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Assurer les apprentissages des collégiens de REP en développant leurs compétences métalangagières

Une expérience en histoire-géographie

samedi 21 août 2021, par Nicolas Kaczmarek

Nous savons que les élèves de milieux populaires ont une réussite scolaire plus faible que la moyenne. Les explications avancées sont variées et il n’est pas utile de les exposer ici. Mon expérience de professeur d’histoire-géographie dans un collège REP de banlieue parisienne depuis près de quinze ans me permet de balayer certaines explications qui à mon sens ne permettent pas de comprendre les difficultés des élèves : le manque de motivation ou d’implication, le manque de travail à la maison, des problèmes de mémorisation… En réalité, quand les demandes et les exigences de l’École sont explicites et claires les élèves de milieux populaires ont une capacité de travail très importante, et on peut même s’étonner de leur grande capacité de mémorisation d’une quantité importante de définitions, exemples, explications… Leur difficulté réside plutôt dans la capacité à utiliser à bon escient toutes ces informations. Tous les enseignant·es ont pu constater qu’une évaluation consistant en une simple restitution de connaissances peut donner d’excellents résultats mais qu’avec les mêmes élèves une évaluation consistant en un réinvestissement des connaissances pour mener un raisonnement peut s’avérer très souvent décevante.

Face aux obstacles, trouver les pistes d’une pédagogie de l’exigence

En histoire-géographie, ce constat apparaît notamment lorsque les élèves doivent répondre à des questions portant sur un document historique ou géographique. Ces questions visent à vérifier la capacité à prélever des informations dans un texte, un graphique, une carte…, à saisir les sous-entendus du document, à mettre en lien ces informations avec un contexte afin de faire la preuve de la compréhension détaillée du document. On constate souvent lors de cet exercice que des élèves, ayant pourtant fait la preuve au préalable de l’acquisition de solides connaissances, se contentent de rédiger des réponses superficielles, peu développées et peu argumentées, passant à côté du sens primordial du document. Le plus troublant est que même mes très bons élèves semblent incapables de réussir véritablement cet exercice.

Ce constat peut probablement être étendu au-delà de l’histoire-géographie. Il est peu douteux qu’en français ou en sciences les élèves sont confronté·es aux mêmes difficultés. Établir un diagnostic de ces difficultés s’avère donc essentiel pour qui souhaite mener un enseignement plus efficient vis-à-vis de ses élèves. Le livre d’Anne-Sophie Romainville, Les faces cachées de la langue scolaire est un outil utile pour prendre conscience de ce qui se joue dans la classe [1]. La clé semble être du côté du rapport au langage des élèves (rapport à la langue mais surtout rapport à la forme du discours scolaire). La recherche menée par l’autrice éclaire les mécanismes existant dans la classe qui empêchent les élèves de milieux populaires de maîtriser la posture « scriptural-scolaire » [2] attendue d’eux dans leur production écrite.

L’enjeu pour chaque enseignant est dès lors de discerner ce qui fait obstacle chez les élèves dans leur compréhension de ce qui est attendu à l’école au moment de la confrontation avec un document formulé dans un langage particulier (langage administratif, littéraire, cartographique…). Mon expérience me permet d’abonder dans le sens de l’autrice quant à l’importance de la maîtrise de compétences métalangagières par les élèves c’est-à-dire la capacité à analyser le langage de l’École mais aussi ce qu’on écrit soi-même, en adoptant la distance nécessaire à toute rédaction. C’est peut-être le manque d’attention à enseigner ces compétences qui explique la difficulté de beaucoup d’élèves à épouser les exigences des enseignant·es. Face à la menace de baisser les bras et d’en rabattre sur nos exigences avec les élèves, il est donc de notre responsabilité de trouver les pistes d’une pédagogie de l’exigence intellectuelle [3], condition d’une vraie démocratisation scolaire que nous devons aux élèves, contraint·es de se frotter plus de 20 heures par semaine pendant des années à l’institution scolaire. Quelques pistes seront exposées ici à partir de pratiques quotidiennes avec mes classes (cet article complète un récit de pratique plus long paru dans Pédagogies de l’exigence. Récits de pratiques enseignantes en milieux populaires, La Dispute, 2020).

Diagnostic

Afin de saisir ce qui se passe chez les élèves au moment de leur travail en classe, je me propose d’exposer des réponses produites par mes élèves, avant que je mette en place un certain nombre de pratiques pour tenter de remédier à la situation. C’est par l’analyse des erreurs des élèves et par une volonté de rechercher des solutions du côté de l’enseignant qu’il doit être possible de réduire l’échec constaté.

Lors des activités présentées ci-dessous, les élèves travaillent de manière individuelle à l’écrit avec leur manuel et leur cahier et je circule auprès d’eux pour échanger, corriger...

En 5e, voici l’une des questions posées dans le manuel aux élèves pour analyser la carte ci-dessous :
« Quels sont les aménagements réalisés pour transporter ces hydrocarbures ? » (je précise que la signification des mots « aménagements » et « hydrocarbures » est connue de tous les élèves au moment de cet exercice.)

Je reproduis ici la réponse formulée par la majorité des élèves de la classe :

"Les aménagements réalisés pour transporter ces hydrocarbures sont les principaux oléoducs, les principaux gazoducs, les routes maritimes et le terminal pétrolier."

Qu’ont fait ces élèves ? Dans la question, ils et elles ont repéré le mot « transporter », puis dans la légende, ont repéré « 2. Les infrastructures de transport ». Ils et elles ont dès lors arrêté toute réflexion pour recopier toutes les informations contenues dans cette partie de la légende. Nous avons ici une tendance habituelle chez les élèves : repérer un « mot-signal » et s’en contenter. Ici cela aboutit à une réponse qui n’est pas acceptable : les mots « principaux » ne sont pas utiles, « routes maritimes » n’est pas un aménagement, on attendrait la mention de « terminaux pétroliers » car il y en a plusieurs sur la carte… Cela montre que les élèves n’ont aucune maîtrise de la réponse qu’ils et elles viennent de formuler et que très probablement ils et elles ne connaissent pas la signification des mots recopiés.

Voici la réponse proposée par les meilleur·es élèves de la classe : « Les aménagements réalisés pour transporter ces hydrocarbures sont les oléoducs, les gazoducs et les terminaux pétroliers ». A priori, il s’agit d’une très bonne réponse car toutes les erreurs relevées ci-dessus sont absentes. Néanmoins quand je circule pendant leur travail et viens voir ces élèves individuellement pour leur demander : « c’est quoi un oléoduc, un gazoduc, un terminal pétrolier ? », tous les élèves me répondent ne pas savoir et n’ y avoir même pas réfléchi. Cela ne semble leur poser aucun problème. À chaque fois, je barre la réponse et demande à l’élève de recommencer. Il ou elle est systématiquement outré·e car convaincu d’avoir parfaitement rempli sa mission. En effet, pour mes élèves, l’école est l’endroit où il faut trouver les mots qui vont convenir au professeur même si on ne sait pas du tout ce qu’ils veulent dire. Des années à formuler des réponses dénuées de sens mais systématiquement comptées justes par les enseignant·es leur ont donné de mauvaises habitudes qu’il s’agit pour moi de gommer. Pour cela, j’expliquerai plus loin comment j’essaie d’amener les élèves à faire la preuve de leur compréhension de tous les mots utilisés.

On pourrait considérer que les élèves de 5e sont encore jeunes et que cela s’arrangera tout seul avec le temps. Pourtant, je constate que plus les élèves sont âgé·es, plus les mauvaises habitudes sont ancrées et plus il est difficile de les contrer. La production de mes élèves de 3e illustre l’incrustation profonde de mauvaises habitudes si on ne lutte pas tôt contre elles.

Voici ci-dessous une question du manuel parmi d’autres portant sur cette photographie et les informations qui l’accompagnent :

« Expliquez pourquoi la ville de Stalingrad a une valeur importante lors de la guerre entre l’Allemagne et l’URSS ? »

Voici la réponse presque unanime écrite par mes élèves : « Stalingrad a une valeur importante car c’est un des principaux centres industriels de l’URSS et elle a une valeur symbolique importante »

Comme dans l’exemple précédent, mes élèves ont recopié un passage de la légende de l’image. Je viens les voir chacun leur tour et leur demande : « c’est quoi un centre industriel ? ». A chaque fois, je constate que je viens de poser une question que l’élève ne s’était pas posée. J’engage un dialogue avec lui ou elle :

« - Et ça veut dire quoi qu’elle a une valeur symbolique importante ?
- … Bah, c’est un symbole cette ville.
- C’est-à-dire ? Pourquoi tu dis ça ?
- Elle s’appelle Stalingrad, ça veut dire la ville de Staline.
- Et alors ?
- Pour une question d’image, ça devait être important pour Hitler de conquérir la ville qui porte le nom du chef de l’URSS.
- Ok, pourquoi tu n’as pas mis ça dans ta réponse ?
- C’était pas demandé alors j’ai pas cherché ! »

De nouveau, cet échange montre que pour tous mes élèves, à l’École, on n’est pas là pour comprendre véritablement ce que le document expose et pour présenter ce qu’on a compris, on est là pour donner les mots voulus par les professeurs, convaincus que cela suffit (de fait cela suffit souvent car cette réponse sera d’ordinaire systématiquement comptée juste comme par exemple lors de l’épreuve terminale d’histoire-géographie du Diplôme National du Brevet). Le fait que je compte faux ce genre de réponse en évaluation provoque pas mal d’émoi au départ chez mes élèves, avant qu’ils et elles prennent l’habitude de définir et expliquer tous les mots utilisés. Pour que cette explication soit possible, il faut que la démarche d’interrogation soit systématique chez eux. J’exposerai comment je tente qu’elle le soit.

Toujours en 3e, voici un document et deux questions posées en évaluation qui illustrent la tendance des élèves à repérer des « mots-signaux » et à arrêter dès lors toute réflexion :

Questions :
1. D’après vos connaissances, comment s’appelle l’accord évoqué sur ce document et à quelle date a-t-il été signé ? (1 pt)
2. Relevez sur ce document les droits et avantages gagnés par les travailleurs. (1,5 pt)

Voici la réponse trouvée dans la majorité des copies :
1. « L’accord évoqué sur ce document est l’accord Matignon. Il a été signé le 8 juin 1936. »
Les élèves ici ont repéré dans la question qu’une date était demandée et ont recopié par automatisme la date du 8 juin 1936 trouvée sur le journal. Le début de la question « d’après vos connaissances » avait pourtant pour but de lutter contre le réflexe de recopier la date sur le document. Avant de rendre les copies corrigées, je leur demande la date des accords Matignon, tous me répondent comme une évidence : « le 7 juin 1936 »...

Deux variantes, également fautives, ont été formulées pour répondre à la question 2 :

2. « Les droits et avantages gagnés par les travailleurs sont la reconnaissance du droit syndical et des délégués d’atelier, l’augmentation des salaires de 7 à 15 % sans diminution des avantages supérieurs déjà acquis, le ravitaillement en essence et en huiles lourdes redevient normal ».

Dans cette réponse, les élèves ont relevé dans le document tout ce qui paraissait positif pour répondre aux mots-signaux « droits et avantages », recopiant donc également le retour de l’essence à la pompe suite à la reprise du travail. En réfléchissant, les élèves auraient facilement évité cette confusion ne serait-ce qu’en constatant que cette information n’avait jamais été évoquée dans le cours.

Variante :
2. « Les droits et avantages gagnés par les travailleurs sont la reconnaissance du droit syndical, les délégués du personnel, l’augmentation des salaires, les congés payés et la semaine de travail limitée à 40 heures ».

Ici, au contraire, les élèves ont répondu aux mots-signaux « droits et avantages » en listant tous les droits et avantages acquis à l’époque du Front populaire y compris les congés payés et la semaine de 40 heures qui seront votées par le Parlement après le 8 juin 1936. Ne faisant pas attention aux mots « Relevez sur ce document » qui devait restreindre la réponse, les élèves ont récité leurs cours sans prêter attention suffisamment à la consigne.

Je répète que ce n’est pas le manque de travail ou un défaut de connaissances qui ont fait échouer les élèves à ces deux questions. Beaucoup ont eu plus de 15/20 à cette évaluation sur l’entre-deux guerres. Les élèves ont montré une très bonne connaissance du cours à travers leurs réponses à des questions de restitution de connaissances mais ont presque tous eu 0 point à ces deux questions.

Ceci n’est pas anodin et révèle de vraies difficultés qu’il est urgent de surmonter pour tous les élèves y compris pour les élèves ayant de très bonnes notes car ces difficultés finissent toujours par se révéler au grand jour dans la suite de la scolarité et fragilisent les résultats de beaucoup d’élèves au lycée, les plongeant dans un grand désarroi puisque l’institution les avait convaincu·es jusque-là qu’ils ou elles étaient de très bon·nes élèves.

Enfin, toujours en 3e, il convient d’insister sur la tendance des élèves à rester à la surface du document et à ne pas relier ce qu’il contient aux connaissances du contexte afin de l’éclairer. Ce qu’on appelle communément « la paraphrase » et qui consiste pour les élèves à simplement recopier ou reformuler plus ou moins correctement des passages du document sans apport de connaissances qui pourraient révéler les sous-entendus de celui-ci.

L’exemple le plus frappant est l’analyse de cette couverture de brochure du Front populaire où les élèves doivent, après une présentation et une description factuelle de l’image, procéder à une analyse autonome :

Unanimement, mes élèves formulent dans leur cahier une réponse de ce genre :
« Le Front populaire est contre la misère et pour le pain c’est-à-dire qu’il veut que tout le monde ait à manger. Il est contre la guerre et pour la paix pour éviter des morts et il est contre le fascisme et pour la liberté car il est contre la dictature ».

Ici aucune référence au contexte de l’époque que les élèves connaissent pourtant. Il était cependant autorisé et même conseillé de consulter les pages précédentes de leur cahier afin de retrouver des informations sur la crise de 1929, le réarmement de l’Allemagne ou sur le 6 février 1934 vu la séance précédente. J’insiste sur le fait que les élèves proposant cette réponse semblaient satisfait·es de leur travail, sincèrement convaincu·es d’avoir rempli leur mission, alors que leur réponse pourrait avoir été rédigée par un·e élève qui n’a jamais entendu parler de l’entre-deux guerres. Il est donc nécessaire de questionner ce que nous n’avons pas réussi dans la transmission explicite aux élèves de nos attentes.

Enjeux

À partir de ces constats, j’ai mis en place progressivement quelques pratiques s’imposant de la 6e à la 3e avec l’ambition de lutter contre l’enracinement de mauvaises habitudes et de résoudre ces difficultés. L’objectif est de développer chez les élèves la capacité d’adopter à bon escient un « langage scriptural-scolaire » grâce à la capacité d’analyse du langage et discours de l’École mais aussi de leur propre production. Se fondant sur ses propres observations, Anne-Sophie Romainville conclut que les principales lacunes des élèves en difficulté relèvent d’un déficit de compétence métalangagière, compétence qu’elle décline en deux sous-compétences :

* la sous-compétence métalinguistique qui permet d’adopter une attitude systématiquement réflexive à l’égard du langage :
« elle implique le dépassement de la pratique langagière intuitive pour pouvoir :
- manipuler le langage
- le considérer comme objet autonome
- l’appréhender comme système formel ayant ses propres règles intrinsèques et basé sur une structure logique mais arbitraire
- adopter une posture réflexive et analytique à son égard »

* la sous-compétence métadiscursive qui « consiste en une capacité à prendre de la distance par rapport à toute situation de communication afin de :
- manipuler, comparer et analyser les éléments liés au discours […] ;
- considérer le discours comme pratique de communication qui a ses propres règles […] et qui ne fait pas que transmettre un message ;
- adopter une posture réflexive et analytique à l’égard de cette pratique » [4].

Je présente donc ci-dessous quelques pratiques mises au point au fil des ans, chaque année modifiées et réajustées en fonction de leur réussite avec les élèves, ayant pour objectif de développer chez eux ces compétences. Elles forment un ensemble progressif et cumulatif de la 6e à la 3e et constituent des pistes pouvant, je l’espère, inspirer d’autres pratiques y compris dans d’autres matières.

Pratiques

En 6e, je me concentre sur deux objectifs :

1- les amener à systématiquement analyser les mots qui introduisent la question afin de percevoir ce qui est véritablement demandé. Par exemple, lors d’un travail sur des documents portant sur la pollution dans les métropoles, les élèves doivent répondre à 4 questions inscrites ainsi au tableau :
1. Doc. 2 : Citez la plus forte cause d’émission d’oxydes d’azote ?
2. Doc. 1 : Décrivez la photographie. Repérez sur cette image quelle mesure est mise en place pour essayer de limiter le pollution ?
3. Doc.2 : Listez les polluants dangereux pour la santé. Relevez les organes du corps affectés par la pollution.
4. En utilisant ce que nous avons dit précédemment, déduisez pourquoi il y a beaucoup de pollution dans les métropoles.

Les élèves ne commencent pas ce travail avant que nous ayons passé un certain temps à définir et expliciter les mots soulignés qui introduisent chaque question car ils offrent un éclairage essentiel sur le travail demandé. Trop d’élèves ne prêtent pas une attention particulière sur le sens de verbes comme « relever », « montrer », ce qui occasionne si souvent des erreurs évitables. Une fois l’habitude ancrée de passer par cette analyse, les élèves réalisent seul·es ce travail en s’appuyant sur l’affichage en classe qui redonne l’explication de tous les mots pouvant démarrer une question. Ainsi très tôt, l’idée de la nécessité d’une phase d’analyse de la question s’installe chez les élèves ce qui leur permet de maîtriser leur tendance à la réponse spontanée.

2- expliciter ce qu’est le langage écrit à l’école : pour leur montrer l’écart entre le langage conversationnel et le langage scriptural, j’utilise les moments de cours dialogués comme entraînement à l’expression écrite en leur demandant lorsqu’ils ou elles répondent à une question portant sur un document à l’oral d’adopter le langage de l’écrit avec formulation complète des négations, utilisation avec parcimonie des pronoms personnels,…. C’est la forte contrainte que constitue l’expression à l’oral de phrases de type écrit qui fait prendre conscience aux élèves à partir de la 6e que véritablement on n’écrit pas comme on parle, même quand on parle bien. L’exigence sur le fond et la forme des interventions des élèves dans ces moments de cours dialogués s’avère primordiale, et semble faire défaut souvent de la part des enseignant·es confronté·es à des élèves de milieux populaires [5].

En 5e, de nouvelles pratiques s’ajoutent aux précédentes dans le but de s’assurer que les élèves maîtrisent véritablement les informations qu’ils et elles mobilisent à l’écrit. Je souhaite donc les amener à expliquer systématiquement les mots employés dans leur réponse :

1- la méthode du « c’est-à-dire ».

La règle est que tout mot employé dans une réponse qui ne relève pas du langage courant (« des mots que vous n’utilisez pas au quotidien ») doit être expliqué et donc suivi de « c’est-à-dire... ».

Pour reprendre l’exemple exposé précédemment, voilà comment je montre aux élèves le décalage entre une réponse qu’ils et elles pensent juste et ce que j’attends véritablement. Lors de la correction, le tableau de la classe est séparé en deux colonnes pour pouvoir comparer les deux réponses et se rendre compte visuellement de ma demande :

À partir de là, mes élèves parsèment leurs réponses de « c’est-à-dire » qui rendent parfois les formulations un peu lourdes, mais qui ont le mérite de faire émerger clairement à leurs yeux qu’une réponse à l’École répond à des normes, des contraintes qui sont en décalage avec la réponse spontanée qui leur vient habituellement. Je constate que leur posture lors de ces activités change. Les élèves ne se contentent plus de chercher les mots qui conviennent au professeur pour passer rapidement à la question suivante, leur réflexion sur les mots est permanente pour pouvoir comprendre et être capable d’expliquer chaque terme du document. Cela implique qu’ils et elles doivent pouvoir trouver seul·es ce que veulent dire ces mots. Tous mes élèves minimisent leur capacité intellectuelle et ont pour habitude de solliciter le professeur face à chaque mot inconnu se pensant incapables de déduire son sens. Les élèves les plus « scolaires » ont le réflexe de demander un dictionnaire, convaincu·es que c’est l’attitude que le professeur attend. En classe, lors de ces activités, je refuse de leur expliquer les mots du document inconnus pour eux et de leur donner un dictionnaire. A la place, est placardée dans la classe une affiche qui rappelle les façons de déduire de manière autonome le sens d’un mot inconnu. Je les renvoie systématiquement vers cette gymnastique intellectuelle lorsqu’il leur est nécessaire de connaître le sens d’un mot :

- je cherche tous les mots de la même famille, je décompose le mot pour trouver le radical
exemple ici : « gazoducs » commence par « gaz », ça doit avoir un rapport avec le gaz
- je trouve des indices grâce au contexte de la phrase ou du document,
ex : « oléoducs » se trouve dans la partie de la légende consacrée aux infrastructures de transport, ce mot doit avoir un lien avec la façon de transporter des hydrocarbures
- je trouve des indices grâce au thème de l’activité, aux autres documents, aux aides fournies,
ex : dans la page d’à côté, une photographie représente des gros tuyaux connectés à une raffinerie. Surtout, au bas de la page, le manuel fournit des définitions :

J’insiste sur le fait que dans la configuration initiale décrite au début de l’article où les élèves ont l’habitude de répondre sans chercher le sens de leur réponse, aucun·e élève n’avait vu que le manuel fournissait la définition d’« oléoduc » car à leurs yeux connaître le sens de ce mot n’était d’aucun intérêt à partir du moment où il suffisait juste d’écrire dans leur réponse le mot qui devait convenir au professeur.

2- la méthode des « mots interdits »

Pour lutter contre la tendance des élèves à répondre en recopiant simplement des passages du document [6], je leur indique pour certaines questions une liste de mots qu’ils et elles n’ont pas le droit d’utiliser dans leur réponse comme dans l’exemple ci-dessous :

« Pour répondre à la question 2, vous n’avez pas le droit d’utiliser dans votre réponse les mots suivants : usage, agricole ou agriculture, industriel ou industrie, minier, domestique et urbain »

Pour répondre à la question, les élèves ont tous l’obligation de se questionner sur le sens de chacun des mots inscrits sur le graphique (document 2) puis de trouver des synonymes et des périphrases pour répondre. Ainsi, j’empêche la rédaction d’une réponse élaborée en quelques secondes, sans aucun intérêt autre que de prouver que l’élève sait lire : « En Californie, il y a l’usage agricole, l’usage industriel et minier, l’usage domestique et urbain » (réponse fournie par l’intégralité des élèves sans la contrainte des « mots interdits »), pour une réponse plus pertinente ayant demandé à chaque élève quelques minutes de vraie réflexion : « En Californie, on utilise l’eau pour irriguer les champs, dans les usines et dans les mines, dans les maisons pour la vaisselle et la toilette et dans les villes pour nettoyer ou arroser ». (réponse fournie désormais par presque tous les élèves).

Ce changement de posture est fondamental pour la réussite des élèves, car désormais toute activité est l’occasion d’une réflexion systématique qui change tout dans leur appréhension de l’exercice scolaire.

En 4e, je souhaite amener les élèves à monter d’un cran dans leur capacité à analyser le discours scolaire en en décortiquant le processus d’élaboration. C’est au moment de l’évaluation que l’efficacité de la relation pédagogique entre enseignant·e et élèves est testée. C’est donc à ce moment qu’il faut lever tout malentendu. Je m’attache dans mes évaluations à ce que pour chaque question portant sur un document l’objectif d’évaluation soit clair pour moi-même, et à ce que la formulation corresponde explicitement à cet objectif afin que tout cela puisse être transparent pour les élèves [7]. Je leur annonce que je vais leur révéler les intentions de l’évaluateur lorsqu’il élabore une série de questions visant à mesurer la maîtrise de compétences par ses élèves. Je leur explique que « dans toutes les matières, il existe en vérité 4 types de questions sur un document que les professeurs peuvent vous poser suivant 4 objectifs d’évaluation. Les repérer et y rattacher la forme de réponse attendue est la condition de votre réussite ».

Je présente ces 4 types de questions à travers cette activité :

Cela doit leur permettre dès lors de :
- connaître les 4 objectifs possibles de chaque question
- repérer cet objectif par exemple grâce au mot qui introduit la question
- savoir quelle est la forme de réponse attendue.
Lors des premiers temps, je leur demande systématiquement de répondre en utilisant le code couleur afin de les contraindre et les habituer à respecter la forme de chaque réponse.

Pour la suite de l’année scolaire, lors de chaque évaluation comportant des questions sur document, chaque élève a des points bonus s’il ou elle trouve le type de chaque question (en indiquant dans la marge à côté de la réponse A, B, C ou D, l’affichage en classe leur rappelant constamment les 4 types). Je constate dès lors un changement de posture : confronté·es à une question en cours ou en évaluation, les élèves passent systématiquement un certain temps à se questionner sur l’intention du professeur, ce qui rend leur analyse des consignes plus fine et leurs réponses plus satisfaisantes.

En 3e, si tout va bien, il ne devrait plus s’agir que d’une application systématique des préceptes enseignés en 6e, 5e et 4e. Il est en fait constamment nécessaire de les rappeler et les affichages en classe servent à cela.

Le plus dur en 3e reste d’en finir avec ce qu’on appelle la paraphrase c’est-à-dire cette tendance chez les élèves à reformuler (quand ce n’est pas recopier) des passages du document sans apport de connaissances du cours et sans référence au contexte.

Voici quelques idées que j’applique pour tenter d’y remédier :

- autoriser les élèves à répondre à des questions sur document avec leur cours. On élimine la possibilité qu’ils ou elles soient incapables de sortir de la paraphrase par manque de connaissance du cours. Cela permet de se focaliser avec eux sur la réalisation formelle d’une vraie analyse ;

- demander aux élèves de surligner dans leurs réponses les passages relevant de connaissances du cours. Il s’agit de faire apparaître visuellement l’apport de connaissances extérieures au document. L’absence de surlignage indique à l’élève qu’il n’a pas mobilisé de connaissances personnelles ;

- Pour l’analyse d’un document iconographique, la réponse est exigée sous forme d’un tableau afin que l’élève dissocie les éléments qui sont sur l’image des connaissances du contexte qui éclairent ces éléments.

Conclusion

Sont esquissées ci-dessus quelques pratiques très concrètes élaborées empiriquement au fil des années de pratique enseignante en REP afin que des habitudes de travail s’ancrent véritablement chez les élèves. Elles pourraient inspirer d’autres enseignant·es qui y verront quelques applications possibles dans leur classe. Pour une véritable efficacité de ces pratiques, il est nécessaire qu’elles soient testées, étoffées, complétées, réorientées puis étendues en dehors de mes classes ou de ma matière. C’est ce travail que nous tentons de mener dans notre établissement grâce à la mise en place d’échanges réguliers entre collègues dans le cadre d’ateliers pédagogiques menés entre pairs au sein du collège [8].

Quinze années de pratique en REP m’ont convaincu du potentiel de réussite de tous mes élèves pourtant non familiarisé·es au départ avec l’École et sa culture. Cela à quelques conditions : croire en ce potentiel, chercher dans la relation pédagogique et les pratiques didactiques ce qui fait obstacle à la réussite, mobiliser les marges de manœuvre nombreuses des enseignant·es pour atteindre la réussite de tous. La recherche menée par Anne-Sophie Romainville prouve que le développement de compétences métalangagières doit faire l’objet d’un soin attentif au travers de pratiques pédagogiques rendant possible l’exigence intellectuelle pour tous.

Alors que face à des élèves de milieux populaires, il semble courant d’en rabattre sur les exigences, il paraît primordial de fournir au contraire à celles et ceux qui ont moins au départ toutes les armes nécessaires pour réussir leur parcours scolaire dans l’optique d’une vraie démocratisation scolaire.


[1Anne-Sophie Romainville, Les faces cachées de la langue scolaire. Transmission de la culture écrite et inégalités sociales, La Dispute, 2019.

[2Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de « l’échec scolaire » à l’école primaire, Presses universitaires de Lyon, 1993.

[3Jean-Pierre Terrail, Pour une école de l’exigence intellectuelle. Changer de paradigme pédagogique, La Dispute, 2016.

[4Anne-Sophie Romainville, op. cit., p. 168-169.

[5Anne-Sophie Romainville, Les faces cachées de la langue scolaire, op. cit., p. 123.

[6Tendance malheureusement parfaitement en phase avec les demandes de l’institution scolaire pour qui recopier des mots issus d’un texte semble désormais la principale compétence exigée des élèves à la fin de la scolarité obligatoire comme l’atteste chaque année le sujet d’histoire-géographie du Diplôme National du Brevet.

[7Être parfaitement au clair soi-même sur son objectif d’évaluation n’a rien d’évident au démarrage de sa pratique d’enseignant. Cela m’apparaît clairement quand je pense rétrospectivement aux énoncés d’évaluations données à mes élèves au début de ma carrière. J’ai une pensée pour tous ces élèves qui ont un peu essuyé les plâtres...