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Littérature de jeunesse : le niveau monte !

L’école au défi de l’enseigner à tous.

samedi 20 mars 2010, par Stéphane Bonnéry

La littérature de jeunesse s’est développée au point de devenir un espace de création à part entière. Si elle a de longue date été présente dans l’école, cette littérature a connu son essor propre, hors l’école. Mais depuis les années 90, on note un accroissement du recours à la littérature de jeunesse en classe, sous des formes très diverses, et finalement peu identifiées dans leur hétérogénéité comme dans leurs effets. Les instructions officielles de 2002, consacrant la littérature de jeunesse comme à la fois discipline au concours de professeur des écoles, et comme objet d’enseignement dès la maternelle, renforcent la légitimité de cette littérature, et semblent de nature à accroitre sa place dans l’école.

Mais suffit-il de consacrer la littérature de jeunesse, de valoriser son usage et de le prescrire, pour que dans les pratiques, les formes d’enseignement permettent à tous les élèves d’y accéder ? Cette question, peu posée, était déjà d’actualité avant les dernières réformes. Et ce, d’autant plus qu’un aspect de cette littérature de jeunesse, qui me semble essentiel, a très peu été exploré. En effet, en devenant des œuvres à part entière, les albums sont devenus des objets plus complexes, et leurs auteurs ont intégré à leur création des conceptions dérivées de discours sociaux émergents comme de théories savantes de la littérature et de la lecture, de l’enfance et de l’éducation.

La convergence de ces influences conduit à des albums qui considèrent le lecteur comme actif dans son activité de lecture, qui font une place aux interprétations de celui-ci, sollicitent de sa part la formulation et la rectification d’hypothèses de lecture… et ce, dès le cycle 2 (grande section, CP, CE1), c’est-à-dire avant même que l’on puisse considérer que l’enfant est tout à fait autonome dans la lecture, tant au sens du « décodage » que de la lecture de textes longs et d’ouvrages.

Face à des objets culturels plus complexes, plusieurs choix semblent s’opposer :

  1. De toute évidence, et pas seulement entre les lignes, les dernières réformes semblent aller dans le sens d’un renoncement à confronter tous les élèves à la complexité, aux ouvrages qui sont potentiellement plus riches en activités possibles.
  2. Un autre choix pose le problème inverse. Il consiste à ignorer cette complexité ou à la valoriser, mais en considérant de façon doucereuse que les activités intellectuelles pour s’approprier le sens d’albums complexes viennent « naturellement », par la simple fréquentation. On oublie ici que des dispositions spécifiques à la « lecture experte » sont le résultat de constructions qui, si elles sont assurées dans une minorité de familles, supposent que l’école prenne en charge leur développement chez chaque élève.

Il semble plutôt opportun que l’école se voit dotée des conditions pour penser des façons d’enseigner rationnellement cette littérature dès la maternelle.

Mais pour ce faire, il semble nécessaire d’identifier plus précisément ce qui fait difficulté, complexité… et donc simultanément objet de développement intellectuel et risque d’inégalité si les dispositifs pédagogiques ne conduisent pas chacun à surmonter cette difficulté inhérente à la confrontation à des objets complexes.

Tel est l’objet du premier volet de la recherche que je coordonne dans le cadre de l’équipe CIRCEFT-ESCOL. Elle porte sur l’étude de l’évolution de la littérature de jeunesse, sous l’angle des types de raisonnements intellectuels, des types d’activités de lecture, qu’elle suppose ou sollicite. C’est l’objet du texte consultable ici, qui est la retranscription telle qu’elle (donc dans un style très « oral ») de la communication que j’ai faite lors d’un colloque passionnant, intitulé « L’enfant et le livre : tensions à l’œuvre », à l’IUT de La Roche sur Yon.

Une étape ultérieure consistera à étudier les usages qui en sont faits en classe.

Au-delà de la question de la littérature de jeunesse, cette recherche, par un petit bout, vise aussi à étayer la thèse de l’élévation des exigences scolaires et de l’élévation des activités intellectuelles sollicitées dans notre société dès l’enfance (y compris hors l’école). Ainsi, la question qui est posée à partir des albums vaut plus généralement : si l’on montre que notre société développe des supports culturels qui sollicitent des activités intellectuelles plus complexes, n’est-il pas indispensable de les transmettre à tous ? Et qui, mieux que l’école commune, pourrait entreprendre ce chantier ?

Dès lors, pour sortir de la contradiction entre l’élévation du niveau visé et les inégalités sociales d’apprentissage autrement que par le renoncement assumé à l’égalité ou la cécité face aux classes à plusieurs vitesses, il semble nécessaire de penser sur les pratiques à inventer, à diffuser, en lien avec l’analyse des objets de savoir et de culture.

Car il n’est pas si facile d’enseigner des objets de savoir et de
culture plus complexes. Les enseignants ne sont ni impuissants ni
omniscients : ils ont besoin d’outils élaborés, d’espaces de formation,
de réflexion et de confrontation et de réflexivité sur leur expérience.
La création de cet espace de réflexion pédagogique est un enjeu politique.


Voir en ligne : L’enfant et le livre, l’enfant dans le livre