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Le baccalauréat est-il à bout de souffle ?
Table ronde organisée par L’Humanité
mercredi 4 avril 2012, par
Rappel des faits
Il est des remèdes pires que le mal. Le 12 mars dernier, Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, avisé par le candidat UMP à la présidentielle que le baccalauréat était à bout de souffle, proposait de mettre en place des notes éliminatoires, de réduire le nombre d’options et d’épreuves facultatives, et d’augmenter la part du contrôle continu.
Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, après cette déclaration, on jurait ses grands dieux que le but de la manœuvre n’était pas, contrairement aux apparences, d’éliminer un plus grand nombre de candidats mais de « redonner ses lettres de noblesse au baccalauréat ». Réponse des lycéens : le gouvernement prouve encore que la réussite de tous n’est pas sa priorité. Réponse des syndicats enseignants : le ministre court, une fois de plus, après d’importantes économies budgétaires. Tous dénoncent la volonté de remettre en cause, via le contrôle continu, le seul examen équitable et de valeur nationale encore existant.
Victor Colombani, président de l’Union nationale lycéenne. Roland Hubert, cosecrétaire général du Syndicat national des enseignements du second degré (Snes-FSU). Tristan Poullaouec, maître de conférences en sociologie (université de Nantes).
Le baccalauréat a-t-il encore un sens dans notre société ?
Roland Hubert. Le baccalauréat garde une forte valeur sociale et reste, pour les élèves et leurs enseignants, un élément structurant le second degré. Le caractère national et terminal de ses épreuves garantit l’égalité de traitement des lycéens, fort mise à mal par la réforme du lycée. Premier grade universitaire et examen national attestant la fin de la scolarité secondaire, il est aussi un niveau de qualification reconnu dans les conventions collectives. Ce n’est pas un hasard s’il est remis en cause par ceux-là mêmes qui considèrent le répertoire national des certifications professionnelles comme une contrainte et rêvent de lui substituer des livrets de compétences au nom d’un supposé archaïsme des diplômes. Le premier enjeu de l’éducation nationale est celui de l’élévation des qualifications et de l’accès à une vaste culture commune ; et, dans ce cadre, la seule question qui vaille est de savoir si le baccalauréat, dans ce qu’il évalue et certifie, est un élément de réponse à ce défi. Pour le Snes-FSU, il est inenvisageable de supprimer le baccalauréat ou de le transformer en un simple examen maison. D’autant que le projet de l’actuelle majorité s’inscrit dans la logique d’une scolarité obligatoire maintenue à 16 ans sanctionnée par la validation du socle commun, tandis que la moitié d’une génération (dont seront largement exclues les classes populaires) pourra poursuivre sa formation jusqu’au niveau L3 (bac + 3). Dans un tel schéma plaçant le lycée comme propédeutique de l’enseignement supérieur, le baccalauréat n’aurait aucune utilité sociale ou de formation.
Victor Colombani. Le gouvernement estime fréquemment que « le baccalauréat a perdu son sens, puisque le taux de réussite dépasse les 80 % ». Les lycéens refusent ce discours. Plus ambitieux encore, nous estimons que 100 % d’une classe d’âge devraient atteindre le niveau du baccalauréat, son accès devant être élargi par des améliorations de notre système éducatif. En effet, le bac est le passeport indispensable pour poursuivre ses études dans l’enseignement supérieur. En période de crise, et face à un chômage des jeunes en constante progression, l’obtention de ce diplôme devient un bouclier nécessaire pour s’en sortir dans la vie active. La hausse du niveau de qualification de la jeunesse va dans ce sens.
Tristan Poullaouec. En France, seuls 40 % des habitants sont bacheliers. Dans les jeunes générations, le taux d’accès au bac a beaucoup progressé entre 1985 et 1995. Mais depuis il stagne autour de 63 %, ce qui reste très en deçà des attentes, notamment dans les familles ouvrières dont seulement la moitié des enfants décrochent un bac. On entend cependant dire que le bac ne vaut plus rien parce qu’il ne débouche plus sur les mêmes métiers qu’autrefois. C’est une erreur de perspective. D’abord parce que la plupart des bacheliers poursuivent aujourd’hui des études supérieures, ce qui n’était pas le cas dans les années 1970. Ceux qui quittent l’école avec le bac sont majoritairement des bacheliers professionnels, dont le cursus n’est pas conçu pour les préparer à l’enseignement supérieur, ni aux emplois les plus qualifiés. Enfin, si les bacheliers ne se voient pas toujours reconnaître leurs qualifications lors de leurs premiers emplois, beaucoup finissent par obtenir un poste de cadre moyen, voire supérieur en cours de carrière professionnelle.
Pour rendre sa valeur au baccalauréat, faut-il instituer des notes éliminatoires, utiliser le contrôle continu, alléger le nombre des options ?
Victor Colombani. Par ces mesures, le gouvernement souhaite délibérément réduire le nombre de bacheliers et créer un diplôme qui sélectionne au lieu de tirer tous les élèves vers le haut. Les notes éliminatoires supprimeraient le droit à l’erreur des élèves et abaisseraient mécaniquement le nombre de bacheliers. De plus, une certaine hiérarchisation des disciplines verrait le jour, entre les matières fondamentales, entraînant une note éliminatoire, et les autres. Le lycée doit être un tout, non un empilement de disciplines. À l’inverse, les enseignements doivent être décloisonnés. La suppression des notes bonus pour les options, qui ne peuvent jusqu’alors que favoriser les élèves, est elle aussi alarmante. En plus de rendre le baccalauréat moins accessible, cette idée a comme finalité une disparition pure et simple des enseignements optionnels. En effet, si les options constituent un risque pour les élèves d’abaisser leur moyenne au bac, peu d’entre eux choisiront de les pratiquer. Ainsi, le gouvernement souhaiterait-il une fois de plus faire des économies sur le dos de l’éducation ? Le contrôle continu, quant à lui, présente certains inconvénients. S’il est irréfutable qu’il permettrait une meilleure répartition de l’examen tout au long de la scolarité, il met pourtant à mal la valeur nationale et anonyme du diplôme. Ainsi, tous les bacs n’auraient plus la même valeur en fonction de l’établissement des élèves, mettant à mal l’école de l’égalité.
Tristan Poullaouec. L’autre inquiétude concerne le niveau des élèves et la certification des connaissances par le baccalauréat. La question est complexe, car les programmes et les exigences ont changé. Mais, à l’évidence, la dégradation des performances des écoliers à l’entrée en 6e en matière de maîtrise de la langue écrite depuis quinze ans (révélée par les enquêtes de la DEPP) se répercute aujourd’hui parmi les candidats au baccalauréat. Pourtant, ce n’est pas en durcissant les exigences de cet examen qu’on pourra résoudre ce problème, qui prend sa source bien en amont du bac. Pour le ministère, ces trois pistes présentent surtout l’intérêt de réaliser des économies dans l’organisation de cet examen. S’agit-il vraiment de revaloriser le bac ? Il me semble que c’est plutôt l’envie de hiérarchiser encore davantage les bacheliers qui anime ces propositions, comme si le bac pouvait devenir un concours.
Roland Hubert. Encore faudrait-il mesurer réellement cette dévalorisation et savoir sur quelles valeurs et quels critères se fonde sa théorisation. Est-ce parce qu’il n’est plus réservé à une élite qu’il perdrait sa valeur ? Rappelons simplement que, malgré les rôles différents et complémentaires des trois voies, générale, technologique et professionnelle, un tiers d’une génération ne l’obtient pas ! L’actuel débat sur son organisation n’échappe ni à la conception élitiste du système scolaire, ni à la recherche forcenée de réduction des dépenses publiques. Il est difficile de ne pas lire les propositions du récent rapport de l’inspection générale à la lumière de la politique budgétaire : les mesures préconisées (contrôle continu, suppression des options et de l’oral de rattrapage) sont toutes sources d’économies et rien (ou si peu) n’est dit sur les contenus évalués et la pertinence des épreuves. Elles déclinent une remise en cause des équilibres disciplinaires et de leur traduction par les coefficients. Le baccalauréat doit rester généraliste, avec le principe de compensation entre les différentes disciplines, qu’elles soient centrales dans la série ou facultatives. Outre qu’il serait difficile de les fixer, les notes éliminatoires poseraient de nombreux problèmes aux correcteurs et risqueraient de provoquer une augmentation des recours et contestations. Quant au contrôle continu, tout a déjà été dit, en particulier la perte de repères nationaux et, au bout du compte, une valeur attachée au diplôme qui dépendrait de l’établissement fréquenté par le candidat. Il serait sans doute plus pertinent de réfléchir aux barèmes utilisés et aux pressions qui peuvent exister sur les jurys, conséquences de la mise en concurrence des établissements et des disciplines.
Faut-il envisager de supprimer le baccalauréat ?
Tristan Poullaouec. Comme l’a montré Edmond Goblot en 1925, le bac a longtemps fait office de barrière pour accéder à la bourgeoisie. Mais il soulignait aussi son rôle nivelant, l’examen aplanissant officiellement les inégalités individuelles entre les bacheliers. L’école unique a mis fin à ce monopole des élites sur le baccalauréat. Au moment où la quasi-totalité des parents visent le baccalauréat pour leurs enfants, il serait politiquement hasardeux de vouloir supprimer ce diplôme, qui continue de certifier publiquement des savoirs et des capacités acquis dans l’enseignement secondaire. Mais l’école unique fonctionne aussi sur le principe de la concurrence généralisée entre les élèves, d’où la tentation du contrôle continu, qui éclaterait de fait la valeur nationale du diplôme, selon qu’on le prépare dans un lycée prestigieux de centre-ville ou dans un lycée des quartiers populaires...
Victor Colombani. Non. Les lycéens y restent attachés. Il s’agit du premier diplôme d’ampleur. Il met un point final à quinze ans de scolarité et valide l’acquisition des connaissances et des compétences des candidats. Il donne un cap à nos études et les valorise in fine. De plus, le baccalauréat est la première arme des jeunes contre le chômage. Supprimer le bac, ce serait augmenter encore les inégalités, puisque la sélection dans l’enseignement supérieur se ferait alors sur des critères encore plus flous et certainement plus injustes.
Sinon, quelles sont les améliorations à apporter au baccalauréat, selon vous ?
Tristan Poullaouec. La refonte du baccalauréat est inconcevable sans une refondation du système éducatif. Pour sa part, le GRDS propose un projet d’école commune de 2 à 17 ans, conduisant 100 % des élèves à un baccalauréat de culture générale et technologique. En prenant acte de l’égalité des intelligences et en supprimant les obstacles aux apprentissages que constitue la sélection permanente des élèves, il s’agit de transmettre à tous les moyens intellectuels d’atteindre un haut niveau de culture commune, jusqu’à un lycée unique, sans filières, ni redoublement, ni notation. Le baccalauréat pourrait ainsi s’organiser en deux temps : en fin de première, la validation du tronc commun, et en fin de terminale, la validation du baccalauréat de spécialité, préparant l’insertion ou la poursuite d’études.
Roland Hubert. À l’image du système éducatif, le baccalauréat évolue et il est évident que les épreuves sont construites en fonction des objectifs définis par les programmes. Faisant globalement appel à moins de mémorisation, elles suscitent plus de réflexion, de capacité d’analyse et de synthèse. Il est cependant urgent de repenser leurs complémentarités en jouant peut-être sur les coefficients et en vérifiant que, globalement, elles évaluent un spectre plus large qu’aujourd’hui des différents modes d’expression et de restitution.
Victor Colombani. Si le bac est un diplôme capital en lui-même, il est nécessaire que l’examen change et se modernise. Tout d’abord, pour lutter contre le bachotage, une meilleure répartition des épreuves sur les années de première et de terminale est nécessaire, sans pour autant se satisfaire du contrôle continu. D’où la proposition de créer des épreuves partielles nationales, en milieu et fin de première et de terminale. Celles-ci permettraient de passer plusieurs épreuves de différentes disciplines, donnant ainsi un droit à l’erreur aux lycéens. De plus, elles seraient l’occasion de diversifier les critères d’évaluation et le format des épreuves, aujourd’hui très élitistes. Enfin, il est nécessaire que le baccalauréat, qu’il soit général, professionnel ou technologique, soit cohérent avec le reste du cursus lycéen. Il n’est pas tolérable d’avoir conservé, en lycée professionnel, des programmes et une épreuve presque similaires, alors que le ministère a réduit l’enseignement professionnel à trois au lieu de quatre ans !
Entretiens croisés réalisés par Dany Stive
Voir en ligne : L’Humanité du 30 mars 2012