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Blanquer + Vidal = école de caste

vendredi 22 février 2019, par Pierre Tripier

Les réformes récentes des ministres Vidal et Blanquer, présentées par eux comme des réponses techniques aux problèmes de l’affectation des élèves dans l’enseignement supérieur (ou de leur préparation intellectuelle à ses divisions disciplinaires), ont ou auront comme résultat d’accroître encore davantage le poids des familles, donc, vraisemblablement, de faire encore reculer la France dans les enquêtes PISA.

Comment ces réformes réussissent et réussiront ce tour de force ? En privilégiant encore plus l’origine des lycées dont les élèves proviennent.

Par quels mécanismes ?

D’une part en se soumettant à l’obsession obsidionale des enseignants des classes préparatoires à avoir un public homogène en traitant les différents lycées de façon inégalitaire et en estimant que les éléments moyens des bons lycées avaient la priorité sur les excellents élèves des lycées considérés moins bons.

Qu’est-ce qu’un bon lycée ? C’est un lycée dans lequel plusieurs élèves ont eu leur baccalauréat avec la mention très bien.

Comment les élèves obtiennent-ils ce résultat ? Sans conteste en travaillant avec constance et ténacité, en ayant une excellente mémoire et des synapses leur permettant de résoudre rapidement les problèmes scolaires qui leur sont posés.

Comment, à un âge où les sollicitations extra-scolaires sont multiples et engageantes réussit-on à travailler avec constance et ténacité ? En moyenne en ayant des parents qui, étant passés par les mêmes épreuves aux mêmes âges, savent manier la carotte et le bâton pour que les performances scolaires de leurs rejetons soient bonnes. Et comme, en moyenne, ces parents ont ou ont eu des postes de cadres supérieurs suffisamment bien payés pour habiter des quartiers où les prix au mètre carré sont élevés, ces lycées dits bons sont les lycées des quartiers « bourgeois » de la ville.

Comment Parcours-sup réussit-il à privilégier les « bons lycées » ? En incluant, dans l’algorithme permettant la sélection, des éléments essentiels de celui utilisé pour l’entrée en classe préparatoire.

Pourquoi peut-on anticiper que la réforme Blanquer du baccalauréat renforcera la hiérarchie des lycées ? Parce qu’en privilégiant le contrôle continu, ce qui comptera pour départager les élèves sera le seul élément supposé stable : l’ordre des lycées et rien n’est prévu pour le corriger. Mais aussi parce que la multiplication des options au baccalauréat avantage les écoles ayant la meilleure réputation, comme une enquête récente sur l’école en Grande Bretagne, rapportée par le SNES, le démontre [1].

Le résultat à prévoir de cet ensemble de mesures est celui de retrouver les mêmes familles dans les mêmes places, génération après génération, donc de glisser vers une société qui ne renouvellera pas ses élites, une société de caste, une société figée, le retour à l’Ancien Régime. Tout le contraire de ce que nous promettait le discours de notre Président de la République lorsqu’il lança le Grand Débat.

L’enquête PISA 2015 place la France dans la position peu enviable de 27ème place sur 69. Or, comme le rappelle J. P. Terrail : « Cette enquête mesure précisément les ressources des familles des élèves qu’elle évalue, ressources économiques mais aussi culturelles tels les diplômes des parents, l’importance de la bibliothèque familiale, etc. Elle permet ainsi de rapporter la réussite de l’enfant aux ressources de son environnement familial, et d’apprécier leur écart. Les pays les plus performants sont ceux dans lesquels les performances des élèves sont les plus indépendantes des ressources de leurs familles, ceux donc dans lesquels l’école réussit le mieux à assurer par elle-même la transmission des savoirs (même si cette réussite n’est jamais totale : aucun pays n’échappe à l’influence de l’origine sociale sur la réussite scolaire). Les pays les plus performants sont ceux dans lesquels l’efficacité de l’école en matière de progression cognitive des élèves les moins dotés au départ est la plus élevée » [2].

Gageons donc que ce retour à l’Ancien Régime marquera une chute encore plus importante dans ce classement de l’OCDE. Espérons que cette chute dans les hiérarchies mondiales conduira un futur gouvernement à mettre à plat le système éducatif français afin de le rendre intellectuellement et socialement performant pour d’autres que les 1%.

Observation complémentaire (enregistrée le 24 mars 2019)

Dans un article du 19 Février 2018, de la revue en ligne AOC , François Dubet a cette prédiction retentissante sur la réforme du baccalauréat de M. Blanquer : « Un 9 (au baccalauréat) du 5° arrondissement parisien vaudra mieux qu’un 15 dans un lycée de Seine-Saint Denis ».

L’article de Dubet est seulement centré sur le baccalauréat, mais si l’on y ajoute parcours-sup et que l’on fait confiance à cet excellent connaisseur de la scolarité, ces deux réformes aboutissent à classer des établissements, pas des élèves. Mais il y a plus : la stratégie des parents angoissés par l’avenir de leurs enfants les conduira à bien des sacrifices, dont celui de réduire leurs mètres carrés d’habitation pour habiter un quartier proche d’un « bon lycée », afin que l’affectation de leur rejeton dans celui-ci soit certaine. Il en résultera une hausse du prix des logements autour de ces lycées qui renforcera l’éloignement des familles modestes. Cela accroîtra encore la différence entre les établissements. Celle-ci affectera les classes de quatrième et troisième qu’étudie l’enquête PISA, et la France se retrouvera dans les profondeurs du classement. Mais ces phénomènes prennent du temps à produire leurs effets, suffisamment pour que les noms des promoteurs de cette angélique réforme visant le retour à l’ancien régime, où les mêmes familles occupent les mêmes places, soient tombés dans l’oubli.


[1SNES-FSU, Le Lycée modulaire, une alternative aux séries du lycée français ?, GRDS, 2018, http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article285

[2Voir PISA, Commentaires et enseignements d’une comparaison internationale,GRDS, 2016, http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article41