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La formation des enseignants de l’école commune

vendredi 10 février 2012, par L’équipe du GRDS

Notre projet de substituer à l’actuelle "école unique" une "école commune", caractérisée notamment par un tronc commun de 3 à 18 ans, la suppression des notes et de la concurrence entre les élèves, un vaste réexamen des procédures d’apprentissage et des contenus d’enseignement ainsi que de la culture commune à transmettre aux jeunes générations implique à l’évidence de reconsidérer la formation des enseignants : de quels types d’enseignants l’école commune a-t-elle besoin pour prendre en charge une telle organisation des scolarités avec pour objectif la réussite scolaire de tous les élèves ? C’est à cette question que nous nous efforcerons d’apporter ici des pistes de réponse [1].

L’école commune se fixant pour objectif de permettre l’accès de tous les élèves (quelle que soit leur origine socio-culturelle) à un haut niveau de culture générale et technologique grâce à une conduite beaucoup plus efficace des apprentissages que ce n’est le cas aujourd’hui, une des conditions requises est donc l’acquisition d’un haut niveau de formation professionnelle de tous les enseignants. Encore convient-il de s’entendre sur ce que nous entendons sous les vocables de « haut niveau » et de « formation professionnelle ».

La fameuse formule « Il ne suffit pas de bien connaître ce que l’on enseigne pour bien l’enseigner » a un coté mystifiant en supposant implicitement une opposition entre d’un côté la maîtrise des contenus d’enseignement et de l’autre la compétence pédagogique. En réalité, il s’agit là de deux dimensions indissociables de la professionnalité enseignante qui se recouvrent pour l’essentiel, leur zone commune – les savoirs curriculaires et la maîtrise de leur didactique - constituant le noyau dur de cette professionnalité. Quant à la capacité à mettre en œuvre des pratiques pédagogiques pertinentes et efficaces – c’est-à-dire adaptées aux objectifs et aux contraintes du système éducatif lui-même ainsi qu’aux ressources langagières et intellectuelles des élèves, elle ne peut valablement être acquise – une fois les futurs enseignants dûment instruits des méthodes existantes - que grâce la pratique d’un rapport réflexif à leurs propres pratiques pédagogiques, dans toute leur complexité et dans tous leurs aspects, et dans leur confrontation avec celles des autres.

Ce sont ces deux aspects que nous examinerons ici, qui justifieront, en guise de conclusion, nos propositions concernant les parcours de formation des enseignants, de l’école première (maternelle-élémentaire) à l’école secondaire (collège-lycée).

1. La formation disciplinaire.

La qualité de la formation de tous les enseignants dans leur discipline d’enseignement est une condition décisive de réussite de notre projet de tronc commun de culture commune jusqu’au baccalauréat tant il est vrai, comme le montre, par exemple, Jérôme Deauvieau [2], que la qualité de la transmission d’un savoir est très dépendante du rapport qu’entretient l’enseignant à la discipline qu’il enseigne. Ce haut niveau de compétence disciplinaire, épistémologique et didactique, tant dans sa forme savante que dans sa forme curriculaire, - qui devra s’enrichir tout au long de la carrière d’une formation continue en relation avec les progrès de la recherche - doit permettre aux futurs enseignants de confronter leur expérience à celle de leurs collègues et des chercheurs en didactique des disciplines, et ainsi d’adapter leur manière de faire aux exigences de la réussite de tous face aux difficultés rencontrées dans le cadre d’une définition nationale des objectifs d’apprentissage. La formation initiale doit donc être conçue – dans le temps comme dans la forme – de sorte qu’elle permette à tous les enseignants de s’approprier un ensemble de savoirs qui concernent à la fois les connaissances produites dans leur discipline, les conditions et modalités de leur production, l’histoire même de ces connaissances, de ce qui en a été transmis dans le système éducatif et de la façon – et avec quel impact – elles ont été transmises.

Parmi les contenus disciplinaires dont doivent s‘emparer les futurs enseignants, on distinguera trois registres de savoirs :

- a) Les savoirs « universitaires » ou « savoirs savants » : ils sont constitués des savoirs actuels, tels qu’ils sont élaborés et validés par la recherche scientifique. Dispensés tout au long des cinq années de formation initiale, les enseignements porteront donc sur l’état des connaissances, mais aussi sur les débats qui traversent la discipline et leurs enjeux, ainsi que sur l’histoire et les conditions de production de ces connaissances, débouchant sur l’obtention d’un Master et sur une possibilité d’inscription en thèse.

- b) Pour autant, les savoirs « scolaires » que les enseignants auront pour mission de transmettre à leurs élèves ne sauraient être confondus avec les « savoirs savants ». Comme le montre Isabelle Harlé [3], ces savoirs sont fabriqués par l’institution scolaire qui les diffuse pour ses propres finalités. Ce sont des savoirs issus de la connaissance savante mais ayant fait l’objet d’une « transposition didactique » qui les a transformés en objets d’apprentissage scolaire. Pour maîtriser leur sujet, les futurs enseignants devront donc les penser en ces termes, ce qui implique qu’ils soient en mesure de s’approprier les théories existantes sur la façon dont des savoirs scientifiques, culturels, sociaux, sont institués en savoirs scolaires, à quels moments de leur histoire et pour quelles raisons.

- c) Enfin, les enseignants devront être préparés à affronter les difficultés d’apprentissage que rencontreront leurs élèves, ce qui implique d’être en mesure d’en identifier la nature afin d’élaborer les stratégies pédagogiques permettant de les surmonter. Leur formation didactique est donc essentielle, constitutive de leur formation disciplinaire. La maîtrise du programme de la discipline tel qu’il est enseigné dans sa progressivité tout au long du cursus et des façons d’enseigner que les élèves auront pu rencontrer dans leur histoire scolaire permettront d’affronter ces difficultés de manière positive, car interroger le sens de la difficulté d’apprentissage bien identifiée, donner à voir à l’élève sur quoi il bute et pourquoi sont des dimensions essentielles de toute pratique pédagogique efficace. Ainsi, par exemple, on sait que l’erreur est inhérente aux apprentissages, puisque apprendre, c’est être confronté à quelque chose que l’on ne connaît pas encore, ou que l’on maîtrise mal. Elle n’est donc ni à condamner ni à minimiser, mais à interroger, ce qui permet de la dépasser. Une gestion pédagogique non-culpabilisante, mais au contraire dynamisante des erreurs est en fait une des raisons qui nous conduisent à proposer l’abandon de la notation sommative pour donner toute sa place à l ‘évaluation formative tout au long du cursus. Nous touchons là à un des aspects de la formation de la nouvelle culture enseignante que nous proposons de construire, détachée des objectifs de sélection de l’école unique.

2 : Formation commune et formation spécifique.

La tâche fondamentale de l’école, est de construire chez les élèves le rapport spécifique au langage qu’implique la culture de l’écrit [4] par lequel passe l’accumulation des connaissances historiquement constituées. Or aujourd’hui, nous pouvons nous appuyer sur des travaux qui font la démonstration que tous les enfants, à partir du moment où ils parlent ont, en tant qu’êtres de langage, les ressources intellectuelles nécessaires pour entrer dans les apprentissages de la culture écrite, et qu’il est donc possible de compter sur une réelle égalité potentielle des intelligences pour mettre en œuvre les voies et moyens de la réussite scolaire de tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale et culturelle.

L’histoire du système éducatif français a fait que des différences fonctionnelles importantes existent entre l’organisation des scolarités de l’école enfantine [5], du premier et du second degré et, par voie de conséquence, dans la formation des enseignants entre ces niveaux d’enseignement. Or, en faisant du tronc commun de culture commune de deux/trois à dix huit ans le cœur du système éducatif, l’école commune favorise la continuité du parcours scolaire des élèves. Elle invite du coup à réduire les distinctions entre niveaux et entre degrés d’enseignement dans la formation des enseignants à ces différences strictement fonctionnelles. Il en va ainsi entre l’école enfantine et l’école première où s’opère l’entrée dans la culture écrite (essentiellement pratiques de la langue et des mathématiques), et entre l’école première et le second degré où les enseignements sont assurés par des professeurs spécialisés qui n’ont pas en charge principalement une classe, mais avant tout l’enseignement d’une discipline.

Pour tout ce qui ne dépend pas de ces différences, la situation des professeurs de l’école commune devrait donc tendre à se rapprocher, tant du point de vue du niveau de formation et de recrutement, que de modalités de carrière (salaires, promotions…) et de charge de travail.

2-1 : La formation des maîtres de l’école première

- a) : La mission primordiale des maîtres de l’école première est de permettre l’appropriation par tous les élèves des bases de la culture écrite, c’est à dire la maîtrise de la langue écrite et des fondements des mathématiques. A ce titre, les élèves doivent pouvoir bénéficier, aux différents niveaux de classe , de la compétence de deux maîtres, chacun étant un spécialiste hautement qualifié dans l’enseignement de l’une de ces deux disciplines. Insistons sur ce point, qui est décisif pour la réussite de notre projet : Le pari de l’école commune n’est crédible qu’à la condition d’une amélioration particulièrement sensible des apprentissages élémentaires, et les enseignants à ce niveau doivent disposer d’une capacité autonome d’analyse des obstacles rencontrés, d’expérimentation de solutions appropriées et donc de maîtrise réfléchie des processus d’apprentissage. Il faut en finir avec l’éclectisme actuel des formations, la psychologisation à outrance des difficultés rencontrées par les élèves et les présupposés handicaps – notamment socio-culturels – plus ou moins consciemment perçus comme indépassables : La conception de la formation des maîtres à ce niveau sera donc restructurée autour d’une discipline d’enseignement et de sa didactique.
Cette réorganisation n’interdit nullement que chacun d’eux soit également formé à un haut niveau dans une autre discipline d’enseignement, selon la spécialité choisie, et en fonction de la variété des exigences programmatiques de l’enseignement à ce niveau : histoire ou géographie, par exemple, pour le littéraire, sciences naturelles ou expérimentales pour le scientifique [6]. Elle n’interdit pas non plus que chacun soit le professeur principal d’une classe, intervenant par ailleurs dans d’autres classes que la sienne pendant que ses propres élèves sont pris en charge par le collègue de l’autre spécialité.
Un réexamen des programmes actuels de l’école élémentaire , qui s’avérera de toutes manières nécessaire dans le cadre de la conception nouvelle de la culture commune qu’implique l’école commune pourrait par ailleurs entraîner un allègement de ces programmes car il est probable que le recentrage et l’efficacité nouvelle des enseignements sur les deux disciplines fondamentales rendra beaucoup plus aisés et rapides les autres enseignements.

Le corps des professeurs de l’école première serait donc constitué de spécialistes, essentiellement de professeurs de français et de mathématiques, contribuant, par là même, à résorber la coupure qui existe actuellement entre l’école élémentaire et le collège [7].

- b) : Le problème est différent pour ce qui concerne les maîtres de l’école enfantine : Celle ci, en effet, a en charge pour l’essentiel une mission de socialisation et d’acculturation globale de l‘enfant à travers des activités principalement orales et graphiques et à forte composante ludique : Elle vise à donner à l’enfant les outils cognitifs, culturels, organisationnels, et méthodologiques qui lui permettront d’entrer progressivement dans la culture scolaire, de passer du statut d’ « enfant » au statut d’ « élève ».
La formation des maîtres de l’école enfantine devra donc se pencher sérieusement sur les particularités de cette école, en apportant un soin tout particulier aux méthodes de repérage des difficultés rencontrées par l’enfant et des traitements qui peuvent leur être associés. Un important travail de recherche et d’élaboration de cursus reste à mener sur cette question, insuffisamment explorée jusqu’ici par la recherche.

Nous avons pleinement conscience que cette nouvelle conception de la formation des maîtres de l’école première représente un saut historique considérable car elle rompt avec une conception très ancienne consistant à penser qu’il est plus facile d’enseigner à des enfants plus jeunes des savoirs plus simples et donc qu’il est inutile d’exiger des maîtres de cette école un niveau de qualification très élevé dans la (les) discipline(s) enseignée(s). Il se justifie pourtant pleinement si l’on prend en considération que la qualité du parcours scolaire se joue largement lors des toutes premières années de scolarité, là où peut se nouer un rapport de plaisir ou, à l’inverse, de souffrance aux processus d’acquisition des savoirs, et que la crédibilité même de notre projet de tronc commun de la maternelle au lycée implique une amélioration radicale des apprentissages élémentaires pour tous les élèves conduisant à l’éradication de l’échec scolaire.

- c) Pour ce qui concerne la formation des enseignants du second degré, la perspective d’école commune que nous proposons modifie également de façon significative un mode de recrutement qui se joue aujourd’hui essentiellement sur l’évaluation de la qualification acquise dans la discipline enseignée. La prise en charge de la formation didactique, des éléments de formation commune à tous les enseignants ainsi que des stages en situation dans le cadre d’un master universitaire permettra d’intégrer pleinement les nouveaux contenus de formation décrits ci-dessus dans le processus d’évaluation.

2-2 : Formation commune.

- a) L’école commune n’est pas concevable, sans une forte amélioration de l’efficacité des pratiques enseignantes. C’est là une seconde grande condition de la démocratisation scolaire, qui ne saurait être réalisée sans que les enseignants se réapproprient, dans leur masse, la maîtrise des gestes du métier. De nos jours, les dispositifs de scolarisation qui pilotent à distance leur activité dans les classes, définissant les pédagogies légitimes au travers des instructions officielles, voire des manuels scolaires, ont toujours été conçus, depuis la loi Guizot de 1833, par des experts extérieurs qui s’embarrassent peu de retours d’expérience. L’amélioration du rendement de l’action pédagogique ne peut passer, à l’inverse, que par une autogestion instruite et collectivement maîtrisée de l’activité enseignante. Seuls en effet des enseignants bien formés et capables de dialoguer sur un pied d’égalité avec les chercheurs, mus par l’intérêt du métier et donc par le désir de la réussite des élèves, sont en position d’expérimenter, d’identifier et d’intégrer en savoir faire professionnels les façons d’apprendre les plus performantes.
La formation aux manières de faire (les pédagogies pratiquées) ne souffre donc pas l’administration de recettes, quelles qu’elles soient. Elle s’acquiert, pour l’essentiel, par un va et vient permanent entre la pratique de la classe et la réflexion théorique sur les pratiques mises en œuvre - ou les pratiques observées – et leurs effets concrets. Elle devra en particulier se pencher sur les raisons et les manières de gérer les phénomènes d’indiscipline, d’incivilité, de rejet des contraintes inhérentes à tout processus d’apprentissage. Une réflexion sur la nature, les modalités d’appropriation et les finalités de l’autorité dans la classe et, plus largement, dans les différents aspects de la vie de l’institution scolaire est nécessaire, et il faudra en corollaire s’interroger sur la distinction qu’elle entretient avec la force, le droit, la contrainte légale ou physique.

- b) Une des sources principales du mal vivre de nombreux élèves à l’école – notamment dans le second degré - réside dans les inégalités conduisant aux tris, aux sélections implacables fondées sur l’échec scolaire, et la conscience forte qu’en ont tant les élèves que les parents des enjeux de la réussite scolaire face à l’avenir professionnel. La disparition progressive de ces phénomènes que nous proposons avec la mise en œuvre des modalités du tronc commun de culture commune de l’école élémentaire au lycée devrait permettre de faire disparaître une grande partie de ces problèmes. Mais le rapport qui existe entre les questions d’apprentissage et celles qui concernent l’autorité et le relationnel restera quoi qu’il en soit une question centrale. D’où l’importance des stages pratiques dans le cadre de la formation, qui permettront de nourrir la réflexion et la pratique enseignante au travers des situations de classe diversifiées que les stagiaires seront à même de vivre et analyser.
Ceci étant, certains élèves rencontrent des difficultés que les seules pratiques enseignantes ne peuvent pas régler, car elles trouvent leurs sources et motivations hors du contexte scolaire. La formation doit donc également inclure une connaissance fine des ressources institutionnelles (dans et hors de l’école) où il est possible de trouver des compétences en mesure d’aider les élèves à surmonter leurs difficultés.

- c) Tout processus d’apprentissage implique la mise en activité intellectuelle du sujet apprenant, à partir de son système de pensée et de valeurs, de ses ressorts émotionnels et affectifs. La formation professionnelle des enseignants implique donc qu’ils soient également instruits sur les ressources linguistiques et intellectuelles dont disposent les élèves, ainsi que sur les déterminants psycho-sociaux qui les font agir aux différents stades de leur développement.
Par ailleurs, la formation des jeunes à un univers culturel se fait dans de multiples lieux (famille ; environnement social…) qui renvoient à des modalités et des contenus d’apprentissage très variés. L’école est un de ces lieux, parmi d’autres, mais particulier puisqu’elle a pour principale fonction de faire entrer les élèves dans la culture écrite. Or nous savons que, au départ, nous pouvons compter sur une réelle égalité des intelligences et des capacités de chaque enfant [8]. La lutte pour la réussite scolaire de tous doit donc nécessairement prendre en compte ces différences d’origine - et les inégalités d’acquis qu’elles peuvent induire - pour faire en sorte qu’elles ne soient pas des obstacles à l’appropriation de la culture scolaire. La formation des enseignants devra donc inclure un programme d’études articulées sur les questions du langage – oral et écrit - de son rapport à la pensée, des ressources intellectuelles qu’il implique aux différents stades de son acquisition et des dispositifs éventuels à envisager pour que , dès le plus jeune âge, soit rétablie une réelle égalité des acquis scolaires de chaque élève.

- d) Dans la perspective d’une école commune foyer d’activités et de rayonnement culturel local [9], les futurs enseignants seront invités à se familiariser avec les usages sociaux et culturels de leur discipline. Ils seront ainsi en mesure d’apporter, dans leurs futurs établissements d’exercice , un complément d’activités sociales et culturelles enrichissantes pour tous les élèves donnant un sens supplémentaire aux activités de la classe proprement dite.

- e) Parce que l’enseignant est à la fois un travailleur et un citoyen chargé de la formation de futurs citoyens, il sera, dans le même mouvement, nécessaire d’alimenter une réflexion sur les enjeux décisifs du métier vu sous ses différents aspects sociaux. Il sera nécessaire, par exemple, de s’interroger sur les questions relatives à la laïcité : il peut s’agir de ses dimensions historiques, idéologiques et intellectuelles qui touchent à la laïcisation de la pensée depuis les origines de la philosophie jusqu’à ses dimensions politiques qui marquent en profondeur le sens et la nature des programmes et de l’organisation de l’école. Plus généralement, une solide connaissance de l’institution scolaire dans ses structures, son fonctionnement, son rôle- passé et présent - dans le fonctionnement économique, politique, social et culturel de la nation paraît nécessaire pour que chaque enseignant puisse adopter, sur ce plan aussi, une distance réflexive par rapport à l’exercice de son métier.

3 : Cursus et mode de recrutement

- a) Précisons d’entrée que, comme l’a montré l’expérience diverse et parfois contradictoire des IUFM ces vingt dernières années, l’appropriation des savoirs énoncés ci dessus dans leur cohérence ne pourra acquérir une autorité et une efficacité incontestable que s’ils sont diffusés dans un cadre et dans des formes proprement universitaires et en liaison permanente avec les progrès de la recherche.

Le cursus de formation devra favoriser une entrée progressive dans le métier, comportant dès le début du recrutement des stages en situation dans lesquels la prise de responsabilité ira crescendo. Ainsi pourront être mises en place des situations d’enseignement très diverses donnant à voir des formes renouvelées d’association entre processus de transmission des savoirs et phénomènes inhérents à la gestion du groupe-classe qui ne sauraient être pensés de manière satisfaisante si on les isole de la transmission des savoirs.

Partant de l’actuelle organisation des études universitaires en licences et masters, ce cursus pourrait s’organiser autour de ces deux niveaux de certification des savoirs et compétences acquis, le recrutement définitif se faisant par concours, conformément au statut de la fonction publique, et au niveau du master, diplôme impliquant un degré de familiarisation avec la recherche permettant de fonder la qualification d’ « enseignant-chercheur pour la réussite scolaire de tous les élèves ».

- b) Les futurs enseignants devront en premier lieu obtenir une licence dans la discipline de leur choix, préfigurant le master d’enseignement vers lequel ils se dirigeront ensuite. Ils pourront alors se présenter à la première partie du concours de recrutement national qui leur conférera le grade de professeur en formation, salarié aux niveaux premiers de la grille de rémunération de leur corps d’accueil dans la fonction publique d’État.

- c) Les deux années nécessaires à l’acquisition du master d’enseignement seront consacrées d’une part à l’approfondissement des apprentissages disciplinaires, à l’histoire et l’épistemologie des savoirs scolaires de leur discipline, et de leur didactique en liaison avec leur participation à des stages en situation. L’analyse critique des situations de classe rencontrées donnera lieu à l’élaboration d’un mémoire de recherche permettant à l’étudiant, s’il le souhaite, de s’engager éventuellement dans l’élaboration d’une thèse de doctorat.
Une fois validé le master, par contrôle continu, le futur enseignant se présentera à la deuxième partie du concours national de recrutement, dont le contenu sera principalement axé sur la vérification du degré de maitrise de la didactique de la discipline enseignée, des différentes composantes de la formation commune et de la capacité à maîtriser une situation de classe.

- d) Compte tenu de la durée des études imposées par ce cursus, et afin de ne pas aggraver la distance culturelle qui peut exister entre les enseignants et leurs élèves, très majoritairement d’origine populaire, des prérecrutements devront être organisés de sorte que les candidats ne puissent être sélectionnés de fait selon l’importance de leurs ressources familiales.


[1Les analyses et propositions ici exposées sont développées sous une forme beaucoup plus complète et détaillée dans le chapitre 4 du livre du GRDS : L’école commune. Propositions pour une refondation du système éducatif, sous le titre "La formation des enseignants : Quels maîtres pour une école démocratique ?" (pp. 119 à 143). La Dispute, janvier 2012, Paris.

[2Voir Enseigner dans le secondaire. Les nouveaux professeurs face aux difficultés du métier, La Dispute, 2009.

[3La fabrique des savoirs scolaires, La Dispute, 2010

[4La culture de l’écrit concerne tout ce qui s’appréhende directement par la voie du texte écrit, donc aussi toute forme d’activité intellectuelle ou physique dont les contenus sont travaillés par l’écrit. A ce titre, la pratique de l’oral à l’école est amplement informée par la culture de l’écrit. C’est là un des aspects qui explique l’avantage que possèdent, en arrivant à l’école, les élèves issus des classes aisées qui sont habitués à évoluer dans un univers oral profondément marqué par cette culture sur les enfants issus de milieux moins cultivés. La conscience de la raison sociale de cette inégalité d’origine pose, du coup, de façon radicalement nouvelle la question des modalités par lesquelles l’école et les enseignants travaillent à réduire ces inégalités.

[5Nous préférons ce terme à celui d’école « maternelle » qui évoque trop – ce n’est pas un hasard – la fonction parentale transposée dans le système scolaire, la fonction de l’école « enfantine » étant de permettre à l’enfant qu’elle accueille de passer progressivement au statut d’élève dans l’école première dès le CP.

[6Les enseignements supposant une compétence très particulière (éducation physique, arts plastiques et musique, langues vivantes étrangères ou régionales pourraient être assurés par des enseignants spécialistes, comme cela se pratique d’ailleurs parfois dans certaines écoles.

[7Nous faisons ici clairement référence à l’éternel faux débat entretenu complaisamment par certains sur le « traumatisme », que constituerait pour les élèves le passage du maître unique de l’école élémentaire à l’équipe pluridisciplinaire des enseignants du collège, et la « souffrance » que cela entraînerait chez les plus fragiles, génératrice d’échec scolaire. Cette analyse sans aucun fondement scientifique sert en réalité à justifier une tentative de primariser le collège en réduisant notamment le nombre des enseignants à ce niveau, et à leur imposer un retour à la polyvalence que, pour ce qui nous concerne, nous excluons totalement.

[8Sur ce point, voir l’ouvrage de J.-P. Terrail : De l’oralité. Essai sur l’égalité des intelligences. La Dispute, Paris, 2009.

[9Voire, dans certains cas spécifiques, plus largement régionaux ou nationaux, comme c’est déjà le cas de certains établissements impliqués dans la préparation et le fonctionnement du festival de théâtre d’Avignon, ou du festival musical d’Uzeste par exemple.