pratique polyphonique, car celle-ci offre la possibilité de chanter à plusieurs voix, permettant d’accéder au plaisir unique qui naît de l’interaction des différentes voix musicales. La polyphonie est reconnue comme étant une pratique difficile par les élèves, mais en contrepartie le fait d’arriver à jouer une œuvre polyphonique s’avère extrêmement valorisant et gratifiant. En troisième, sur certains chants, les élèves sont capables de chanter à trois voix différentes. La prise en compte des tessitures (voix grave ou aiguë) des élèves permet d’accorder une attention à chacun via l’attention accordée à sa voix et cela s’avère très positif pour générer une dynamique collective du chœur-classe.
L’apprentissage du chant se déroule pendant plusieurs séances mais la première est la plus importante. L’apprentissage se déroule en assimilant des fragments de plus en plus longs de la phrase musicale, en suivant une alternance professeur/modèle, chœur-classe. A ce moment du cours, je ne parle plus, tout est donné à travers le chant, le parlé-rythmé et l’exemple... Un bon apprentissage est un apprentissage qui se déroule de manière continue sans aucun arrêt, jusqu’à ce que la classe soit capable de chanter par cœur le couplet ou le refrain. Cela peut durer jusqu’à quinze minutes et demande beaucoup d’attention de la part des élèves car je peux modifier la nuance, l’expression ou le tempo. Pour le professeur, cette méthode nécessite de connaître le chant, le texte, l’accompagnement clavier par cœur, tout en veillant à ce que que la posture des élèves reste dynamique. La gestuelle et le regard sont cruciaux : je peux leur demander de se lever, de se redresser, de relâcher les épaules d’un geste ou d’un regard sans interrompre la musique. Pour certains chants, il m’arrive de demander aux élèves de faire des gestes ou même des pas chorégraphiés pour les aider dans l’apprentissage et la mémorisation du texte. Ce qui a en outre la vertu de maintenir une posture dynamique.
En classe, dans certaines séquences nous travaillons avec des djembés ou d’autres percussions. Rappelons que le rythme est un élément fondamental de tous les langages musicaux. La pratique est ici un moyen privilégié de transmission. Comment faire pour que tous les élèves réussissent ? Les difficultés sont nombreuses : certains élèves sont arythmiques, d’autres ont des problèmes de coordination et de motricité. L’apprentissage doit donc répondre à chacune de ces difficultés et je varie les approches : imitation des gestes, explication orale, explicitation par écrit des formules rythmiques (certains élèves ont besoin de passer par une phase « théorique »). J’indique que je suis en miroir avec les élèves. Cette même posture en miroir est utilisée dans les exercices d’échauffement et de percussions corporelles. Je commence par utiliser les méthodes traditionnelles de transmission orale utilisées dans l’apprentissage des rythmes : des onomatopées spécifiques indiquent où taper sur la percussion (doum, ta, ka dans la musique arabe par exemple). Puis j’écris le rythme au tableau (à la fois en utilisant les symboles musicaux appropriés et l’écriture des noms des rythmes), je donne l’endroit de la percussion où il faut frapper (bord – centre) et j’indique le nombre de frappes pour chaque endroit. Je laisse alors un temps aux élèves pour qu’ils s’entraînent seuls, quelques minutes, avec la consigne « je fais à ma vitesse mais pas trop fort », puis il s’entraîne par binômes puis par groupes de quatre. Je ne rencontre pas de réticence. Les élèves en difficulté me sollicitent à ce moment-là (il en reste peu, un ou deux par classe). Je les aide alors à faire le geste et le rythme. Ensuite la classe entière exécute l’exercice sans que je les dirige, mais je leur demande de se regarder les uns les autres pour vérifier qu’ils sont bien ensemble. Une classe qui réussit bien est une classe qui sait se regarder et s’écouter. Cette décomposition précise des étapes pour réaliser le travail demandé doit être centrale pour l’enseignant afin de viser la réussite de tous.
Conclusion
En étant professeur d’éducation musicale, on a souvent les élèves trois années sur les quatre qu’ils passent au collège, ce qui est moins fréquent dans les autres disciplines. J’essaye de créer tôt des rituels et des méthodes de fonctionnement pour que la mise au travail soit rapide tout le reste de la scolarité au collège. Je peux m’appuyer ce qui a été vu dans les années antérieures (vocabulaire technique, capacité d’écoute, de concentration, capacités vocales). L’acquisition d’une culture musicale, qui comprend et les connaissances théoriques et la pratique, se construit dans le temps ; c’est cela qu’en retiendront les élèves. Ils en retiendront aussi une méthode rigoureuse. Pour l’enseignant, cela nécessite d’accepter de se remettre en cause, tout en ne sacrifiant ni son exigence ni son ambition pour la réussite de tous ses élèves, et ce, qu’il soit face à des collégiens de REP ou face à un public favorisé.